News - 14.11.2025

Hafedh Chekir: Accroissement naturel de la population en Tunisie

Hafedh Chekir: Accroissement naturel de la population en Tunisie

I. Le taux d’accroissement naturel de la population en baisse

Durant la période 2010-2020, le taux d’accroissement naturel a montré une stagnation durant les premières années de la décennie et puis une faible tendance à la hausse entre 2013 et 2014 en raison du pic de la fécondité atteint en 2014, pour entamer ensuite une tendance à la baisse. Cette baisse s’est accélérée à partir de 2020 en raison de l’augmentation du nombre de décès Covid et de la continuation de la baisse des naissances.

II. La baisse de la fécondité

La transition de la fécondité a été relativement rapide par rapport aux pays de la région. L’Indicateur synthétique de fécondité (ISF: l'indice synthétique de fécondité, ISF) a atteint 1.7 naissance vivante par femme en 2022. L’ISF a amorcé sa baisse depuis les années soixante-dix. Le taux de remplacement a été atteint au début du XXIe siècle quand la Tunisie est arrivée au bout de la transition démographique. Durant la période 2005-2014, la fécondité a montré des signes à la hausse. Cela est dû principalement au rattrapage des mariages. Depuis 2014, nous assistons à une baisse continue de la fécondité.

Les facteurs associés à un tel déclin de la fécondité sont multiples. Nous mentionnons d’abord les conditions socioéconomiques et l’absence de perspectives claires pour les jeunes et de vision pour leur avenir. Fonder une famille ne semble pas toujours réalisable pour un jeune célibataire. Cela ne veut pas dire que ces jeunes ne veulent pas avoir d’enfants. Ils veulent, pas beaucoup certainement, leur désir étant d’avoir une famille réduite mais avec un nombre d’enfants supérieur à celui qu’on observe actuellement. L’enquête de l’ONJ (Observatoire national de la jeunesse) de 2018(1) a révélé que presque deux tiers des filles et des garçons optent pour la famille à deux enfants.

A cela, on peut ajouter d’autres facteurs comme l’éducation des femmes, les politiques sociales et plusieurs législations en faveur des femmes, y compris l'accès à la santé, à la planification familiale et à l'éducation, une vision différente des rapports entre homme et femme, notamment chez les jeunes dont une grande majorité sont issus de familles réduites à 2 enfants (et beaucoup sont issus de familles d’un garçon et d’une fille).  

Indice synthétique de fécondité

2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
2.4 2.4 2.3 2.2 2.2 2.0 1.8 1.7

III. Vers un nouveau modèle de nuptialité en Tunisie caractérisé par des taux de célibat élevés

Ce nouveau modèle se distingue par une baisse du nombre de mariages et une augmentation des divorces dont la proportion, par rapport aux mariages, est passée de 12,6% en 2013 à 20,3% en 2020 (Covid) et à 16,3% en 2021. Les résultats du Rgph 2024 confirment aussi que le célibat définitif (mesuré par un proxy qui est par la proportion des célibataires pour le groupe d’âge 45-49 ans) a continué sa tendance haussière : la proportion des célibataires dans le groupe d’âge des 45-49 est passé pour les hommes de 2.7% en 1984 à 6.7% en 2014 et 10,3% en 2024. Pour les femmes, ces pourcentages de célibataires sont respectivement de 1.6% pour 1984, 9.1% pour 2014 et 11,3% en 2024(2).

Evolution de l’âge moyen au premier mariage selon le sexe depuis 1966 (En années) 

 Années  Hommes  Femmes  Ecart
 1966  27,1  20,9  6,2
 1975  27,2  22,6  4,6
 1984  28,1  24,3  3,8
 1994  30,3  26,6  3,7
 2004  32,7  29,1  3,6
 2014  33,0  28,6  4,4
 2024  35,3  28,9  6,4

En conséquence, on a observé un recul important de l’âge du mariage. Il était estimé en 2014 à 33 ans pour les hommes et à 28,6 ans pour les femmes. Pour 2024, l’âge du mariage est respectivement de 35,3 ans pour les hommes et de 28,9 ans pour les femmes.

Parmi les facteurs qui ont favorisé ces changements au niveau du modèle de nuptialité, on peut citer les suivants:

L’enquête du groupe Tawhida Ben Cheikh sur la recomposition des valeurs en rapport avec la sexualité, la santé sexuelle et reproductive et la relation du genre(3), a montré que pour les filles et les garçons, le mariage n’a plus la place qu’il avait auparavant dans la vie. Le projet de mariage n’est important ou très important que pour 42% des garçons et 47% des filles. 

La même enquête déjà mentionnée a indiqué que les jeunes célibataires garçons et filles vivent bien leur situation de célibataire et se sentent relativement indépendants. Les jeunes sont à l’aise dans leur situation de célibataire : 73,7% des garçons et 75,2% des filles déclarent qu’ils/ elles sont à l’aise dans leur situation de célibataire et vivent à l’aise dans leur famille.

Les jeunes ressentent une indépendance relativement importante par rapport à leur famille, et ce, dans divers domaines comme les loisirs, le travail, l’éducation, la pratique de la religion et celui des relations affectives: 75,7% des garçons et 60% des filles déclarent qu’ils et qu’elles ont une indépendance complète dans les relations affectives. C’est encore plus vrai dans certains segments de la population. Ce n’est pas encore l’individualisation de la famille, mais c’est une tendance à suivre.

Des attitudes plus positives envers l’égalité du genre et les tâches domestiques. S’il est vrai que cette égalité ne touche pas la sphère publique, il y a une plus grande acceptation des tâches domestiques. A titre d’exemple, 55,1% des garçons et 72,8% des filles pensent que l’homme doit accomplir la moitié des tâches ménagères et 68,9% des garçons et 75,6% des filles sont d’accord ou très d’accord avec la proposition : «Un père est capable de s’occuper d’un enfant aussi bien qu’une mère».

De plus en plus de jeunes ont une pratique sexuelle. Ainsi, 71,7% des garçons et 62,3% des filles âgés de 18-29 ans ont déclaré avoir une relation sentimentale et cette relation peut commencer à un âge précoce. Et 41% d’entre eux ont déclaré avoir eu une forme de relations sexuelles (caresses, baisers, câlins…). L’accès des jeunes aux réseaux sociaux et notamment pour l’échange de messages à caractères sentimental ou sexuel est un des facteurs qui a encouragé la pratique de la sexualité et une plus grande ouverture vers la mondialisation.

IV. S’alarmer ou s’adapter à cette situation en Tunisie

Qu’allons-nous faire avec ce déclin du rythme démographique ? Que faire pour augmenter la fécondité et les mariages ? Des questions qui ont été posées dans un environnement déjà imprégné par les discussions sur la migration des Subsahariens et la théorie du grand remplacement.

Le gouvernement n’a pas tardé à répondre. Le ministre de la Santé, Dr Mustapha Ferjani, a indiqué, lundi 2 juin 2025, que la Tunisie a besoin d’une nouvelle stratégie démographique. Lors d’une plénière à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), M. Ferjani a appelé à l’adoption collective d’une nouvelle stratégie démographique(4).

Le débat sur la dénatalité qu’on a observée après la publication des résultats du Rgph préoccupe beaucoup de politiciens dans le monde. C’est le cas par exemple de Viktor Urban, président de la Hongrie, qui a fait de la natalité une de ses préoccupations majeures. En treize ans, son gouvernement a mis en place plus de 30 formes d'aides pour soutenir la famille. Mais malgré ce type d’investissement, la fécondité a continué à baisser. Il n’a pas compris que la question n’est plus une question d’appui financier mais plutôt de mode de vie, de nouvelles valeurs et d’autres préoccupations pour les couples.

Existe-t-il des pays qui ont réussi le changement de tendance de la natalité ? La réponse est plutôt négative:

La France, avec sa politique familiale généreuse, a maintenu sa fécondité autour de 2 enfants par femme, contrairement à ses voisins européens, mais la tendance actuelle est plutôt vers la baisse. L’ISF a baissé en 2023 à 1,68 enfant par femme.

Les pays nordiques comme la Suède ont également réussi à maintenir des taux de fécondité relativement élevés (mais inférieur au taux de remplacement) grâce à des politiques de conciliation travail-famille très développées mais les résultats ne sont pas probants. Singapour et la Corée du Sud tentent actuellement de relancer leur natalité par des incitations financières importantes, avec des résultats encore mitigés.

Comment peut-on s’adapter à cette situation?

L’expérience internationale a montré, bien que la réponse efficace n’existe pas, que certaines mesures peuvent aider à pallier la situation, surtout qu’il reste encore des chances pour profiter du dividende démographique. Nous en citons deux axes parmi tant d’autres:

Les politiques et programmes en faveur des jeunes: des politiques globales de jeunesse avec une approche multisectorielle, une bonne gouvernance et une plus grande responsabilisation des jeunes dans la mise en œuvre des programmes les visant. Une utilisation optimale du dividende démographique

Mettre en place une réponse constructive au phénomène du vieillissement en réduisant l’écart entre les générations et en élaborant des programmes qui gravitent autour d’une approche proactive plutôt qu'alarmiste, en misant sur l'innovation, la formation continue, l'aménagement des carrières et le développement de nouveaux modèles économiques.

En conclusion

Les résultats du dernier recensement ont soulevé une vague de questionnements sur les perspectives de la population en Tunisie. Certains sont allés même jusqu’à demander une révision de la politique tunisienne en matière de population. Il est vrai que certaines composantes de notre politique de population doivent être révisées, comme la question de la jeunesse et celle du vieillissement, mais nous devons garantir la pérennisation des acquis des femmes en matière de droits reproductifs et les étendre pour permettre l’accès universel aux services de la santé sexuelle et reproductive.

Hafedh Chekir
Démographe

(1) http://www.onj.nat.tn/wp-content/uploads/2022/08/rapport-analyse_enquete_jeunesse-final.pdf
(2) INS Flash démographie, septembre 2025, DEMOGRAPHIE-FR.pdf
(3) Hafedh Chekir, Hedia Belhadj, Enquête la recomposition des valeurs en rapport avec la sexualité, la santé sexuelle et reproductive et la relation du genre, Groupe Tawhida Ben Cheikh, mai 2023
(4) https://www.businessnews.com.tn/mustapha-ferjani--la-tunisie-a-besoin-dune-nouvelle-strategie-demographique,544,148562,3

Lire aussi

Démographie: Radioscopie d’une Tunisie en profonde mutation

Hafedh Chekir: S’alarmer ou s’adapter face à la baisse de la natalité ?


 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.