News - 01.12.2025

Samir Samaâli: Le ruban rouge, la stigmatisation et l’ombre des préjugés

Samir Samaâli: Le ruban rouge, la stigmatisation et l’ombre des préjugés

Chaque 1ᵉʳ décembre, le ruban rouge refait surface sur les réseaux sociaux, dans les services de santé, parfois sur la blouse de certains médecins. Ce petit symbole discret porte en lui la solidarité et la lutte contre un virus. Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cache une réalité beaucoup plus lourde : le VIH n’est pas seulement un agent biologique. Il est aussi étiquette sociale, honte et secret.

Chaque jour, des milliers de personnes vivent avec le VIH et avec la peur omniprésente du jugement. Lorsqu’un virus devient un stigmate, il transforme non seulement la santé physique mais aussi l’expérience intime et sociale de ceux et celles qu’il touche.

Identifié au début des années 1980 à travers des cas de syndromes d’immunodéficience associés à des infections opportunistes rares, le VIH a rapidement été reconnu comme un virus spécifique, ouvrant la voie à la recherche thérapeutique. Aujourd’hui, les traitements antirétroviraux permettent d’atteindre une charge virale indétectable et donc non transmissible, modifiant profondément le pronostic médical[1,2].

À la fin de 2024, environ 40,8 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde, dont 31,6 millions bénéficiaient d’un traitement antirétroviral[1,5]. La même année, 1,3 million de nouvelles infections ont été recensées, avec environ 630 000 décès liés au virus[1].

En Tunisie, la situation demeure préoccupante: environ 8 000 personnes vivaient avec le VIH en 2023, mais seulement 28 % étaient diagnostiquées et suivies médicalement. Les hommes représentent la majorité des cas, et certaines populations restent particulièrement vulnérables : hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, travailleurs et travailleuses du sexe, et personnes consommant des drogues injectables. L’incidence montre une progression, passant de 198 cas en 2019 à 270 cas en 2021[3–5].

Au-delà de l’aspect biomédical, le VIH est profondément social et culturel. Le silence, le secret et la peur du rejet deviennent souvent plus pesants que le virus lui-même.

La “charge symbolique du virus”: du biologique au psychique

La stigmatisation du VIH ne se limite pas à la maladie. Elle prend racine dans des représentations sociales : faute, honte, transgression, tabous sur la sexualité, peurs morales. Cette “charge symbolique du virus” dépasse la dimension biologique et pèse sur la vie psychique et sociale des personnes concernées.

L’anthropologie médicale et la psychologie sociale nous enseignent que le VIH est autant une construction sociale que biologique. Les normes culturelles, les attentes familiales et le silence autour de la sexualité façonnent l’expérience vécue par les personnes vivantes avec le virus. Ce poids symbolique explique pourquoi nombre d’entre elles retardent le dépistage, vivent dans le secret et subissent un rejet silencieux. Sur le plan psychique, cette stigmatisation chronique peut provoquer anxiété, dépression, isolement social[3,4].

En Tunisie, où la sexualité demeure un sujet tabou, l’évocation ouverte du VIH ou de la prévention sexuelle est souvent perçue comme transgressive ou immorale. Pourtant, l’éducation sexuelle et le dialogue ouvert sont essentiels pour réduire la stigmatisation et protéger la santé publique[3,4].

VIH, honte, identité et secret: la triple épreuve

La charge symbolique du virus induit des conséquences psychiques profondes:

• Honte internalisée: le regard social pèse sur l’estime de soi et fragilise l’identité personnelle 
• Menace identitaire: le diagnostic peut fragmenter le récit de soi, réduisant la personne à sa séropositivité 
• Secret comme mécanisme de survie: pour se protéger du jugement, souvent au prix d’un isolement psychique douloureux.

Par conséquent, le VIH est autant biographique que relationnel et social. Accompagner les personnes concernées sur le plan psychologique et social est aussi crucial que le traitement médical lui-même, car c’est par ce soutien que l’identité, l’estime de soi et le bien-être global peuvent être préservés et renforcés.

Le ruban rouge: un appel à la réflexion et à l’empathie

Le ruban rouge nous interpelle:

Pouvons-nous parler de sexualité sans honte ?
Sommes-nous capables de voir l’autre avant de voir le virus ?
Pouvons-nous offrir un regard qui répare plutôt qu’un regard qui condamne ?

La lutte contre le VIH dépasse la dimension médicale. Elle exige de briser le silence, de déconstruire les tabous et de défendre la dignité humaine. Le ruban rouge n’est pas seulement un symbole annuel : il incarne la résistance à la peur, au rejet et à l’ignorance. Dans une société rapide à juger et lente à écouter, il nous rappelle un geste fondamental : placer l’empathie et la dignité avant le jugement.

Rappelons les recommandations sanitaires essentielles: l’usage du préservatif et du matériel stérile n’entrave pas le plaisir, il assure la sécurité et constitue un acte de responsabilité partagée, que ce soit pour les rapports sexuels ou l’usage de drogues injectables[3,4].
Protéger, c’est respecter sans juger … comprendre, c’est soigner sans exclure…

Samir Samaâli
Médecin psychiatre

Références

1. World Health Organization. HIV and AIDS fact sheet. 15 juillet 2025. (Who.int)
2. UNAIDS. Global HIV & AIDS statistics — Fact sheet 2024. (unaids.org)
3. UNAIDS. 2024 Global AIDS Update: The Urgency of Now. 22 Juillet 2024. (unaids.org)
4.  The Global Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria. Results Report 2025. (theglobalfund.org)
5.  Khouili R. 7 100 porteurs du VIH en Tunisie. Tunisie Tribune. 14 décembre 2023.

 

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