News - 18.04.2013

Le Bourguibisme, une stratégie et une éthique au service de la dignité

Il y a 13 ans, le 6 avril 2000, disparaissait l’homme qui avait sacrifié les meilleures années de sa jeunesse pour nous faire vivre une des pages les plus glorieuses de notre histoire. Ne compte-t-il pas parmi les rares leaders dans le monde qui se sont investis à la fois dans la libération nationale et dans l’édification d’un État souverain ? Sa légitimité est double. Elle comporte son combat pour l’indépendance et la création d’un État respecté.
En ce jour anniversaire de son décès, il est du devoir de chaque Tunisien de formuler une pensée de reconnaissance pour cet homme d’exception qui a fait vibrer les masses pour les galvaniser, les sortir de leur résignation et leur inculquer le sens de la dignité et l’élan vers le progrès et la prospérité.

Je me propose, dans ce qui va suivre, d’évoquer très succinctement son itinéraire et sa stratégie et de rappeler quelques événements qui ont émaillé la fin de son mandat à la tête de l’État.

Sa conviction en la légitimité morale dans sa pensée comme dans sa parole et son action, même vis-à-vis des représentants de la puissance coloniale, il l’a exprimée en ces termes dans son discours à Beyrouth le 8 mars 1965 :
« Nous n’avons jamais pensé que la libération d’un peuple quelconque eut besoin d’être soutenue par la haine envers les citoyens d’une puissance colonisatrice. La haine des races prend son origine dans les complexes de supériorité et les humiliations. Nous ne pouvions combattre le colonialisme au nom du droit des peuples à la dignité et nourrir en même temps un quelconque sentiment de haine pour l’un d’eux. Je suis allé plus loin. Je ne l’ai jamais considéré comme un ennemi mais comme une victime lui aussi du régime colonialiste auquel seule une minorité avait intérêt pour asservir à la fois les peuples dominés et les peuples dominants. »

Le 20 mars 2013, jour anniversaire de l’Indépendance de la Tunisie, cette ancienne puissance coloniale, estimant à sa juste valeur la hauteur de ses vues, la perspicacité de sa stratégie, son attachement aux valeurs républicaines et son comportement digne et fier en toutes circonstances, a dressé son buste dans l’une des plus belles esplanades de Paris, l’esplanade Habib Bourguiba, instaurée en 2004.

Sa stratégie de lutte et son approche des problèmes politiques que l’on désigne souvent sous le terme de bourguibisme ont fait l’objet d’un important travail à l’Institut d’études politiques d’Aix en Provence sous la direction de Michel Camau et Vincent Geisser. Elles ont contribué à l’enrichissement de la science politique. Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur a utilisé le terme de « gradualisme » pour qualifier cette politique des étapes qui, si elle s’inscrit dans la durée, n’en est pas moins déterminée et tenace.

Sa vision, mûrement méditée et sa foi en la justice et la probité lui ont permis d’être en symbiose avec le peuple tunisien auquel il vouait un amour sans faille. Les fondements de la réflexion et de l’action bourguibiennes dans lesquelles la stratégie et l’éthique sont intimement liées, méritent d’être mieux connus et analysés à travers ses discours, ses conférences et ses multiples interventions. C’est là, une des principales tâches de l’« Institut des études bourguibiennes » qui vient de voir le jour.

Bourguiba a bénéficié d’une double culture. Des professeurs français de haut niveau, en Lettres et en Sciences, l’ont marqué par l’élégance de leur verbe, la noblesse de leurs sentiments et la rigueur de leur logique. Il s’est imprégné, dans le même temps, du savoir et de la rhétorique des meilleurs professeurs de l’Université de la Zitouna qui assuraient l’enseignement de la religion et de la civilisation arabo-musulmanes au Collège Sadiki. Il était brillant dans ses études et classé premier aux épreuves du baccalauréat.

De retour à Tunis en 1927, à l’issue de ses études supérieures en Droit et en Sciences politiques à Paris, il a été choqué par une réalité qui tranchait avec les notions de justice et de respect des droits de l’homme qui l’avaient marqué lors de son séjour en France : misère du paysan dépossédé de ses terres, arrogance du colon, interdiction d’accès de l’élite tunisienne à la fonction publique, administration directe du pays par l’autorité du Protectorat en violation des traités….

Des mouvements de protestation contre ces injustices s’étaient déjà organisés. Dès 1907, Ali Bach Hamba et Béchir Sfar avaient fondé le parti évolutionniste « Jeunes Tunisiens » qui revendiquait un certain nombre de réformes. En 1920, Abdelaziz Thaâlbi, président du Parti libéral constitutionnel ou Destour, publia un pamphlet, La Tunisie martyre, qui reçut un accueil enthousiaste. Accusé de tentative de complot contre la sûreté de l’État, Abdelaziz Thaâlbi fut arrêté. Le durcissement du régime du protectorat contre les nationalistes, les divisions au sein du Destour qui en avaient résulté et l’avortement en 1925 d’un syndicat organisé à l’initiative de Mohamed Ali El Hammi, avaient affaibli le Destour qui limita son action à des réunions secrètes dans la capitale et à des discours demandant la suppression pure et simple du protectorat.

Invités à s’adjoindre au Destour, Bourguiba et ses camarades arrivés frais émoulus de la capitale française, se trouvèrent en désaccord avec cette politique du tout ou rien qui bloquait la situation. Profitant d’une manifestation contre l’inhumation d’un naturalisé français dans un cimetière musulman, ils fondèrent en 1934 le Néo-Destour dont Bourguiba allait rapidement devenir la cheville ouvrière. Sa méthode, il l’exprima clairement dans sa lettre de Tataouine datée du 8 février 1935 :
« La force qui impose le respect du droit est la force de cohésion du peuple et la solidarité de ses membres. C’est une force morale contre laquelle s’incline tôt ou tard la force matérielle, à condition de faire preuve de patience, de ténacité et d’esprit de sacrifice. »

Conscient de la différence des rapports de force dans la lutte contre l’occupant, Bourguiba estimait qu’une attaque de front, ne pouvait mener qu’à la défaite. Fin stratège, il adapta sa politique à ses moyens et s’entoura des conditions préalables en s’efforçant de bien comprendre la position de l’adversaire, de saisir ses pensées et ses motivations pour déceler ses contradictions et retourner contre lui ses propres principes. Considérant que la progression n’est pas toujours linéaire, qu’elle exige des détours et même des reculs pour parvenir à l’objectif, Bourguiba sut limiter provisoirement ses exigences et faire des concessions sur les moyens sans jamais transiger sur les principes. Il acceptait les compromis pour contourner les difficultés et pallier aux déficiences des moyens d’une lutte inégale lorsque la situation l’exigeait mais ne les acceptait que dans la mesure où ils offraient la possibilité de gagner du terrain. C’est ce qu’il appelait compromis positif ou compromis révolutionnaire. Cette stratégie ne fut malheureusement pas toujours bien comprise au Moyen-Orient. Il entretenait le dialogue qu’il savait orienter à son avantage et ménageait toujours une porte de sortie. Il cherchait à convaincre et poussait ses revendications sans jamais atteindre la ligne rouge. Pour faire pression sur l’adversaire, il se dota d’autant d’atouts que possible, qu’il s'agisse de pressions populaires ou de pressions de personnalités françaises avec lesquelles il entretenait des relations d’amitié, prenant à témoin les organisations internationales et n’excluant pas l’épreuve de force chaque fois qu’elle s’avérait inévitable. Sa stratégie procédait par étapes dont chacune facilitait l’accession à l’étape suivante jusqu’au but final, l’indépendance sans laquelle il ne peut y avoir de dignité. 

Ayant mis au point et affiné sa méthode, il s’engagea à sillonner le pays pour diffuser ses idées. « Je ne croyais plus qu’au contact direct. J’étais résolu à prendre mon bâton de pèlerin de ville en village. » disait-il. Il parcourait le pays, organisant des réunions, jusque dans les endroits les plus reculés, de préférence les jours de marché hebdomadaire pour toucher toutes les couches de la population. Il leur parlait le langage qu’ils comprenaient. Il savait les émouvoir et les tenir en haleine et se référait à des versets du Coran qui appellent à la solidarité et à la cohésion.

Ses choix politiques répondaient à une logique rigoureuse. « Cette lutte pour l’indépendance, disait-il, est l’œuvre d’un calcul froid et d’une tactique expérimentée, conçues l’un et l’autre par un esprit en perpétuelle tension pour découvrir les voies et les moyens qui conduisent à la victoire. »

Sa stratégie ne manqua pas de porter ses fruits. Le nombre des cellules destouriennes qui était de 80 en 1933, s’éleva à 800 en 1937. Les hommes déterminés ne faisaient plus défaut. Les dirigeants syndicaux eux-mêmes étaient autant destouriens que syndicalistes. Il en était de même des autres dirigeants des organisations internationales. Par le verbe, il a su unir le peuple tunisien pour en faire l’artisan de son propre destin.

L’indépendance, loin de constituer une fin en soi, ouvrait la porte à de nouveaux combats. Bourguiba a fait front sur tous les tableaux pour édifier un État souverain. « De tout ce que j’ai fait depuis l’Indépendance, disait-il, ce qui a été le plus important, c’est mon effort pour la concrétisation de l’Indépendance. J’ai cru le 20 mars que tout était fini sur un certain plan. Eh bien ! Je me suis aperçu que tout commençait : les Français m’ont donné l’Indépendance mais n’y ont pas cru. Ils m’ont donné l’Indépendance mais Bizerte était un port français ; ils m’ont donné l’Indépendance mais il y avait des aérodromes qui devaient rester entre leurs mains… ».
Son sens de l’Histoire et son génie intuitif lui ont donné une vision judicieuse de la situation internationale. J’en donnerai quelques exemples :

  • Pendant la deuxième guerre mondiale, alors que la plupart des dirigeants arabes sympathisaient avec les Allemands venus en libérateurs, il a plaidé pour la cause des Alliés, convaincu qu’ils allaient gagner la guerre. Malgré de fortes sollicitations, il a refusé de se prononcer en faveur de l’Axe. Bien plus, dans une déclaration à Radio Bari, en Italie, le 6 avril 1943, il a dénoncé la convoitise de certains pays étrangers sur la Tunisie.
  • Dans le conflit israélo-palestinien, bien avant la guerre de 1967 qui avait ouvert la voie de l’installation de colonies dans les territoires occupés, il a recommandé de recourir à la légitimité onusienne. Cette option aurait évité le drame que les Palestiniens continuent à vivre aujourd’hui.
  • Très tôt, avant tous les penseurs et chefs d’États arabes, il a compris que le meilleur moyen d’assurer l’invulnérabilité de son pays était d’avoir de bonnes relations avec l’Occident et surtout l’Amérique. Aussi, ne tarda-t-il pas à gagner leur amitié, à obtenir leur aide, tout en agissant avec eux en partenaire, d’égal à égal, sans leur concéder la moindre base militaire.
  • Estimant que l’URSS soutenait la guerre froide pour détourner l’attention de l’Occident sur les courants internes qui la minaient, il avait prévu son effondrement qui se réalisa en 1989.

La présidence de Bourguiba peut être scindée en deux périodes :
=> Au cours de la première période (1956 – 1969), cumulant les fonctions de Président de la République et de chef du gouvernement, il a réalisé ses principales réformes, inspirant les grands choix politiques et veillant à leur bonne réalisation. Il était le manitou de la Tunisie. Il considérait que sa mission ne consiste pas à suivre ses troupes mais à les conduire. En véritable chef, il ne se préoccupait pas de l’intendance qui devait naturellement suivre.

Le 13 août 1956, Bourguiba promulgua le code du statut personnel qui donnait à la femme des droits qu’aucun pays arabo-musulman n’a osé octroyer. Il a aboli la polygamie et la répudiation, il a règlementé le mariage, il a généralisé la mixité à tous les niveaux de l’enseignement et de la fonction publique et hissé la femme en citoyenne à part entière. Craignant que l’explosion démographique ne freine le développement du pays, il l’a convaincue de son intérêt à maîtriser les naissances.

Persuadé que la richesse d’un pays réside dans la valeur de ses hommes, il a scolarisé plus de 80% des enfants, affectant le tiers du budget à l’éducation. Il a encouragé la culture et les arts par lesquels toute communauté humaine s’identifie. Il a incité le peuple au travail sans lequel tout développement reste illusoire. Il s’est attaqué aux épidémies et a décrété les soins gratuits aux indigents, et j’en passe…
Des gauchistes de tous bords lui ont reproché de n’avoir pas appliqué la démocratie, passant sous silence le fait qu’il en avait minutieusement préparé les conditions car pour lui « le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule mais d’élever la foule au niveau de l’élite ».

Certains prétendent que « Bourguiba s’est toujours refusé à injecter graduellement la démocratie, même à doses homéopathiques ». Oublient-ils qu’il a été le premier, dans le monde arabe, à légaliser, en 1977, une Ligue des Droits de l’Homme et à autoriser la publication de journaux d’opposition, tels Erraï en langue arabe et Démocratie en langue française ? Oublient-ils l’ouverture politique de 1981 qui a malheureusement foiré pour les raisons que l’on connaît ? Pour émettre un jugement objectif sur l’action de cet homme, il est essentiel de se placer dans le contexte historique et géopolitique de l’époque. Au lendemain de l’Indépendance, c’était l’État national qui s’imposait. Il était beaucoup plus urgent de s’attaquer aux pesanteurs héritées des siècles obscurs, à la faiblesse de l’économie et à la tripolarité entre les citoyens, les campagnards et les nomades pour unifier le pays. Tout le monde arabe était dirigé par des militaires ou des monarques de droit divin et absolu. Même en Occident, dans le cadre de la guerre froide, les directives émanaient du sommet.

D’autres lui reprochent la guerre de Bizerte. Oublient-ils que Félix Gaillard, président du Conseil des ministres en France déclarait en 1957 : « Bizerte, c’est la France ».

Des religieux lui ont reproché d’avoir interprété l’Ijtihad d’une manière non conventionnelle et d’avoir remis en question le jeûne de Ramadan qui maintient le pays pendant un mois dans une quasi léthargie. Pour lui l’ennemi était la pauvreté, le sous-emploi et l’humiliation. Il s’efforçait de faire admettre que la Tunisie ne pouvait s’imposer dans le monde que par le travail et l’effort et que rester inactif dans l’attente de la rupture du jeûne ne répondait pas aux principes de la religion.
=> La tension continue pour mettre en œuvre sa stratégie de lutte et les efforts qu’il s’imposait pour construire l’État ajoutés à l’échec du système des coopératives survenu en 1969, aggravèrent son surmenage et ses insomnies. Mesurant le danger de la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme, aussi dévoué et expérimenté soit-il, il décida de limiter son rôle à celui de Président de la République. Il confia l’exécutif à un ministère responsable coiffé par un premier ministre, véritable chef du gouvernement, et fixa ses prérogatives à la nomination du premier ministre, au contrôle de la bonne marche du pays et à la désignation des membres du bureau politique parmi les élus du comité central du PSD.

Cette seconde période qui couvre les années 1970 à 1987 est peu connue et souvent mal interprétée. Certains se basant sur des ouï-dire parlent de sénilité, d’épisodes d’absences, de naufrage de la vieillesse et même de dépression nerveuse. Chedly Klibi, ministre-directeur de son cabinet de 1974 à 1976 rapporte : « après 1969, le pouvoir sera exercé au nom de Bourguiba par ses premiers ministres qui n’en réfèreront au chef de l’État que de loin en loin, souvent pour l’informer plus que pour le consulter. » Cette réalité vient d’être confirmé par sa petite fille Maryem en ces termes : « Si dictature il y avait, ce serait celle de son gouvernement. Le Premier ministre avait tous les pouvoirs, le régime était celui de Bourguiba mais la gouvernance, celle du Premier ministre. »
Est-il besoin d’indiquer qu’à partir de 1970, Bourguiba a été soumis à un traitement éprouvant et à une médication abusive à l’origine d’une maladie iatrogène ? En 1979, sa médication ayant été ajustée, Bourguiba reprit, avec les premiers ministres Mzali, Sfar et Ben Ali, une activité qui lui permit d’assurer les prérogatives qu’il s’était fixé en 1970 et de prodiguer ses conseils aux membres du gouvernement et du PSD. Nous avons assisté, l’âge et les effets thérapeutiques aidant, à une réduction progressive de ses discours improvisés et de son élan novateur. Mais ses facultés mentales n’étaient en rien affaiblies et sa vision stratégique n’avait pas changé. Sa requête du 2 février 1990 au Procureur général de la République à Monastir qui vient d’être publiée, treize ans après sa disparition, en constitue le meilleur témoignage.

De plus, du jour où Bourguiba a réduit ses prérogatives, les intrigues, les manœuvres se sont multipliées, aboutissant au jeudi noir en 1978, aux événements de Gafsa en 1980, à la crise du pain en 1984.
En 1986, un groupe se constituait autour de Zine Ben Ali, ministre de l’Intérieur, pour accaparer le pouvoir. Il comprenait, selon Mansour Skhiri, ancien gouverneur de Sousse et de Monastir, Hédi Baccouche, directeur du PSD, Abderrazak El Kéfi, ministre de l’Information, Abdelaziz Ben Dhia et le docteur Hamed El Karoui. Depuis, la désinformation devenait de règle. Le régime prenait des allures policières évidentes. Les étudiants de droite comme de gauche, accusés de terrorisme, perdaient leur sursis militaire et étaient appréhendés. Les partisans de la tendance islamique étaient persécutés. Comme les étudiants, ils étaient utilisés comme cartes pour imposer aux yeux du Président Zine Ben Ali comme l’homme indispensable au maintien de l’ordre.
Le 9 mars 1987 l’université était investie par la police qui commença à pénétrer à sa guise dans ses locaux, provoquant et maltraitant étudiants et enseignants.

Le 27 mars 1987, s’ouvrait à la caserne Bouchoucha au Bardo, le procès de 90 intégristes. À l’ouverture le premier ministre, Rachid Sfar, assurait que l’accusation apporterait la preuve de l’atteinte à la Sûreté de l’État. « La démonstration n’en a pas été probante » écrivaient les journalistes présents au procès. En effet, la suite des événements a montré que les deux seules personnes condamnées à mort et exécutées, Mahrez Boudegga et Boulbaba Dekhil, n’étaient pas ceux qui avaient posé les bombes dans les hôtels de Sousse et de Monastir le 2 août 1987. Mehrez Boudegga, électricien artificier avait déclaré à l’audience n’avoir aucun lien avec les intégristes et avait révélé que Fethi Maatoug lui avait demandé de préparer les bombes pour faire peur aux touristes qui se baignaient dans des tenues indécentes portant ainsi atteinte à la morale. Or, Fethi Maatoug, qui avait posé les bombes, avait fui en Italie avec la complicité d’un policier et le commanditaire de l’attentat, Abdelmajid Mili, était en fuite.

Parmi les dirigeants du Mouvement de la Tendance Islamique (MTI) aujourd’hui au pouvoir, certains étaient condamnés par contumace, alors qu’ils séjournaient dans la banlieue de Tunis, dans une clandestinité qui était loin d’être opaque puisqu’ils étaient contactés par des journalistes français auxquels ils accordaient des interviews.

Ce procès intenté à la demande de Zine Ben Ali avec le soutien de Rachid Sfar se révéla une véritable mascarade. Il eût des effets négatifs sur le sérieux du régime et la popularité du Président accusé de chercher à « faire tomber des têtes ».

Le ministre de la Défense, Slahedine Baly, qui pourtant était le seul à disposer des moyens pour arrêter la conspiration, ne tarda pas à tremper dans le complot comme en témoigne le colonel Béchir Ben Aïssa, ancien directeur fondateur de l’Institut de la Défense nationale, dans ses révélations publiées le 26 mars 2011.
Le vendredi 2 octobre 1987, Bourguiba remplaça Rachid Sfar par l’homme au double visage, à ses yeux fidèle et loyal, capable de déjouer les complots, son ministre de l’Intérieur. Prudent, il éloigna le même jour Abdelaziz Ben Dhia de la direction du PSD pour confier le poste à Mahjoub Ben Ali, résistant de la première heure. Mais une campagne de dénigrement contre ce dernier, menée par le nouveau premier ministre et sa complice Saïda Sassi, nièce du Président, finit par porter ses fruits : le 17 octobre, il le remplaça par le Dr Hamed El Karoui vanté par Saïda Sassi pour sa loyauté au parti et sa fidélité à Bourguiba. C’était le point de non retour. Zine Ben Ali et son groupe détenaient maintenant tous les rouages du gouvernement et du Parti. Trois semaines plus tard, Zine Ben Ali s’octroyait le pouvoir suprême.

Et revient sans cesse la question cruciale : pourquoi Bourguiba a-t-il choisi Zine Ben Ali comme premier ministre ? Le choix d’un militaire par Bourguiba – qui estimait pourtant que les militaires doivent rester dans leur caserne – paraît paradoxal et inexplicable. Pour certains il témoigne de l’affaiblissement des facultés mentales de Bourguiba. Or, il est important de rappeler que Bourguiba a connu Zine Ben Ali à partir de décembre 1977, lorsque Abdallah Farhat lui avait fait abandonner la carrière militaire pour le charger de la Sécurité nationale. D’autre part, deux événements montés de toutes pièces ont joué un rôle majeur dans le choix de Bourguiba.
Le premier est la proclamation de la liste des membres du Comité central au congrès du PSD de mai 1986, dans laquelle Zine Ben Ali s’est octroyé la 4ème place. Bourguiba n’avait pas été informé que cette liste n’était pas le résultat d’une élection comme le voulait la tradition du Parti, mais qu’elle avait été établie à l’avance et présentée aux 1 200 congressistes qui l’avaient adoptée par acclamation. Bourguiba y a vu une preuve de confiance des cadres du parti en Ben Ali.

Le 2ème événement est l’hommage solennel, inédit dans les traditions de l’Assemblée nationale, rendu à Zine Ben Ali le 4 avril 1987 par l’ensemble des députés de la Nation.

Le président pouvait-il ne pas être sensible à ces deux témoignages émanant des délégués du congrès du parti et des députés de la Nation en faveur de l’homme qu’on lui présentait comme étant à même de protéger le pays contre tous les périls ?

Bourguiba pouvait-il s’imaginer que les principaux responsables de son gouvernement et de son parti étaient à l’origine de la conspiration ? Sa conviction morale l’en empêchait. En effet, s’il est vrai que la politique et la morale sont deux choses différentes, il n’en est pas moins vrai comme le disait l’écrivain et penseur français André Malraux que « L’on ne fait pas de politique avec la morale, mais on n’en fait pas davantage sans ».
Puis ce fut une résidence surveillée et un isolement indignes. Et le temps passait, consacré à la lecture et à la méditation sur son destin et sur la Tunisie, entrecoupées des rares visites autorisées qui lui apportaient un peu de réconfort et de chaleur. Il revivait son passé dans cette villa de Monastir hermétiquement clôturée dans laquelle il ne pouvait contempler que le jardin verdoyant et le ciel bleu et pur qui reflétait son âme.
Mais l’histoire n’a pas dit son dernier mot.

 Amor Chadli

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2 Commentaires
Les Commentaires
khlifi - 21-04-2013 14:35

Je vous remercie pour votre précieux témoignage qui complète votre ouvrage « Bourguiba tel que je l’ai connu ».Oui certains de nos jeunes « historiens », de bonne ou de mauvaise foi ont porté des jugements ou des faits inexacts parce que sortis de leur contexte ou puisés dans les « on dit ». Oui vous avez raison de dire que « l’histoire n’a pas encore dit son dernier mot ».Personnellement je vous crois beaucoup plus que d’autres parce que vous avez eu le privilège de côtoyer, quasi quotidiennement Bourguiba, et vous n’avez aucun intérêt à falsifier l’histoire. Dans votre précieux témoignage vous avez cité des noms qui nous sont parus, jusqu’à la parution de votre ouvrage et dans votre article, loin de tout soupçon dans l’usurpation du Pouvoir par Ben Ali. Ceux et celles qui sont morts, que la Paix soit sur leur âme et Dieu leur pardonne leur infamie. Mais pour les vivants qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ?Ces personnalités doivent prendre leur courage à deux mains, présenter leurs arguments contre ces graves accusations et s’excuser devant le peuple pour avoir tremper dans ce sordide complot. La justice transitionnelle se doit d’ouvrir ce dossier pour que le citoyen recouvre enfin sa paix intérieure. Quant à vous, si Amor chedly et si Chelli (chargé de la garde personnelle de Bourguiba ) vous n’avez pas eu assez de courage pour entretenir Bourguiba de ce qui se tramait dans l’ombre et l’histoire ne vous le pardonnera pas. L’histoire aussi, ne nous pardonnera pas tous d’avoir laissé Bourguiba croupir dans sa résidence surveillée.

tounesnalbaya - 28-04-2013 23:58

Quelle bonne nouvelle Monsieur B.C.E. présente sa candidature pour la présidence de la république

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