News - 02.08.2019

Rapport annuel de la BCT - Marouane El Abassi : La stabilisation des fondamentaux, préalable à une accélération de la croissance

Le mot du Gouverneur Marouane El Abassi

"L’économie tunisienne, qui a été capable de résilience depuis la crise financière internationale de 2008 et surtout après les attaques terroristes de 2015, devrait être à même d’engager au plus vite les réformes", écrit le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi en propos introductifs du raport annuel de la Banque pour l'année 2018. "Ces dernières demeurent indispensables pour accompagner le retour de l’investissement, de l’exportation, de la croissance et à l’intégration durable des entreprises tunisiennes aux chaînes de valeurs régionales et globales" a-t-il ajouté. Le gouverneur Abassi a remis jeudi dernier le rapport au président par intérim, Mohamed Ennaceur ainsi qu'une copie au vice président de l'ARP, Abdelfettah Mourou.

Télécharger le Rapport annuel de la Banque centrale de Tunisie pour l'Année 2018

Le mot du Gouverneur

L’année 2018 s’inscrit dans la lignée des années difficiles pour l’économie tunisienne. Certes, la croissance évolue : 2,5% contre 1,9% en 2017 et 1% seulement en 2016. Mais, elle reste timide. La progression de l’activité économique a été, en effet, bridée par une évolution mitigée des différents secteurs productifs de l’économie. Cette croissance qui demeure molle ne permet toujours pas de répondre aux aspirations des tunisiens en termes d’emploi. Elle ne permet pas aussi de rétablir les déséquilibres macroéconomiques préoccupants. Il s’agit ici des conditions nécessaires pour renouer avec une croissance saine, durable et plus inclusive.

Malgré sa faiblesse, l’activité économique de 2018 a été, néanmoins, de meilleure qualité. Elle a été tirée par l’avancée de certains secteurs productifs : le secteur agricole a affiché une performance exceptionnelle grâce à l’oléiculture tandis que le secteur touristique a confirmé sa convalescence. En revanche, d’autres secteurs n’ont pas bien évolué. Il s’agit, surtout, du secteur industriel qui s’est fortement ressenti de l’atonie des activités extractives influençant, non seulement la dynamique de croissance, mais aussi la position extérieure et l’équilibre budgétaire.

Du côté de la demande, l’analyse des composantes du produit intérieur brut (PIB) montre une évolution lente de toutes les rubriques. A titre d’exemple, l’investissement, véritable moteur de croissance et de création de richesse, demeure à un niveau limité avec un taux de 18,5% du PIB en 2018 pour un taux d’épargne de 9%. Ces deux indicateurs sont à comparer à ceux réalisés en 2010, soit 24,6% et 21,4%, respectivement. Par rapport aux niveaux réalisés en région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), ces taux montrent que la Tunisie accuse un retard aussi bien en termes d’épargne qu’en termes d’investissement. En effet, en 2018, la région MENA a réalisé un taux d’investissement et un taux d’épargne de l’ordre de 30%.

D’un autre côté, les déséquilibres macroéconomiques sont de plus en plus inquiétants surtout en ce qui concerne les paiements extérieurs. Le déficit courant a enregistré un nouveau record de 11,1% du PIB à la fin de l’année 2018. L’évolution favorable des recettes touristiques et des revenus de travail n’a pas pu atténuer la portée du creusement du déficit commercial. Ce dernier continue à se maintenir à des niveaux préoccupants. En l’absence d’un investissement fort et d’une compétitivité élevée, la dégradation continue du secteur extérieurdevient structurelle et revêt donc un caractère durable.
Par ailleurs, l’expansion des entrées nettes de capitaux extérieurs a permis à la Tunisie de retrouver une balance générale des paiements excédentaire et de faire augmenter le niveau des réserves en devises, exprimées en dinars. Quant au taux d’endettement extérieur à moyen et long terme (MLT), il s’est accru de 9 points de pourcentage du Revenu National Disponible Brut (RNDB), entre l’année 2017 et l’année 2018.

Les principaux maux du secteur extérieur se présentent comme suit : Premièrement, un déficit énergétique qui s’est creusé de 53,2% en 2018. Il a contribué, ainsi, à plus de 60% à l’élargissement du déficit commercial global. Cette aggravation trouve son origine dans l’augmentation des prix à l’international et dans la faiblesse du niveau de la production nationale des hydrocarbures contre la poursuite de l’évolution de la demande. Deuxièmement, le faible niveau de l’activité du secteur du phosphate et dérivés a créé un manque à gagner considérable au niveau desrecettes d’exportation.
A l’image de ces deux secteurs, l’atonie des exportations dont la reprise tarde à venir, malgré la baisse de la valeur du dinar, témoigne d’un problème d’offre. Ce dernier trouve son origine dansle recul de l’investissement et de la productivité et devient structurel. En effet, la productivité globale des facteurs, ayant atteint une moyenne de 1,3% pendant la décennie 2001-2010, a reculé à -0,2% en moyenne entre 2011 et 2018.

Un autre déséquilibre, non moins important, concerne les pressions inflationnistes qui continuent à être vives. Le taux d’inflation, à la fin de l’année 2018, s’est établi, en moyenne, à 7,3% contre 5,3% en 2017. Cette augmentation porte la marque, d’un côté, des dispositions fiscales de la Loi de Finances (LF 2018), notamment le relèvement d’un point de pourcentage de la taxe sur la valeur ajoutée et l’ajustement à la hausse des prix des carburants. D’un autre côté, l’on note l’effet de la dépréciation du dinar. Le taux de change de la monnaie nationale s’étant déprécié, en moyenne, de 12,9% à l’égard de l’euro et de 8,6% vis-à-vis du dollar.

Sur le plan des finances publiques, il y a eu une amélioration du déficit budgétaire qui est revenu de 6,1% du PIB en 2017 à 4,8% en 2018. Toutefois, ce déficit reste à un niveau élevé, si l’on considère la faiblesse de la croissance économique. Ceci pose, sérieusement, la problématique de la soutenabilité dudit déficit et corrélativement, de la dette publique. Cette dernière a connu une envolée depuis 2011, atteignant 71,4% du PIB à la fin de l’année 2018.

Sur le plan fiscal, l’on relève un allègement du déficit budgétaire. Ceci est dû à plusieurs dispositions qui ont été prises au niveau de la L.F. 2018.
Ces dispositions visent la mobilisation de nouvelles ressources fiscales et une meilleure allocation des dépenses publiques. Les efforts des autorités se poursuivent afin de lever les incertitudes relatives au climat fiscal, en particulier, et des affaires, d’une façon générale.

La résurgence des tensions inflationnistes et l’aggravation du déficit courant de la balance des paiements ont mis davantage de pression sur les avoirs en devises du pays ainsi que sur le taux de change du dinar vis-à-vis des principales devises. La Banque centrale, dont le mandat consiste à préserver la stabilité des prix, a été amenée à resserrer sa politique monétaire. Pour ce faire, le taux directeur a été relevé à deux reprises, respectivement en mars et juin 2018, de 75 et 100 points de base, pour être porté à 6,75% au terme du premier semestre de 2018. Considérant le caractère persistant de l’inflation, tel que reflété par les mesures de l’inflation sous-jacente, la Banque centrale a décidé un nouveau relèvement, courant février 2019, portant le taux directeur à 7,75%. La succession de mesures restrictives ont réduit l’inflation d’origine monétaire et ont contribué à la stabilisation de la situation économique, condition sine qua none d’une reprise saine de l’investissement. Ces mesures de politique monétaire se sont jointes à d’autres mesures de gestion des réserves et de politique de change. Elles ont réussi à garder, au cours du premier semestre de 2019, une certaine stabilité de la valeur du dinar et freiner sa dépréciation, qui aurait pu être beaucoup plus prononcée.

Consciente de l’impact à moyen-terme de ces mesures sur la croissance économique, encore fragile, la Banque centrale a procédé à une réallocation du refinancement qu’elle fournit aux banques. En effet, une fenêtre de refinancement à long-terme par voie d’appels d’offres à 6 mois et destinée à l’investissement productif a été instituée vers la fin de l’année 2018. Faut-il préciser que le volume global de refinancement s’est sensiblement affermi, en 2018, atteignant des niveaux sans précédents, dépassant même les 16 milliards de dinars.

Veillant sur la stabilité financière, la Banque centrale, afin de limiter le risque de transformation et prémunir les banques contre une prise excessive de risques, a institué un nouveau ratio crédit/dépôt. Cette décision a été prise en vertu de la circulaire aux banques n°2018-10 du 1er novembre 2018 qui stipule qu’une banque ne peut pas garder ce ratio à un niveau supérieur à 120%. Il s’agit d’une restriction de nature à rationaliser l’octroi de crédits par les banques qui chercheront à améliorer les dépôts de la clientèle afin d’alléger le recours au refinancement de la Banque centrale. Parallèlement, la politique des collatéraux a été rééquilibrée en privilégiant les contreparties des créances privées afin d’assurer une meilleure contribution au financement de l’économie réelle et réduire l’effet d’éviction. Ces mesures entrent en effet dans le cadre du processus de réformes prudentielles engagées depuis 2012, dont les fruits sont déjà visibles : le secteur bancaire est parvenu à améliorer ses indicateurs de solidité financière et sa capacité de résilience. Ceci est tout aussi valable pour les banques publiques, récemment restructurées. Sur le plan prudentiel, la Banque Centrale de Tunisie poursuivra, en 2019, la surveillance d’une manière rapprochée du risque de liquidité. L’objectif étant d’éviter tout dérapage et de préserver les équilibres financiers des banques.

Ces efforts de stabilisation menés par la Banque Centrale de Tunisie et le Gouvernement, notamment sur le plan financier, ont donné une nouvelle dynamique à la coopération financière avec le Fonds monétaire international (FMI). En effet, l’année 2018 a été caractérisée par la conclusion avec succès de trois revues (deuxième, troisième et quatrième revues) au titre du crédit « Mécanisme Elargi de Crédit ». Ceci a porté les décaissements cumulés depuis le début de ce programme à 1,4 milliards de dollars pour un montant approuvé de 2,9 milliards de dollars.

Dans un environnement caractérisé par des incertitudes qui caractérisent la scène économique et financière, aussi bien nationale qu’internationale, la Banque centrale devait se doter de l’organisation la plus adéquate. Cet effort avait commencé, en 2018, par une réflexion stratégique qui a abouti à la mise en œuvre d’un premier Plan Stratégique s’étalant sur la période 2019-2021. Il vise à hisser  la Banque Centrale de Tunisie au niveau des standards internationaux et ce, notamment, avec l’adoption d’objectifs Spécifiques, Mesurables, Acceptables, Réalistes et Temporellement définis (SMART) et une réorganisation moderne qui obéit aux meilleures pratiques en la matière. Aussi, ce nouveau cadre de gouvernance permettrait à la Banque centrale d’optimiser l’usage de son capital humain pour affronter cet environnement changeant, plein d’opportunités et de risques. L’année 2018 s’est soldée par la validation de la vision, déclinée, elle-même, en un ensemble d’objectifs stratégiques à atteindre au cours de ce premier Plan. La vision stratégique relative à cette période est d’ « être une Banque Centrale moderne, proactive et efficiente à l’avant-garde des transformations économiques et financières ». La Banque centrale vise à atteindre cette vision par l’adoption de trois valeurs fondamentales à savoir l’Intégrité, l’Equité et la Transparence.

C’est dans cette nouvelle approche que la Banque Centrale de Tunisie entreprendra, en collaboration avec le Gouvernement, des réformes au niveau du secteur bancaire pour lutter contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Dans ce cadre, des efforts considérables ont été entrepris avec la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF) pour mettre en place des boucliers conformes aux standards internationaux contre les transactions illicites. La réduction de la taille du commerce parallèle et de l’utilisation du cash sont aussi les objectifs visés par ces réformes.
A cet effet, la Banque Centrale de Tunisiea poursuivi, en 2018, son appui pour le développement des systèmes et des moyens de paiement. Cet effort tend à favoriser l’émergence d’initiatives innovantes pouvant accroître l’efficience et la stabilité des marchés des services de paiement. Dans ce cadre, la BCT a pris le choix stratégique de libéraliser les activités de paiement. Ainsi, un nouveau corps de métier, dédié exclusivement au service de paiement, a été créé, en l’occurrence l’établissement de paiement. L’objectif est de renforcer l’inclusion financière et de rendre le marché de paiement plus concurrentiel pour permettre aux consommateurs d’accéder à des services de paiement de proximité à des prix abordables. Ces mesures s’insèrent dans le cadre d’une stratégieconjointe avec le Ministère des Finances s’étalant sur la période 2018-2022. L’approche tendra à exploiter les études effectuées récemment par des institutions internationales et nationales afin de mesurer le niveau de l’inclusion financière en Tunisie. Comme corollaire à cette réflexion, la Banque centrale s’est engagée au cours de l’année 2018 à la mise en œuvre du plan de Decashing. Il concernera aussi bien les entreprises privées que publiques qui serviraient d’exemple pour acquérir de nouvelles habitudes en termes de paiement, caractérisées par davantage de transparence. Là encore, la montée de la digitalisation et des technologies relatives à l’intelligence artificielle et le Blockchain a placé de nouveaux défis devant la Banque centrale. Il s’agit, notamment, de mener la transformation digitale du système bancaire afin de s’approcher encore plus de la clientèle et de gérer au mieux les charges d’exploitation. Dans ce cadre, il serait important d’exploiter toutes les opportunités qu’offrent ces technologies dédiées à la finance (FinTech). Ainsi, la Banque centrale, à la suite de la réussite de l’AfricaBlockchainSummit, s’est dotée d’un « Comité Fintech » et compte être à l’avant-garde de ces changements. Parmi les projets immédiats de ce Comité, citonsle Site WEB dédié aux Fintech, le BCT-Lab et la Sandbox réglementaire.  L’approche de la Banque centrale en termes de Fintech consiste à jouer le rôle de « Facilitateur » envers cet écosystème. Sur le plan pratique, ceci consiste à protéger les usagers des services financiers contre les risques du développement technologique et relatifs aux mauvaises pratiques, à soutenir la stabilité financière et à promouvoir l’activité des Fintech à l’échelle intérieure et extérieure, à travers la coopération régionale et internationale.

Pour être au diapason des changements technologiques qui engendrent inéluctablement des changements comportementaux des agents économiques, la Banque centrale se situe par rapport à un référentiel international et collabore avec les institutions initiatrices des meilleures pratiques. Outre la coopération financière et technique avec le FMI, la Banque Centrale de Tunisie collabore avec le Secrétariat d’Etat à l’Economie Suisse (SECO) dans le cadre du programme BCC (Bilateral Assistance and Capacity Building for Central Banks) ainsi qu’avec la Banque Mondiale (BM). D’un autre côté, l’institut d’émission a intensifié sa collaboration avec d’autres Banques centrales. La signature de conventions de coopération technique avec Bank Al-Maghrib et, tout récemment, avec la Banque de France, s’inscrit dans ce sens.
L’environnement international actuel se caractérise désormais par l’exacerbation des risques et des incertitudes liés principalement à l’imprévisibilité du commerce mondial, la non maitrise des changements climatiques, la résurgence des conflits régionaux et enfin la montée de l’insatisfaction mais aussi la colère des jeunes, des classes moyennes et défavorisées.
Ce nouvel environnement est entrain d’affecter la croissance au niveau mondial et notamment au niveau des pays partenaires de la Tunisie comme le montre les dernières prévisions du FMI et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

L’économie tunisienne, qui a été capable de résilience depuis la crise financière internationale de 2008 et surtout après les attaques terroristes de 2015, devrait être à même d’engager au plus vite les réformes. Ces dernières demeurent indispensables pour accompagner le retour de l’investissement, de l’exportation, de la croissance et à l’intégration durable des entreprises tunisiennes aux chaînes de valeurs régionales et globales.

Marouane El Abassi
Gouverneur
(Juin 2019)


 

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