News - 20.12.2022

Une langue obligatoire, un visa aléatoire: Le paradoxe de la francophonie

Une langue obligatoire, un visa aléatoire: Le paradoxe de la francophonie

Par Aïssa Baccouche - Maintenant que les lampions sont bel et bien éteints, il est peut-être temps de jeter une lumière crue sur un couac manifeste de cette idée généreuse de la francophonie et qui en constitue, à mon humble avis de francophile invétéré, le paradoxe.

Le paradoxe, selon le dictionnaire Larousse est «ce qui est en contradiction avec le bon sens». Dans «le dictionnaire paradoxal de la philosophie de Dulan, Morano et Steffens-éditions du Cerf-», les paradoxes sont des perturbations d’étranges objets mentaux qu’on ne sait par quel bout prendre.

Roger-Pol Droit, le chroniqueur littéraire du journal Le Monde qui en rapporte la quintessence, sonne dans son incipit, le glas: «Par définition, ils (les paradoxes) mettent dans l’embarras»(1).
Or que constatons-nous au terme de ces cinquante ans de vie communautaire dans cet espace linguistique qui s’étend sur tous les continents (hors Australie): un libre-échange de biens, de marchandises et de capitaux en direction de l’Hexagone, mais point de personnes.

Pourtant, celles-ci croyaient détenir grâce à l’usage de la langue de Voltaire, un laissez-passer au pays des Lumières, notamment celles qui avaient usé leurs culottes sur les bancs de l’école franco-arabe où on leur serinait que nos ancêtres étaient «les Gaulois». Elles se surpassaient pour connaître, à la virgule près, les morceaux choisis des grands classiques de la littérature française. La pucelle d’Orléans leur était familière ainsi que le Mont-blanc, la Garonne, les bassins miniers du Nord, Notre Dame de Paris et Tutti quanti…

La langue française chez nous, Messieurs, était et est encore obligatoire en dépit de tous les tentatives de lui substituer la langue de Shakespeare, qui, comme chacun sait, est, avec le chinois, la langue la plus parlée et la plus écrite au monde.

Lors de la visite M. Omar Bongo en Tunisie en 1984, le premier ministre de l’époque M. Mohamed Mzali lui fit découvrir à l’Ariana - dont j’étais le maire en exercice - le lycée pilote anglophone.

Au terme de cette escapade insolite, le président gabonais interpella Si Mohamed: «Ainsi vous avez trompé la vigilance des gardiens de la francophonie!»

Or, quelques années plus tard ces gardiens se sont rebiffés. Les anglophones n’ont qu’à aller se rhabiller. Le lycée iconoclaste est désormais voué aux gémonies. Plus personne n’osera récidiver, du moins au niveau de l’enseignement secondaire(2).

Un jour, lors d’un symposium tenu à Tunis je m’adressai à M. Philippe Seguin, président de l’Assemblée Nationale : «Vous savez fort bien que nous sommes autant que vous les vecteurs de la culture française. Vous savez également ce qu’il nous en coûte. Alors comment expliquer le comportement condescendant de nos co-locuteurs d’outre-mer». J’avais, bien entendu, à l’esprit le numerus clausus instauré pour l’entrée de nos compatriotes en territoire français. Il m’a rétorqué, sur un ton gaullien, usant de cette réplique lapidaire «je vous ai compris!».

Cette situation, a-t-elle évolué favorablement ? Oh que nenni ! « Demander un visa, écrit Foued Laroui dans Jeune Afrique, est devenu une sorte de loto ». Il poursuit : «Je n’entre pas dans une discussion sur le bien-fondé, ou non, de cette stratégie. Je constate seulement les dégâts collatéraux qu’elle cause»(3).

En effet, depuis quelques temps notre continent fait l’objet de sollicitations qui nous proviennent des Japonais, des Chinois, des Russes et des Américains. Tout cela perturbe l’ordre établi par l’ex puissance coloniale. On y perd surement son latin. Mais le risque est encore grand de perdre son français. C’est Fernand Braudel (1902-1985) qui déclara au journal Le Monde «que la France, c’est la langue française. Dans le mesure où elle n’est pas prééminente, nous sommes dans une crise de la culture française»(4).

Cette sentence vient d’être corroborée par Mme Nguyen Binh, présidente de l’Institut Français en charge de la diffusion de la culture française. «L’influence culturelle de la France, a-t-elle déclaré un jour, est battue en brèche dans un certain nombre de pays. Ce n’est plus un acquis»(5).

Le Président Macron, lors de sa rencontre à Djerba avec «les jeunes ambassadeurs de la francophonie» a bien indiqué que «le vrai défi aujourd’hui est de porter un projet de reconquête pour rendre le français une langue hospitalière» avant d’ajouter «que la francophonie est un voyage dans le temps et les continents»(6) .

Mais nous savons tous que pour voyager loin il faut à la fois ménager sa monture, lever les entraves sur son chemin et surtout préserver l’amitié de ceux – et celles – qui vous accompagnent.
Or, aux dires de Laroui sus-cité, «à Paris, certains sont devenus maîtres dans l’art de perdre leurs meilleurs amis».

Aïssa Baccouche

1) Le Monde des livres daté du 9 Septembre 2022

2) Une école d’ingénieurs vient d’être créée à la Manouba. On y enseigne les sciences exclusivement en Anglais

3) N°3316du mois de Septembre 2022

4) Le Monde daté du 24 Mars 1985.

5) Le Monde daté du 23 Mars2022

6) Cf la Presse du 20 novembre 2022.
 

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