News - 10.06.2016

Habib Essid: L’otage de la Kasbah

Habib Essid: L’otage de la Kasbah

Alors que le président de la République poursuit ses consultations en vue de la formation d'un gouvernement d'union nationale, Habib Essid, imperturbable, garde les yeux fixés sur son tableau de bord. Des plannings sous Excel surlignés de différentes couleurs fluorescentes. Comme si les rumeurs insistantes sur son départ ne le concernaient pas ou que celles d’un remaniement imminent étaient hors sujet. Quand on lui avait posé la question, fin mai dernier avant l'annonce de l'Initiative Béji Caïd Essebsi, il a répondu que son gouvernement compte parmi ses missions principales la mise en place des institutions constitutionnelles, l’amorce de la décentralisation, la tenue des élections municipales, la mise œuvre du plan et du nouveau code des investissements.

«Sa feuille de route est clairement tracée. Il entend y aller à fond sans changement d’aiguillage ni par saccades. Sauf accident de parcours, pas de remaniement à l’horizon immédiat. Le bail sera revu après les municipales. Même si les Tunisiens attendent de lui une onde de choc positive», écrivions-nous. Mais, voilà l'accident de parcours survenu et tout risque d'être chamboulé. Les priorités de l'action gouvernementale restent les mêmes. C'est intéressant à connaître. Celà peut servir à tout locataire de la Kasbah, durant les mois à venir.

Les trois avions qui doivent arriver à l’heure

Pour le chef du gouvernement, il y a trois avions gros porteurs qui doivent tous arriver à l’heure. Le premier est précisément celui du plan et du code des investissements qu’il importe de faire adopter par l’Assemblée des représentants du peuple, avant la clôture de la session législative, ce 25 juillet. Ces deux lois sont déterminantes pour pouvoir tenir avec succès la conférence internationale des bailleurs de fonds prévue à Tunis fin novembre prochain. C’est ce qui permettra de soumettre des projets approuvés et ficelés et de mobiliser les fonds nécessaires à leur réalisation. Cet impératif financier est essentiel afin de pouvoir relancer le développement économique et social et commencer l’année 2017 sous de bons auspices. Le cap est clair, le timing est important.

Le deuxième avion gros porteur concerne les institutions constitutionnelles qui restent à créer et à faire entrer en fonction. Le chantier est énorme: il s’agit de quatre importantes instances, à savoir l’Instance des droits de l’Homme, l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, l’Instance du développement durable et des droits des générations futures, et l’Instance de la communication audiovisuelle. Pour pouvoir voir le jour, chaque instance fait l’objet de trois phases successives: gouvernementale, parlementaire et re-gouvernementale. La première porte sur de larges consultations et concertations afin d’élaborer le projet de loi et de l’adopter en Conseil des ministres avant transmission à l’ARP. La deuxième relève des élus de la nation jusqu’au vote de la version finale et la troisième concerne les textes réglementaires à prendre, la budgétisation, l’organisation administrative et financière et toute la logistique nécessaire. A cela s’ajoute le projet de loi organique relatif aux dispositions communes. Tout ce travail s’accomplit en fil tendu par l’équipe réduite du ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’Homme, Kamel Jendoubi, en liaison directe avec le chef du gouvernement. La plupart des projets de loi seront soumis à l’ARP avant fin août prochain afin que leur examen en commission commence à la rentrée et leur adoption ne dépassera pas la fin de l’année. Cela permettra également d’inscrire leurs crédits dans le budget de 2017 pour assurer leur entrée immédiate en fonction.

Quant au troisième avion, il concerne la décentralisation à rendre effective et les élections municipales. Pas moins de 85 nouvelles municipalités (350 au total) ont été créées, sur la base d’un nouveau découpage territorial. Un travail gigantesque a dû être mené depuis plus de deux ans par les services du ministère de l’Intérieur et à présent celui des Affaires locales, en étroite collaboration avec l’Equipement, le Développement régional, l’Office topographique et l’INS, pour déterminer les indicateurs à respecter, tracer les délimitations de chaque imadat et fixer ainsi les contours de chaque municipalité, ne laissant aucune zone rurale hors du périmètre communal. Du coup, pas moins de 3,5 millions de Tunisiens pourront désormais bénéficier des prestations municipales. Tous les textes sont déjà publiés au Journal officiel (fin mai 2016) et il ne reste plus qu’à faire adopter par l’ARP la loi électorale dans sa nouvelle révision. Les débats ont commencé en séance plénière et seront suivis par l’examen du code des collectivités.

Est-ce suffisant?

Tel un aiguilleur du ciel, Habib Essid suit attentivement de sa tour de contrôle, sur le radar et en liaison radio directe, chacun de ces trois vols essentiels, donnant les instructions nécessaires et s’assurant de la bonne vitesse à destination du bon cap. Mais, est-ce suffisant par rapport aux attentes urgentes du pays?

«Ce n’est en fait que la partie stratégique de l’action du chef du gouvernement. S’il y accorde une importance capitale, il ne néglige nullement le reste, confie à Leaders l’un de ses proches collaborateurs. Sollicité sur tous les fronts, ajoute-t-il, il monte au charbon du matin au soir, enchaînant audiences, réunions et activités sur le terrain. La sécurité vient en première priorité, avec cette guerre déclenchée contre le terrorisme et tout l’appui complémentaire nécessaire à apporter à l’armée nationale et aux forces de sécurité intérieure. Les résultats sont meilleurs et les performances garnissent le palmarès national en trophées de choix. Un travail de réflexion stratégique globale du phénomène terroriste se construit sous la houlette d’une commission interdépartementale placée à la Kasbah qui a tout repris à la base. Jusque-là, elle a tenu neuf importantes réunions, souvent sous la présidence du chef du gouvernement lui-même. Une dixième session est prévue en ce mois de juin et marquera une avancée significative dans l’examen de certaines questions pointues et la prise de décisions utiles.»
Reste la grande question de la trêve sociale. Ugtt et gouvernement parviendront-ils à trouver un terrain d’entente afin de désamorcer tant de crises et apaiser tant de tensions ? Habib Essid en est fort acquis. Mais comment peut-il agir en conséquence?

Du plomb dans les ailes

Un lourd handicap pour son gouvernement, c’est d’abord le comportement parfois cavalier de certains ministres et leur engouement prononcé pour le show et les médias. Le second est l’arrêt du mécanisme de coordination groupant les quatre partis formant la coalition au pouvoir, en raison de l’implosion de Nidaa Tounès et de tiraillements entre certains autres partis. Indépendant, censé être soutenu  d’abord et fortement par Nidaa Tounès, mais aussi les trois autres, Habib Essid se trouve limité pour le moment à l’unique confiance renouvelée en sa faveur par Ennahdha et le président de la République.

Livré à son propre sort, il doit pourtant tenir la maison, tenir le gouvernail et répondre aux attentes des Tunisiens, les poings liés, ne pouvant ni se séparer de certains ministres ni faire appel à d’autres plus compétents et solidaires. Même s’il communique davantage ces dernières semaines, il n’évoque guère ces questions, alors que ses proches le pressent de dire la vérité au peuple, quitte à dénoncer certains comportements. Mais, Habib Essid opte pour une attitude plus raisonnée. A-t-il d’autres choix, lui qui a refusé de «déserter», et accepté de rester l’otage de la Kasbah ? Ses visiteurs affirment qu’il ne s’en plaint pas, faisant contre mauvaise fortune bon cœur.

Taoufik Habaieb

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