News - 14.11.2019

Samir Gharbi: L’islamisme politique est-il soluble dans la démocratie?

Samir Gharbi: L’islamisme politique est-il soluble dans la démocratie?

Dans le quotidien Le Figaro  (édition du 12 novembre), le philosophe français Paul Thibaud (86 ans) défend l’idée de tolérer l’émergence de Partis musulmans en France pour mieux… isoler les extrémistes (voir son analyse pertinente en 2e partie).

Selon lui, l’islam politique est soluble dans la démocratie qui servira de révélateur… Les musulmans extrémistes, dit-il en résumé, sortiront affaiblis de la confrontation démocratique car les musulmans modérés seront encouragés à s’en dissocier pour devenir des hommes politiques comme les autres(*).

Qui remarque aujourd’hui l’existence des partis chrétiens en Europe ? Personne, car ils sont entrés dans le cadre ordinaire. Ce qu’on remarque le plus, ce sont les partis extrémistes de la droite.
Cette évolution sera-t-elle aussi celles des partis musulmans en pays musulmans ? Le parti Ennahdha se fondra-t-il dans le décor politique tunisien, comme un parti classique conservateur ou de droite ?
Rien n’est moins sûr. Car l’islam politique est enraciné dans la tradition comme une religion et comme un Etat (Al-islam dine wa daoula) : Mohamed était à la fois prophète et chef du premier Etat théocratique musulman à Médine (anciennement Yathrib) où vivaient des Juifs et des Chrétiens…

Cas de l’Iran : trente ans après la chute de la monarchie du Shah, ce pays est toujours  gouverné d’une main de fer par le clergé shiite. Quant à la monarchie islamique saoudienne, elle est toujours au pouvoir 1932. Trois autres républiques islamiques existent dans le monde : Mauritanie, Pakistan et Afghanistan. Aucune n’a vraiment réussi…

La Tunisie avec sa civilisation ancestrale (antérieure à l’Islam) et sa tradition réformiste et séculière n’est ni le pays des Saoud, ni celui des Khomeinistes. Il faudrait un tsunami pour détruire le paysage social et politique tunisien.

Mais il n’y a pas encore assez de recul historique pour juger l’expérience politique (politicienne) des années 2011. Les premiers indices permettent de penser que, par réalisme ou fourberie, le dirigeant actuel d’Ennahdha a su fédérer les extrêmes de son mouvement et, si je puis dire, mis de l’eau dans son vin. Il a dû s’aligner sur la masse, adoucir son discours et dissocier « officiellement » son programme de la religion. Pour certains analystes, ce n’est que de la poudre aux yeux. Ses disciples travaillent, en sous main, pour infiltrer tous les rouages de la société et de l’Etat. Ils ont du savoir-faire. J’ai suivi leur évolution depuis la naissance en 1981 du MTI (Mouvement de la tendance islamique), appréciez la nuance : ce n’était pas un mouvement « islamique » mais c’est une « tendance »…

Ils ont compris, depuis 2011, que la société tunisienne n’est pas permissible et n’est pas prête à gober un « islamisme politique pur et dur ».

Passée l’euphorie de 2011, Ennahdha s’appuie, et les dernières élections le montrent, sur un noyau de plus ou moins 15% du corps électoral. Et ce noyau n’est certainement pas le reflet de la réalité, tunisienne : si le code électoral était « normal » (celui d’une démocratie moderne), si les électeurs s’étaient mieux mobilisés pour aller voter, si les institutions chargées du contrôle avaient fait leur boulot (pour empêcher et sanctionner les transgressions dans le processus d’inscription, dans le financement et la propagande, si les faux partis et les faux indépendants n’étaient pas aussi nombreux, le taux de 15 % serait tombé à moins de 10%.

Qui ne sait pas que certains députés, islamistes, contrebandiers et autres, ont pu – sans être inquiétés – se faire élire en payant des « électeurs » ? Qui ne sait pas que le parti dominant Ennahdha et autres n’ont jamais soldé les comptes de leur campagne électorale de 2014 et que grâce à la loi (qu’ils avaient fait voter) ces affaires sont devenues caduques ?

Dans une démocratie normale, cela n’aura pas été possible. L’Etat de droit s’applique quelque soit X. En France, Nicolas Sarkozy continue à être poursuivi jusqu’à ce jour pour les comptes de sa campagne électorale en 2012. En Tunisie, les campagnes de 2014 sont passées aux oubliettes. Et celles de 2019 le seront aussi… Nos institutions sont faiblardes. Et nos lois sont d’un laxisme voulu parce qu’il sert les intérêts de dirigeants malhonnêtes. Rétablir l’Etat de droit est une promesse (un engagement) de Kaïs Saïed. Rêvons.

La nouvelle période qui s’ouvre (2019-2024) va encore montrer les failles du système. Mais le parti Ennahdha est désormais exposé en première ligne avec l’élection le 13 novembre au 1er tour de Rached Ghannouchi à la présidence du parlement (123 voix, dont 52 celles de son parti et 71 celles des autres, sur 217 voix) : il aura désormais la responsabilité de l’ensemble des leviers du pouvoir exécutif et législatif, de ses réussites comme de ses échecs. Il ne pourra plus dire : ce n’est pas nous, ce sont les autres.

Samir Gharbi

(*) Paul Thibaud (extrait) : « (…) L’élection est le lieu, l’occasion, où tous les citoyens se rencontrent et s’affrontent pour désigner un pouvoir. Exclure de cette confrontation telle ou telle tendance, telle ou telle proposition est donc un non-sens. (…) On soupçonne les musulmans d’avoir un rapport utilitaire à la démocratie, de revendiquer les droits qu’elle donne sans se préoccuper de les mettre en œuvre eux-mêmes, ici et dans les pays musulmans. Ce double jeu ne serait plus possible si, au lieu de rester des usagers de la démocratie, les musulmans en devenaient pleinement des participants responsables. Pour cela, la participation individuelle ne suffit pas. S’il s’agit de mettre à l’épreuve l’islam lui-même, le passage par des organisations musulmanes paraît nécessaire. »

 

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