News - 25.07.2019

Abdelaziz Kacem : J’aimais en Béji Caïd Essebsi, sa culture, son raffinement

Abdelaziz Kacem :  J’aimais en Béji Caïd Essebsi, sa culture, son raffinement

Le Président Caïd Essebsi est décédé. J’en suis littéralement affecté. J’eusse aimé écouter son discours prévu pour ce jour, soixante-deuxième anniversaire de la République. Il nous devait bien des explications, bien des révélations. Pour autant, avons-nous le droit d’emprunter, en toute solennité,  la formule monarchique consacrée et quelque peu réajustée : Le président est mort, vive la République ! L’institution est si virussée qu’elle demande à être formatée.

Le Président est mort, mais je déconseille à ses adversaires de trop pavoiser. Il se pourrait que le vieux mage leur ait laissé, quelque part, une mauvaise surprise.

Comme à peu près deux millions de citoyens et citoyennes, parmi les plus lucides, J’ai voté pour lui. Son challenger de l’époque, eût-il été à sa mesure, j’aurais voté résolument pour BCE. Il était éminemment cultivé et, contrairement à plus d’un, il connaissait ses « Moallaqât ». J’y reviendrai.

Il n’était pas sans savoir que ses nombreux électeurs se disaient déçus. Pas moi. Ou plutôt, moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons. On lui reproche les promesses non tenues, mais surtout sa « compromission » avec Nahdha. Moi, qui sais que la politique est l’art du possible, je ne lui tenais pas grief de ce malencontreux et inévitable compromis. Mais le Cheikh, c’est là son moindre défaut, l’a ignominieusement trahi. L’illustre victime aurait dû le prévoir et agir en conséquence.

Pour autant, cela fait longtemps que je suis démangé par une série d’interrogations. Je ne comprends pas comment le grand parti prometteur qu’il a su créer, à partir de rien, ou presque, s’est littéralement disloqué. Il en était le géniteur, tout autant que celui de sa propre progéniture. Il semble avoir préféré les liens du sang à ceux du sens. Avec son aura et son expérience de négociateur chevronné, il aurait pu empêcher son effritement. Des cadres de haute valeur ont été acculés au départ. Un chef de gouvernement qu’il s’était lui-même choisi s’est détaché. Il ne lui était pas impossible d’empêcher sa désaffection. Plus largement, je connais nombre de ses amis, qui, se sentant négligés, se sont, non sans chagrin, sur la pointe des pieds, éloignés de lui.

J’aimais en BCE, sa culture, son raffinement. Peu avant son accession à la magistrature suprême, je discutais avec lui de ses poètes préférés, al-Ma’arrî et al-Mutanabbi. Je ne l’ai plus revu, mais que de fois ai-je été démangé par le désir de lui envoyer un vers-médaille du grand Abu al-Tayyib. Quittant Sayf al-Dawla, il lui adresse, dans un poème célèbre, ce vers d’une exceptionnelle subtilité :


إذا ترَحَّلْتَ عنْ قوْمٍ وقدْ قَدَرُوا     ألاّ تُفَارِقَهُمْ فالرّاحِلونَ هُمُ

Traduisons :
Si des gens ne font rien pour bloquer ton départ
Ce sont eux qui s’en vont ce n’est pas toi qui pars

Il m’aurait compris. Et justement, parce qu’il avait le privilège d’être un lettré, il aurait pu et dû rassembler autour de lui la majorité des hommes et des femmes de culture, en faire son baromètre et, peut-être, sa boussole. Le parlementarisme islamiste a largement réduit les prérogatives présidentielles. Avec ce soft power qu’est la culture, il aurait compensé ce manque.

Et le bilan, à la fin des fins ? Avec un staff plus étoffé, il pouvait faire mieux. Toujours est-il que, seul, lui eût le courage de créer la COLIBE, soulevant ainsi de gros espoirs et même si cela n’a pas abouti, en raison des blocages que l’on sait, il n’en demeure pas moins que le processus est enclenché. Le mur de la misogynie obscurantiste est fissuré. Grâce à BCE, malgré bien des obstacles, l’enquête sur les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi a fait de grands pas.

Pour ma part, et quelles qu’aient pu être les erreurs ou les carences du  vieux lion,  je garderai, pour longtemps encore, l’écœurement d’avoir vu tant de minus lui décocher le coup de pied de l’âne.

A.K

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