News - 19.11.2016

Le chef de la diplomatie suisse à «Leaders» : où en est le dossier de la restitution des fonds Ben Ali ?

Interview du chef de la diplomatie helvétique à «Leaders»

La Suisse mettra un mécanisme en place dès qu’une décision de la justice tunisienne est prise sur la restitution des fonds Ben Ali

Notre coopération bilatérale se focalise sur les perspectives de la jeunesse en privilégiant la formation professionnelle

Il faut déceler les causes qui font que des jeunes soient attirés par des mouvements extrémistes

Croyant au potentiel de la coopération bilatérale tuniso-suisse et maîtrisant tous ses volets, le chef de la diplomatie helvétique Didier Burkhalter était assis au milieu d’un groupe de jeunes du Kram. Ils lui racontaient leur première expérience de démocratie participative au sein de la mairie, l’une des quinze pionnières ouvertes à l’exercice dans la Tunisie de l’après révolution. Et avant d’aller en banlieue nord, Didier Burkhalter a visité Basma, l’ONG soutenue par la Suisse, qui œuvre à la promotion de l’emploi pour les handicapés, dans la cité d’Ettadhamen.

Ces exemples concrets ont conféré une dimension humaine à une visite par ailleurs hautement politique, qui s’inscrivait dans le cadre des consultations bilatérales entre les deux ministères des Affaires Etrangères. La Suisse entretient, en effet, une relation forte avec notre pays, surtout après la Révolution.

Entre deux visites au Kram et a Ettadhamon, le chef de la diplomatie helvétique a accepté de nous accorder cette interview.

Quel bilan tirez-vous de votre visite en Tunisie? Avez-vous atteint les objectifs escomptés?

Didier Burkhalter: Je suis ici parce que nous avons une relation très forte avec la Tunisie. En fait, il y a un travail de coopération qui a commencé et qui est bien engagé, même s’il reste beaucoup à faire. Par rapport à 2011 [date du premier accord politique entre la Suisse et la Tunisie après la Révolution], les défis restent très forts. Je pense que nous avons un programme qui est bien orienté parce qu’il se focalise sur les perspectives de la jeunesse, en privilégiant la formation professionnelle. Elle permet de trouver un emploi, car sans emplois, il y aura beaucoup de déception parmi les jeunes.

Ceci dit, le progrès économique et l’investissement sont aussi un vrai problème dans ce pays. Il y a vraiment un défi gigantesque et si cela ne s’améliore pas, la déception sera encore plus grande.

Je pense aussi que l’aspect prévention de l’extrémisme violent est fondamental, mais cela prendra des années. Les petits projets ici sont une bonne base mais il faut investir là-dedans pour les développer.

Je crois également que les relations avec la Tunisie pour nous autres Suisses sont très importantes parce qu’elles nous permettent de parler de tout très franchement et aujourd’hui, on a pu le faire au niveau ministériel. C’est bien, mais il reste beaucoup de travail.

Vous avez évoqué les fonds gelés en Suisse. Il y a quelques mois Berne a déjà restitué à Tunis une petite somme de 250’000 CHF en exigeant que cet argent soit investi dans des projets de développement dans les régions défavorisées. Mais on a constaté qu’il a été intégré au budget de l’Etat sans préciser les secteurs auxquels il sera alloué. Comment expliquez-vous cela?

D.B.: Cela est dû à la somme elle-même, qui est tellement petite qu’on ne peut pas financer de grands projets avec. Evidemment, 250’000 francs sur 60 millions, ce n’est qu’un début. Disons clairement qu’on ne peut pas faire un grand programme de coopération et être en mesure de le suivre avec cela. Mais si on arrive à avoir une décision de la justice tunisienne là-dessus, un mécanisme sera mis en place avec un suivi et un contrôle.

Vous avez annoncé que pour les quatre prochaines années la Suisse a réservé 100 millions de francs pour la Tunisie, mais sous conditions. Qu’est-ce que cela signifie?

D.B.: Cela veut dire que nos engagements sont liés à des avancées dans certains domaines. Mais en Tunisie on peut dire déjà qu’une grande partie est acquise. Par exemple dans le domaine de la migration, nous voulons des accords; et avec la Tunisie nous avons signé en 2011 un accord de ce genre qui fonctionne bien. Mais ce qu’il faut atteindre, c’est que chaque pays qui bénéficie d’une aide aussi importante de la part de la Suisse se rende compte que cet engagement n’est pas automatique.

Pour avoir cet argent, il faudra vraiment démontrer que cela s’inscrit dans un ensemble, car nous avons une politique en ce qui concerne l’immigration, la prévention de l’extrémisme violent, les droits de l’homme...

A propos des droits de l’homme, comment avez-vous abordé le sujet avec vos interlocuteurs tunisiens?

D.B.: Lors de cette visite on en a parlé surtout en rapport avec la prévention de l’extrémisme violent, qui est aussi liée avec la formation. En effet, on aimerait voir des progrès sur le terrain. Certes, avec la Tunisie je suis très confiant mais il faut que cela se fasse. Il faut aussi que ces moyens-là soient inscrits dans une relation qui ne se limite pas à donner de l’argent. Donc, vous avez le cœur, si vous voulez, qui est constitué par le programme de coopération et ensuite l’ensemble des priorités que nous avons entre la Suisse et la Tunisie et qui sont les organes.

La Suisse a fait beaucoup - et discrètement - pour favoriser le dialogue entre les frères ennemis en Libye. Que peut-elle entreprendre aujourd’hui pour renouer le dialogue et débloquer la crise qui va en s’aggravant?

D.B.: C’est extrêmement difficile en Libye. L’avantage, c’est que la Suisse, en quelque sorte, reconnait les pays et pas les gouvernements. Et donc elle n’a pas choisi un camp. Elle est ouverte à l’ensemble des partenaires et est, de ce fait, capable de les rapprocher en jouant ce rôle de bâtisseur de ponts, ce qui fait un peu la différence avec les autres. Il est évident que nous sommes prêts à faire plus, mais le champ d’action en Libye est relativement limité à présent et, en tous cas, cela pose un énorme problème de sécurité. La Suisse peut faire plus, mais dans le cadre de la coopération avec ce qui s’entreprend via l’ONU notamment.

* Daech ne cesse de gagner du terrain en Afrique du Nord. Comment la Suisse appréhende-t-elle ce phénomène, et quelle stratégie adopte-t-elle pour y faire face?

D.B.: Notre engagement est centré essentiellement sur la prévention du terrorisme. Nous n’avons pas de politique anti-terroriste répressive. En revanche, nous avons la possibilité d’agir dans le domaine de la prévention, c’est-à-dire des programmes sur le moyen et le long terme, afin de déceler les causes qui font que des personnes, notamment des jeunes, sont attirés par ces mouvements-là. Le but est d’aller aux causes.

La Suisse veut investir aujourd’hui pour que demain et après-demain, il n’y ait plus de raisons pour ces groupes d’exister, ni de motivation pour les rejoindre. Et là aussi, nous avons besoin d’interlocuteurs pour mettre l’ensemble sur la table afin de vaincre ce fléau.

Entretien conduit par Rachid Khechana

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