News - 22.06.2019

Les recours tunisiens au Conseil de sécurité : 1985 Hammam-Chatt

Les recours tunisiens au Conseil de sécurité : 1985 Hammam-Chatt

Le 1er octobre 1985, Israël lance une attaque contre Hammam-Chatt, dans la banlieue sud de Tunis. Dix avions F-15 partis d’Israël traversent la Méditerranée sur 3 000 km et bombardent la localité en bord de mer, siège officiel de la direction palestinienne, faisant près de 70 morts, dont 58 Palestiniens, et une centaine de blessés. Les dommages matériels sont considérables. L’opération est revendiquée par Israël à titre de représailles contre‘’un acte terroriste commis à Chypre le 25 septembre et qui avait fait trois victimes israéliennes’’. A Washington, le porte-parole de la Maison-Blanche déclare que l’attaque était ‘’une légitime défense contre des actes de terrorisme… Par principe, conclut-il, une réponse appropriée à des actes de terrorisme est un acte légitime d’autodéfense’’. Cette déclaration heurte le Président Bourguiba qui convoque aussitôt l’Ambassadeur des Etats-Unis et lui signifie que la Tunisie rompra les relations diplomatiques au cas où les Etats-Unis s’opposeraient à la condamnation de l’agression au Conseil de sécurité des Nations unies.

Aux Nations unies, le groupe arabe et le Mouvement des non-alignés tiennent des réunions et publient des communiqués condamnant sans réserve l’acte d’agression commis contre la Tunisie et contre la direction palestinienne. Le ministre tunisien des Affaires étrangères, M. Béji Caïd Essebsi, se trouvait aux Nations unies, ayant présenté la veille à la tribune de l’Assemblée le discours de politique générale. Il entreprend aussitôt des consultations et décide de déposer une ‘’Demande de convocation immédiate du Conseil de sécurité pour qu’il examine la situation résultant de l’agression israélienne’’(S/17509). Le Conseil comprend, à part les cinq membres permanents, les dix pays suivants: Australie, Burkina Faso, Danemark, Egypte, Inde, Madagascar, Pérou, Thaïlande et Trinité et Tobago.

Le Conseil tient la première séance le lendemain mercredi 2 octobre à 11 heures 50 sous la présidence des Etats-Unis. Béji Caïd Essebsi, premier orateur, introduit la question en qualifiant l’attaque de terrorisme d’Etat et en invitant le Conseil à «condamner l’acte d’agression autant que ses auteurs, à exiger des auteurs la réparation juste et intégrale de tous les dommages subis… et à prévenir et empêcher le renouvellement de tels actes de terrorisme commis par un Etat membre.» Il affirme par ailleurs: «Toute prétendue justification de ce forfait ou toute complaisance à l’égard de ses auteurs, sous quelque prétexte que ce soit, ne seront que l’expression d’un encouragement à l’agression et un satisfecit décerné à l’agresseur… Mon pays n’aura d’autre alternative que de les considérer comme un geste inamical dont il saura tirer les conclusions.» L’allusion à la déclaration de la Maison-Blanche est très claire. Les orateurs suivants, Koweït au nom du groupe arabe, Inde au nom du groupe des Non- Alignés, Egypte et OLP appuient sans réserve la Tunisie.

Le soir même, le projet de Résolution élaboré par le groupe des Non-Alignés membres du Conseil, avec la participation de la Tunisie et de l’OLP, était distribué. Parallèlement, l’Ambassadeur de France assure M. Caïd Essebsi du soutien de la France et l’informe que, sur ordre du Président Mitterrand, il avait l’autorisation de se joindre au parrainage de la Résolution si la Tunisie le souhaite. En revanche, l’Ambassadeur des Etats-Unis l’avertit qu’il a pour instruction d’opposer le veto au projet de Résolution, les Etats-Unis ne pouvant qualifier Israël d’Etat terroriste ni d’Etat agresseur.

Le débat se poursuit les 3 et 4 octobre en quatre séances denses et très largement convergentes, à l’appui de la Tunisie. L’Ambassadeur Benyamin Netanyahu, au nom d’Israël, réalise l’ampleur de l’offensive diplomatique, y compris le discours très dur du Représentant de la France, mais il reste confiant dans le veto des Etats-Unis. Il plaide le caractère extraterritorial de Hammam-Chatt, espace dévolu par la Tunisie à l’OLP, le caractère criminel de la ‘’Force 17’’, basée au quartier général de l’OLP et qui organise et exécute des actes terroristes, et enchaîne sur la lutte contre le terrorisme et la légitime défense. Dans la matinée du 4 octobre, jour du vote, la Tunisie décide de modifier deux points du projet de résolution initial, éliminant la notion de terrorisme d’Etat et substituant à la disposition ‘’ (le Conseil) condamne Israël ‘’ l’expression ‘’condamne l’acte d’agression armée perpétrée par Israël’’. Ces amendements visent à aider la délégation américaine, apparemment bienveillante, à surmonter les objections formelles exprimées par le général Vernon Walters, Représentant des Etats-Unis et Président du Conseil de sécurité, et qui justifiaient l’usage du veto. Walters relève en effet les amendements introduits par la Tunisie et s’adresse au ministre Béji Caïd Essebsi pour s’assurer que le texte amendé était bien le projet de Résolution définitif.

Sur cette base, il s’empresse d’obtenir, à la dernière minute, l’accord du Président Reagan pour renoncer au veto et émettre un vote d’abstention. Ce renversement prend de court la délégation israélienne qui n’a pas le temps de redresser le sens du vote et qui enregistre avec accablement l’adoption de la Résolution tunisienne (S/573) par 14 voix contre zéro, avec l’abstention des Etats-Unis. Pour sa part, la Tunisie enregistre le premier vote où le Conseil de sécurité prononce la condamnation explicite d’un acte d’agression attribué à Israël.

La Résolution mentionne également que «la Tunisie à droit à des réparations appropriées comme suite aux pertes en vies humaines et aux dégâts matériels dont elle a été victime et dont Israël a reconnu être responsable». La Tunisie présente ainsi au Secrétaire général, le 13 décembre 1985, un rapport détaillé de 127 pages sur les dommages subis comme suite au bombardement de Hammam- Chatt. La commission d’enquête constituée par le gouvernement établit le nombre des victimes à 68 morts (50 Palestiniens et 18 Tunisiens) et évalue les dégâts matériels à cette date à 5 432 125 dinars. En réponse, Israël accepte d’honorer l’obligation à l’égard de la Tunisie moyennant une négociation entre les deux gouvernements. La Tunisie rejette la condition et maintient ses droits.

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