Notes & Docs - 18.02.2010

TIC pour l'éducation: Nouvelles ressources et nouvelles pratiques

L’Equipe de Recherche en Civilisation et en Littérature de Sfax, Ercilis, entre en sa deuxième décennie avec un horizon se voulant plus élargi. Depuis sa fondation, cette unité s’est engagée dans un processus d'innovation continue en vue d’un pilotage optimal de ses compétences au service de son objectif capital qui est la recherche scientifique. Or, aujourd’hui,  ce n’est plus, en effet,  uniquement la recherche elle-même – son souci majeur lors de son envol, il y a dix ans – qui préoccupe les membres de cette unité et sa directrice, Mme Hédia Habaieb Abdelkéfi, mais également ses enjeux et son avenir.

Constamment soucieuse de soutenir les priorités nationales en matière d’enseignement et de recherche et de se conformer aux modalités de sa modernisation, cette équipe n’a cessé d’œuvrer afin de garantir à ses membres enseignants-chercheurs et en particulier à ses doctorants, les données du savoir-faire grâce à son inscription dans la démarche qualité initiée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Technologie privilégiant cette fois la communication et les relations informationnelles.
   
Témoignant bien de cette stratégie de travail, les publications ainsi que les diverses  activités scientifiques organisées avec des partenaires locaux et étrangers s'inscrivent justement dans la volonté affirmée de cette unité de s'ouvrir à la recherche dans sa dimension pluridisciplinaire et transdisciplinaire.
 
Le dernier séminaire qu’elle a organisé le 13 et le 14 décembre 2009 autour des « Technologies de l’Information et de la Communication pour l’éducation : nouvelles ressources et nouvelles pratiques », est révélateur du genre de réflexion mené au sein de cette équipe et de la conscience de ses membres des vertus de l’apport de la technologie dans l’œuvre de modernisation de la recherche scientifique. Il n’en reste pas moins que cette initiative pilotée par l’Ercilis lui permet de se positionner comme acteur majeur d’une réflexion nationale sur cette question.
   
Organisées sous le patronage de l’Université de Sfax, ces deux journées ont réuni de nombreux enseignants-chercheurs des universités de Sfax et de Sousse autour de deux grands spécialistes de renommée internationale : M. Moktar Ben Henda et M. Henri Hudrisier. Voici la synthèse des travaux élaborée par leurs auteurs.

M. MOKHTAR BEN HENDA: La modernisation par les normes

    
«Il est question de sensibiliser les enseignants-chercheurs à leurs rôles d'acteurs directs dans la modernisation de l’enseignement par l'appropriation de nouvelle norme d'organisation des contenus pédagogiques. Trois procédures clés marquent cette modernisation par les normes:

  1. Première procédure : les métadonnées pédagogiques et leur harmonisation. Toute production de ressources numériques est aujourd'hui soumise à un acte de référencement par métadonnées. Il s'agit de décrire les ressources (supports de cours) par des éléments de description qui contribuent à leur identification sur les réseaux et à faciliter leur restitution. La normalisation intervient sur ce point en proposant des modèles homogènes de descriptions des ressources pédagogiques. Il s'agit en réalité d'une activité de documentalistes, mais avec l'explosion de la masse documentaire, et surtout la complexification de la structure composite des documents numériques, le producteur des ressources est de plus en plus impliqué pour fournir une partie de cette description, particulièrement celle associée à la sémantique des contenus. L'un de ces modèles de référencement les plus cités dans le monde de l’éducation est sans doute le modèle LOM (Learning Object Metadata).
  2. Deuxième procédure : l'organisation des contenus pédagogiques. Dans un contexte éducatif mondialement marqué par une introduction massive de l'informatique et des télécommunications, l'enseignement a, de plus en plus, recours à des dispositifs pédagogiques en réseaux. Les principes de l'interopérabilité des systèmes éducatifs, de la mutualisation des ressources et de la réutilisation des moyens, deviennent ainsi des critères de qualité des offres de formation. Les réservoirs d'objets pédagogiques connaissent, dès lors, une prolifération de plus en plus importante s’inspirant du modèle parallèle des archives ouvertes. Ceci est en train de donner lieu à une nouvelle dynamique de partage et de mutualisation des ressources entre les acteurs de la formation en ligne. L'un des critères ayant facilité le partage des ressources pédagogiques est sans doute le principe de la granularité. En effet, la structuration des contenus pédagogiques en petites unités sémantiques (grains) permet la construction/déconstruction des contenus de formation selon des affinités pédagogiques définies pour chaque cours. Le modèle SCORM (Sharable Content Object Reference Model) est présenté comme une référence en la matière. C’est le modèle précurseur adopté par beaucoup d’acteurs dans des domaines stratégiques comme la défense et l’aviation et que le monde académique et le secteur privé se sont appropriés ensuite.
  3. Troisième procédure : les vocabulaires de description. Les métadonnées qui décrivent les ressources pédagogiques sont structurées selon des modèles de référence ou schémas de métadonnées (l’exemple du LOM). Il s'agit d'un ensemble d’éléments de description dont le contenu est renseigné par des valeurs de sens définies selon plusieurs méthodes. Des valeurs ponctuelles comme les noms des auteurs, les noms des éditeurs ou les dates de publication sont des valeurs libres et non contrôlées. Par contre, quand il s’agit de saisir des valeurs traduisant des champs disciplinaires ou des valeurs sémantiques, la science à balisé depuis longtemps beaucoup de ses champs sémantiques par des terminologies contrôlées qui prennent plusieurs types.

On les appelle des « lexiques », des « taxonomies », des « tables de vedettes matières », des « thésaurus », des « ontologies » etc. constitués sous forme de listes de vocabulaires prédéfinis et souvent structurés selon des liens hiérarchiques de sens (synonymie, homonymie etc.). Leur objectif est d’harmoniser la description des ressources pour optimiser leur recherche et restitution. Les vocabulaires sont souvent constitués selon un ensemble de règles et de procédures normalisées qui veillent à l’interopérabilité des systèmes d’information qui les appliquent. Il était question dans la présentation faite à l’Ercilis d'identifier les typologies des outils terminologiques et de décrire les mécanismes employés pour la création des vocabulaires normalisés.

Le modèle TMF (Terminological Markup Framework) a été présenté comme modèle normatif largement adopté pour construire des vocabulaires normalisés multilingues. Le défi actuel des acteurs du contenu sur les réseaux mondiaux est d’appuyer la progression lente qui se met en place vers la construction des ontologies multilingues et multidisciplinaires, nécessaires à la construction des réseaux sémantiques et la médiation du savoir. La construction de vocabulaires normalisés est à la base de cet édifice prometteur qu’est le Web 3.0 ».

M. HENRI HUDRISSIER: La TEI un gage de qualité dans l’enseignement supérieur

«La TEI, que l’on pourrait traduire par groupe d’initiative pour l’encodage normalisé des textes, est un standard de balisage, de notation et d’échange de textes électroniques. Elle est fondée sur l’utilisation systématique de  langages balisés (Markup Language comme le XML) spécialement aménagés pour permettre la pose virtuelle de signets (marques page) dûment documentés. Ce pourrait être aussi une sorte de « surligneur électronique magique » capable au fil de la lecture d’un texte (littéraire mais aussi professionnel) de souligner les idées principales, de les étiqueter, de les indexer et donc de pouvoir les rappeler à la demande, de les comparer, de les cumuler, etc.
    
La TEI n’est pas seulement un cadre logiciel. Au sens anglais d’ « initiatives », elle est un « groupe », en l’occurrence un « collège mondial de chercheurs ». Elle a vu le jour lors d’une conférence tenue au Collège Vassar à Poughkeepsie (New York) en novembre 1987. Environ trente représentants venant des domaines de l'archivistique, des sciences humaines, de la littérature et de la recherche universitaire ont reconnu non seulement l'intérêt, mais la nécessité d'une normalisation pour l'encodage et l'échange des textes. Leurs discussions ont mené à des recommandations (en fait des spécifications techniques développées sous forme d’un cadre logiciel).
    
Les études littéraires sont considérées par beaucoup trop de monde comme une « science molle », difficilement comparables aux sciences expérimentales dans lesquelles l’analyse expérimentale est reproductible, cumulable, transmissible à la communauté toute entière d’une discipline. Aujourd’hui, cette opinion commune est fausse. Des études réalisées en TEI sont précisément cumulables et reproductibles. Non seulement le chercheur peut cumuler, lecture après lecture, les surlignages les plus complexes qu’il a pu réaliser, mais il peut les reconfigurer, ajouter des paramètres, en supprimer d’autres, en bref paramétrer les conditions expérimentales de son analyse littéraire. Des chercheurs travaillant sur les mêmes textes selon des facettes d’analyse distinctes peuvent se transmettre directement (électroniquement) les résultats de leurs critiques et commentaires d’un texte (ou ensemble de textes). 

Chaque chercheur n’est pas obligé de lire in extenso les chapitres d’ouvrages ou d’articles scientifiques spécialisés pour disposer des informations contextualisées sur l’auteur et les textes qu’il étudie.  La TEI ne les dispense pas pour autant de lire ces ouvrages de recherche ou de référence. Bien au contraire. Soit, cela les pousse à intégrer sous forme de balisage TEI des résultats découverts par d’autres chercheurs, soit, cela leur permet d’accéder directement à des résultats d’études, de structuration narratives, d’études poétiques ou stylistiques qui sont directement « accrochés aux textes », eux-mêmes aménagés en bibliothèques numériques normalisées selon le même principe (mais beaucoup plus sophistiqué) que ce qui peut se voir avec la fonction « commentaire » que l’on peut trouver dans le menu « insertion » de Microsoft Word.
  
Les deux domaines les plus démonstratifs de la TEI sont les études poétiques (TEIverse en est l’outil spécialisé) et les études théâtrales (TEIdrama). En effet ce sont des domaines dans lesquels (surtout pour la poésie) le fond et la forme du texte ont beaucoup de correspondance.

Mais il existe plus d’une dizaine d’outils spécifiques intégrés à la TEI : TEIprose, TEIspeech (pour l’analyse des transcription orales), TEIdictonaries, TEIterminology, TEIlinking (pour aligner, par exemple mettre en parallèle des textes multilingues), TEIfigures (pour le traitement des figures et illustrations), TEIanalysis (pour gérer des analyses linguistiques ou stylistiques : très utile en études littéraires), TEIcertainty (noter la certitude ou incertitude d’une information), TEItranscr (pour la transcription d’une source primaire, par exemple un manuscrit), TEInames.dates (pour baliser les noms et les dates : on envisage ainsi l’étude d’un journal d’écrivain ou de mémoires même si ce journal est écrit par plusieurs auteurs).
  
Quand on jette un coup d'oeil sur un court extrait de la liste des grands organismes de recherches qui ont fondé la TEI, puis de ceux qui les ont rejoints depuis, on comprend rapidement l’enjeu de modernisation que cela représente : Association for Computational Linguistics (ACL), Association for Literary and Linguistic Computing (ALLC), Association for Computing and the Humanities (ACH), Women Writers Project, Center for Electronic Texts in the Humanities (CETH), The Oxford Text Archive (OTA), American Verse Project, Electronic Text Center - University of Virginia Library (ETC), Silfide Loria (Nancy), TEI.fr.
  
La TEI n’est pas seulement un enjeu pédagogique, scientifique, culturel ou littéraire. C’est aussi un enjeu pour que les étudiants informaticiens s’associent de façon interdisciplinaire sur des projets techniques et linguistiques (TAO, terminotique), mais aussi des projets industriels (il existe quantité de ressources documentaires industrielles, environnementales, sécuritaires… traitées selon la TEI). C’est aussi une nécessité d’appropriation de l’informatique et surtout du multimédia (d’année en année il est de moins en moins nécessaire d’être informaticien pour se servir des outils informatiques) par les étudiants en Lettres qui pourront ainsi affronter les enjeux de la mondialisation numérique. La TEI est en effet particulièrement pertinente pour la traduction, la mise en parallèle de textes multilingues, donc bien sûr aussi la recherche en littérature comparée qui est fondamentale pour un pays bilingue comme la Tunisie.
   
Les professionnels formés par des départements universitaires de Lettres seront ainsi confrontés à quantité d’activités dans lesquelles la structuration XML des documents est indispensable :

  • L’édition et la presse, bien sûr, qui demandent que tous les métiers intervenants sachent dialoguer sur des outils dont la TEI est emblématique : critique et choix des auteurs et des ouvrages, traitement éditorial, activités en rapport avec la photocomposition, mise en page, correction des épreuves, contrôle et décision d’imprimer.
  • La rédaction professionnelle, industrielle ou publicitaire, métiers pour lesquels on exige à la fois de très solides bases littéraires mais aussi une solide formation multimédia, voire informatique pour pouvoir intervenir au plus profond des ressources techniques du document.
  • La fabrication des annuaires, catalogues de ventes, horaires de transport tant sous forme de papier que, de plus en plus sous forme électronique ou en ligne, exige bien sûr des compétences à la fois littéraires, multimédias, informatiques, documentaires et bien sûr multilingues.
  • L’audiovisuel  (notamment la télévision) demande aussi des compétences du traitement technique et littéraire des textes (doublage, sous-titrage, gestion des générique, écriture des scénarios…)
  • Enfin les bibliothèques et le métier d’enseignant littéraire exigent aussi des savoirs faire pour lesquels la TEI est une excellente école en même temps qu’un outil indispensable. J’ai d’ailleurs consacré une partie de ma conférence à présenter les enjeux de la TEI dans le cadre d’un enseignement des lettres, mais aussi de leur enseignement–recherche au niveau doctoral.

L’université tunisienne tout entière est actuellement engagée dans un processus de contrôle de la qualité. Il nous apparaît que l’appropriation globale de telles méthodes d’étude serait un gage de qualité et d’efficacité tant pour l’étude que pour la recherche. Cela permettrait aussi à l’Ercilis de se positionner à un niveau mondial dans le concert international des études littéraires. Cela permettrait aussi de systématiser chez tous les étudiants en lettres une pratique experte des outils multimédias et informatiques qui leur est indispensable pour affronter le 21ème siècle ».

                                                                         Hichem Ismail (ERCILIS – Université de Sfax)


(1) Mokhtar Ben Henda est Maître de Conférences à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3. Spécialiste en Sciences de l’Information et de la Communication, il est Chef de la délégation AUF dans les sessions biannuelles du sous comité 36 de l'ISO (ISO/IEC JTC1 SC36) pour la normalisation des technologies éducatives et chairman de son groupe de travail WG1.

(2) Henri Hudrisier est Maître de conférences à l'Université Paris VIII où il enseigne les techniques documentaires, Il est également délégué au SC36 pour l’AUF & l’AFNOR et chercheur au Laboratoire Paragraphe de Paris 8 et au LEDEN de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord. 

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