News - 25.12.2025

Les couleurs du vivant: Quand la biologie et l’art se rencontrent

Les couleurs du vivant: Quand la biologie et l’art se rencontrent

Par Zouhaïr Ben Amor

Introduction

La couleur est l’une des manifestations les plus universelles et les plus énigmatiques du vivant. Présente dès les premières formes de vie photosynthétiques, elle structure les interactions entre les organismes et leur environnement, influence la sélection naturelle et imprègne profondément les productions artistiques humaines. Si l’art et la biologie semblent relever de registres distincts — l’un symbolique, l’autre scientifique — ils se rejoignent dans une interrogation commune: comment la matière vivante transforme-t-elle la lumière en information, en signal et en émotion ?

Comme l’a montré François Jacob, le vivant ne se contente pas d’exister: il interprète son environnement (La logique du vivant, 1970). La couleur, loin d’être un simple ornement visuel, est l’un des langages fondamentaux de cette interprétation. Cet article propose d’explorer les origines biologiques de la couleur, ses fonctions adaptatives, les mécanismes de sa perception, et enfin son prolongement dans l’art et la photographie.

1. Les Origines Biologiques de la Couleur

Pigments et génétique du vivant

La couleur des organismes est en grande partie déterminée par leur patrimoine génétique. Chez les plantes comme chez les animaux, elle résulte de la synthèse de pigments biologiques, molécules capables d’absorber certaines longueurs d’onde de la lumière et d’en réfléchir d’autres (Raven, Evert & Eichhorn, Biology of Plants, 2013).

Chez les plantes, la chlorophylle, pigment central de la photosynthèse, absorbe préférentiellement le rouge et le bleu, réfléchissant le vert. Les anthocyanes, quant à elles, produisent des teintes rouges, violettes ou bleues, jouant un rôle à la fois protecteur et attractif (Taiz et al., Plant Physiology, 2015).
• Chez les animaux, les mélanines assurent une protection contre les UV, tandis que les caroténoïdes — souvent acquis par l’alimentation — participent à la signalisation sexuelle et à la communication interspécifique (Hill & McGraw, Bird Coloration, 2006).

Ces pigments sont soumis à une régulation génétique fine, modulée par l’environnement. Comme l’a souligné Ernst Mayr, la biologie ne peut être comprise sans intégrer son caractère historique et adaptatif (This Is Biology, 1997).

Les couleurs structurelles: quand la matière sculpte la lumière

Toutes les couleurs du vivant ne sont pas dues à des pigments. Certaines résultent de structures nanoscopiques capables de diffracter la lumière : on parle alors de couleurs structurelles (Prum, The Evolution of Beauty, 2017).

Les ailes du Morpho bleu doivent leur éclat à une organisation microscopique d’écailles qui interfèrent avec la lumière, produisant un bleu intense sans aucun pigment bleu.
Les plumes du paon ou les carapaces de scarabées reposent sur le même principe, générant des reflets métalliques changeants selon l’angle de vue.

Ces couleurs, souvent spectaculaires, jouent un rôle crucial dans la communication visuelle, la séduction et parfois l’intimidation, illustrant ce que Darwin appelait la sélection sexuelle (The Descent of Man, 1871).

2. Le Rôle Fonctionnel de la Couleur dans la Nature

Couleur et survie

Dans la nature, la couleur est rarement neutre. Elle constitue un outil adaptatif majeur.

• Le camouflage permet à certains organismes de se fondre dans leur environnement. Les seiches et les caméléons modifient leur coloration grâce à des cellules spécialisées, les chromatophores, véritables interfaces entre le système nerveux et la peau (Hanlon & Messenger, Cephalopod Behaviour, 1996).
• Le mimétisme, décrit par Bates au XIXᵉ siècle, repose sur l’imitation des couleurs d’espèces toxiques. Le papillon vice-roi imitant le monarque en est un exemple classique.

Signalisation et communication

La couleur sert également à transmettre des informations biologiques essentielles.

Chez les oiseaux, des couleurs vives signalent la bonne condition physiologique du mâle, renforçant ses chances de reproduction (Zahavi, Journal of Theoretical Biology, 1975).

Chez les plantes, les motifs floraux visibles dans l’ultraviolet guident les insectes pollinisateurs vers le nectar, révélant une coévolution étroite entre perception et reproduction (Chittka & Kevan, 2005).

Certaines couleurs ont enfin une fonction thermorégulatrice : les teintes claires réfléchissent la lumière solaire dans les milieux chauds, tandis que les teintes sombres favorisent l’absorption de chaleur dans les climats froids.

3. La Perception des Couleurs: Une Construction Biologique

La couleur n’existe pas indépendamment de celui qui la perçoit. Comme l’a montré Jakob von Uexküll, chaque espèce vit dans son propre Umwelt, un monde sensoriel spécifique (Milieu animal et milieu humain, 1934).

L’être humain est trichromate, grâce à trois types de cônes rétiniens.
Les oiseaux et certains poissons sont tétrachromates, capables de percevoir l’ultraviolet.
Les chiens et les chats perçoivent un spectre plus restreint, dominé par le bleu et le jaune.

La nature est ainsi saturée de couleurs invisibles pour l’œil humain. Les serpents, par exemple, perçoivent la chaleur des proies grâce à des récepteurs infrarouges, révélant une autre forme de « vision » du monde (Greene, Snakes : The Evolution of Mystery, 1997).

4. Art, Photographie et Couleurs du Vivant

L’art s’inscrit dans le prolongement naturel de ces mécanismes biologiques. Comme l’écrivait Paul Klee, « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». La couleur devient alors un langage symbolique.

Dans la peinture, les couleurs véhiculent des affects et des valeurs culturelles (Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur, 2000). En photographie, la couleur est indissociable de la lumière, du regard et du temps. Elle exige une maîtrise technique — balance des blancs, saturation, exposition — mais aussi une sensibilité capable de traduire le vivant sans l’artificialiser.

En photographie animalière, la couleur du regard ou d’un plumage peut condenser à elle seule une histoire évolutive, une émotion et une présence.

Conclusion

Les couleurs du vivant ne sont pas de simples phénomènes optiques. Elles résultent d’une alchimie subtile entre biologie, physique et évolution. Elles assurent la survie des espèces, structurent la communication et nourrissent l’imaginaire humain. Pour le biologiste comme pour l’artiste, capter la couleur revient à interroger le vivant dans ce qu’il a de plus fondamental : sa capacité à transformer la lumière en sens.

Zouhaïr Ben Amor
Docteur en Biologie marine

Références bibliographiques (sélection)

Darwin, C. (1871). The Descent of Man.
Jacob, F. (1970). La logique du vivant.
Mayr, E. (1997). This Is Biology.
Prum, R. (2017). The Evolution of Beauty.
Raven, P., Evert, R., Eichhorn, S. (2013). Biology of Plants.
Taiz, L. et al. (2015). Plant Physiology.
Hill, G., McGraw, K. (2006). Bird Coloration.
Uexküll, J. von (1934). Milieu animal et milieu humain.
Pastoureau, M. (2000). Bleu, histoire d’une couleur.

 

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