Notes & Docs - 03.03.2017

Youssef Nebli: Et si les enseignants-chercheurs en gestion assument leurs responsabilités (Partie 2)

Youssef Nebli: Et si les enseignants-chercheurs en gestion assument leurs responsabilités (Partie 2)

Nous avons montré dans la première partie du présent papier de recherche la nécessité que l’enseignant-universitaire assume ses responsabilités quant à la qualité du produit du SEG (le diplômé en gestion). Il s’agit en premier lieu qu’il admet de réviser son potentiel qui est acquis notamment depuis qu’il était étudiant dans un système d’enseignement souffrant de plusieurs maux. C’est le déclic impliquant un déclenchement d’un long processus aboutissant à la valorisation méritée du diplômé en gestion. Ensuite, il s’agit également de réviser les méthodologies de recherche en vogue et les plus utilisées. C’est l’objet de la deuxième partie de la présente recherche. Pour cela, nous allons aborder les maux majeurs observés dans les méthodologies de recherche, l’entame de discussion avec le Professeur Émérite Henri Savall ainsi que les grandes lignes du chemin emprunté afin de déclencher la réalisation d’un projet ayant comme finalité la présence en force du diplômé en gestion dans les grandes sphères de décision qui soit recherchée par les acteurs de la société.

Maux majeurs de la recherche en gestion

Si l’on subdivise la recherche selon deux approches méthodologiques opposées, on peut distinguer la recherche rationaliste et la recherche empirique. S’il est un point sur lequel tous les chercheurs peuvent se mettre d’accord, c’est le fait que tous refusent et rejettent, de façon catégorique, l’approche rationaliste, sans pour autant connaître la thèse du fondateur du rationalisme. Or, nous considérons, devant les limites de la revue de la littérature (RL), qu’il importe de posséder les travaux de nos prédécesseurs sur la problématique posée avant de penser à la recherche de terrain (RT). Par suite, le rationalisme  ne peut être que nécessaire. Il permet notamment de bien comprendre les travaux d’autrui, de réduire le vaste étendu de divergence entre les auteurs (réduit le risque d’erreur) et de bien définir la RT. Cet unique accord entre les chercheurs représente le mal majeur de la recherche en gestion. Les autres maux majeurs résident notamment au fait que les auteurs ne sont pas d’accord  sur la forme de RT à adopter dans une recherche. Mais avant d’aborder ces maux, rapportons d’abord, de façon succincte, la vision méthodologique de l’auteur de l’éditorial faisant le cadre directeur de la présente recherche.

Vision méthodologique du directeur de la publication de la revue des sciences de gestion

Nous avons déjà souligné que l’auteur déplore toutes les politiques de recherche « pressées de faire vite ». Il cite particulièrement celle qui fait le recours à la « comptabilité boutiquière bibliométrique anglophone, qui témoigne certes de publications, mais n’équivaut certainement pas à de la recherche » et  celles qui ignorent « le fameux doute cartésien ». Devant la situation alarmante du fonctionnement des organisations et devant la médiocrité des certaines recherches qui témoignent pourtant de publication, l’auteur prévoit  à court terme, comme au XVIIIe siècle, « l’effondrement intellectuel des universités françaises ». Et pourtant, « il y a des experts pour cela, il suffit de siéger dans un nombre de « conseils académiques restreints » pour s’en rendre compte et constater que la médiocrité, de ce fait, préside aux carrières et ne signifie nullement une véritable recherche ». Selon l’auteur, seule une étude réelle de terrain qui « permet de savoir de quoi l’on parle ».  Le travail où la réalité des choses constatées « est l’apport essentiel, rapproche le gestionnaire de la méthodologie de l’historien plus que de la modélisation économique ». Il s’appuie en cela par les propos de Elie Cohen qui, en s’interrogeant sur l’épistémologie de la gestion, écrivait déjà il y a près de vingt ans : « Dans un champ où les préoccupations opératoires revêtent une importance primordiale, elle (la gestion) conduit à explorer le rapport entre la validité théorique des connaissances et l’efficacité pratique que leur application permet d’atteindre » (1997, p. 1065, cité par Naszályi, 2016).

Rejet catégorique du rationalisme

Le directeur de la RSG a notamment le mérite d’évoqué « le fameux doute cartésien ».  IL est vrai que la majorité, si ce n’est pas la totalité, des chercheurs connaissent « le fameux doute cartésien ». Mais qui possèdent et pratiquent ce fameux précepte cartésien ? Il paraît que rares sont les chercheurs qui le possèdent. Le fait de constater qu’actuellement le cartésianisme (par suite le rationalisme) n’a pas de place dans les domaines du management, voire dans plusieurs autres domaines scientifiques, en fournisse la preuve. En effet tous les auteurs en management considèrent que seulement la RT, à travers une expérience savante, permet de donner à la recherche le caractère de scientifique. Selon eux, la recherche livresque, sans RT, même si elle est discursive, ne peut accéder au rang d’une recherche scientifique. Nous pouvons nous demander comment pourrait-on rejeter le rationalisme sans pour autant connaître la thèse de son fondateur ?! Faut-il préciser que « le fameux doute cartésien » est plutôt un doute méthodique et non un doute réel. Il est préconisé afin d’éviter les facteurs majeurs de l’erreur à savoir les préjugés (Descartes dit la prévention) et la précipitation. Il stipule qu’il faut suspendre tout jugement à l’égard de toute proposition, même si elle émane d’une grande autorité de la pensée (telle qu’Aristote), tant qu’elle n’est pas encore soumise au crible et au tamis de la raison du sujet. En d’autres termes, même si le sujet n’a aucun doute sur la vérité ou la fausseté d’une proposition, il devait suspendre tout jugement et agir comme s’il a un doute réel sur toute proposition qui n’a pas été soumise aux épreuves de la raison.

Disons aux enseignants-chercheurs que Descartes est le philosophe qui ouvre le Discours en posant que la raison « est la chose du monde la mieux partagée », qui la définit comme la faculté « de bien juger » (D, I, 1) et qui a su que la véritable Méthode se ramène entièrement au bon jugement. Il insinue tout au long de son Discours que tout sujet n’a aucun prétexte ou argument de se considérer moins capable de juger que ses maîtres ou  que les auteurs de renommé ayant une autorité scientifique. L’argument d’autorité et le consensus commun sont tous des facteurs de la prévention, et par suite ils constituent plutôt des critères subjectifs ou psychologiques non fondés objectivement tout en ayant l’apparence trompeuse de critères logiques (objectifs) de vérité. Il a voulu socialiser l’accès à la vérité qui ne devrait plus être l’apanage des « grands esprits ». Il suffit de suivre « le droit chemin » pour que, tout sujet, quelque soit son intelligence, parvient à la connaissance vraie. Les grandes intelligences peuvent être inclinés à la précipitation et par suite à l’erreur :

Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup d’avantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent (D, I, 1).

Il en est de même pour les inclinations à la prévention.  Cela fait la part belle aux  propos du DEQ soulignant qu’  « […] il arrive ainsi que l’ignorant parvienne mieux à la vérité que celui qui a ce que Claude Bernard appelle des idées fixes ou Bacon des idoles » (op. cité, p. 2250).

Ce qui est paradoxal,  c’est le fait que plusieurs auteurs se réclament volontairement cartésiens et seraient notamment fiers si quelques collègues leur reconnaissent cet état d’esprit (cartésien) d’une part, et que ces mêmes auteurs rabaissent la recherche livresque, même si elle est discursive, au rang d’une démarche scolastique d’autre part. Ce fait paradoxal et contradictoire  peut être expliqué, entre autres, par une connaissance obscure, confuse et erronée (à l’insu du sujet) de la Méthode cartésienne. Certains auteurs confondent entre démarche rationaliste et démarche scholastique. Quels gâchis pour la science: certains préceptes et citations de Descartes sont uniquement évoqués (et non appliqués) pour briller dans les discussions de salon ou pour se vanter d’être cartésien (sans nécessairement l’être) ou encore pour  valoriser une idée. Faut-il préciser que l’empirisme « s’oppose radicalement au rationalisme en proposant que toute connaissance provient essentiellement de l’expérience » (M. Riopel, 2005), et non au raisonnement alors que le rationalisme considère que « toute connaissance valide provient soit exclusivement, soit essentiellement de l’usage de la raison » (Le dictionnaire actuel de l’éducation, 1994, p.1003, cité par M. Riopel, ibid.). 

En proposant l’usage entier de la raison (rationalisme radical ou pur) n’implique pas que Descartes est contre le recours à la RT. Il est plutôt contre le recours précipité de la RT. D’ailleurs, dans sa recherche effective, à part l’usage de la raison et par suite du raisonnement rigoureux, il a procédé à plusieurs expérimentations. Ainsi, le rationalisme radical peut être interprété comme l’idéal, non atteint, de la science cartésienne. Le rationalisme modéré représente la démarche effective de la science de Descartes.

Philippe Naszályi a dénoncé les politiques « pressés de faire vite » telles que celle de la « comptabilité boutiquière bibliométrique anglophone ». Nous considérons qu’aussi bien le recours à la « comptabilité boutiquière bibliométrique anglophone » que le passage direct, à partir d’une RL, à la RT (quelle que soit la forme d’expérience savante adoptée) sont bien des démarches  « pressées de faire vite ». Il nous semble qu’il est judicieux et raisonnable, notamment lors  de résolution d’un problème à la fois confus et très controversé, avant de critiquer, d’agir et de procéder à l’expérimentation ou toute autre forme d’expérience savante, d’épuiser toutes les chances de rigueur de l’Analyse afin de posséder et de comprendre (et non connaître) les travaux de nos devanciers. Faut-il distinguer connaître du comprendre : Connaître une chose c’est prendre conscience de son existence et pouvoir en parler alors que comprendre véritablement c’est à la fois connaître, définir de façon exhaustive, exclusive et adéquate, interpréter, expliquer, être capable d’appliquer,  de posséder la chose et de l’évaluer à sa juste valeur. La RL n’est pas suffisamment outillée pour surmonter le problème de l’équivocité du langage scientifique (qui ajoute à la confusion d’ensemble) ou pour distinguer le bon grain de l’ivraie afin d’accéder à une compréhension satisfaisante (la véritable compréhension est plutôt un idéal). Nous voyons mal comment un sujet puisse vérifier de façon convenable et fiable, à travers la RT, des hypothèses ayant attrait à des concepts flous, confus et équivoques. Nous ne sommes pas contre le recours à l’expérience mais contre le recours hâtif à la RT sans bien posséder les travaux d’autrui. L’Analyse approfondie et  rigoureuse de la littérature est aussi féconde que La RT. Ces deux composantes de la recherche sont complémentaires. Admettre la nécessité de telle Analyse et sa complémentarité avec la RT c’est admettre le bien fondé du rationalisme modéré.

Nous comprenons que la communauté savante considère que seule la RT qui est la véritable recherche dans la mesure où la RL n’est pas suffisamment outillée pour distinguer le bon grain de l’ivraie encore moins pour distinguer le vrai du faux. D’ailleurs, le plus souvent, les auteurs désignent la RT uniquement par le terme recherche. Ils n’ont pas besoin de la spécifier puisqu’elle est considérée comme l’unique recherche effective. Cependant, nous considérons qu’il est plus sage et plus productif d’ajouter à la RL un complément méthodologique suffisamment outillé (à travers une Analyse approfondie et rigoureuse de la littérature) permettant de posséder les travaux d’autrui avant d’aborder et de penser à la RT. Ainsi, dans un tel cadre rationaliste, les deux composantes du S (l’Analyse de la littérature et la RT) sont toute les deux fécondes.

Autres maux de la recherche

Selon le directeur de la publication de la RSG, seule une étude réelle de terrain qui « permet de savoir de quoi l’on parle ».  En s’appuyant sur les propos de Elie Cohen, il affirme également que la réalité des choses constatées « est l’apport essentiel, rapproche le gestionnaire de la méthodologie de l’historien plus que de la modélisation économique » (op.cité, 2016). D’abord, nous venons de montrer que si l’on adopte une Analyse approfondie et rigoureuse de la littérature, la RT ne serait plus la seule composant méthodologique qui soit féconde. Et l’étude de terrain seule ne permet pas de savoir, de façon convenable, de quoi l’on parle notamment lorsqu’il s’agit de résoudre un problème confus et controversé où l’étendu de divergence entre les auteurs est vaste. Il est difficile, si ce n’est pas impossible, de pouvoir vérifier de façon convenable et fiable, à travers la RT, des hypothèses ayant attrait à des concepts flous, confus et équivoques. Ensuite, la réalité des choses constatées n’est pas le seul apport essentiel du chercheur en gestion. Il est vrai que la méthodologie de l’historien rapproche plus le travail du chercheur en gestion que la modélisation économique. Mais, faut-il concéder que la modélisation demeure toujours utile en gestion, notamment lorsqu’on sait comment et quand est-ce qu’il faut y recourir. Il est également vrai que dans le champ de la gestion, « les préoccupations opératoires revêtent une importance primordiale ». Mais cela n’implique pas que la gestion devait se limiter à « explorer le rapport entre la validité théorique des connaissances et l’efficacité pratique que leur application permet d’atteindre » (Elie Cohen, op. cité, p. 1065). A moins que l’on considère que le constructivisme ou tel autre courant pourrait à lui seul résoudre tous les problèmes managériaux et que tous les autres courants épistémologiques ne valent rien du tout. Nous ne pouvons admettre cette thèse, ni toute autre thèse d’exclusion. N’oublions pas que la gestion, comme la médecine et la logique, est une science normative. Il est vrai qu’il est parfois nécessaire de décrire ou d’expliquer une situation ou un phénomène, mais cela ne devait pas empêcher de penser aux principes et aux outils (ou remèdes) prescriptifs permettant l’amélioration continue de la raison d’être de la gestion (performance).

D’ailleurs, à part le fait de considérer que le rationalisme n’a pas de place dans le champ de la gestion, nous considérons que les autres maux majeurs résident notamment au fait que les auteurs ne sont pas d’accord  sur la forme d’expérience savante à adopter dans la RT. En effet, la RT comprend plusieurs formes d’expérience savante et plusieurs formes d’analyse des données. Les formes d’expérience méthodique ne se limitent à celles les plus connues telles que l’enquête, le recherche-intervention ou la recherche-action. Et il est considéré, le plus souvent, que chaque forme est plutôt associée à un courant épistémologique spécifique. Par exemple, l’enquête est souvent associée au positivisme alors que les deux dernières formes citées sont associées au constructivisme. Or, Comme les auteurs ne sont pas d’accord sur le courant épistémologique qui répond le plus au champ de la gestion, ils divergent également sur la ou les forme(s) d’expérience à adopter dans la RT. Selon  leur allégeance épistémologique, les auteurs optent pour telle ou telle autre expérience savante tout en la considérant comme la seule recherche effective. En d’autres termes, la plupart des auteurs adoptent l’attitude d’exclusivité en faveur d’une forme d’expérience savante comme si les autres formes ne sont pas suffisamment indiquées, voire comme si elles n’existent pas.
Nous ne pouvons pas concevoir qu’un courant épistémologique, si en vogue soit-il,  à lui seul, pourrait résoudre tous les problèmes d’une discipline scientifique ou, à l’opposé, qu’un courant, qui à un moment donné de l’histoire de la science s’était fait une place au soleil (tel que le rationalisme), est devenu totalement caduc et sans intérêt. Cependant, faut-il concéder que l’attitude contraire à celle d’exclusivité et d’exclusion pose plusieurs problèmes difficiles à résoudre. Il faut d’abord définir et préciser la forme d’attitude la plus adéquate à adopter. Ensuite, devant la profusion considérable des approches méthodologiques, il est difficile de recenser et de posséder cette diversité. Il est nécessaire d’accéder à une liste la plus exhaustive possible pour pouvoir les évaluer et choisir les écoles et les approches les plus indiquées. Puis, même si l’on a dépassé tous ces problèmes, il reste de savoir déterminer des critères permettant le bon choix quant à la méthode ou à quelques méthodes à retenir dans une recherche donnée. Il n’est pas question d’appliquer dans une seule recherche toutes les méthodes que comprennent les approches méthodologiques les plus indiquées.
Un seul fait montre clairement que la simple tâche de recenser et de posséder toutes les approches méthodologiques est une mission de très ardue pour ne pas dire impossible. En effet, rien le fait de se focaliser sur les diverses versions du seul courant constructiviste, nous pouvons même parler de l’impossibilité de les recenser dans la mesure où l’on évoque déjà d’une « galaxie constructiviste » (P. Corcuff, 1995, p. 8). Que dire alors de la mission consistant à posséder tous les courants épistémologiques avec  leur vaste étendu de versions.
Plusieurs auteurs ont apporté plusieurs solutions à certains de ces problèmes. Bien entendu, les solutions proposées divergent selon la problématique privilégiée et l’angle d’attaque adoptée par chacun des auteurs. Toutes les solutions méritent d’être étudiées. Vu qu’un article ne peut être aussi long, nous allons nous limiter, dans le cadre du chapitre discussion, à rapporter les grandes lignes des solutions proposées sans analyse ou description suffisante.

Discussion

Le présent article constitue en lui-même une discussion avec l’auteur de l’éditorial de la RSG (2016, N°278-279). Il importe également d’élargir la discussion avec notamment les auteurs qui ont fait preuve d’imagination et d’audace à des fins d’amélioration du SES et des méthodologies de recherche dans le domaine de la gestion. Nous pensons notamment aux auteurs Henri Savall (Professeur Émérite), Marie-Jose Avenier et Marie-laure Gavard-Perret qui ont réalisé un remarquable effort de distinction consistant à lever certaines confusions autour des paradigmes épistémologiques pour en retenir cinq avec une délimitation assez précise des  frontières (2012), Hervé Dumez qui a montré et délimité ce qu’est le cœur de la recherche (2010) et Albert David qui a conçu une nouvelle version (originale) du constructivisme regroupant quatre groupes d’approches méthodologiques (1999). La  seule discussion  avec l’un de ces auteurs peut faire en elle-même l’objet d’un article spécifique. C’est pour cela que nous allons nous limiter à l’entame de discussion avec le premier auteur cité car ses propositions ont touché à la fois l’enseignement et la recherche en gestion.

Entame de discussion avec Henri Savall

Les écrits de H. Savall sont très nombreux. Nous allons nous référer notamment à un article qui a touché plusieurs points critiques tant au niveau enseignement qu’au niveau recherche. Son titre est révélateur notamment aux niveaux diagnostic et solutions proposées : « Professeur-consultant : le bilan d’une expérience » (1989). Cet article nous a marqué à jamais.

L’auteur déplore le travail de « recherche » de l’enseignant du supérieur consistant « à lire ce que d’autres ont écrit, sans souvent avoir le moyen de vérifier comment [leurs] idées, [leurs]  résultats ont été obtenus, à les traduire (par exemple de l’américain), à les comparer à ses convictions personnelles, à les critiquer puis à les exposer à sa manière » (p. 96). Les sciences de gestion, remarque-t-il, n’ont pas échappé à l’histoire « perverse » des sciences sociales qui « conduit à l’académisme, souvent aussi à la simple imitation, sans valeur ajoutée, de l’étranger ». Et il conclut que
Cela aboutit à la scolastique (débat d’écoles sans aucune vérification expérimentale qui pourrait distinguer le bon grain de l’ivraie) et à l’ostracisme corporatiste du corps des enseignants et de ceux qui sont chargés d’en garder jalousement l’entrée. La recherche, au lieu d’être scientifique, est exclusivement livresque, discursive et, parfois, dans le meilleur des cas, de nature pédagogique : pour améliorer le transfert de connaissances  (p. 97).
Il se demande, un peu plus loin, « à la veille du troisième millénaire, n’est-il pas temps que la gestion des entreprises devienne à son tour un objet de connaissance scientifique fondée véritablement sur l’observation rigoureuse et l’intervention cognitive ? » (p. 97).
Il y a lieu de relativiser et de situer ses propos dans le contexte et le temps de publication de l’article où la RT n’était pas encore suffisamment généralisée. Nous adhérons à l’essentiel des caractères soulevés décrivant l’état de l’enseignement et de la recherche. Seulement, nous ne pouvons pas concevoir que le caractère discursif de la recherche (sans RT) ne revêt pas un caractère scientifique. Mais, nous comprenons son jugement dans la mesure où toute la communauté savante considère que le rationalisme n'a pas de place dans le champ de la gestion. Nous considérons que la RT, à travers la vérification expérimentale ou toute autre forme d’expérience savante, ne suffit pas pour distinguer convenablement « le bon grain de l’ivraie ». Il serait beaucoup plus productif et efficace de procéder, avant de recourir aux vérifications de l’expérience savante, à une Analyse discursive des travaux d’autrui. Une telle Analyse permet  notamment « de vérifier comment [leurs] idées, [leurs]  résultats ont été obtenus » (p. 98). La RT, encore moins la RL, n’est pas un moyen efficace et suffisant permettant de réaliser la dite vérification. Toutefois, faut-il concéder encore que même le recours aussi bien à l’Analyse discursive qu’à la RT n’est pas suffisant pour atteindre cette fin de vérification.
Pour pouvoir réaliser une Analyse  véritablement discursive des travaux d’autrui, faut-il, au préalable, que le sujet s’assure qu’il possède convenablement les concepts, du moins les concepts clés, et les outils de gestion évoqués par ses prédécesseurs. Nous venons de montrer que sans possession du SF, on ne peut pas prétendre à la compréhension effective du S. On a tendance à oublier que l’enseignant-universitaire n’est que le produit du SES qui souffre d’un déséquilibre flagrant entre SF et S en faveur de celui-ci. Et ce n’est pas un concourt d’assistanat ou quelque enquête réalisée auprès des entreprises pour les besoins des travaux de recherche qui va combler le déficit de l’enseignant en matière de SF. Ainsi, la possession du SF devait être pensée en amont d’accès au poste d’enseignant universitaire, plus particulièrement dès le premier cycle d’enseignement supérieur de gestion (lorsque l’enseignant était étudiant). C’est dans cette période que le sujet soit prêt, disponible et motivé à accéder au SF avec, bien entendu, un SEG adéquat. La possession du SF permet un meilleur accès au S et constitue une occasion pour son approfondissement et son enrichissement. Elle permet alors au sujet une meilleure possession et un meilleur jugement des travaux d’autrui. Par suite, la possession du S conduit à un meilleur choix de l’expérience savante à réaliser dans la RT, selon les insuffisances convenablement détectés dans les travaux d’autrui, et à des résultats opérationnels réalisables conformes aux attentes de l’entreprise.
Comme solutions aux distorsions à redresser aux niveaux recherche et enseignement supérieur de gestion, H. Savall, souligne les hautes responsabilités sociales de l’enseignant du supérieur « quant à la qualité des connaissances qu’il transmet » et la nécessité qu’il soit « en mesure, en situation réelle au sein des entreprises et des organisations, de les  vérifier, sans croire aveuglément tout ce que lui ont enseigné ses maîtres et anciens collègues » (p. 98). Il recommande de légitimer et de renforcer la liaison entre enseignement, conseil et recherche avec une synergie à développer entre ces trois fonctions. Cette recommandation constitue le point à la fois fort et original (se distinguant des autres auteurs) des solutions proposées. Nous adhérons, sans restrictions aucune, à ses propos suivants :
[…]De ce fait, recherche et consultation sont intimement entremêlées; l’enseignant-chercheur ne saurait faire son métier sans être simultanément un consultant innovant, c’est-à-dire un consultant d’entreprise sur l’innovation, et, vis-à-vis des professionnels du conseil, consultant de consultant (p. 98).
Il précise que les enseignants et les chercheurs qui préparent ou encadrent des thèses savantes de doctorat sur la théorie de la décision ou sur la stratégie d’entreprise sans être consultants de nombreuses entreprises « ne peuvent développer que des idées, des concepts et des modèles non pas « théoriques » mais abstraits et illusoires, sans aucun rapport avec la réalité des entreprises, indignes de porter le nom puissant de théorie » (p. 98).
Faut-il préciser que l’article qui fait l’objet du chapitre discussion, ne comporte aucune expérience savante. Si H. Savall est allé dans le sens du fil de ses propos en refusant la démarche discursive sans RT, il n’aurait pas du proposer cet article de 1989 pour publication (puisqu’il est dépourvu de RT). Nous ne pouvons que lui remercier vivement de cette incohérence. Nous considérons ce papier comme un référentiel de recherche. Il s’agit bien d’un article à la fois scientifique et très fécond : il est resté et restera à jamais gravé dans notre esprit. A la fois par son audace de soulever certains points critiques, tels que les insuffisances de l’enseignant universitaire, tant au niveau de l’enseignement qu’au niveau de la recherche, avec un franc parlé sans aucun détour, et par son raisonnement discursif (sans RT) montrant (sans aucune ambiguïté) la nécessité de développer une synergie entre le conseil, l’enseignement et la recherche. Cet article marque une étape (du moins pour nous) de progrès dans le domaine du management. Il, contrairement à ses idées préconçues sur le rationalisme, a montré à son insu la fécondité du rationalisme. Si l’article n’a pas marqué une étape critique d’amélioration, aux niveaux enseignement et recherche, la faute n’incombe pas à son auteur mais plutôt aux préjugés régnant dans le milieu académique. Il en de même pour l’article de R. H Hayes et William J. Abernathy qui est intitulé : « Managing our way to economic declin » (1980). D. Xardel a avancé que « cet article fera date »  (op. cité, p.70). Il n’a pas prévu les forces irrésistibles de la prévention qui peuvent masquer la voie de la raison.
A part le mérite de favoriser et de mettre en valeur la fonction du conseil pour l’enseignant afin qu’il puisse réaliser mieux ses missions, H. Savall a un autre grand mérite, celui d’être parmi les premiers auteurs français de souligner la nécessité impérieuse d’améliorer les méthodologies de recherche et de contribuer plus tard (avec la collaboration de Véronique Zardet) à cette amélioration à travers la conception, la mise en application et la divulgation d’une nouvelle approche méthodologique : la qualimétrie (2004). Celle-ci peut être classée parmi les approches consistant à dépasser le clivage entre recherches qualitatives et recherches quantitatives. Certes, la qualimétrie  constitue une avancée au niveau méthodologique. Elle est plus féconde qu’une méthode simple qu’elle soit issue de l’approche qualitative ou de l’approche quantitative. Cependant, elle présente notamment l’inconvénient d’être présentée comme l’unique approche à mieux répondre aux problèmes complexes qu’affronte l’entreprise. Nous ne pouvons pas concevoir qu’une seule approche, à elle seule, peut répondre à la problématique de la complexité et de la contradiction.

Limites et perspectives

La problématique traitée est trop vaste et compliquée pour qu’elle soit analysée et argumentée de façon exhaustive et selon les autres règles discursives dans un article qui ne peut être aussi long. Vu la contrainte de longueur de tout article, nous sommes limité plutôt à aller dans les grandes lignes de ce qui essentiel, sans pour autant entrer dans le détail requis, et à faire des ouvertures sur un bon  nombre de problèmes à résoudre ayant attrait à la problématique de la  présente recherche. L’essentiel consiste notamment dans les enseignements clés de notre premier vécu professionnel, les principaux analyses et résultats des auteurs qui ont osé de résoudre la problématique de la complexité et la contradiction managériales à des fins d’amélioration aux niveaux SEG et méthodologies de recherche, les dialogues déclenchés avec le Directeur de la publication de la RSG et avec celui qui vient d’être nommé en France comme « Chevalier de la Légion d'Honneur au titre du Ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Il paraît que ce cadre essentiel nous a permis de répondre aux questions posées et par suite d’atteindre les objectifs escomptés en montrant notamment la nécessité de substituer l’attitude consistant à ce que l’enseignant-chercheur assume ses responsabilités dans le processus conduisant à la production des diplômés en gestion possédant des compétences distinctives que ne possède aucun autre type d’expert à l’attitude consistant à reprocher les divers acteurs de la société qui continuent à ignorer le spécialiste en gestion malgré leur conscience de l’importance cruciale des sciences de gestion. Nous considérons que les compétences distinctives résident notamment dans la véritable possession du SF (et par suite du S) au niveau gestion opérationnelle et Organisation. Une telle possession exige un long  cursus d’études si ardus et si complexe qu’aucun autre expert ne puisse  y accéder moyennant l’expérience, le bon sens et la formation continue (à travers les séminaires professionnels). Par contre, ces trois moyens suffisent à ce que tout autre expert rivalise, voire dépasser le spécialiste en gestion (grâce à son savoir distinctif que le diplômé en gestion ne possède pas), dans le domaine de la gestion stratégique ou de la gouvernance. La gestion d’une organisation est une activité trop complexe, impliquant plusieurs dimensions et aspects relevant de disciplines scientifiques très diversifiées, pour être confiée uniquement aux diplômés en gestion. C’est pour cette raison que, tout au long de cet article, nous n’avons pas désigné le produit du SEG par le terme gestionnaire.
Montrer l’attitude adéquate à adopter par l’enseignant-chercheur constitue le premier pas conduisant vers l’atteinte du but suprême de ce papier de recherche, à savoir contribuer, un tant soit peu, à la valorisation méritée et nécessaire du spécialiste en gestion. Nous avons l’entière conviction que le premier facteur de prospérité socioéconomique de tout pays réside dans sa disposition des entreprises maîtrisant à la perfection près tous les aspects et problèmes managériaux. D’ailleurs, depuis notre accès au poste d’enseignant universitaire, tous nos travaux de recherche constituent des moyens  d’un projet dont la finalité réside à ce que le diplôme en management soit parmi les diplômes les plus nobles dans la société, si ce n’est pas le plus noble de tous, pour que le diplômé en gestion puisse y prendre la place qu’il mérite, et ce pour le bien de la société.

La réalisation de ce projet ne dépend pas seulement de nous. Tout ce que nous pouvons faire, c’est  contribuer à déclencher un processus tendant à cette réalisation. Aucune réalisation ne peut aboutir sans l’adhésion de l’enseignant en gestion à ce projet en assumant ses responsabilités au niveau processus conduisant à la formation de véritables gestionnaires capables de résoudre la complexité managériale qu’aucun autre type d’expert ne peut les rivaliser, du moins aux niveaux Organisation et gestion opérationnelle. Faut-il concéder qu’un grand obstacle guette cette réalisation à savoir l’habitude conjuguée à l’argument d’autorité et le consensus commun. L’abandon du projet de réforme visant de résoudre la problématique de la complexité et la contradiction au profit d’une réforme (LMD), déjà généralisée, moins performante en fournisse la preuve. Les résistances aux changements sont d’abord une conséquence de l’habitude, avant d’être une réponse à la peur du futur inconnu ou de déranger une certaine hibernation ou encore de déclencher la susceptibilité d’autrui. Malheureusement, le professeur en management semble oublier cette théorie quand il s’agit de réaliser des recherches ou de juger les travaux d’autrui. Il s’en rappelle uniquement lors de ses missions d’enseignement ou de conseil. Les forces irrésistibles de la prévention l’emportent souvent sur les arguments de la raison. L’histoire montre qu’il s’agit là d’une loi de la nature humaine. Si nous comprenons une telle attitude qui est naturelle (mais contraire à la raison), cela ne nous a pas empêché de persévérer dans la réalisation de notre projet.
Tous les travaux de recherche déjà réalisés ou développés et en stade de finalisation ou encore en stade de développement s’inscrivent dans le cadre de notre franche et hargne volonté à déclencher le processus de changement. La réponse à la problématique posée par Philippe Naszályi est une occasion propice pour nous d’indiquer certaines ouvertures sur les problèmes majeurs traités dans nos travaux ainsi que les étapes clés du chemin emprunté visant ce déclenchement. Cela permet au lecteur de soumettre et passer au crible de sa raison le chemin emprunté ainsi que les solutions proposées aux problèmes posés et de déclencher un dialogue constructif afin d’affiner et d’améliorer davantage les moyens susceptibles de réaliser la finalité de notre projet auquel nous tenons tant à sa concrétisation.

Autres solutions conçues aux problèmes posés visant la valorisation méritée et nécessaire du diplôme de gestion

Nous avons soulevé l’importance et la nécessité d’emprunter une démarche rationaliste en réalisant un pont entre la RL et la RT à travers une méthode d’Analyse rigoureuse et profonde de la littérature permettant notamment de distinguer  « le bon grain de l’ivraie » et de vérifier comment les idées et les résultats de nos devanciers ont été obtenus. Nous avons déjà défini, décrit et expliqué ce pont comme méthode ou moyen permettant d’appliquer le rationalisme modéré. Cette méthode est baptisée Analyse (opérations d’analyse et de synthèse intellectuelles) de première ordre-APO- de la littérature. Elle est le résultat d’une expérimentation de plusieurs méthodes d’Analyse effectuée dans une recherche aussi ardue, hermétique et controversée qu’est la découverte et la compréhension de ce que devait être la Méthode de Descartes. L’APO a fait déjà preuve de réussite. Son application a permis l’éclosion de certains secrets et outils cartésiens de recherche.
L’expérimentation des méthodes d’Analyse présente d’innombrables mérites et avantages. A part les mérites d’innovation et de vérification de la validité des préceptes et de procédés méthodologiques d’autrui, elle présente notamment l’avantage de les comprendre de façon satisfaisante et de les évaluer à leur juste valeur. Elle nous a permis également d’observer le caractère constructiviste de la recherche. Si la métaphysique ne s’apprend pas, il en est de même pour les outils méthodologiques. Et ce n’est pas le fait de suivre un cours de méthodologie de recherche, même s’il est conçu selon les règles de l’art, et le fait de réussir aux examens relatifs à ce cours, qu’ils vont  permettre à l’étudiant d’appliquer les consignes méthodologiques de façon fiable.  Bien entendu, l’application biaisée ou erronée est à l’insu du sujet.

D’ailleurs, nous n’avons pu apprécier (à leur juste valeur) certains procédés et préceptes  des précurseurs (notamment Descartes et Aristote), voire de se rendre compte de l’existence de certains de leurs outils,  qu’après avoir découvert et construit nous-mêmes  (à travers l’expérimentation) ces outils (pris au départ comme notre propre conception). En relisant certains propos de ces précurseurs (notamment Descartes qui a cultivé la confusion dans son Discours), à des fins de contrôle, nous observons avec « étonnement » (selon l’expression d’Aristote) que ce que nous avons cru être les premiers à découvrir était bel et bien déjà proposé par le précurseur. Cela nous réconforte dans la voie originale que nous avons adoptée en dehors de tous les sentiers battus et montre également la fécondité de l’expérimentation méthodologique ainsi que le bien fondé du caractère constructiviste s’étendant à toutes les composantes de la recherche (raisonnement et expérience méthodiques). Sans construction, le sujet ne peut posséder et juger de façon convenable les travaux d’autrui. Il en est de même pour les procédés de la RT. Après avoir choisi la forme d’expérience savante, il ne s’agit pas de l’appliquer « aveuglement » comme elle est décrite dans les manuels méthodologiques, mais faut-il en avoir un regard critique à des fins de vérification d’abord et  de possession et d’amélioration méthodologique ensuite. Et ce n’est qu’après avoir produit et innové au niveau méthodologique que le sujet puisse évaluer à leur juste valeur les préceptes et les méthodes d’autrui, même ceux émanant des précurseurs de la pensée. La construction du savoir méthodologique, à travers l’expérimentation, nous a permis de sonder, de déchiffrer les véritables difficultés et secrets de la recherche, de détecter d’autres pistes d’Analyse et dimensions d’interprétation et par suite de préconiser des pistes de résolution de certains problèmes de recherche. Elle a permis également d’éviter le joug des précurseurs de la pensée et de favoriser l’esprit d’imagination et de créativité.

L’expérimentation méthodologique alliée à l’Analyse encyclopédique des préceptes et des procédés méthodologiques illustrés dans les sources encyclopédiques nous a permis de distinguer les divers termes analogiques suivants : méthode, méthodologie, logique et psychologie (du raisonnement). Le caractère essentiel d’une méthode scientifique consiste dans le fait qu’elle obéit, au tant que faire se peut, aux préceptes de la logique qui comporte deux grandes subdivisions : la logique formelle (la plus connue et la plus utilisée dans les sciences) et la logique appliquée. Celle-ci comporte deux composantes : la logique de l’adhésion qui permet d’éviter l’erreur et la logique de la découverte (qui permet de découvrir la vérité après avoir vérifié la validité des prémisses). Descartes a conçu une logique appliquée qui  est déductive (et par suite certaine : aucun risque d’erreur) et universelle. Il s’agit d’une tentative vouée à l’échec dans la mesure où seules les sciences dont leurs objets ne concernent que les catégories quantité et relation, telles que les mathématiques, qui peuvent être déductives. Mais cela n’empêche pas que sa logique appliquée est très prometteuse et féconde notamment dans la partie relative à la logique de l’adhésion. Nous avons alors déterminé, pour les besoins de l’APO (revêtir le caractère scientifique), une logique appliquée qui est abductive valable pour les sciences qui à un moment à un autre ont besoin de recourir à l’expérience. Cette logique est largement inspirée de la logique cartésienne notamment au niveau de la logique de l’adhésion.

Faut-il préciser que l’objet initial de nos travaux de recherche n’était pas d’un ordre méthodologique mais plutôt managérial. Nous avons voulu déterminer en premier abord  ce que devait être la Performance et en second abord  ce qu’est une structure efficace. Mais devant le vaste étendu de diversité de jugements (DJ) entre les auteurs sur ces deux questions managériales, tous les essais de détermination ont été voués à l’échec. Nous étions résolu alors à comprendre qu’avant tout essai de résolution d’un problème controversé, il ya lieu d’abord de chercher, en dehors des sentiers battus, la méthode adéquate à ce type de problème. Ce fut l’objet de notre thèse de doctorat (présentée avec succès en 2010). Dans ce cadre des travaux de recherche entamés depuis 1993, nous avons pu enfin  déterminer une méthode spécifique (l’APO) à la résolution des problèmes controversés et posséder comment résoudre la DJ.

Bien entendu, nous n’avons pas oublié la raison d’être de l’APO : trouver un moyen permettant de distinguer le bon grain de l’ivraie parmi un vaste étendu de DJ entre les auteurs sur des concepts et des questions cruciales relatives au management. Fort appuyé et encouragé par la possession de l’APO, nous sommes engagé en premier lieu à résoudre la DJ ayant attrait à la définition de la performance, ensuite à la détermination de ce que devait être le rôle du contrôleur de gestion, puis à la définition d’un SEG, notamment au niveau parcours universitaire (bien distinct de celui du système LMD), capable de produire un véritable gestionnaire. C’est l’occasion  de montrer une fois encore la nécessité et la fécondité de cette méthode d’Analyse. S’il y a un mérite ou avantage distinctif de l’APO c’est notamment le fait  qu’elle possède une démarche permettant de distinguer, sans risque majeur d’erreur, le vrai du faux et le bon grain de l’ivraie. Les critères de distinction utilisés implicitement par les auteurs, que nous avons pu dégager et observer dans la littérature, ne nous semble pas suffisamment fondés : l’argument d’autorité, la pluralité des voix (les Modernes ont déjà montré qu’il s’agit des critères subjectifs de vérité ayant l’apparence trompeuse d’objectivité), les théories les plus récentes ou les plus en vogues et l’école managériale la plus célèbre et la plus affluente (l’école néoclassique). Par suite, il paraît que les diverses méthodes utilisées jusque là ne sont pas suffisamment indiquées pour résoudre de tel problème. Sinon, au moins un des auteurs qui ont attaqué ce problème aurait parvenu, par exemple, à définir de façon univoque la performance ou du moins réduire le vaste étendu de divergence.

Il est vrai que « la définition du concept de performance est difficile car c’est un « mot-valise » qui recouvre plusieurs acceptions » (M. Lebas, 1995, p. 66) et que cela « rend tout débat sur le sujet difficile » (M. Lebas et H. Bouquin, 1995, p. 60) et que tout effort significatif, tendant vers une véritable définition, de très ardu et risqué. Mais toutes ces raisons ne devaient pas conduire à faire une fuite en avant pour chercher à résoudre des problèmes relatifs à la performance sans pour autant la définir au préalable.  Plutôt, il faut affronter de front les difficultés de recherche. Non, bien sûr que ce n'est pas facile. Personne n'est capable de résoudre sans grands efforts et sans audace de telles difficultés. Une telle attitude permet d’accéder aux secrets de la recherche. Sinon ; à quoi servent les recherches si elles ne répondent au minimum des attentes ? Aristote déclare qu’« il est utile  pour qui veut procéder avec facilité, d’avoir été engagé comme il faut dans les difficultés. Ceux qui cherchent sans avoir été auparavant aux prises avec les difficultés, sont comme ceux qui ne savent pas vers quel but ils doivent conduire leur marche. Et quelqu’un qui agit ainsi, ne sait pas s’il a trouvé ou non » (Aristote, Métaphysiques, cité par J.M. Le Blond, 1939, p. 44). Pour vaincre l’extrême difficulté de distinguer le vrai du faux, le bon grain de l’ivraie et de réduire le vaste étendu de divergence entre les auteurs, il suffit de faire un pont entre la RL et la RT, à travers une Analyse approfondie et rigoureuse de la littérature telle que l’APO. Autrement dit, faut-il d’abord adopter une démarche rationaliste et arriver à s’arracher aux assentiments contagieux de la foule qui ne croit qu’à la démarche empirique (où seule l’expérience savante qui est considérée comme féconde).

Si nous avons déjà résolu le problème de DJ relatif à la définition de la performance, cela n’implique pas que l’heure de la RT a sonné. La mission de l’APO n’est pas encore finie. Elle lui reste  à définir de façon univoque les principales composantes de la performance élargie et de décomposer chacune des composantes en performances élémentaires. H. Bouquin met en garde  que «  d’une part, il est nécessaire de spécifier ce que l’on nomme la performance de l’entreprise ; d’autre part, il s’agit d’être capable de la décomposer en termes élémentaires pour mesurer les contributions locales à cette performance globale » (op. cité, p. 48). L’idéale de la décomposition serait selon une logique du « et » (et non du « ou ») à travers une définition logique (égalité entre défini et définissant) et explicative  du genre : Profit/capital = Profit/Chiffre d’affaires x Chiffre d’affaires / Capital. Il parait que seule la composante économique qui peut s’apprêter à de telle décomposition. 

Ce n’est qu’à partir des définitions universelles des catégories de la performance, des définitions logiques de chacune des composantes de la performance, du moins la composante économique, qu’on peut songer à la RT, à l’aspect contingent et opérationnel de la performance permettant d’établir les indicateurs opérationnels et les procédures les plus appropriés à l’organisation faisant l’objet d’amélioration continue de son management et de sa performance. Faut-il préciser davantage que l’aspect opérationnel de la performance ne peut être que singulier ou particulier (et non universel) à une organisation donnée. Michel Lebas insiste et précise notamment qu’« il est crucial d’admettre que le mot performance ne pourra pas avoir de définition opérationnelle unique dans une même organisation », et que « la performance n’est pas un concept qui se définit de façon absolue. Elle appelle un jugement et une interprétation. Le choix du référentiel de comparaison est une décision stratégique fondamentale » (op. cité, pp. 70-71).

Enfin, il ya lieu de soulever certains aspects relatifs au positionnement et à la définition de notre approche méthodologique. Nous avons déjà soulevé que selon leur allégeance épistémologique, la plupart des auteurs adoptent l’attitude d’exclusivité en faveur d’une forme d’expérience savante comme si les autres formes ne sont pas suffisamment indiquées, voire comme si elles n’existent pas (attitude d’exclusion). Ajoutons à cela, l’allégeance épistémologique d’un professeur « est souvent mal définie » (M. Riopel, op. cité) sans oublier la profusion considérable des approches méthodologiques. Tous ces facteurs rendent la tâche de faire le bon choix quant à la forme d’expérience savante à adopter dans une recherche est très difficile et risquée. Nous avons alors établi une classification des approches méthodologiques les plus significatives ainsi que les plus utilisées tout en expliquant leur genèse et dressant leur bilan. Cela nous a permis à mieux nous positionner par rapport au mouvement d’amélioration méthodologique et à mieux définir notre approche méthodologique tout en dégageant des critères permettant le bon choix quant à la méthode ou à quelques méthodes à retenir dans une recherche donnée.

Sans doute, malgré les précautions prises, tous les travaux de recherche cités visant le déclenchement de réalisation de notre projet ne sont pas sans reproche. C’est pour cette raison que nous invitons vivement tout lecteur, après avoir soumis toute proposition qui lui semble non fondée, voire bizarre, au tamis de la raison (sans précipitation et sans prévention), de nous faire part de ses critiques et de ses objections. La vérité est la fille naturelle de la discussion argumentée et l'intelligence est l'ennemi des tabous.  C’est à travers l’entame de discussion avec le lecteur que le projet tendant vers la valorisation méritée du diplômé en gestion soit amélioré et déclenché.

Conclusion

Lorsque le SEG ainsi que le système de la RS seraient en mesure de produire un expert ayant un potentiel distinctif (que ne peut posséder aucun autre type d’expert) que tout acteur de la société cherche, de son propre chef, à assurer que le diplômé en gestion soit présent en force et en priorité dans les grandes sphères de décision. Le système LMD a failli dans ses missions. Les enseignements de notre premier vécu professionnel, les études réalisées par les auteurs qui ont étudié la problématique de la complexité et de la contradiction managériales et le mouvement d’amélioration des méthodologies de recherche (entamé depuis l’aube du troisième millénaire) en fournissent des preuves. Tant que tout expert peut rivaliser, voire dépasser dans certains cas, le diplômé en gestion dans les prérogatives du celui-ci, la société continue à ignorer le soi disant spécialiste en gestion tout en reconnaissant l’importance cruciale des sciences de gestion.
Il est temps que l’acteur principal du SEG (l’enseignant universitaire) admette d’assumer ses responsabilités quant à la qualité du diplômé que le système LMD produit. Les forces irrésistibles et naturelles de la prévention ne vont pas faciliter une telle admission de la part de l’enseignant-chercheur. Nous en sommes bien conscient. Pour vaincre ses forces, il est essentiel, en premier temps, qu’il s’interroge, en prenant la précaution de se retenir contre toute inclination naturelle à la précipitation et à la prévention, notamment sur les points et les questions (posés dans l’introduction générale) que nous nous sommes proposé à répondre.
Les axes de notre projet présentés tout au long de cet article pourraient constituer des repères pour répondre à ces questions, pour émettre des remarques, de réserves ou des objections et pour déclencher l’entame de discussion avec notamment tout auteur qui a contribué à résoudre la problématique de la complexité et la contradiction managériales. Cela permet  d’affiner et d’améliorer davantage le projet que nous sommes engagé à déclencher sa réalisation pour une valorisation méritée du diplôme de gestion. L’aboutissement à la finalité du projet constitue la condition sine qua non de tout véritable progrès socioéconomique.

Youssef Nebli

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Youssef Nebli: Et si les enseignants-chercheurs en gestion assument leurs responsabilités (Partie 1)

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