News - 22.01.2011

Ghannouchi: la retraite après la transition

L'homme est réservé, discret, bien qu'il ait derrière lui une longue carrière dans la Haute Administration et le gouvernement, il a toujours évité les feux de la rampe. Le voilà sur le devant de la scène, sous les sunlights de la télévision nationale, face à deux journalistes, Ridha Kéfi et Saloua Charfi.

Sur un ton convaincu, parfois passionné, M. Mohamed Ghannouchi, premier ministre,  brosse à grands traits le programme du gouvernement d'Union Nationale, «un gouvernement de transition», ne cessera t-il de le répéter au cours de l'entretien, dont la mission prendra fin dans quelques mois, «aussitôt les nouvelles structures du nouvel Etat mises en place».

La séparation des  quatre pouvoirs :exécutif, législatif, judiciaire et presse, la réforme institionnelle, les élections présidentielles et législatives, la séparation entre l'Etat et le RCD, la lutte contre la corruption, l'enrichissement illicite. Une vaste entreprise que le premier ministre se fait fort de conduire à son terme avant de quitter la vie politique. Il promet une rupture définitive et véritable avec le passé,  évoque avec émotion la mémoire des martyrs « tombés pour la dignité et la liberté», et condamne les spoliations des biens  et des droits de plusieurs citoyens, les opérations d'escroquerie et les dépassements durant l'ancien régime.

Le plus important aujourd'hui, précisera t-il , est de dire que toute personne ayant commis un crime au détriment du peuple tunisien et du pays doivent impérativement assumer leurs responsabilités et que la justice prendra le dessus. Reste l'économie. On aurait aimé voir les journalistes poser des questions précises sur l'état actuel de notre économie, l'attitude des investisseurs étrangers installés en Tunisie, le secteur touristique, autant de questions qui taraudent - à juste titre- le citoyen. Il y reviendra sans doute.


M. Mohamed Ghannouchi s'est engagé, lors de son interview télévisée vendredi soir, à mettre un terme à toute activité politique après la fin de la période de transition et prendre sa retraite, déclarant que la Tunisie dispose aujourd'hui de jeunes et de compétences habilités à porter le flambeau et à continuer d'assumer la responsabilité afin d'assurer l'essor au pays et de préserver les acquis du peuple, de manière à ce que la crise que vit actuellement le peuple tunisien soit un véritable stimulant pour réaliser le meilleur pour la patrie et les citoyens.

Le Premier ministre a ajouté que la rupture avec l'ancien régime s'est illustrée à travers l'institution de la liberté de la presse, la décision de l'Etat de recouvrer tous les biens mis à la disposition du parti du RCD et tous les avoirs et biens immobiliers spoliés illégalement, d'arrêter toutes les personnes impliquées dans des affaires de corruption et d'emprise irrégulière de biens publics et dans des opérations visant à porter atteinte aux citoyens, de les déférer devant la justice et de geler leurs biens et leurs comptes à l'étranger.

S'agissant des garanties de la coupure avec le régime de Ben Ali, le Premier ministre a indiqué que cette rupture s'est reflétée à travers l'institution d'une série de mesures pratiques, dont notamment la séparation entre l'Etat et le RCD, et la présentation de sa démission ainsi que de celle du président de la République par intérim et de tous les membres du gouvernement d'union nationale, du parti qui était au pouvoir.

En réponse à une question sur sa position au sujet du mouvement islamique, et sur la possibilité de le reconnaître et de l'associer à la vie politique nationale, notamment à travers des figures qui lui sont alliées, actives dans la société civile, M. Mohamed Ghannouchi a déclaré : ''nous n'avons pas le droit d'exclure aucun tunisien s'il respecte la loi et s'attache aux choix de la liberté d'opinion et d'expression. Quiconque serait exclu, il le sera par voie de justice.''

Il a affirmé que l'Etat tunisien est un Etat séculaire qui a des choix fondamentaux et des acquis historiques qui englobent notamment l'enseignement, la santé, les droits de la femme et ses libertés, autant d'acquis irréversibles, tout comme le choix de l'ouverture et de la modernité qui est aujourd'hui une partie intégrante de la personnalité nationale.

Le Premier ministre a précisé, à cet égard, que ces spécificités ont permis au peuple tunisien de mener sa grande révolution, à dimensions civilisationnelles profondes, avec la participation des jeunes qui ont assumé le principal rôle pour la rendre possible.

Répondant à une interrogation sur la possibilité de dédommager les familles des martyrs tombés au cours des évènements douloureux survenus, durant ce mois, le Premier ministre a indiqué, tout en étant ému, que ces familles seront dédommagées au vu des sacrifices consentis par leurs enfants et de leurs contributions éminentes au changement de la réalité de la patrie en l'amenant à bon port.

Sur un autre plan, M. Ghannouchi a fait observer que le gouvernement par intérim a concrétisé depuis sa composition et au cours de sa première réunion, son engagement envers les exigences et les aspirations pour lesquelles des tunisiens se sont sacrifiés, déclarant que la commission pour la réforme politique à la tête de laquelle a été choisi l'un des meilleurs fils de la Tunisie et qui comprendra parmi ses membres des représentants de toutes les sensibilités politiques et civiles, se trouve confrontée à une rude épreuve qui consiste à proposer les réformes politiques et législatives nécessaires qui sont de nature à abroger les lois anti-démocratiques promulguées sous l'empire de l'ancien régime, à l'instar du Code de la presse, de la loi sur les partis, de la loi de lutte contre le terrorisme et du code électoral.

Les propositions et réformes qui seront formulées par cette commission, a-t-il déclaré, aménagent une plate-forme solide pour que les prochaines élections soient les premières dans l'histoire du peuple tunisien à se dérouler dans un climat de liberté, de loyauté et de transparence totales.

M. Ghannouchi a relevé que la mission de ce gouvernement consiste à assurer la gestion des affaires courantes, faisant observer que la conjoncture actuelle exige essentiellement de reprendre le rythme normal de l'économie nationale, soulignant qu'il est impératif aujourd'hui de rassurer les investisseurs, de garantir les sources de revenus et les postes de travail à leurs demandeurs et d'identifier les moyens et les potentialités pour dédommager les pertes subies par plusieurs citoyens.

Il a déclaré, qu'à la lumière de cette situation, il est impératif que le gouvernement comporte dans sa composition des personnes compétentes, expérimentées et intègres afin de remettre le pays sur les rails et de redynamiser l'économie dans les plus brefs délais.

Le Premier ministre a ajouté que tous les membres du gouvernement transitoire ont prêté serment pour servir le citoyen et la patrie, et si des reproches doivent être faites à certains d'entre eux, seules les lois du pays et la commission nationale d'établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption auront le dernier mot à ce sujet.

Il a rappelé avoir oeuvré durant et après la période de constitution du gouvernement à établir le contact et le dialogue avec toutes les parties de la scène politique nationale et avec toutes les personnalités tunisiennes, avec qui, il a évoqué de manière franche les défis et enjeux qui se posent au pays et souligné l'importance de la chance offerte à la Tunisie et à l'ensemble des tunisiens pour réaliser la réconciliation avec l'histoire de leur pays.

M. Ghannouchi a souligné que la première réunion du Conseil des ministres tenue, jeudi, a été marquée par un dialogue franc et ouvert, qui a duré quatre heures et à l'issue duquel des mesures importantes ont été formulées, soulignant qu'il ne peut y avoir de comparaison entre l'ambiance qui a entouré ce qui s'est passé, jeudi, et les conseils ministériels réunis, sous l'ancien régime, en ce sens que toutes les parties sont sorties convaincues, après un débat profond et transparent, des décisions et mesures prises.

Il a relevé que le devoir et la responsabilité commandent d'oeuvrer à ce que les prochaines élections soient une étape réussie et charnière dans la marche de la Tunisie, faisant observer que cette mission est du ressort de la commission supérieure pour la réforme politique, qui veillera à asseoir une plate-forme politique et législative appropriée afin d'accomplir au mieux cette échéance qui devrait se dérouler dans la liberté, la transparence et l'impartialité, et partant refléter, pour la première fois, la volonté effective du peuple tunisien.

M. Ghannouchi a indiqué que l'action du gouvernement transitoire ainsi que celle des trois commissions désignées chargées de la réforme politique, de l'établissement des faits sur la corruption et la malversation et des dépassements constatés lors de la dernière période, est une action cohérente et harmonieuse qui vise, en premier lieu, à sauver la Tunisie et à la mettre sur la bonne voie.

S'agissant du retrait des représentants de l'UGTT de la composition du gouvernement d'Union nationale, le premier ministre a affirmé que la dialogue a été approfondi avec l'organisation sur sa disposition à participer au gouvernement, précisant qu'après l'annonce de sa composition, l'UGTT a renoncé à l'idée de participer à ce gouvernement.

Il a souligné que le problème ne se pose pas au niveau des personnes, et que le plus important est plutôt l'efficacité des politiques et des mesures pratiques à prendre, rappelant que le gouvernement est intérimaire.

Les membres de l'UGTT, a-t-il précisé, n'ont pas rejoint le gouvernement et que peut être il le feront ultérieurement, ce qui explique notre attachement à ne pas s'empresser de remplacer les ministres issus de l'organisation ouvrière qui se sont retirés du gouvernement.

Concernant le situation sécuritaire à l'heure actuelle, le Premier ministre a indiqué qu'il a été procédé à l'arrestation de plusieurs membres des bandes qui ont semé la terreur et le désordre et commis des actes de troubles, de vols et de pillage, indiquant que 380 personnes sont sujets à des enquêtes pour vérifier les accusations qui leurs sont adressées et identifier, le cas échéant, l'existence d'autres parties impliquées dans ces opérations, relevant que la situation sécuritaire ne cesse de s'améliorer progressivement.

Au sujet de la garde présidentielle, il a fait remarquer qu'il ne faut pas imputer à l'ensemble des membres de ce corps la conspiration contre la sûreté de l'Etat, soulignant que les dépassements commis par certains éléments de ce corps, ne signifient pas que tout ce corps est impliqué dans les événements douloureux survenus en Tunisie.

Evoquant la question de l'existence d'un appui de l'étranger aux bandes de terreur et de vandalisme, M. Ghannouchi a déclaré que son gouvernement n'a pas de données précises sur ce sujet et qu'une enquête a été ouverte, faisant observer que la Tunisie éprouve du respect pour tous les pays frères et amis, se déclarant profondément convaincu que ces pays soutiennent le peuple tunisien dans sa révolution glorieuse.

Il a ajouté que les pays frères et amis seront informés de la réalité de la situation en Tunisie et des changements radicaux connus durant la dernière période, se déclarant persuadé que ces pays seront aux côtés de la révolution du peuple tunisien, révolution qui a enraciné chez les Tunisiens le sentiment de fierté à l'égard de leur patrie.

Sur un autre plan, M. Ghannouchi a indiqué que le Premier ministre dans le gouvernement du président déchu, avait pour principales missions la coordination gouvernementale, n'entretenait aucune relation avec les ministères de souveraineté et n'avait pas le droit d'intervenir dans les marchés publics, la douane, les domaines de l'Etat ou encore le secteur bancaire et les prêts, précisant que sa fonction première était de polariser les investissements, d'impulser le rythme des investissements et de préserver les équilibres financiers du pays, notamment à travers l'amélioration des relations commerciales de la Tunisie avec l'étranger.

Il a déclaré qu'il ressentait de la souffrance comme chaque tunisien à cause de certaines situations qui ont prévalu en Tunisie au cours des années écoulées, et qui l'ont amené, à plusieurs reprises, à penser à présenter sa démission, dont la dernière en 2009, d'autant que le président déchu accaparait la décision ultime concernant toutes les questions.

Il a ajouté que l'appel du devoir l'avait poussé, à chaque fois, à revenir sur sa décision, afin de préserver les acquis nationaux et de limiter autant que possible les dégâts occasionnés au pays, soulignant que plusieurs ministres de l'ancien gouvernement s'activaient de leur côté pour accomplir leur devoir en dépit des pressions auxquelles ils étaient soumis, dans divers secteurs stratégiques et vitaux.

Le Premier ministre a précisé que la fidélité au sang des martyrs et l'écoute attentive des revendications du peuple et de leurs aspirations, commandent de se consacrer au travail, lançant dans ce contexte un message pour rassurer tous les partenaires qui ont soutenu le peuple tunisien et les milieux financiers et d'affaires, message qui consiste à dire que la prochaine période sera meilleure et que de véritables chances de réussite sont offertes à tout investisseur tunisien ou étranger désirant prendre l'initiative, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, d'investir en Tunisie.

M. Ghannouchi a indiqué, en conclusion, que la trilogie de la confiance et de la transparence, des compétences humaines et de l'attraction des capitaux permettront à la Tunisie et à son peuple de réaliser l'impossible, de relever les grands défis qui se posent, dont notamment le chômage et la consécration de la liberté et de la démocratie, et la progression sur la voie de l'acquisition du savoir, en tant que seule et unique voie pour l'édification d'un avenir meilleur.
 

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