Ahmed Ounaïes: La confusion entretenue entre terrorisme et résistance et la nature de la résistance palestinienne
Deux thèmes constituent une source de divergence dans le dialogue difficile que le monde arabe cherche à nouer avec l’Occident : la confusion entretenue entre terrorisme et résistance et la nature de la résistance palestinienne. Un effort de clarification conceptuelle s’impose afin de mieux cerner la problématique et d’analyser plus au fond une telle divergence qui mine la politique de partenariat entre l’Union européenne et les pays arabo-méditerranéens, ainsi que l’avenir des relations entre l’Occident et les pays islamiques dans leur ensemble, notamment depuis que l’effet déstabilisateur du 11- Septembre expose l’islam à une propagande qui vise à l’assimiler à la violence aveugle et au terrorisme. Il est nécessaire et salutaire de dissiper la confusion, de fonder en toute clarté la légitimité de la résistance palestinienne et de définir les bases communes du dialogue. Mais sans doute convient-il de lever d’abord la confusion entretenue entre islam et violence.
Islam et violence
Un mouvement réactionnaire a sévi en Afghanistan et en Algérie au nom de l’islam et commis des violences injustifiables. S’il n’avait été combattu auparavant dans d’autres pays, notamment en Egypte, en Tunisie, au Maroc et en Arabie saoudite, le cercle des violences aurait été étendu dans des proportions incalculables. Il était nécessaire de le réduire et de préserver ces pays contre un mouvement destructeur et rétrograde. Mais il est certainement abusif de rattacher à l’islam ce phénomène essentiellement politique, même s’il s’est donné une étiquette religieuse. Il faut comprendre les raisons de son émergence dans ces pays en particulier. On ne saurait vaincre de tels mouvements sans en saisir la genèse et sans approfondir les conditions historiques où ils ont surgi. Il faut également reconnaître que, bien avant l’apparition du phénomène dans les sociétés islamiques, des mouvements fanatiques s’étaient manifestés en Israël où prospéraient des mouvements religieux d’extrême droite ainsi que dans la communauté juive aux Etats-Unis ayant des prolongements en Israël sous forme de partis politiques extrémistes ; d’autre part, reconnaître l’apparition ou la résurrection de mouvements hindous violents et sanguinaires. Les uns et les autres frappent ceux qu’ils désignent comme étant leurs ennemis aussi impitoyablement que les autres fanatismes apparus dans la longue histoire de l’hindouisme, de la chrétienté et de l’islam.
Sur ce point, il est important de lever une triple confusion qui consiste, d’une part, à réduire aux sociétés islamiques tout le fanatisme qui sévit dans le monde et qui commet des atrocités intolérables, d’autre part à assimiler ce facteur au terrorisme qui, de toute évidence, le dépasse, enfin à pousser la confusion entre terrorisme et résistance nationale. Cette triple confusion témoigne d’une méconnaissance de l’islam, d’une approche superficielle des situations historiques et d’une méthode abusivement réductrice.
Divers types de mouvements théocratiques ont effectivement pris racine en Afghanistan et au Soudan et failli s’implanter en Algérie dans des conditions qui s’expliquent par les situations spécifiques de ces sociétés. Mais l’échec même de leur gestion politique et sociale là où ils ont pu s’implanter, et les méthodes qu’ils ont utilisées dans la lutte pour le pouvoir en Algérie, les ont résolument discrédités dans ces pays mêmes et dans l’ensemble de la communauté islamique.
Les témoignages des repentis sont éloquents: ils admettent leur échec, réalisent l’impact catastrophique de leurs excès et avouent leur conception irréaliste de la société qu’ils prétendaient vouloir instituer. Ces mouvements réactionnaires, dogmatiques et anachroniques, sont vaincus. La menace qu’ils représentent désormais n’est pas plus que résiduelle. Il faut se garder de confondre ce type de formation qui visait à gouverner au nom de principes théocratiques, avec des mouvements qui se réclament de l’islam pour une finalité essentiellement réformatrice. Ces mouvements en appellent en effet à l’islam libérateur pour mener un combat total contre la régression sociale et politique. Ils trouvent un terreau favorable dans les sociétés islamiques victimes de l’oppression, de la corruption, de la discrimination et parfois de l’occupation étrangère. Leur finalité, leur enracinement et leur audience les distinguent des mouvements réactionnaires dans la mesure où ils captent à leur profit l’aspiration à la liberté et à la moralité et, dans d’autres cas, l’exigence de libération nationale. La rhétorique religieuse mise au service de telles causes leur confère certes une plus large audience mais c’est la cause politique, celle de la liberté, de la justice et du progrès, qui les identifie plus que l’islam dont ils se prévalent. Dans d’autres contextes, ces mouvements s’appuieraient plutôt sur la tradition démocratique.
Dans les sociétés islamiques, l’absence de tradition démocratique renvoie au référentiel religieux. En outre, l’élan induit par le retour de l’occupation militaire de l’Afghanistan, par l’extension de l’occupation à l’Irak et par l’ampleur des exactions israéliennes dans les territoires occupés, leur confère un rayonnement supérieur appelé à durcir la solidarité communautaire.
S’il est vrai que les régimes répressifs aussi bien que les régimes d’occupation s’empressent de qualifier de terroristes ces mouvements réformateurs, la confusion est calculée pour discréditer en fait deux ennemis distincts. Un effort s’impose certes pour clarifier les conditions de la réforme politique des sociétés arabes ou islamiques, mais cet effort ne nous concerne pas dans l’étude présente. Nous retiendrons dans cet exposé la distinction entre terrorisme et résistance et la légitimité de la résistance palestinienne.
Terrorisme et résistance
Si le terrorisme et la résistance font usage de violence, ils s’inscrivent néanmoins dans des contextes politiques et juridiques distincts et obéissent à des définitions radicalement différentes par leur genèse, leur finalité, leur insertion dans le tissu social et politique ainsi que par la nature de leur commandement.
• Le terrorisme est une action offensive pouvant survenir partout et à tout moment; imprévisible et délocalisé, il s’exerce à froid et se donne les objectifs les plus divers. La résistance est la réaction à l’invasion et à l’occupation étrangère ; elle est essentiellement défensive et guidée par un objectif national. La mobilisation pour la résistance n’obéit ni à un calcul d’opportunité ni à une quelconque idéologie, c’est un acte intime qui exprime le devoir naturel de défendre l’intégrité et le droit de la nation.
• La résistance n’est pas le fait d’un chef, ni d’un parti, ni d’une religion, elle procède de l’âme même du citoyen, en un élan spontané, que le citoyen reçoive l’appel d’un chef ou qu’il ne le reçoive jamais. Le peuple résiste à l’oppression avec ou sans direction politique en place. L’émergence de la direction politique dérive de l’impératif de résistance et non l’inverse. Les directions politiques se constituent et, même décimées, se reconstituent non parce que des chefs en ont décidé mais parce que le peuple, à la base, assume l’impératif de la résistance.
• Le terrorisme recherche et recrute ses agents et ses exécutants. La résistance n’a pas à recruter, elle ne fait que canaliser la mobilisation spontanée des militants dans la base nationale la plus large. L’élan de mobilisation est irrésistible parce que, sous l’occupation, la nation n’existe et ne survit que dans la résistance. Hors la résistance, elle cesse d’être et cesse de représenter une entité pour elle-même et pour les autres nations. La dynamique de la résistance maintient la nation en vie, donne un contenu à la solidarité nationale, ennoblit l’esprit de lutte et investit le militant d’une responsabilité qui dépasse sa personne. Par lui-même, l’esprit de résistance affermit l’espoir. Un jour, grâce à l’abnégation de ses propres enfants, la nation retrouvera la liberté. Parce que la résistance maintient cet espoir, nul ne s’y dérobe et on ne se pardonne pas de faiblir. Le destin des faibles est tranché à l’égal de celui des traîtres.
• La résistance est l’expression du droit de légitime défense inhérent à l’existence d’une nation. En réaction à l’occupation, la nation est en droit d’assurer sa légitime défense, de préserver son intégrité et d’opposer une résistance cohérente dans le but de mettre fin à l’occupation. Le terrorisme, expression d’une stratégie d’intimidation et d’une capacité purement destructrice, ne saurait se prévaloir d’un droit quelconque de défense et ne saurait donc jouir d’aucune légitimité.
• La base nationale qui, dans toutes ses composantes, subit l’oppression des forces d’occupation, détermine en dernier ressort le contenu politique de la résistance et lui confère son sens, sa finalité et la reconnaissance nationale et internationale. A l’inverse, le terrorisme dérive de la volonté d’un noyau dirigeant qui détermine et modifie à son gré sa finalité et ses exigences en fonction de ses calculs ou de son idéologie. Le terrorisme, qu’il soit individuel ou de groupe, peut se prévaloir d’une idéologie ou d’un dogme, mais jamais de l’autorité d’une nation.
• La résistance prévaut tant que sévit l’occupation et cesse avec la fin de l’occupation; le terrorisme dure autant qu’en décident ses dirigeants et ne disparaît qu’avec la disparition de ses dirigeants.
• Le principe du terrorisme est le calcul. Le principe de la résistance est la dignité. C’est pour la dignité que les résistants acceptent le sacrifice suprême, et pour l’honneur que la nation reconnaissante les porte au Panthéon.
Au-delà de la distinction théorique entre les deux notions, deux questions subsistent relativement à la violence contre les civils et au principe du martyr.
Lire aussi
Gaza: le soutien indéfectible de laTunisie
Général Mohamed Nafti: La stratégie de guerre israélienne à Gaza
Israël ne respecte aucun interdit: du phosphore blanc contre la population de Gaza
Ahmed Ounaïes - Gaza: La violence contre les civils
Abdelaziz Kacem: Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, président de la République française
Ahmed Ounaïes: La question du martyre palestinien
- Ecrire un commentaire
- Commenter
... au plan du droit international issu des Nations Unies (Israël étant le seul État né dans le giron de l'ONU) Gaza n'est pas un État et donc ne peut être soumis audit Droit de la Guerre ; bien plus son statut international le place normalement sous la tutelle civile et humanitaire de l’État d'Israël _ successeur juridique depuis 1967 de l’Égypte. P.S.: Le pertinent diplomate A.Ounaïes pourrait fort nous éclairer sur ce point..