Zoubeida Khaldi: Le dernier fantôme
Au cœur d’une longue et noire nuit, il disparut.
Et l’on entendit deux génies médirent de lui:
— T’as vu ce grand fantôme qui, à toutes jambes, fuit
Sans boussole, ni neurones, échevelé, pieds nus ?
— C’est un Arabe qui se veut fantôme noir.
— Quel Arabe ? Le presque bon ou le bon à rien ?
— La nuit, tous les chats sont gris... Je n’en sais rien !
— Eux, c’est comme le cholestérol,
Y a le bon, mais c’est le mauvais qui a le beau rôle...
Mais l’Arabe, c’est l’Arabe ! Temps qu’il s’efface !
Marre de cette race qui prend trop de place !
Avait plein d’ennemis, le meilleur étant lui.
— Le dernier des Mohicans, lui, s’est barré depuis longtemps,
Emportant les Indiens de tous bords et de tous camps.
Ont aussi foutu le camp, sans trop de boucan,
L’Andalou, L’Aborigène, Le Zoulou,...
Bref, tous ceux qui n’ont pas tenu le coup...
Puis Le Syrien, suivi par tout vendu et tout vaurien.
Tous tourné le dos au curé et au muezzin.
Devenus de braves Hébreux ! N’est-ce pas mieux ?
A la queue leu leu, ces baveux
Sont sortis de la géographie et de l’histoire,
Nus, perdus, muets, sans mémoire...
Sur leurs lèvres, un sourire de Joconde
Promettant un monde moins immonde, plus clair qu’obscur.
Restent ces Iraniens aux ruses multicolores
Qui négocient encore et encore...
Plus meurtriers que leur nucléaire ! Qu’en faire ?
Et ces Tunisiens qui agacent tant les gens bien...
Sans parler des Palestiniens qui, tués, sur-tués,
Trahis, largués, renaissent pour narguer l’histoire.
Tôt ou tard, leur regard-allumoir fera tout sauter.
— Des forfaits de ces réprouvés, j’suis témoin !
Mais comment et pour quelle raison,
Quand un peuple monte, l’autre descend ?...
Quand l’un s’enfle, l’autre fond ? Est-ce la valse des saisons,
Le principe des vases communicants ?
Ou la fameuse loi du plus fort
Qui a fait tant de belles morts
Et cette animale condition des hommes ?
— Les choses souvent se font et se défont ainsi.
La raison n’est pas la ronde des saisons,
Ni même la loi des hors-la-loi,
Mais ce culte de la trahison de soi,
Des siens, de son pays et de sa foi.
Et de ces maudites génuflexions,
Le new Arabe s’est fait une obligation.
— Sidérant, l’Arabe de ces temps !
A-t-on idée d’aller tout de go se suicider
Quand on vient vous le demander,
Fût-ce amicalement ?
— Moi, il me donne le vertige.
Aux bandits qui lui tombent dessus, il veut offrir
Présent, avenir, rêves et désirs, maison et souvenirs
Et même Le Mur, en sus des vœux de bonheur...
Les vrais proprios n’ont qu’à se lamenter ailleurs !
— Quand l’ennemi, on admire et on adore
Et que l’on court le couvrir d’or,
De bonne grâce, on doit lui céder la place.
— L’Indien, au moins, a laissé de belles traces
Et de longs rayons de lumière...
Une épopée d’amour pour son wigwam et sa terre
Et une bravoure qui encore luit...
Que laisse l’Arabe d’aujourd’hui ?
— Dans un monde où tout le monde trahit tout le monde,
Ce Judas a remporté l’oscar.
Mais que d’asticots dans ses circuits mentaux !...
Et dans son miroir vide, le reflet d’un couteau
Dirigé vers sa race...
— De sa trahison, j’suis témoin.
— N’ayant plus la bonne taille, ni les bons gènes
Ce nain rêvait de brûler ce grand passé qui le gène...
Et depuis qu’il s’en est évadé,
Il n’est plus que spectre minuscule
Et animalcule aux pieds des géants...
— Ou marionnette aux mille pirouettes,
Traitée en serviette et même en torchon...
— Plutôt batracien aux plaisirs néroniens,
Noyé dans son néant et sa gadoue,
Léchant les mains et rampant partout...
De quoi s’arracher les cheveux et se lacérer les joues !
— Pressé de se vendre et, de façon rentable,
Mais se sachant quelque peu porte-malheur,
Dégradé, non biodégradable, invendu, invendable,
Il payait d’avance ses éventuels acquéreurs.
— Tout cela n’est qu’une punition de Dieu,
Lui, qui a fait de l’homme son lieutenant sur terre.
Mais ce déchu, prenant sa mission à la légère,
Ne fit pas mystère de son honnête cruauté.
Il répandait le sang de ses frères
Ou regardait les vampires le faire.
Pour ce dit musulman, halal est ce sang !
— Le crime ! Vivement, le châtiment !
Hier, la folle chute du Jardin d’Éden,
Demain, sans appel, ni cassation,
Gueule cassée et atterrissage forcé
Dans la gueule de la Géhenne.
Qu’il parte ! Pourvu qu’il ne nous arabise pas !
De sa noirceur, j’suis témoin !
— Des rêves, il en avait, mais qui volaient si bas...
Palais, trône, plaisirs de la naissance à trépas.
Tel un beau songe, il se voyait porté par des anges,
Tout le temps et à bout de bras...
— Des Arabes, pourtant, on disait tant de bien.
— Oui, ceux de l’astrolabe, du zéro, de l’algorithme, etc.
Mais ce squelette n’a rien d’arabe et n’est plus rien.
Ne connaissait ni patrie, ni drapeau, ni qibla.
La majestueuse humilité, il ne connaissait pas.
Les nuits épiques, les fiers déserts, la gloire d’hier,
L’épée, le calame, l’honneur, ce n’était pas lui.
A l’amour, cette hyène a préféré la haine,
Le nonsense et ses puits...
— De sa fatuité, j’suis témoin !
— Tel le corbeau, ce laid se voulait le plus beau.
Pour être au superlatif, ce narcisse primitif
Avait tondu sa barbe et tous ses tifs.
Mais sa photo d’imberbe collabo,
Aux joues roses et aux jours dits plus roses,
Figure dans les annales des plus moches sots.
Espérons qu’il ne s’est pas cloné,
Ou trouvé le moyen de se réincarner !
— Mais... dis-moi, qui vient d’allumer ces belles bougies
Et remis les étoiles à leur place ?
— Un bel enfant, l’enfant des Cid, à ce que je sache.
— Ces seigneurs qui ont laissé fierté et nostalgie...
— Leur môme vient chasser les fantômes noirs,
Redresser les arbres, les jours et l’histoire.
— Qu’enfin l’Arabe retrouve sa place d’antan ! »
Lumière ! Lumière ! Ai-je dormi longtemps ?
Est-ce tard ?... Rêve... ou cauchemar ?
Zoubeida Khaldi
* Dédicace
A Moncef,
Ce frère qui savait dissiper mes cauchemars,
A part celui de son départ, toujours là, si lourd
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