Hommage à ... - 06.04.2011

Zouhaïr Essafi: le pionnier

Il venait d’accéder au décanat de la Faculté de Médecine de Tunis quand un tragique accident de voiture allait mettre fin à sa carrière, le 9 avril 1976. Il n’avait que 52ans. Nous sommes restés longtemps orphelins.

Je l’ai connu vingt cinq ans auparavant à Paris. Interne des Hôpitaux de Paris en 1952, Zouhair Essafi nous a fait découvrir cette voie  royale de la formation médicale française et nous a encouragés à l’emprunter. Je ne peux que  lui rendre grâce d’avoir suivi son conseil et réussi au concours d’internat de 1955. Il avait pris l’habitude de recevoir périodiquement un petit groupe d’amis dans son appartement de la rue Lecourbe qu’il partageait avec son épouse Bijou qui vient de disparaitre. Déjà il se distinguait par son humour, son charisme et son érudition médicale sans cesse enrichie par la lecture studieuse des articles anglo-américains les plus récents.

Un esprit novateur 

Rentré à Tunis en 1958 il va transformer le paysage hospitalier tunisien. Il prend la direction du service de chirurgie générale de l’hôpital Charles Nicolle où il donne la pleine mesure de son esprit novateur et de ses capacités.

Il impose dans son service la tenue du dossier médical et surtout de staffs hebdomadaires qui vont abriter certes les discussions diagnostiques et thérapeutiques concernant les malades hospitalisés mais également l’analyse des causes des décès et des complications postopératoires. Ces staffs ouverts à tous ne vont pas tarder à se généraliser dans la plupart des services hospitaliers. Ils lui ont permis d’exprimer la primauté de l’examen clinique, de l’interprétation du fait pathologique sur la multiplicité des examens complémentaires dans l’établissement du diagnostic. Sa démarche méthodologique et sa vocation de formation sans cesse renouvelées attire de plus en plus de monde, chirurgiens et médecins étonnés et admiratifs de cette médecine interactive qu’ils découvrent pour la première fois à Tunis.

L’ambiance de ces staffs animés par un patron appelant la liberté de parole, l’échange voire la contradiction n’avait rien de livresque d’autant que l’humour et l’anecdote n’étaient pas absents du débat.
L’intérêt que tous portaient à ces réunions se doublait de l’estime à l’égard d’un maître dont le savoir-faire, le verbe et surtout le souci du partage étaient appréciés.
Quant à ses relations avec le patient, elles étaient exemplaires. Une prise en charge entière du malade, un parler vrai, courtois et rassurant, une indication thérapeutique mesurée et adaptée à la condition du patient, lui ont valu une réputation extraordinaire amplement justifiée.
Dans les domaines de la chirurgie abdominale et thoracique, il a partagé avec Saïd Mestiri, autre figure emblématique de la chirurgie tunisienne, la formation de la majorité des chirurgiens généralistes.

L'instauration du résidanat qualifiant

Bien que de formation française, il s’est intéressé à la littérature médicale anglo-saxonne et à l’analyse critique des innovations technologiques. On comprend dès lors le rôle d’avant-garde qu’il a joué en adoptant et en réalisant certaines opérations encore inédites en Europe et en créant dès 1960, la première unité de réanimation chirurgicale de huit lits, une première à l’époque, entrainant une amélioration significative des suites opératoires chez les patients. Il a joué également un rôle de pionnier en envoyant ses élèves aux USA et au Canada pour un stage de perfectionnement. Toutes ces actions expliquent le partenariat avec Zouhaïr Essafi des chirurgiens du Bateau « Hope », pendant leur séjour à Tunis.

Par ses titres d’ancien  interne des Hôpitaux de Paris, d’ancien chef de clinique à la Faculté de Médecine de Paris, de chef du service de chirurgie de l’hôpital Charles Nicole depuis 1958, il aurait dû être désigné pour passer le concours d’agrégation de médecine en décembre 1962 à Paris, ainsi que Saïd Mestiri, et Ali Okbi aux titres équivalents. Il aurait dû être choisi comme doyen à l’ouverture de la Faculté de Médecine de Tunis en octobre 1964.

Présidant, en sa qualité de doyen, un Conseil de Faculté où je siégeais, il ne cesse de nous surprendre par les innovations et les réformes qu’il nous propose. Il parraine la réunion de groupes d’étudiants qui s’agitaient et s’opposaient parfois violemment, il leur propose d’exposer leurs revendications, leur projet de réformes des études médicales et leur évaluation de l’enseignement et des enseignants. Ce séminaire a eu l’heur de détendre les étudiants et d’améliorer l’ambiance de la Faculté. C’était une première qui ne s’est depuis jamais renouvelée.

C’est Zouhaïr Essafi, qui a eu l’idée en 1976 d’instaurer le résidanat qualifiant. Pour accéder au résidanat il faut réussir à un concours sur épreuves avec un programme défini et un nombre de postes limité. Pendant quatre années de formation le résident devient le pilier du service hospitalier et le résidanat, la première marche de la carrière universitaire et de la spécialité. Valorisant le savoir faire, cette réforme, la plus importante des études médicales est à l’origine de  la qualité de la médecine et des médecins tunisiens en matière de spécialité.
Elle allait permettre le développement efficace et harmonieux des spécialités médicales. Ainsi sept catégories chirurgicales se sont affirmés avec des équipes compétentes, en chirurgies générale, orthopédique, urologique, cardiothoracique, pédiatrique, carcinologique et neurologique. A ce propos j’aimerai rappeler que Zouhair Essafi a été aussi l’inspirateur  de cette réforme en France auprès de notre ami  Maurice Rapin, alors Doyen de la Faculté de Médecine de Paris qui, l’adoptant, allait instituer l’internat qualifiant : bel exemple de coopération franco-maghrébine dans le sens Sud-Nord.

Un grand militant des droits de l'homme

Son parcours hospitalier et universitaire sont doublés d’un militantisme en faveur des Droits de l’Homme et de la démocratie. Dès son arrivée à Tunis il lutte pour la liberté de choix et d’expression des étudiants, pour l’indépendance du corps médical, refusant la mise sous tutelle du syndicat des médecins tunisiens. Il proteste en 1968 contre les agissements américains au Vietnam en rédigeant une pétition contre la politique américaine menée dans ce pays.

Son attitude lui vaut d’être enlevé par la milice du parti et de se voir infligé insultes et violences pendant quarante-huit heures avant d’être libéré.

Militant de la cause palestinienne, il n’hésita pas à diriger une délégation médicale se rendant au Caire en 1967 et à Damas en octobre 1973 pour y soigner les victimes de la guerre israélo-arabe.
 
Zouhaïr Essafi était pour nous ses cadets et il le demeure, un modèle, un maître. Son éthique, son élégance, son humanisme et son comportement vis à vis des patients lui valent une reconnaissance et une estime partagée par tous.

Trente cinq ans après son départ nous continuons à regretter l’universitaire et l’homme qu’il était.
Cet hommage est dédié à Najet et Walid ses enfants si attachés à la mémoire de leur père.
 

Dr Saadeddine Zmerli

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7 Commentaires
Les Commentaires
Samira Baccouche - 06-04-2011 20:11

Je me souviendrai toute ma vie du Professeur ESSAFI, du chirurgien et du Doyen de la Faculté où j'avais commencé à travailler..je me souviendrai du fameux samedi , le jour où tous ses amis étaient là , devant le Pavillon C de l'Hopital Charles Nicolle,,, attendaient, pleuraient ..la sentence est tombée..le Professeur RAPIN arrivé d'urgence de Paris declare avec peine et regret son décès.........Allah Yerhmou Son epouse Bijou vient de le rejoindre..Mars 2011, Mes condoleances à sa fille et à son fils. Le Professeur ESSAFI a laissé une famille nombreuse, proches, collègues, amis et élèves. le Conseil municipal de l'Ariana (1995-2000) a honoré la memoire de feu le Professeur Zouheir Essafi en accordant son nom à l'une des artères de ryadh Enasr ..

Dr DJERIDI M. - 07-04-2011 07:20

ZOUHEIR ESSAFI UN NOM QUI NOUS FAISAIT TREMBLER D'ADMIRATION,DE RESPECT ET DE CRAINTE DE SES REMARQUES DURES MAIS PERTINENTES.IL NE NOUS A PAS ENSEIGNE LA MEDECINE MAIS LA VIE TOUT COURT CETTE VIE ECOURTEE POUR LUI PAR CE TERRIBLE ACCIDENT AVEC SA 404 BLANCHE SUR LA ROUTE DE LA MARSA ET QUI NOUS A ETE RAPPORTE EN CE MATIN GRIS D'AVRIL 76 PAR UN DE SES AMIS NOTRE MAITRE BRAHIM GHARBI QUI PASSAIT SOUVENT A L'HOPITAL HABIB THAMEUR PRENDRE UN CAFE MATINAL AVEC LE REGRETTE Dr HACHMI AYARI. JE ME SOUVIENS QU'IL PRENAIT DU PLAISIR A VOIR UN DE SES ELEVES NABIL NAJAH LE MIMER DANS LE SERVICE ;ON DECOUVRAIT ALORS QU'IL N'ETAIT PAS SEULEMENT NOTRE MAITRE MAIS NOTRE AMI. MALHEUREUSEMENT POUR LA MEDECINE TUNISIENNE IL S'EST AVERE EST...IRREMPLAçABLE. PUISSE DIEU LE COUVRIR DE SA HAUTE BENEDICTION.

docteur sadok ouahchi - 07-04-2011 10:55

Bravo saadoun pour zouhair qui fut incontestablement un maitre et un humaniste sincere et devoue pour la liberte qu'il n'a cessee de defendre dans toutes les instances medicales et publiques ,

SAIDA DOUKI DEDIEU - 07-04-2011 11:56

Je remercie mon maître Saadedinne ZMERLI et Leaders d'avoir publié cet hommage. Certes les jeunes ne le connaissent pas mais ils le devraient tant cet homme a été un Mandarin dans la plus belle acception du terme. Compétence, rigueur, amour du travail, humanité, générosité, courage, amour de la vie, désintéressement, et l'en passe. Il fut un modèle et je lui en saurai gré toute ma vie. Il faudrait écrire un livre sur ce personnage historique qui a dit à Bourguiba: "Des ministres, vous en trouverez partout, mais des Essafi, nulle part". Paix à son âme mais puisse-t-elle continuer à nous inonder de sa lumière.

youssef BAHRI - 08-04-2011 18:36

Mon FRERE LE PROFESSEUR Hichem BAHRI ALLAH YARHMOU ETAIT UN DES ELEVES DU REGRETTE PROFESSEUR ZOUHAIER ESSAFI IL NE TARISSAIT PAS D'ELOGES SUR CE GRAND CHIRURGIEN TROP TOT DISPARU. HICHEM AVAIT ETE TRES AFFECTE PAR LA MORT ACCIDENTELLE DU REGRETTE PROFESSEUR ZOUHAIR ESSAFI QUI ETAIT UN PATRON HORS PAIR

ABH - 08-04-2011 18:38

"L’ambiance de ces staffs animés par un patron appelant la liberté de parole, l’échange voire la contradiction n’avait rien de livresque d’autant que l’humour et l’anecdote n’étaient pas absents du débat." Malheureusement beaucoup n'ont retenu de leur passage au service 51 de charles Nicolle (le votre) que cette phrase: "les externes sont des lithiases des couloirs"

Salma Mokaddem - 12-05-2011 18:28

moi qui ne suis encore qu'une interne débutant à peine ma carrière médicale, j'ai souvent entendu parler des multiples qualités du Pr Zouhair Essafi et j'aurais aimé vivre à l'époque où des figures comme celle-ci exerçaient encore. Ceci étant dit, j'aurais aimé que les générations de médecins d'aujourd'hui prennent l'exemple sur ces grands hommes tels que Zouhair Essafi et Saadeddine Zmerli parce qu'on assiste malheureusement aujourd'hui à une détérioration du niveau d'enseignement, de ces fameux staffs, d'une disparition progressive de cette envie d'enseigner, d'ailleurs je me demande pourquoi certains médecins choisissent le cursus hospitalo-universitaire s'ils n'ont pas envie d'enseigner! tout ceci n'est profitable ni aux futurs médecins ni aux patients qui en subissent les conséquences. D'ailleurs nous approchons de l'élection du nouveau doyen de la faculté de médecine de Tunis et j'espère que la liberté d'expression des étudiants dont parle Pr Zmerli sera bientôt retrouvée et qu'il y aura une amélioration de la qualité de l'enseignement. Merci Pr Zmerli pour cet article très enrichissant!!

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