News - 17.07.2020

Kamel Akrout: Tunisie, l’heure est grave

Kamel Akrout: Tunisie, l’heure est grave

Par Contre-Amiral (r) Kamel Akrout

Un bilan catastrophique

Notre pays vit un des moments les plus dangereux de son histoire, aussi dangereux que celui qui a entrainé des guerres civiles et le chaos dans d’autres pays.

Depuis dix ans, notre pays fait face à une instabilité gouvernementale qui a grippé les rouages de l’économie, affaibli l’Etat, balkanisé les pouvoirs.

L’autorité de l’Etat a purement et simplement disparu, y compris dans les plus régaliens des lieux du pouvoir. Le spectacle du parlement est indigne d’un peuple qui voit les subsides du pays  payerchèrement  une classe politique pour qu’elle se livre  à de telles manœuvres pendant que la Tunisie s’enfonce dans la pire crise depuis plus d’un siècle.  

En dix ans notre classe moyenne a été laminée, la part de nos concitoyens en dessous du seuil pauvreté a dangereusement augmenté. Depuis dix ans, beaucoup de nos concitoyens ont été poussés à un exil au péril de leurs vies, certains ont été enrôlés dans les réseaux du terrorisme international. Des régions sont en quasi-sécession, l’informel et la contrebande ont miné les bases de l’Etat de l’économie et du lien social.

Notre pays connait aujourd’hui un taux d’endettement jamais égalé dans son histoire qui nous rappelle les sombres moments qui ont imposé la « Commission » et le protectorat.

Nous assistons à la quasi disparition de notre économie, à la faillite de nos entreprises nationales jadis fleurons de notre économie. Une faillite qui atteint des quasi-monopoles d’Etat ce qui constitue une exception mondiale en matière de mauvaise gestion.

Notre dépendance vis-à-vis de certains pays étrangers menace simplement notre sécurité nationale et notre souveraineté. Cette dépendance a connu une évolution exponentielle, dramatique pour l’avenir du pays, elle confine souvent à la mendicité et achève par écorner l’image du pays.

Nous assistons au délitement de l’école, de l’université de l’hôpital public. Bref, de l’ensemble des services publics. La sécurité des biens et des personnes n’est plus garantie.  La criminalité a atteint des niveaux jamais connus depuis la fin du XIXe siècle.

A notre frontière sud une guerre majeure risque de s’étendre entrainant des incidences fortement dommageables pour notre pays. Notre diplomatie jadis respectée, notre ligne jadis stable est aujourd’hui erratique, illisible, voire parfois contradictoire parasitée par les voix multiples qui croient parler au nom du pays  sans titre ni délégation.

Face à ces périls, les gouvernements successifs, la classe politique dans son ensemble ont faillit.

Pendant dix ans, à aucun moment ils n’ont été en capacité de présenter la moindre politique publique qui soit créatrice d’un choc positif pour le pays et pour nos concitoyens. Toutes les politiques mises en œuvre ont échoué. Les indicateurs économiques le prouvaient déjà avant la crise de la Covid-19. Celle-ci a mis à nu toutes les carences du pays et révélé des failles qui peuvent devenir fatales. 

Quant à l’origine du mal qui ronge notre pays

Le régime politique qui s’instaure en 2011, solidifié en 2014 par la constitution de la Deuxième République est à la source des malheurs du pays. Ce système est dispendieux, inefficace, construit par mimétisme de systèmes étrangers, son architecture a été tracée pour complaire à quelques partis et surtout taillé sur mesure pour le parti arrivé en tête lors des élections de 2011. Ce système a consacré la balkanisation de l’Etat comme forme de partage d’une prébende. La magistrature des partis politiques a envoyé le pays dans une malheureuse compétition pour les fruits du pouvoir. Aucune institution, aucun service n’a pu résister au partage de la dépouille.

Les différents gouvernements n’ont pas été en capacité d’imaginer, ni de mettre en œuvre un nouveau modèle de gouvernance. Occupés tous à vouloir durer le plus longtemps possible, ils ont perdu de vue les impératifs et les enjeux des modernisations successives. Des secteurs entiers ont été maintenus dans leurs modèles originaux alors qu’ils étaient déjà obsolètes. A l’absence d’une stratégie générale économique, diplomatique, de développement s’est ajouté l’affaissement de l’administration minée par les multiples instabilités, les recrutements massifs et l’absence de moyens.

Depuis dix ans, l’Etat n’a plus les moyens, n’a plus la vision, ni les capacités pour juguler les crises auxquelles le pays fait face. Une perte de contrôle sur le territoire, sur les frontières, l’incapacité à faire face à ses obligations de puissance publique sont devenus des risques à forte probabilité si un autre virage n’est pas pris.

La Tunisie, comme nombre de pays abordera la crise induite par la Covid-19 avec de lourdes faiblesses, avec un endettement abyssal, avec un système administratif obsolète et un système politique d’un autre siècle. Le choc sera très certainement très rude. Les prévisions du FMI, de la Banque Mondiale, mais aussi ceux du gouvernement sortant le prouvent.

Un autre chemin est nécessaire en urgence

Sans l’abrogation du système issu de la constitution de 2014 rien ne sera possible. La Tunisie doit être gouvernée autrement.

Mais entre cette nécessaire abrogation et la mise en œuvre d’une nouvelle constitution et d’un nouveau système institutionnel, il y aura une période transitoire qu’il faudra mettre à profit pour redresser l’Etat, reconstruire l’administration, reconquérir la sécurité au quotidien, reconquérir les frontières, réinstaurer la sécurité économique du pays, redresser les entreprises publiques, réformer nombre de secteurs aujourd’hui au bord d’une inéluctable faillite si rien n’est fait.

Cette période transitoire doit être une mandature unique, celle d’un gouvernement de redressement du pays, d’évaluation, de mise en œuvre des systèmes de contrôle, d’assainissement. Une équipe dévouée au redressement du pays qui ne peut en aucun cas participer à la rédaction de la constitution de la Troisième République. Celle-ci sera l’œuvre d’une commission d’éminents constitutionnalistes (le pays n’en manque pas), ils rédigeront le nouveau texte conformément à un mandat et conformément à un cahier de charges qui garantira un certain nombre de principes. Une constitution qui sera soumise à référendum et qui aura la lourde charge de corriger les errances des dix dernières années.

La Tunisie se doit de se redresser, de se réinventer,  elle l’a prouvé par le passé. Rien ne serait pire que de répéter les erreurs du passé en feignant de croire qu’elles pourraient produire un effet bénéfique.

La Tunisie se doit de cesser d’être un laboratoire pour des incompétences, elle doit reconstruire un Etat moderne juste, en capacité d’appliquer la loi sur tous, d’assurer la sécurité et la prospérité de ses citoyens et de donner de l’espoir à ses jeunes.

Contre-Amiral (r) Kamel Akrout
Ancien conseiller principal à la sécurité nationale auprès du Président de la République
et fondateur du Think Tank IPASSS (Institute for Prospective and Strategic and Security Studies).





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8 Commentaires
Les Commentaires
Omar S'habou. - 17-07-2020 13:42

Un diagnotic autant juste qu'exhastif et admirablment bien écrit! Quant à la medication elle peche par sa lenteur alors que nous sommes dans un cas d'extreme urgence. Dans des cas simlaires ( janvier 2011 en a été un ), l'urgence n'attend plus. Elle peut meme appeler à des solutions rupturales forcement violentes. Peut etre que nous en sommes à noter ses premisses...

Prof. Nacef Nakbi-docteur en psychologie et écrivain - 17-07-2020 14:06

Excellente analyse, objective, clairvoyante et sans complaisance. Notre pays a besoin de personnes compétentes et intègres au gouvernement, et la Tunisie n'en manque pas; ii suffit seulement d'avoir la volonté et la capacité d'agir, pour que ça change- le temps n''est plus aux paroles, mais à l'action; sans quoi il sera trop tard.

Nabil Sahli - 17-07-2020 17:39

Excellente analyse, objective et clairvoyante . Notre pays a urgament besoin d'un renouveau et de mette au pouvoir des personnes compétentes, patriotes et intègres,comme vous. La Tunisie n'en manque, faut-il trouver une voie de les rassembler face au fléau de la médiocrité des politiciens véreux actuels

ridha - 18-07-2020 12:17

oui la Tunisie doit être gouverné autrement et surtout pas revenir au régime présidentiel. Daech et les islamistes sont les enfants des dictateurs, des présidents uniques et pas de la révolution ni du régime parlementaire C’est la nouvelle équation, épilogue de longs glissements sémantiques des mots, démocratie, chaos, révolution, désordre, islamistes etc Les régimes arabes jouent sur la peur du chaos pour stopper net les demandes de changement et de revenir au régime présidentiel, et faire passer la démocratie pour l’ennemi du bien, et les attentats ne sont que la confirmation de cette équation revendue aux opinions de l’occident. L’islamisation de la politique n’est pas la conséquence du printemps arabe, la révolution a permis aux islamistes de prendre le pouvoir, mais les islamistes ne sont pas nés de la révolution. Ils sont nés avant, des régimes, des dictatures, des échecs idéologiques, des nationalismes et de l’injustice. On semble retenir de ces régimes présidentiels que leur vertu policière de stabilité et d’ordre. On oublie, avec une criminelle facilité, les tortures, les dénis des droits, les spoliations de richesses, les viols, les fraudes, les corruptions, le mal, les disparitions forcées, les vols, les assassinats. On oublie la guerre faite aux progressistes, les universités vassalisées les élites soumises au chantage par la violence, la chasse aux prieurs dans les mosquées, aux barbus et aux porteuses de foulards et au savoir. On oublie que ces régimes ont justement encouragés les islamistes comme alibi « si ce n’est pas moi, ce sont eux en ce qui concerne l’attentat de Sousse par ex » on les a encouragés, dopés et on a surveillé et emprisonné par simple cafardage et suspicion. On a détruit les libertés et les libérations acquises après le départ des colons. Demander la démocratie n’est pas un crime, ni la cause du chaos actuel. Le chaos et la violence sont les crimes des régimes qui ne savent fabriquer que des prisons ou daech ou des Trabelsi prédateurs. La régime du président unique a fabriqué les islamistes quand il a refusé la liberté aux siens, le savoir, les écoles modernes, la créativité et la création mais a encouragé uniquement l’entreprise via le RCD, devenir membre de la cellule du parti au lieu de la citoyenneté C’est ce qui arrive lorsqu’on prive un peuple de sa liberté. Donc il faut chercher la solution pas en revenant au régime présidentiel

LotfiBC - 18-07-2020 12:34

La Tunisie a été pulvérisée par ses pseudo- tunisiens; la 2 eme république doit disparaître; le rôle de l'armée est essentiel; un Bonaparte Tunisien doit restaurer le pays

HASSINE LABASSI - 18-07-2020 12:49

Que faire et nos élus ne font rien pour redresser le pays et remonter la pente?

M. Bouanane - 18-07-2020 14:51

La mascarade de la 2eme république a trop duré ! En effet, le pays est devenu un laboratoire de la médiocrité, de l'incompétence et des prédateurs, de tous genres, locaux et étrangers. Le protectorat international a déjà un pied dedans grâce à une classe politique, dans le meilleur des cas, absurde sinon criminelle. Sans parler de l'infiltration des institutions contre la sûreté nationale et la destruction méthodique de l'économie du pays grâce à l'alliance d'une certaine frange de politiques avec des services étrangers et sa loyauté envers d'autres pays. Le peuple tunisien, particulièrement la majorité silencieuse qui ne vote pas, devra se réveiller de son sommeil et répondre fermement et avec beaucoup de détermination contre le projet de sabotage et d'occupation que certains politiciens mènent, avant qu'il ne soit trop tard.

karim - 19-07-2020 06:14

DE BELLES PAROLES MALHEUREUSEMENT TOUT CELA N EST QUE REVES

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