News - 06.09.2017

Mohamed Trabelsi: Cibler les nécessiteux, instaurer le dialogue social et résoudre les conflits

Mohamed Trabelsi: Cibler les nécessiteux, instaurer le dialogue social et résoudre les conflits

A la veille du remaniement, et alors qu'aucun des ministres ne savait s'il allait être reconduit ou remercié, Leaders a eu l'idée de poser trois questions aux membres du gouvernement : les principales épreuves endurées, les grandes mesures prises  et celles qu'ils n'ont pas pu jusque-là décider et mettre en oeuvre. Nous vous présentons ci -après les réponses de Mohamed Trabelsi qui a été reconduit au même ministère, celui des affaires sociales

Quelles sont les épreuves les plus difficiles que vous avez dû affronter ?

D’abord, l’élaboration d’un rapport exhaustif sur la lutte contre la corruption menée au sein du ministère des Affaires sociales et que j’ai soumis personnellement au chef du gouvernement le 9 août dernier. Parmi les principaux dossiers épinglés, je citerais celui de “la policlinique El Omrane” relevant de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss). Il mentionne des soupçons de corruption relative à l’attribution de médicaments sans ordonnance médicale pour une somme totale estimée à 11 millions de dinars durant la période 2010-2015, selon le rapport de la Cour des comptes. Le rapport évoque également l’affaire des stents périmés utilisés dans certaines cliniques privées ainsi que les sanctions prises à l’encontre des médecins impliqués. Plusieurs cliniques ont été fermées et le ministère a rompu sa collaboration avec d’autres cliniques concernées par cette affaire. D’autres  soupçons de corruption signalés au sein des caisses de sécurité sociale (Cnss, Cnrps et Cnam) portant sur des fraudes touchant des factures de consultations médicales, de falsification de cartes de soins, d’ordonnances fictives, d’usage de fausses vignettes, d’examens médicaux fictifs et de détournements de fonds. Le ministère a relevé également des affaires portant sur la falsification de cartes de handicapé, outre l’octroi d’aides sociales à des familles qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité.

Une autre épreuve non moins difficile concerne la gestion de la crise de Petrofac aux îles de Kerkennah quelques jours seulement après ma désignation au poste de ministre. A l’époque, la situation à Kerkennah en août 2016 était chaotique : une forte tension sociale entre les habitants et les institutions de l’Etat caractérisée par le retrait total des forces de l’ordre de l’île en janvier 2016, un déficit sécuritaire préoccupant, occupation du centre de production de Petrofac par de jeunes protestataires entraînant l’arrêt total de la production de gaz, paralysie économique de l’île… Il m’a fallu, avec mon collègue Iyed Dahmani et l’appui de l’Ugtt, beaucoup d’énergie et de patience pour renouer le contact et reprendre le dialogue avec les représentants des sit-inneurs et de la société civile. Ce dialogue a enfin abouti à l’accord du 26 septembre 2016 qui a consacré la normalisation de la situation à Kerkennah, la reprise des activités de Petrofac et la satisfaction de plusieurs revendications sociales et économiques des habitants de l’île. Ledit accord est à mon avis un exemple à méditer étant donné que tout en consacrant la réinstauration d’un climat de confiance avec les citoyens, il a eu le mérite d’engager l’archipel dans un nouveau processus de développement en partenariat avec la société civile locale. L’accord a résisté à toutes les épreuves et bénéficie du suivi personnel du chef du gouvernement. C’était mon baptême du feu au gouvernement.

Il est important de souligner qu’en définitive, le travail du ministre des Affaires sociales est un ensemble d’épreuves et de défis quotidiens. Ce que beaucoup de Tunisiens ignorent est que les champs d’action du ministère des Affaires sociales (MAS) couvrent près de 92% de la population tunisienne et ce à travers ses différentes interventions et programmes sociaux destinés soit aux partenaires sociaux, soit aux familles nécessiteuses et aux personnes à besoins spécifiques ou encore aux assurés sociaux et aux Tunisiens vivant à l’étranger

Quelles sont les trois principales mesures que vous avez prises et dont vous êtes le plus fier ?

  1. La signature le 21 juillet 2017 à Genève du Programme pays pour le travail décent  pour la Tunisie 2017-2022, document qui a été également ratifié par mes partenaires Madame Wided Bouchamaoui et Monsieur Noureddine Taboubi ainsi que M. Guy Rider, le directeur général de l’Organisation internationale du travail. Ce programme est venu couronner les travaux des différentes commissions tripartites chargées de traduire en projets et en actions les orientations du contrat social qui a posé les jalons d’un nouveau modèle sociétal inclusif permettant de garantir à toutes les catégories sociales et toutes les régions du pays l’égalité des chances et un développement équitable et durable. Fruit d’un effort soutenu et conjoint des différents partenaires et ministères concernés, il traduit l’importance qu’accorde la Tunisie au respect des principes du travail décent pour tous et la place primordiale que revêt le dialogue social  et les droits syndicaux dans notre pays. Il  comporte  un plan d’action détaillé pour la mise en œuvre effective des dispositions du contrat social d’ici l’année 2022 et permettra surtout de concrétiser les priorités nationales en matière de mise en place d’un nouveau modèle de croissance économique et de développement régional, de réformer le marché du travail et le système de la formation professionnelle, d’arrêter  un nouveau modèle de relations professionnelles et de travail décent et d’engager une réforme globale du système de la protection sociale en Tunisie. 
  2. La mise en place d’un conseil national du dialogue social, acquis fondamental, suite à l’adoption, le 11 juillet 2017 à l’unanimité par les membres de l’Assemblée des représentants du peuple, du projet de loi qui lui a été soumis depuis le mois de juin 2015 et qui a été élaboré de manière participative par les partenaires sociaux. Ce conseil revêt d’autant plus d’importance qu’il va permettre de donner un caractère permanent au dialogue social tripartite qui a une longue tradition en Tunisie mais qui souffrait jusqu’à ce jour de l’absence d’un cadre institutionnel permanent à même de garantir sa pérennité et son efficience. En outre, la composition tripartite et la présidence tournante de ce conseil lui confèrent une légitimité certaine pour traiter des questions d’intérêt commun, suivre de manière régulière l’évolution des conflits de travail et arrêter les solutions consensuelles en vue d’améliorer les relations professionnelles et assurer le respect de la législation sociale, ce qui contribuera à apaiser le climat social et par là même favoriser l’investissement, l’emploi et la croissance économique.
  3. La réforme des régimes de retraite dans les secteurs public et privé pour faire face au déficit croissant des caisses de sécurité sociale a été également une de mes priorités en prenant la tête du ministère des Affaires sociales. Cette question abordée dans le contrat social qui stipule en particulier «procéder à la révision totale des systèmes de sécurité sociale et de ses différents régimes, de veiller à la préservation des équilibres financiers et à la pérennité des systèmes de sécurité sociale», a été également inscrite comme une des réformes stratégiques du plan de développement 2016-2020 et figure comme l’une des priorités du Pacte de Carthage.  Le ministère a réussi à engager une vraie réflexion et une réelle concertation tripartite autour de la réforme des retraites et ce dans le cadre de la sous-commission issue du contrat social chargée de la protection sociale. Depuis décembre 2016, juste après la tenue de la conférence nationale sous l’égide du chef du gouvernement pour la relance du contrat social en novembre 2016, la sous-commission de la protection sociale a tenu des réunions régulières à un rythme soutenu et nous avons abouti —le gouvernement et nos partenaires sociaux, l’Utica et l’Ugtt— à un consensus sur l’urgence d’une réforme globale qui va au-delà de simples mesures conjoncturelles et sur un diagnostic commun relatif à la situation financière des caisses de sécurité sociale mais également sur les facteurs qui sont à l’origine de la détérioration des équilibres financiers des caisses. Nous avons ensuite, à la lumière de ce diagnostic, arrêté, toujours de manière consensuelle, des scénarios pour la réforme des régimes de retraite qui comporte un certain nombre de mesures cohérentes et complémentaires qui concernent les critères paramétriques et la diversification des sources de financement des régimes de sécurité sociale. Ces scénarios feront l’objet d’une discussion lors des prochaines réunions de la sous-commission pour arrêter les choix les plus appropriés qui seront soumis au gouvernement.  Cette réforme devrait, compte tenu de l’urgence de cette question, être mise en œuvre au début de l’année prochaine.

Qu’est-ce que vous regrettez de ne pas avoir accompli à ce jour et comptez-vous le rattraper bientôt ?

Le ministère des Affaires sociales accorde, depuis la mise en place du plan d’ajustement structurel en 1986, des aides en faveur de familles nécessiteuses et à revenus limités et qui concernent actuellement près de 900 mille familles, soit 250 mille qui bénéficient d’une aide monétaire mensuelle uniforme et d’une couverture médicale gratuite et 630 mille d’une couverture médicale à tarifs réduits, ce qui représente près du quart de la population tunisienne. Ces programmes d’assistance sociale n’ont pas été établis sur la base d’une assise scientifique rigoureuse, c’est-à-dire un système d’information efficient et des critères d’octroi transparents et impartiaux, outre l’absence d’un cadre juridique.

Dans ce cadre et après la révolution, le gouvernement tunisien a arrêté dès le mois d’août 2012 une nouvelle approche de gouvernance et une reconfiguration globale de ces programmes. Cette réforme comporte deux composantes essentielles, à savoir la mise en place d’un système d’information sur les  familles pauvres et à  revenus limités sur la base d’un  identifiant social unique, permettant la  vérification, le suivi et  l’actualisation continue des données relatives à ces  familles et la mise en place d’une banque de données sur  les familles pauvres et à revenus limités qui sera instituée suite à une révision exhaustive de la  liste des bénéficiaires des programmes d’assistance sociale.

Cette nouvelle approche permettra de moduler les aides en fonction des spécificités des familles, d’améliorer le ciblage des familles éligibles grâce à un système qui rompt avec l’approche monétariste de la pauvreté. Ce système doit combiner la pauvreté monétaire et la pauvreté multidimensionnelle qui prend en considération les privations en matière d’éducation, de santé, de logement et de conditions de vie. Ainsi on pourra élaborer une carte exhaustive de la pauvreté propre au ministère des Affaires sociales basée sur les résultats des enquêtes de proximité menées par les travailleurs sociaux auprès des familles bénéficiaires, ce qui permettra de consolider la connaissance pour un meilleur traitement du phénomène de la pauvreté en Tunisie.

Depuis, le ministère des Affaires sociales a fait de ce programme ambitieux une de ses priorités et j’ai personnellement veillé à accélérer la réalisation des différentes composantes de réforme, dont notamment l’élaboration d’un projet de loi organique portant création d’un programme unique « Amen Social » et qui devrait être soumis prochainement à l’ARP.

Toutefois, la composante essentielle de cette réforme, à savoir la mise en place d’une banque de données sur les familles pauvres et à revenus limités n’a pas été finalisée dans les délais convenus et ce du fait de la recrudescence des revendications syndicales des travailleurs sociaux qui se sont traduites par un boycottage pendant une longue période de l’opération d’enregistrement des familles bénéficiaires dont la mission relève des travailleurs sociaux.

Mais grâce à notre tradition de dialogue social, nous avons pu trouver les prémices d’un accord avec les travailleurs sociaux pour accélérer les enquêtes sociales de terrain sur tout le territoire de la République. De même une stratégie de communication sera menée auprès des familles qui bénéficient actuellement des programmes d’assistance sociale pour les sensibiliser à l’importance de l’opération de collecte et atténuer leur crainte de voir l’octroi des aides suspendu.

Enfin, le MAS a créé en octobre 2016 une cellule pour développer l’action culturelle au sein des entreprises et autour de leur environnement. En plus de la mission économique de l’entreprise et de sa responsabilité sociale, je cherche à doter nos entreprises d’une dimension culturelle. Le rayonnement culturel de l’entreprise sur son environnement et la mise en œuvre de programmes culturels et artistiques en faveur de ses employés et avec leur participation active sont de nature à créer d’autres perspectives pour performer les conditions de travail, enraciner la culture du travail et améliorer la productivité. Cette nouvelle dimension aura également à assurer une meilleure intégration de l’entreprise dans son environnement, lui donnant ainsi un rôle de promotion sociétale. Ce projet en cours d’expérience bénéficie déjà du soutien de l’Ugtt et de l’Utica et du ministère de la Culture. La culture servira ainsi à la consolidation de la cohésion et du dialogue social..

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1 Commentaire
Les Commentaires
Abir Ghazouani - 09-09-2017 18:04

Projet prometteur .. de faire de la Culture au travail un autre moteur .. Les professions, ces dernières décennies se font sans passion .. Donner une âme au travail devenu machinal .. permettre un meilleur épanouissement.. un meilleur rendement ... Cette coopération entre le professionnel et Le passionnel .. a Le mérite de joindre l'utile à l'agréable .. Deux noms de ce Calibre : M.Trabelsi.. et M .Zineabidine en sont capables ..

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