News - 09.01.2021

Mustapha Ben Jaafar: Est-ce l’heure du sursaut ?

Mustapha Ben Jaafar: Est-ce l’heure du sursaut ?

Par Mustapha Ben Jaafar. Fondateur du parti Ettakatol, Président de l’Assemblée nationale constituante (2011-2014) - Dix ans après la Révolution, ma plus grande fierté est d’avoir pu conduire l’Assemblée nationale constituante à la rédaction de la Constitution de la Deuxième République, et d’avoir contribué de toutes mes forces à ce que la transition démocratique et le processus électoral puissent être menés à leur terme sans fracture irrémédiable, évitant à la Tunisie, notamment au cours de l’été 2013, le chaos que d’autres pays en espoir de transition ont pu connaître. Au cours de ce cheminement, certaines étapes ont été particulièrement marquantes.

2011. Vaincre la résistance au changement

Afin de pallier le vide institutionnel provoqué par la fuite du dictateur le 14 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a désigné, en vue de constituer un nouveau gouvernement, Fouad Mebazaa —président de la Chambre des députés depuis 1997- en tant que Président de la République intérimaire, et Mohamed Ghannouchi—ancien ministre de Ben Ali depuis 1987 puis Premier ministre depuis 1999— en tant que chef de ce gouvernement.

L’opposition encore désorganisée n’a pas résisté au fait accompli. On attendait toutefois que soit pris en compte les changements cataclysmiques qui ont eu lieu, faisant plusieurs centaines de martyrs. Mais, probablement mal conseillé par son entourage, Mohamed Ghannouchi va opter pour la continuité, proposant un gouvernement dominé par les anciens ministres RCD, avec quelques figures de l’opposition, changement à dose homéopathique juste pour embellir la vitrine... Moi-même j’ai été sollicité mais j’ai refusé de participer par principe, soutenu par le bureau politique d’Ettakatol. Je l’ai longuement expliqué au Premier ministre. Le hasard a voulu que cela se soit fait en présence de Abdeslam Jrad, secrétaire général de l’Ugtt, venu lui aussi décliner l’offre de participation de la centrale.

C’est la contestation populaire, montant crescendo, qui va pousser Ghannouchi à démissionner. Le 27 février 2011, il cède la place à Béji Caïd Essebsi, ancien ministre et ambassadeur de Bourguiba, ancien parlementaire RCD de 1989 à 1994, qui promet de former un gouvernement «sans appartenance politique».

Mohamed Ghannouchi, avec une formation faussement appelée «gouvernement d’unité nationale», n’aura tenu que 40 jours, mais cet épisode a contribué à fissurer les rangs de l’opposition qui pourtant a résisté pendant toutes les années de la dictature Ben Ali. Et cette fissuration va laisser des traces bien au-delà des élections de l’Assemblée constituante puisque c’est elle qui, essentiellement, va attiser le climat de tension de la période 2011-2014.

Les partis de la résistance et la société civile se sont organisés autour de la centrale syndicale - l’Union générale tunisienne du travail - et de l’Ordre national des avocats pour former le «Conseil pour la sauvegarde de la Révolution». Au cœur de leurs revendications, la nécessité d’une nouvelle Constitution s’est imposée et cela est devenu le symbole du changement soutenu par un très fort élan populaire avec les sit-in inédits de la Kasbah- Kasbah I et Kasbah II, du 27 janvier au 4 mars 2011.

Le conseil va se fondre dans la «Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique présidée par le professeur Yadh Ben Achour.  Outre l’élaboration d’un projet de code électoral excluant la participation des anciens responsables du régime déchu, cette instance met sur pied l’Instance supérieure indépendante pour les élections - Isie- sous la présidence de Kamel Jendoubi.

Le 3 mars, le Président de la République prend la juste mesure de l’évolution de l’opinion publique et annonce l’organisation d’élections pour l’Assemblée nationale constituante. Cette première victoire ne va pas empêcher les récalcitrants de continuer à freiner le mouvement de la révolution, allant jusqu’à proposer l’organisation d’un référendum pour fixer les prérogatives de la Constituante. Une fois l’ANC élue, et alors que les résultats ne soulèvent la moindre contestation, les « perdants » vont constituer une éphémère Assemblée constituante parallèle qui fera long feu. C’est dire que malgré la vivacité de l’élan révolutionnaire, il nous a fallu une grande détermination pour déjouer les tentatives de déstabilisation et réaliser le premier objectif de la révolution, l’élection de l’ANC, symbole de la rupture avec la dictature.

2012-2014. la présumée «Constitution» du 1er juin 2013?

Le 1er juin 2013, l’Assemblée rendait public un avant-projet de Constitution, texte qui devait être proposé en plénière afin que les députés puissent en discuter et l’amender. Cet avant-projet a été généralement bien accueilli par la Commission de Venise, à laquelle j’avais volontairement soumis le projet. Sur le fond, en considérant les améliorations qui aboutiront à la Constitution du 27 janvier 2014, l’avant-projet n’était pas très en deçà du texte adopté en janvier 2014 sur les questions fondamentales— qui habituellement fâchent— en ce qui concerne les droits et libertés.

Cependant, à sa publication, une partie des protagonistes s’est mise à le critiquer avec virulence. Il s’agissait bien d’une fausse querelle qui s’inscrivait dans le jeu classique de l’opposition visant à culpabiliser ses adversaires. Elle a usé de toutes les ficelles : désignant abusivement ce texte d’avant- projet de «Constitution du 1er juin». A force d’être répété et repris dans les médias, la tension est montée d’un cran, imposant la perception totalement fausse que la Constitution avait été définitivement adoptée, que tout était fait alors qu’en réalité, tout restait à faire. Les juristes de l’opposition ne pouvaient l’ignorer. Il s’agissait d’un grand bluff qui n’a pu marcher qu’en raison du climat général marqué par une extrême polarisation.

J’ai trouvé une riposte à ce climat délétère en mettant en place la «Commission des consensus». Elle aura tellement de succès que mes successeurs vont l’utiliser pour désigner autre chose ! Car la philosophie et l’originalité de cette nouvelle commission- ainsi créée de manière quasi arbitraire mais validée a postériori- nous ont permis de contourner la règle de la représentation proportionnelle en offrant la possibilité aux groupes représentés par moins de 10 députés à l’Assemblée de participer aux travaux constitutionnels. Cela a apaisé les craintes de l’opposition qui s’est alors trouvée surreprésentée et a permis d’accroître l’efficacité des travaux au sein de la commission.

Ce travail aurait pu s’achever en août 2013. Mais l’assassinat de notre collègue Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013 a tout remis en question, déclenchant le sit-in d’«Errahil» soutenu par le retrait d’une cinquantaine de députés de l’opposition.

2013. un temps fort: la journée du 6 août 2013

Le 6 aout 2013 coïncide avec la célébration mensuelle de l’anniversaire de l’assassinat le 6 février 2013 du leader Chokri Belaïd. Du côté des contestataires, comme du côté des « légitimistes » appartenant à la majorité parlementaire, la mobilisation est particulièrement forte couvrant comme jamais la place du Bardo devant le siège du Parlement. La tension est extrême entre les deux groupes séparés par des barbelés. La foule est chauffée à blanc et la moindre étincelle pouvait déclencher une tragédie.

Sur la place du Bardo, profitant de la forte mobilisation engendrée par le drame, certains acteurs avaient en effet envisagé de reproduire le scénario égyptien et de mimer avec le sit-in d’« Errahil » l’insurrection de «Tamarrod».

En toute âme et conscience, j’ai alors pris mes responsabilités et décidé unilatéralement de suspendre les travaux de l’ANC. J’ai fait à la télévision nationale une déclaration solennelle dans ce sens. Dans la même déclaration, j’ai appelé tous les acteurs concernés à la reprise du Dialogue national suspendu depuis quelques mois. 

Mon premier souci, en suspendant les travaux de l’ANC, était de prendre de court les fauteurs de troubles qui pouvaient infiltrer le sit-in et d’anticiper pour éteindre l’incendie qui allait embraser le pays.
En suspendant les travaux, j’ai également voulu préserver l’intégrité de l’Assemblée nationale constituante, la seule institution légitime que certains voulaient dissoudre. Mon choix exprimé le 6 août 2013 de «suspendre les travaux» n’était donc pas anodin : il s’agissait de rejeter l’idée même de dissolution, tout en restant à l’écoute des changements de l’opinion publique et vigilant à l’égard des risques de dérapages.

La seule façon de calmer la situation était de réanimer le « dialogue national « bloqué depuis plusieurs mois et créer les conditions favorables au retour des députés mécontents qui ont préféré la rue aux bancs de l’ANC.

Mon objectif in fine était d’adopter la Constitution de tous les Tunisiens(nes) et non la Constitution d’une majorité contre une minorité. Je me suis donc donné corps et âme à cette tâche. Le 7 août, j’ai obtenu l’accord de Rached Ghannouchi.  Le lendemain, je me suis rendu chez Béji Caïd Essebsi qui s’est engagé à le rencontrer dès son retour de Paris où il devait effectuer des contrôles médicaux. Sans attendre, voulant battre le fer tant qu’il est chaud, Rached Ghannouchi s’est rapidement déplacé à Paris. On connaît la suite mais, à ce jour et malgré les « fuites », le voile n’est toujours pas franchement levé sur le contenu de la rencontre du «Bristol».

Durant les deux mois d’août et de septembre, j’ai continué mes contacts tous azimuts : personnalités politiques avec à leur tête les «sages» (Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah, Fouad Mebazaa, Mustapha Filali, Mansour Moalla), les chefs de partis, des activistes de la société civile…J’ai eu des rencontres régulières avec les représentants du Quartet et les délégués des groupes parlementaires, majorité et opposition …Faut-il souligner que la plupart de ces rencontres se sont déroulées hors des caméras. La discrétion, gage d’efficacité, était la règle d’or.

Le dialogue national a finalement repris dans un climat apaisé. Certes avec des hauts et des bas. La dernière semaine de septembre, la tension était à son comble. Ennahdha rejetait tout compromis et l’Ugtt claironnait la mobilisation générale.

Le 29 septembre, j’ai accueilli au siège du Conseil constitutionnel, improvisé en nouveau QG, les deux leaders Hassine Abassi et Rached Ghannouchi pour débloquer la situation et signer une déclaration de paix. Dès lors le dialogue national a été définitivement mis sur les rails et la « feuille de route » ne va plus tarder à être signée au début d’octobre par la grande majorité des acteurs, partis et organisations nationales.

L’enjeu n’était pourtant pas simple. Entre ceux qui revendiquaient illico presto la dissolution de l’ANC et le départ du gouvernement et ceux qui s’accrochaient à une forte légitimité acquise par les urnes, il y avait un fossé. Le compromis a été finalement trouvé, conciliant la légitimité électorale qui justifiait le statu quo jusqu’à l’adoption de la Constitution, mission pour laquelle est élue l’ANC, et la solution de consensus sur la mise en place d’un « nouveau gouvernement non partisan » qui aurait pour mission de conduire le pays aux élections dans un délai qui ne dépasserait pas l’année 2014. Ni vainqueurs, ni vaincus. C’est la Tunisie qui en sortira victorieuse et sera couronnée par un «Prix Nobel» hautement symbolique.

2014. La nuit du 26-27 janvier, apothéose d’un processus

Au cours de la nuit du 26 au 27 janvier, la Constitution a été réellement plébiscitée et la liesse qui a suivi fut pour moi et pour tous les présents un grand et inoubliable moment d’émotion. Ce fut ainsi, pour tous ceux et celles qui y ont contribué, l’apothéose d’un processus de deux ans semé d’embûches, un rare moment d’unité nationale qui nous a fait oublier les difficultés, les angoisses et les moments de grande tristesse que nous avons endurés, surtout lorsque des êtres chers tombaient sous les balles du terrorisme. Ce mal absolu n’a épargné aucune catégorie. L’armée, la police et la garde nationale ont payé un lourd tribut. Des touristes venus exprimer à leur manière leur amitié à notre pays faisait partie des victimes. Mais l’assassinat des deux leaders politiques Chokri Belaïd le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi le 25 juillet de la même année a eu un impact considérable sur le pays et mis en danger le processus de transition démocratique. Il est regrettable que ces moments de deuil, censés être des moments d’unité nationale absolue, soient éclaboussés par les tiraillements politiques.

2014 - 2019. les années ‘’ blanches ‘’

L’élection en 2014 de Béji Caïd Essebsi - que Dieu ait son âme, personnalité charismatique accumulant une longue expérience au sein de l’appareil d’Etat, laissait espérer une avancée dans la consolidation du processus démocratique, et la mise en route des réformes tant attendues au plan économique et social. Son alliance en un tourne-main avec Ennahdha, l’ennemi diabolisé d’hier, devait lui faciliter la tâche puisqu’il allait disposer d’une majorité de rêve en devenant pratiquement   le maître absolu, contrôlant tant le pouvoir exécutif que législatif.

Malheureusement, tous ces atouts n’ont pas été exploités : il n’y a eu aucune réforme pour essayer de gérer une situation politique délicate, aucune avancée dans la mise en place des institutions constitutionnelles. Bien plus, son non-respect de la Constitution, les rapports de soumission qu’il a cherché à imposer aux deux chefs de gouvernement successifs qui ont cohabité avec lui, ont abouti à une crise particulièrement grave à la fin de son quinquennat, accompagnée d’une forte dégradation de la situation économique et sociale, laissant aux successeurs un fardeau particulièrement lourd à gérer.

L’enchaînement des événements va démontrer, tout au long du mandat 2014-2019, que le «Deal du Bristol» était tout sauf un accord programmatique entre les deux grandes formations politiques du moment. Ce qui va être fortement préjudiciable au peuple tunisien au présent et au futur. Pour ma part, ce que je regrette le plus, c’est que Béji Caïd Essebsi n’ait pas utilisé son charisme, sa légitimité, ses capacités pédagogiques pour rassembler les Tunisiens, à commencer par l’élite politique, sur le thème de la réconciliation nationale, qui, aujourd’hui plus que jamais, est incontournable pour régler les problèmes de fond qui entravent la marche de la Tunisie vers le progrès.

Aujourd’hui, dix années après la fuite du dictateur, la Tunisie est encore dans le tourbillon. La polarisation identitaire poussée à outrance fait que le pays vit une fracture qui laisse peu de place au débat programmatique, indispensable pour élaborer et mettre en application des solutions aux problèmes sociaux, économiques et culturels du pays. Ce débat est essentiel également pour le développement des forces progressistes et démocratiques qui, refusant de tomber dans l’invective et la haine, ont été laminées aux élections de 2014 et sous-représentées aux élections de 2019. Le retour de plus en plus arrogant des défenseurs de l’ancien régime et la montée du populisme complètent un paysage politique indigne de notre Révolution et sans rapport avec les espoirs qu’elle a suscités.

Faire le buzz est devenu l’exercice privilégié de notre classe politique qui use et abuse de la liberté acquise au prix du sang de nos martyrs, et se satisfait en exploitant immodérément les médias complaisants. Quant aux députés, la transmission directe des débats leur permet d’attaquer l’adversaire du jour ou, pour certains, l’adversaire de toujours. Toutes les occasions sont bonnes. Tous les événements, du banal fait divers au grave accident, à l’assassinat politique, sont instrumentalisés pour condamner et avilir l’AUTRE.  Notre classe politique est aujourd’hui gravement discréditée. Les voix de la raison sont inaudibles, souvent étouffées par la cacophonie dominante. Le tableau est sombre et la crise majeure.

C’est dans ce contexte que surgit l’élection du président Kaïs Saïed. Ses projets sont encore illisibles, mais l’homme est neuf et intègre. Il s’inscrit sur la voie du changement, garantit le non-retour en arrière et s’engage à respecter la Constitution même s’il n’est pas d’accord avec certaines de ses dispositions. Son arrivée au pouvoir et sa forte légitimité électorale suscitent un grand espoir, en particulier auprès de ceux qui condamnent l’inertie qui a marqué le mandat de son prédécesseur. Le pays est en attente d’une initiative forte qui ait de sérieuses chances de réussite. Le président Kaïs Saïed se trouve dans la meilleure position pour la prendre. C’est le sens de l’appel que je lui ai adressé le 13 juin 2020.

Comment en sortir?

Plusieurs voix appellent à un nouveau round du Dialogue national. En tête, l’Ugtt propose de l’engager sous l’égide du président Kaïs Saïed et en précise les contours et les axes. Elle met judicieusement en avant la réforme politique. C’est d’autant plus courageux que la tentation est grande de privilégier la question sociale perçue plus urgente et, sur le terrain, plus pressante. En pratique, la solution, si solution il y a, ne peut être que globale ou ne sera pas.

Si j’ai rappelé quelques moments du passé, c’est pour éviter des appréciations inadéquates qui pourraient conduire à des erreurs irrémédiables. Il y a, bien sûr, des similitudes entre la crise de l’été 2013 et la crise d‘aujourd’hui, mais surtout des leçons à tirer.

La première est de respecter les institutions, d’autant plus que nous disposons depuis le 27 janvier 2014 d’une Constitution qui, en dépit des failles relevées par certains constitutionnalistes, n’est fondamentalement contestée que par ceux qui ne reconnaissent pas la révolution et rejettent les fondements de la deuxième République. Inutile donc de s’égosiller à revendiquer la dissolution du parlement. Par quoi et pourquoi le remplacer ? Cependant, la loi électorale est à revoir. Avec cette même loi, des élections anticipées reproduiront le même paysage parlementaire éclaté ou pire.

La deuxième est que, paradoxalement, en 2013 le paysage politique était mieux structuré avec des forces représentatives facilement identifiables. Actuellement, c’est la construction anarchique qui prévaut expliquant le « tourisme-trafic » incessant entre partis et entre groupes parlementaires. Seul un petit nombre, parmi les 128 partis reconnus, répond aux critères universellement admis pour se constituer en parti. Depuis 2011, tous les gouvernements ont failli à leur responsabilité. Il aurait suffi d’appliquer le décret-loi de 2011 sur les partis pour éviter l’anarchie de ces partis « fast-food » qui pullulent dès qu’approche une échéance électorale. Il devient urgent de résoudre ce problème aux effets destructeurs sur notre démocratie balbutiante. Il est aussi essentiel de ne pas occulter la question fondamentale du financement public indispensable pour garantir l’indépendance des partis et surtout leur capacité d’encadrement et d’éducation politique pour les plus démunis.  Sinon toutes les dérives sont permises…

La troisième concerne la crédibilité de nos élections. Les rapports de la Cour des comptes ont souvent pointé du doigt les dérapages, les infractions... Depuis 2011, aucune solution sérieuse n’a été préconisée alors que certains délits sont flagrants. Le dernier rapport discrédite les résultats et démontre la place exorbitante et malfaisante de l’argent dont la source est suspecte. Une telle situation ne doit plus durer. Outre la sanction urgente des délits constatés, il est impératif de mettre en place des mécanismes qui permettront d’éviter, dans le futur, toutes les formes d’impunité. Il y va de la crédibilité de notre processus électoral, pilier essentiel de notre démocratie.

La quatrième concerne l’instabilité unanimement critiquée de nos gouvernements - seul le gouvernement de la « Troïka » a dérogé à cette règle puisque sa contestation est venue surtout de l’extérieur de l’ANC. Cette instabilité est en grande partie l’effet d’une loi électorale qui, adaptée à la phase constitutionnelle, est devenue aujourd’hui source de blocages inextricables. La révision de cette loi est donc impérative. Elle ne doit pas être faite à la hâte et se concentrer uniquement sur la stabilité gouvernementale. En harmonie avec la future loi sur les partis, elle doit se fixer comme objectif l’assainissement de la vie politique et la stimulation de la participation des citoyens.  La démocratie participative est l’avenir de la Tunisie. C’est le meilleur remède contre l’abstention et la démission qui ont atteint, lors des élections municipales, un niveau inquiétant parmi les jeunes.  Inscrite dans le préambule et le chapitre 7 de la Constitution, ainsi que dans le Code des communautés locales, la démocratie participative restera lettre morte en l’absence de mécanismes clairs et facilement applicables.

En conclusion

Ce que nous vivons actuellement comme situations parfois désolantes ne doit pas nous surprendre. C’est en fait le résultat d’accumulations. Nous avons vécu des situations aussi navrantes sans nous alarmer outre mesure, parce qu’en face nous avions un ou des responsables à l’égard desquels notre complaisance a pris le pas sur notre rigueur. Personne n’a apprécié les conditions d’adoption de la dernière loi de finances 2021. Le jugement est unanimement sévère. Mais qui se souvient du contexte où fut adoptée la loi de finances 2016 ?

Pourtant, ironie de l’histoire, c’est le 10 décembre 2015 -  jour de la remise du prix Nobel de la paix au Quartet, lorsque la Tunisie a été célébrée à Oslo avec faste et solennité - que,  pour la première fois depuis la Révolution, la majorité parlementaire sous la présidence de  Mohamed Ennaceur n’a pas hésité à adopter «en solo» la loi de finances de 2016, faisant fi de  l’absence de l’opposition qui s’était  retirée en refusant de cautionner des articles suspectés d’anticonstitutionnalité. Ainsi, le jour même où le dialogue tunisien était mondialement consacré et récompensé en tant que méthode exemplaire pour gérer les crises, la nouvelle majorité parlementaire a utilisé un passage en force, refusant les conditions minimales pour l’instauration d’un dialogue.

C’est dire combien la transition est un long chemin semé d’embûches. D’autres pays avant nous l’ont emprunté. Nous aurions pu tirer la leçon des expériences des autres ! Cela nous aurait épargné tant de déboires et nous aurions consacré notre temps et notre énergie à répondre aux véritables attentes du pays, à la remise en marche de notre économie pour créer de la richesse et la partager plus équitablement et à la mise sur les rails d’un développement durable plus juste, pour le bien-être de tous. Au lieu de cela, nous avons consacré temps et énergie à nous entredéchirer. Même les partis les mieux structurés ont contribué à cette accumulation d’erreurs. On choisit un candidat aux postes de première responsabilité, sans vraiment le soutenir. On pousse à la sortie un gouvernement qui n’a nullement démérité en pleine pandémie !

En dépit de ces errements, tout reste possible si la volonté est là. Surtout ne pas oublier que la réconciliation nationale n’est pas un simple slogan. Fondée sur le principe de l’acceptation de l’autre, elle est toujours à l’ordre du jour. Elle reste la condition du fonctionnement démocratique de nos institutions et de l’efficience de tout projet de développement.

Tunisie, Dix ans et dans Dix ans
Ouvrage collectif sous la direction de Taoufik Habaieb
Editions Leaders, janvier 2021, 240 pages, 25 DT

www.leadersbooks.com.tn

Mustapha Ben Jaafar

 

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