Opinions - 15.04.2012

Comment l'économie islamique peut bénéficier à la Tunisie

Simple phénomène de mode soutenu avec la montée islamique ou réelle opportunité : que peut apporter l’économie islamique à la Tunisie ? Dans un rapport corédigé en 2008 avec Olivier Pastré, à la demande de Christine Lagarde, alors ministre des Finances, Elyès Jouini avait alors démontré comment la place de Paris, à elle seule, peut capter plus de 100 milliards d’euros, en favorisant le développement d’un dispositif de finance islamique.

La Tunisie, qui y a pris un net retard, essaie à présent de se rattraper, élargissant le rayon d’action à l’ensemble de l’économie islamique. Déclarations officielles du gouvernement, colloques et autres initiatives se multiplient. Pour contribuer au processus, une association est née : l’Association tunisienne de l’économie islamique (ASTECIS), et vient de tenir, fin février dernier, coup sur coup, un forum dédié et un séminaire sur l’awkaf. L’un de ses cofondateurs et président de sa section de Tunis, Zouheir Tamboura, ingénieur centralien, DGA d’ATL (Leasing) nous en dit plus. Créée en octobre dernier, l’ASTECIS vise principalement la vulgarisation des notions fondamentales de la doctrine économique islamique, dans l’optique d’en construire un système économique complet et intégré. Elle s’appuie pour ce faire sur un réseau de compétences reconnues tant à l’échelle nationale, régionale qu’internationales. Actuellement, l’association est composée de deux sections, l’une à Tunis et la seconde à Sfax.

Deux rencontres ont pu être organisées, à savoir:
• le Premier Forum tunisien de l’économie islamique, organisé le 27 février 2012 en collaboration avec l’Institut Islamique de recherches et de formation et la Banque islamique de développement (BID). Cet évènement majeur, marqué par la présence de Cheikh Salah Kamel, président du Groupe Al Baraka, et de Dr Ahmed Mohamed Ali, président du Groupe de la BID, a été consacré à présenter, outre les fondements de l’économie islamique, les fonds d’investissement islamiques et les sukuk. Il a bénéficié de la présence de plus de 800 participants— membres du gouvernement, dirigeants de banques, de compagnies d’assurances, intermédiaires en bourse, universitaires, hommes d’affaires— et a connu un franc succès.
• Un séminaire portant sur les expériences des Awquaf et les horizons pour la Tunisie (Tunis, les 28 et 29 février 2012), en collaboration avec l’Institut islamique de recherches et de formation, la BID, le secrétariat général des Awqaf du Koweït et l’Université Zitouna. Y ont notamment pris part, Dr Ahmed Mohamed Ali, Dr Abdelmohsen Al Khurafi, secrétaire général des Awqaf du Koweït, et Dr Foued Al Omar, président de Khalij Commercial Bank. A caractère scientifique, il a offert l’occasion de découvrir l’expérience de plusieurs pays en matière d’Elwakf et des possibilités d’en tirer les enseignements nécessaires.

Quelles sont les caractéristiques de l’économie islamique ?

Il est important de signaler qu’il s’agit avant tout d’une doctrine économique qui, comme toutes les autres doctrines (capitalisme, communisme, socialisme…), a sa propre philosophie, ses propres principes, sa propre chaîne de valeurs, ses propres mécanismes et ses propres institutions. C’est ainsi qu’on se réfère à des principes tels que la participation aux pertes et aux profits, l’adossement à l’économie réelle, l’interdiction de l’usure (le riba), du risque excessif (algharar), de la spéculation (Al Ihtikar). Aussi la finance islamique se distingue par la tangibilité de l’actif financé :
On entend par tangibilité de l’actif une opération qui doit être obligatoirement adossée à un actif tangible, réel, matériel et surtout détenu. Toute transaction financière doit être sous-tendue par un actif tangible et identifiable. Il faut aussi noter que la finance islamique ne finance pas certains secteurs illicites :
• L’industrie de l’alcool et du vin
• L’industrie des jeux de hasard
• L’industrie d’alimentation non licite
En résumé, les produits bancaires islamiques respectent quatre règles, à savoir: le partage de risque, la matérialité des échanges, l’absence de pénalité de retards de remboursement et le non- financement des transactions interdites par la Charia. Les institutions de l’économie islamiques sont les institutions financières : les banques islamiques, les compagnies d’assurances islamiques ou «Takafou», les fonds d’investissement islamiques, les émetteurs de « Sukuk » (l’équivalent islamique des obligations) et les institutions non financières, qui sont essentiellement les institutions de « Al Waqf » et les institutions de « Zakat ». Le système doit être doté d’organes de contrôle et de régulation. Il est utile de signaler que la finance islamique fait partie des finances éthiques et des investissements socialement responsables (ISR). En effet, la finance islamique a pour finalité d’améliorer la condition de l’homme, d’établir l’équité sociale, de prévenir l’injustice dans les échanges commerciaux et d’assurer le respect mutuel.

On comprend que la finance islamique est une composante essentielle de l’économie islamique, mais elle est beaucoup plus récente ?

Absolument, l’économie islamique est aussi ancienne que l’islam alors que l’âge de la finance islamique ne dépasse pas un demi-siècle. En effet, la création de la 1ère banque islamique remonte à 1963, année de la naissance des principes financiers islamiques en Egypte. La Mit Ghamr Saving Bank proposait des comptes épargne basés sur le partage des bénéfices et non des produits.

A l’heure actuelle, quelle est la place de la finance islamique dans le monde ?

En 2007, le volume des actifs financiers islamiques était estimé à un peu plus de 150 milliards de dollars. Aujourd’hui, il a dépassé les 700 milliards de dollars, dont près de 300 milliards d’actifs gérés par les banques islamiques et plus de 400 milliards d’investissements financiers.
Entre 2000 et 2007, le taux de croissance des actifs islamiques, qui se situe entre 15 et 23% selon le secteur d’activité, est, dans la plupart des métiers, nettement plus élevé que celui des activités financières traditionnelles. Par ailleurs, fait marquant quoiqu’exceptionnel, dans des pays comme le Royaume-Uni, les actifs islamiques ont continué à croître malgré la sévérité de la crise des subprimes.

Concrètement, que peut apporter l’économie islamique à la Tunisie ?

L’économie islamique pourrait apporter des solutions pour la Tunisie, mais on ne prétend pas qu’il s’agit de la seule solution ou de la clé à tous les problèmes. A travers ses institutions financières, l’économie islamique pourrait mobiliser beaucoup de ressources internes et externes : du petit épargnant privilégiant ce système compatible avec ses convictions, à l’agent économique excédentaire recherchant un investissement plus rentable que le placement monétaire classique, à l’investisseur étranger cherchant à investir en mode charia compliant. Elle peut apporter un cadre adéquat au financement des projets d’infrastructure et mégaprojets à travers les émissions de sukuk. A travers ses institutions non financières, à savoir Alawqaf et Zakat, l’économie islamique pourrait contribuer au financement du déficit budgétaire, et à soutenir les efforts de l’Etat pour la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des conditions de vie dans les régions les plus défavorisées, le financement des biens d’utilité publique… Toutefois, cela ne pourrait être le cas que si on mettait en place et dans les meilleurs délais un cadre réglementaire approprié régissant toutes ces activités.

Où en est la préparation de ce cadre juridique ?

A ma connaissance, la préparation du cadre juridique régissant la finance islamique avance bien. Il y a eu la constitution au sein du ministère des Finance d‘un comité de pilotage et de 7 sous-commissions qui vont traiter l’aspect technique (volet normatif, aspect réglementaire et fiscal, fonds d’investissement, Takafoul, Awqaf et Zaket…) avec la participation d’experts et de représentants des différents ministères concernés. J’espère que les travaux de ces commissions déboucheront rapidement sur un cadre réglementaire, tenant compte des spécificités de la Tunisie, et de l’expérience des pays qui nous ont précédés en la matière.

Z.T.

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