Opinions - 12.03.2011

De l'Importance de la « Transition »

L’objectif et le calendrier que nous avons proposés le 30 janvier 2011 dans « Jeune Afrique » et le journal « La Presse » le 27 février ont reçu le 3 mars un écho favorable et un début d’exécution. En effet, le Président provisoire de la République, ayant fini par reconnaître le caractère inapplicable de la constitution, a annoncé son maintien en fonctions au-delà de la date « constitutionnelle » du 15 mars et proclamé sa décision de convoquer le corps électoral le 24 juillet 2011 en vue d’élire une Assemblée constituante. Il a en même temps édicté une organisation des pouvoirs publics comprenant le Président « provisoire » et le gouvernement tous deux provisoires. Il a enfin confié la direction du gouvernement à un nouveau premier Ministre, M. Béji Caïd Essebsi, 85 ans, ayant exercé de nombreuses fonctions comme Ministre « Souverain » à la Défense, à l’Intérieur et aux Affaires Etrangères après avoir été Directeur Général de la Sûreté Nationale, Ambassadeur et Député, ayant donc la sagesse, l’expérience et la compétence nécessaire pour réussir une transition difficile.

Transition difficile étant donné les problèmes à résoudre. D’abord, elle risque de durer après le 24 juillet si on ne fixe pas un délai pour la promulgation de la nouvelle constitution. On ne peut pas, comme pour celle qui a suivi l’indépendance, envisager qu’elle dure des années. Si l’Assemblée Constituante se réunit au lendemain du 24 juillet 2011, elle doit achever son travail au plus tard avant la fin de l’année. Dans le cas contraire, le pays continuera de vivre dans le « transitoire » avec le risque d’incertitude et de flottement préjudiciables à l’expansion économique et à la stabilité sociale. Il faut donc fixer un délai obligatoire pour la promulgation de la nouvelle constitution.

En second lieu et afin que l’on ne se trouve pas le 24 juillet à chercher une solution pour un « gouvernement » encore transitoire, il faut, en même temps que la convocation des électeurs et l’établissement de la nouvelle loi électorale, prévoir comment on organisera le « gouvernement » pour l'après 24 juillet. Sinon, il y aura encore flottement et perturbation, ce qui n’est pas du tout souhaitable. Il nous semble que la meilleure solution serait de convenir d’un commun accord que l’Assemblée Constituante sera également une Assemblée législative et politique. Le pays aura ainsi un « législateur », ne pouvant continuer à être gouvernée par décret-loi et  aussi un « gouvernement » représentatif, émanant d’élections libres. Ce gouvernement aura donc la légitimité et la crédibilité nécessaires pour travailler dans la durée, le « transitoire » ayant pris fin et pouvant également faire face à tous les grands problèmes du pays, principalement dans le domaine économique et social qui n’ont pas pu être abordés durant la période transitoire. On évitera ainsi d’avoir, après l’établissement de la constitution, à convoquer de nouveau les électeurs pour élire une assemblée législative à qui on demandera de former un gouvernement non transitoire. Deux élections générales qui vont se suivre en peu de temps, cela ne peut que perturber le pays.

En revanche, il serait souhaitable, pour ne pas avoir à déranger trop souvent les électeurs, d’organiser des élections municipales en même temps que les élections de l’Assemblée Constituante. Les Conseils municipaux actuels ne sont plus représentatifs et ne pourront que « traîner » : il faut les renouveler. Ce serait salutaire.

Il restera à trancher le problème de la désignation du Président de la République qui doit remplacer le Président provisoire. Deux solutions sont possibles. La première, la moins bonne, consiste à ce que l’Assemblée Constituante législative et politique désigne un Président de la République devant exercer cette fonction jusqu’à la promulgation de la constitution ou, ce qui est plus adapté aux circonstances, charger le Président de la nouvelle assemblée élue d’assurer les fonctions de Président de la République jusqu’à l’élection de ce Président conformément aux dispositions de la nouvelle constitution. Cela ne présente pas d’inconvénient majeur, le gouvernement n’ayant plus le caractère provisoire et devant se mettre au travail dès le lendemain du 24 juillet sans connaître de nouvelles fragilités.

Encore faut-il et c’est là le problème majeur, que l’élection aboutisse à une composition de l’Assemblée permettant de dégager une majorité cohérente, suffisante et stable pour constituer un gouvernement homogène et efficace pouvant faire face à la tâche énorme qui l’attend.

Or depuis que la Révolution a libéré les initiatives, on voit se constituer de nombreux partis politiques, ce qui peut satisfaire les ambitions des uns et les espoirs des autres mais qui ne permet pas d’aboutir à un gouvernement fiable. Il est souhaitable et même nécessaire que ces partis se rapprochent et se constituent en trois ou quatre groupements, alliance ou fusions, correspondant aux tendances traditionnelles de la vie politique. Il faut que la loi électorale incite à un tel regroupement. On peut, comme dans nombre de pays démocratiques, pour éviter la dispersion et l’émiettement, n’accorder de sièges au Parlement que pour les candidatures ayant recueilli 5% ou plus du nombre des votants. On peut trouver également d’autres modalités pour éviter la dispersion comme le nombre d’adhérents, l’ancienneté etc… A cet effet le scrutin uninominal, au sein de circonscriptions réduites permet, grâce au second tour, des alliances et des reports de voix permettant l’émergence de majorités fiables. Il a aussi le mérite de permettre à des « personnalités » d’émerger alors que le scrutin de liste permet aux bureaucraties des partis politiques d’étouffer de telles personnalités, celles-ci n’ayant plus d’importance, l’électeur étant appelé à voter pour un parti et non pour une personne. Il est vrai que ce scrutin risque de permettre à des personnages peu scrupuleux de manipuler les électeurs et il faut donc une surveillance sévère pour que la transparence puisse être préservée. Il est néanmoins préférable au scrutin de liste étant de nature à éviter une discussion, qui a été toujours difficile, entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel et la définition du dosage entre les deux modes de scrutin. En outre le scrutin uninominal oblige les partis à mieux sélectionner leurs candidats et à adopter des personnalités, ce qui ne peut qu’élever le niveau de l’Assemblée.

Enfin, le gouvernement transitoire, dirigé par une personnalité indépendante et respectée doit, à notre sens, se manifester dans ce domaine en intensifiant son action pour inviter les partis concernés à préparer ces élections si importantes en se regroupant et en donnant plus de crédibilité à leur action pour ne pas décourager les citoyens et discréditer la « politique ». Il ne faut pas que l’élection du 24 juillet aboutisse à une Assemblée « ingouvernable », disparate, incapable de dégager en son sein une majorité de gouvernement, majorité nécessaire quelle que soit la nature du système gouvernemental. L’action à entreprendre avant le 24 juillet est très importante pour réussir ce qui doit être entrepris après cette date. L’objectif ne se limite donc pas à élire une Assemblée mais également à doter la Tunisie d’un gouvernement représentatif, capable d’affronter tous les problèmes concernant un développement économique et social plus vigoureux et plus harmonieux.

Mansour Moalla

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6 Commentaires
Les Commentaires
Moncef Guen - 14-03-2011 03:05

Comme d'habitude, Mansour, qui anticipe toujours les evenements, avec sa lucidite et sa perspicacite, prepare l'apres 24 juillet. Je pense que nombreux seront ceux qui partagent avec lui le souci de reduire au minimum ce provisoire qui dure depuis le 14 janvier. Moi-meme, j'ai insiste dans un article en ligne de Jeune Afrique " la Revolution en danger" sur ce point important. Il serait donc souhaitable que la prochaine constituante soit aussi legislative et que le gouvernemnt qui en serait issu soit aussi durable que possible. La ou je differe c'est sur le scrutin uninominal "pour faire emerger des personnalites'. Je souhaite pour ma part que le prochain code electoral favorise des programmes et l'expression des grands courants fondamnentaux. On devrait elire sur la base de programmes clairs exprimes dans des cadres politiques organises. Sinon la future assemblee sera une tour de Babel. Deja nous constatons que chacun se gratte la tete eet cree un parti. Ces partis deja depassent la trentaine et iront en s'accroissant. Les coalitions entre eux ne seront pas faciles et subordineront le prochain gouvernemnt a des incertitudes pouvant mener a l'inaction. Or, nous avons besoin d'un gouvernemnt solide exprimant la volonte du peuple de reformer tout le systeme politique, economique, social et judiciaire. Des decennies de repression, de corruption et d'injustice ne seront pas aisement reparees par des compromis entre "personnalites". Moncef Guen

Labed monia - 16-03-2011 09:05

très juste et à bien considérer!

Alexander Schwarz - 17-03-2011 13:55

Une telle feuille de route est un chemin à suivre qui mènera la Tunisie vers des nouveaux horizons!

Najet Karaborni - 17-03-2011 14:55

Bravo Si Mansour, toujours clairvoyant.. Je partage votre point de vue et le soutiens. Mais pourquoi vous ne faites pas partie de la haute commission? Car l''essentiel c'est garantir la representativite des causes justes qui offrent le bien /mieux etre pour tous et toutes ainsi que la dignite et la paix durables et inebranlables

TRIGUI - 17-03-2011 22:26

Mr Moalla , vous presentez une analyse formidable, methodique et importante. je pense que le scrutin uninominal est meilleur car il permet de degager une assemblee plus representative et ameliorer le niveau de ces representants.

Mohamed Salah Hmaidi - 18-03-2011 11:49

Je partage les soucis de Mr. Moalla quant à l'urgence pour le pays de sortir de la période transitoire où le gouvernement ne peut qu'expédier les affaires courantes et où les acteurs économiques campent dans un attentisme préjudiciable à l'économie du pays déjà très éprouvée par le chômage chronique et additionnel, la destruction d'une partie non négligeable de l'appareil de production, la baisse de l'investissement et de la demande extérieure, en plus du fait que le vide de la légitimité constitutionnelle doit être comblé le plus rapidement possible. Néanmoins, je ne suis pas sûr que la date du 24 juillet 2011 fixée pour l' élection de l'Assemblée Constituante soit réaliste. Plusieurs experts tunisiens et étrangers dans ce domaine estiment que le pays ne sera prêt en terme de logistique et de conditions adéquates pour des élections libres, démocratiques, transparentes et sûres que vers septembre octobre, voire novembre 2011. Mais là où je diffère avec Mr; Moalla, c'est surtout au niveau des pouvoirs à conférer à l'Assemblée Constituante qui sera issue de ces élections. Autant je je me joints à lui en ce qui concerne la nécessite d'investir cette assemblée, en sus de son pouvoir constituant, d'un pouvoir législatif durant la période d'élaboration de la nouvelle Constitution, autant je ne vois pas la pertinence de lui conserver ce pouvoir, même après l'adoption de la nouvelle constitution, pour toute une législature (de 4 ou 5 ans), sous prétexte de "ne pas trop déranger les électeurs". L'enjeu est très grand. D'abord, la Constituante - quels que soient les gardes-fous qui seront pris pour qu'elle soit la plus représentative possible du paysage politique actuel - ne pourra servir de Législateur sur le moyen et le long terme de la nouvelle Tunisie où l'exercice de la vie politique s'apprend tous les jours à une vitesse vertigineuse et dont la maturation à la date de la proclamation de la nouvelle Constitution sera beaucoup plus élevée que celle du jour des élections de la Constituante. Ensuite, l'élection de la Constituante se fera sur la base d'un texte électoral spécial succin et même expéditif pris par décret-loi juste pour les besoins de la cause, alors que le nouveau Parlement (monocaméral ou bicaméral) devra être élu sur la base d'un nouveau code électoral en bonne et due forme (voté par la Constituante en vertu de son pouvoir législatif provisoire). Le même raisonnement vaut pour l'élection des conseils municipaux. Je termine, enfin, par exprimer ma déception, à l'instar de Mme Najet Karaborni dont le commentaire est publié ici même, de ne pas voir un homme de la stature de Mr. Moalla ne pas faire partie de la Haute Instance de la Réalisation des objectifs de la Révolution, de la Réforme politique et de la Transition démocratique

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