News - 16.08.2013

Faire valoir la raison

La situation tourne au drame en Égypte. Les affrontements entre l'armée au pouvoir et les manifestants pro-Morsi génèrent des centaines de morts, des milliers de blessés et une profonde blessure que le peuple égyptien aura bien du mal à panser et encore moins à oublier. 

L'armée avait pris le prétexte, réel par ailleurs, d'une profonde désaffection du peuple vis-à-vis du pouvoir islamiste en place pour le bousculer, le destituer et le remplacer en toute illégalité.
 
Soyons clairs. Reconstituons les faits. Ils sont simples:
  • le pouvoir islamiste était en place depuis un an. Il y était arrivé à travers les urnes, lors d'élections que le monde entier avait saluées comme démocratiques et transparentes,
  • les islamistes au pouvoir ont fait preuve d'une extrême indigence, d'une incapacité totale a gérer les affaires publiques, mais aussi et en même temps, d'un appétit féroce en matière de main mise sur l'État, l'administration centrale, régionale et territoriale. 
  • le quotidien des populations n'a cessé de se dégrader, avec les pénuries récurrentes, la flambée des prix, la fonte des réserves de changes et la perspective d'ajustements structurels sévères imposés de l'extérieur.
 Le décor ainsi planté, la révolte a grondé donnant lieu à la désobéissance civile, à l'exigence de départ. L'armée a fait semblant de donner un ultimatum à Morsi avant de dérouler un plan déjà dans les cartons.
L'entêtement de Morsi a fait le reste et l'armée a repris le pouvoir qu'elle n'a jamais lâché depuis 1952.
 
Dès le 2 juillet, j'écrivais dans ces mêmes colonnes que:
  • Morsi n'était pas un démocrate, qu'il avait utilisé la démocratie pour arriver au pouvoir mais qu'il n'envisageait nullement de céder ce pouvoir un jour au nom de cette même démocratie, 
  • Nul ne pouvait se réjouir de voir l'armée descendre dans l'arène politique et casser le processus démocratique. On sait quand est ce qu'une armée prend le pouvoir (directement ou par personnes interposées). On ne sait jamais ni quand est ce qu'elle le restitue aux civils ni dans quelles conditions.
Morsi et les islamistes avaient usé, par leur incompétence, leur autisme politique et leur refus de dialoguer avec leurs adversaires, mais aussi par leur voracité, la légitimité qu'ils avaient acquise par les urnes. Il ne leur restait que la légalité formelle et ils ont délibérément fait l'amalgame entre légalité et légitimité. Par leur entêtement, ils ont tendu un piège au front du refus, pour devenir durablement les victimes de leurs bourreaux démocrates. 
Aucune concession n'est possible. Toute mort humaine violente est une mort de trop. Le comportement actuel des forces armées et de sécurité égyptiennes est inacceptable. Il est urgent de libérer les responsables islamistes, les journalistes et tous les prisonniers d'opinion. Il est urgent de faire valoir la raison!
 
Dans ces mêmes colonnes, j'avais également écrit que la Tunisie n'était pas l'Egypte. Nous n'avons ni le même substratum social avec sa pauvreté extrême, ses exclusions et ses inégalités profondes, ni la même armée, État dans l'Etat, ni la même position stratégique, à proximité d'Israel et des champs pétroliers du Proche Orient, deux éléments majeurs dans la définition de la politique extérieure des États-Unis d'Amérique. Ces différences objectives ne doivent en aucun cas occulter de grandes similarités entre les situations de nos deux pays:
l'indigence, l'autisme, le mépris de l'autre et la voracité. 
 
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le lâche assassinat de Mohamed Brahmi, la froide exécution de nos vaillants soldats luttant avec peu de moyens contre l'hydre du terrorisme froid et aveugle ont fait le reste. Ils ont jeté de l'huile sur le feu, ont exacerbé les insatisfactions et ont déclenché les passions. L'appel à l'insubordination civile est là. L'appel au renvoi de toutes les institutions nées des élections du 23 octobre 2011 également. La Tunisie est sur le fil du rasoir.
 
Les calculs politiciens des uns et des autres, mais également leur absence de vision stratégique, mettant l'intérêt général au-dessus des intérêts partisans et de court terme nous amènent aujourd'hui à une situation complexe et porteuse de tous les dangers.
 
Plus que jamais, le compromis est nécessaire. Seule Ennahdha en détient les clés. Sa position de premier parti de la coalition au pouvoir lui confère une responsabilité de tout premier ordre, celle de constater l'échec du gouvernement actuel, d'accepter sa démission et son remplacement par un gouvernement non partisan. La précédente manœuvre de février-mars 2013 a vécu. Plus personne n'est dupe. Plus personne ne se satisfaira de ministres, formellement neutres, mais réellement sous la supervision des anciens détenteurs des portefeuilles ministériels, mis à l'ombre, dans un gouvernement parallèle, pléthorique et non responsable.
 
Ennahdha doit également accepter la dissolution des Ligues de Protection de la Révolution, véritable coup de poignard dans le dos de la République et arme à double tranchant échappant au contrôle de ses instigateurs pour les mettre dans la position de l'arroseur arrosé. Elle doit accepter la révision, sur des bases objectives de compétence et d'adéquation aux besoins des postes pourvus, des nominations effectuées dans la haute administration centrale, régionale et locale.
 
En contrepartie, l'opposition et la Société Civile doivent accepter le maintien de l'Assemblee Nationale Constituante, en en fixant le terme à un horizon raisonnable, en en limitant les prérogatives à la rédaction de la Constitution et en lui adjoignant un Comité restreint d'experts constitutionnels, choisis en fonction de leur seule compétence. Toute autre position serait aventurière et irresponsable.
 
Pouvoir et opposition  doivent bannir tous les slogans appelant à la haine ou à la discorde. Le plus tôt, ils le feront, le mieux cela sera compris par leurs troupes et leurs partisans. Car encore une fois, les exigences politiques exorbitantes peuvent se refermer comme un piège  contre leurs propres commanditaires.
 
Le gouvernement mis en place, sous l'autorité d'un Comité des Sages, doit bénéficier d'un large soutien de la classe politique. Il doit pouvoir légiférer par décrets et avoir comme priorités de restaurer l'ordre et la sécurité, de réhabiliter la confiance auprès des populations, d'engager le dialogue avec la communauté des affaires, nos partenaires extérieurs et nos bailleurs de fonds, de manière à donner à tous des raisons d'espérer et d'attendre et enfin de prendre en charge les affaires courantes.
 
Le moment est critique. Il est urgent que chacun assume ses responsabilités au service de la Nation et accepte les éléments d'un compromis plus que jamais nécessaire. Il est urgent de faire valoir la raison!
 
Radhi MEDDEB
Président-Fondateur
Action et Développement Solidaire
 
Tags : Ennahdha   Morsy   Tunisie  
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9 Commentaires
Les Commentaires
Tahar JEBARI - 16-08-2013 10:29

- Dégradation de la sécurité, - Baisse vertigineuse du niveau de vie, - Chaumage stagnant, - Appétit démesuré des gouvernants quand au profit à tirer de leur période de gouvernance, - Retard flagrant dans l'écriture de la constitution et l'organisation des élections, - Confiance mise à mal entre le gouvernement et l'opposition, - Recul des investissements, Ces ingrédients sont autant de raisons qui risquent de mener à un scénario catastrophe. Avec moins que cela l'Egypte nous donne un exemple à éviter à tout prix.

Kamel - 16-08-2013 11:08

Pour faire prévaloir la raison, il faudrait déjà avoir en face de soit des interlocuteurs raisonnables conscient des interets suprême de l'état et de son peuple ! Hélas les signaux lances par Ennahda et ses alliés n'augurent rien de bon !

aliocha - 16-08-2013 11:08

Aucun gouvernement islamiste n'a quitté le pouvoir pacifiquement! Ennahda fera-t-elle exception? on ose l'espérer mais c'est peu probable!

Mohamed DACHRAOUI - 16-08-2013 12:49

Je partage une grande partie de ton analyse mais je fais tout d'abord le constat suivant: 1) Il est impossible dans la situation actuelle pour le parti Ennahdha d'avouer son échec de guider le pays. s'il le fait, il aura un problème vis-à-vis de sa base et un autre pour les prochaines élections puisque son programme a échouer. 2) Il me semble qu'il est plus raisonnable que aussi le gouvernement que le président de la république partent avec l'ANC une fois ses deux tâches terminées le 23 octobre 2013. 3) Après cette date un peut parler d'un gouvernement indépendant qui va sauver le pays et d'un nouveau président comme Ahmed Mestiri ... avec mes cordiales salutations mohamed DACHRAOUI

Dr. Néjib BOURAOUI (Politologue) - 16-08-2013 13:17

La création d'un gouvernement de compétences nationales jouissant de la confiance de la TROIKA et de l'opposition serait le seule moyen de sortir de la crise actuelle, de parachever rapidement la période de transition et de passer aux prochaines élections nationales qui doivent être impérativement surveillées et contrôlées par des organisations internationales spécialisées afin d’exclure toute tentative de falsification des élections, sachant qu’un grand dirigeant actuel de l’opposition en Tunisie s’est avéré – au vu de son propre mea culpa (!) - un grand professionnel de la falsification… ! Quand aux dirigeants d’Ennahdha, dont certains jeunes politiciens continuent encore de séduire bon nombre de Tunisiens, ils doivent mettre de l’eau dans leur « vin » et faire leur propre révolution interne en se libérant de plusieurs têtes archaïques et incompétentes et en se démarquant solennellement des extrémistes de tous bords avant qu’il ne soit trop tard… !

mhamed Hassine Fantar - 16-08-2013 13:27

Les judicieuses propositions faites par Mr Radhi Meddeb sont par rapport à celles présentées et soutenues, bien avant lui, par l'UGTT et ses trois partenaires, sont dans la langue de la géométrie, comme deux triangles semblables. A mon humble avis, nous devons éviter de nous porter auteurs de propositions en laissant croire à leur originalité. Nous devons avoir le courage de saluer les propositions de l'UGTT en déclarant que nous les adoptons et les défendons.Remplacer le gouvernement et limiter le temps et les prérogatives de l'ANC, ce sont là les propositions de L'UGTT. Ceux qui les partagent, qu'ils le déclarent sans faire semblant d'en être les auteurs.Autrement, c'est la confusion.Soutenons donc les propositions de l'UGtt et crions le haut et fort.

Radhi Meddeb - 16-08-2013 16:26

Ceci est une réponse au commentaire de Si Hassine Fantar: Je vous renvoie à mon article du 28 juillet, donc une semaine avant l'initiative de l'UGTT , que je salue par ailleurs et que j'appuie. Vous verrez que les propositions que je reprends sont les miennes. Elles sont originales et antérieures à l'initiative de l'UGTT. Soyez donc plus humble et moins péremptoire. http://www.leaders.com.tn/article/radhi-meddeb-que-faire-une-sortie-de-crise-en-six-points?id=11938

fadhel - 16-08-2013 21:00

un raisonnement objectif,mais tant que les anciens arnaques et les nouveaux ne seront pas derrière les barreaux le pays restera dans le chaos

Gafrej Raoudha - 21-08-2013 07:16

M. Meddebi la Tunisie n'est pas l'Egypte certes mais nous avons le même mal qui nous range. Ce mal s'appelle "le cancer islamique" et je ne crois pas pouvoir envisager une démocratie avec une entité nationale qui ne respecte pas la différence et opte pour la violence.

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