News - 23.10.2019

Election de Kais Saied: réflet des attentes des tunisiens et tunisiennes en 2019 ?

Eléction de Kais Saied: réflet des attentes des tunisiens et tunisiennes en 2019?

L’élection raz-de-marée du candidat Kaïs Saïed aux élections présidentielles, après le « séisme politique » des résultats des élections législatives, une semaine plus tôt a fait couler beaucoup d’encre mais en réalité elle n’a rien de surprenant.

Une étude réalisée en septembre 2019 sur les attentes des tunisiens(i) à partir d’une enquête de terrain sur les 24 gouvernorats (1200 sondés) nous a permis de relever un grand déphasage entre les attentes des tunisiens d’une part et les promesses et les discours politiques d’autres part.

L’étude montre un manque de confiance quasi-unanime  avec un taux de défiance des institutions de l’État de 80% expliquant en partie les blocagesde transformation de l’économie que vit la Tunisie ou toute tentative réformatrice aussi réduite soit elle.

De plus, près de 85% des répondants expriment une perte de confiance (par rapport à)/en l’avenir, donnant d’ores et déjà des signes prémonitoires de à un vote qui s’est détourné des représentants politiques actuels.

L’enquête de terrain a montré un changement profond en termes d’attentes socio-économiques. En effet, les insatisfactions exprimées ne sont pas en lien avec l’accès ou non aux services publics, mais plutôt à leur relation avec ses services. Plus de 80% des tunisiens expriment une grande frustration,voire même d’humiliation, dans leur « expérience » avec les services publics,  tels que les transports, les services de santé, les services municipaux... Il en découle alors que les attentes les plus importantes pour le citoyen concernent d’abord son besoin de respect et valorisation face aux services publics, le rétablissement de l’État de droit, de la redevabilité, de la transparence, de l’équité, ou/et de la justice.

Il est clair que Kaïs Saied en candidat à la présidence de la République a particulièrement incarné ces principales attentes principales, et a permis une projection vers une citoyenneté  dans un État juste et équitable. Au travers de sa posture, il a su véhiculer des messages qui ont permis d’aspirer à  cette confiance avec l’État.

Cette étude des attentes des Tunisiens et du socle commun de ces attentes nous a amené dans le cadre d’un collectif d’associations (Solidar Tunisie, AFTURD, Nomad08 Redeyef) à proposer une vision commune pour la Tunisie(ii).

Cette vision repose sur l’ambition d’un pays juste, prospère, moderne, tourné vers le futur.

  • Un pays juste, où prime l’État de droitoù tous les citoyens sont considérés de manière égale devant la loi, mais aussi devant les services publics ;
  • Un pays prospère, qui assure le progrès économique, l’amélioration des revenus et la stabilité ;
  • Un pays moderne: digitalisé, orienté vers le service au citoyen et préoccupé par les questions environnementales,
  • Un pays tourné vers le futur: prêt à exploiter les opportunités futures, préparé aux risques et engagés dans les enjeux de demain.

Cette vision d’un système de valeurs en lien avec les attentes des Tunisiens :

  • L’équité: traiter les citoyens/citoyennes de manière équitable, combattre toutes les formes d’injustices et mettre en place des pratiques saines dans la conception et la conduite des politiques publiques.
  • La responsabilité: être responsable de  sesactes et en rendre compte, agir avec responsabilité et engagement et instaurer une culture de performance dans la conduite de ces activités.
  • L’ouverture: être ouvert sur le monde et sur les autres.
  • L’inclusion: Veiller à ce que la conception et la conduite des politiques publiques s’assurent de la prise en compte de tous les citoyens/citoyennes quel que soient leurs appartenances, leurs croyances ou leur statut social.
  • La transparence: Transparence dans la conception et la conduite des politiques publiques et s’engager à informer le citoyen/citoyenne à toutes les étapes d’exécution des politiques publiques.

La vision commune émanant des attentes des tunisiens/tunisiennes repose sur une exigence d’un citoyen valorisé, fier et confiant dans l’avenir:

  • Le respect et la valorisation: ceci se traduit dans l’importance donnée à l’expérience des utilisateurs et aux relations dans la gestion de l’attente et de la prise en charge;
  • La Fierté: fierté dans ce qu’on fait de ce qu’on est,mais aussi fierté d’appartenir au pays,
  • La Confiance dans l’avenir: confiance dans le système éducatif, dans la prospérité économique et dans les politiques futures.

Une ambition, une vision et des valeurs qui représentent le socle commun des attentes de tunisiens, incluentun vaste chantier de réformes et de développement socio-économique mais appellent aussi à un changement de paradigme dans les mentalités.

L’élection de Kais Saied, avec cet exceptionnel score électoral illustrant une très large popularité nationale ce qui représente un atout majeur pour engager toute transformation profonde nécessaire pour le pays . Une ligne de démarcation importante du projet de Kais Saied propose de mettre en œuvre ces transformations en plaçant le citoyen au centre des politiques publiques et comme partie prenante de la décision, et non plus des transformations qui émanent d’une manière verticale et centralisée. Le chapitre «Pouvoir local» de la constitution post révolution incarne en réalité cette philosophie de prise en main des collectivités locales dans leur développement socio-économique et il est désormais plus qu’urgent d’accélérer le rythme dans la mise en place des institutions et des mécanismes en lien avec cette gouvernance décentralisée.

L’adhésion du citoyen pourrait présenter un un levier et un accélérateur des projets et des réformes. En effet, au travers d’une évaluation du plan de développement 2016-2020, réalisée par Solidar Tunisie en collaboration avec le MIDCI(iii), nous avons mis en évidence que les principaux facteurs de blocage des projets de développement sont liés à l’absence d’une vision commune et partagée à laquelle s’ajoutent les problèmes fonciers, les difficultés au niveau de l’administration locale(iv), difficultés au niveau de litiges locaux et de la non adhésion voire même la non information des citoyens.
Il est aussi malheureux de constater que les projets de développement adoptés et annoncés dans le plan quinquennal 2016-2020, sont à majorité bloqués (et/ou non entamés) malgré le fait qu’ils soient planifiés, votés et budgétisés. Renforcer cette adhésion citoyenne locale et régionale à ces projets de développements régionaux par des mécanismes de vote et/ou de choix, pourrait accélérer et débloquer leur mise en œuvre.

Dans les recommandations stratégiques et méthodologiques proposées dans notre étude d’évaluation du plan, il a été souligné la nécessité de prioriser les projets et d’identifier les secteurs stratégiques et les filières permettant de focaliser les efforts et de rationaliser les ressources de l’État. L’approche participative permettraitaux localitéset aux régions d’être partie prenante de ces arbitrages et de ces choix locaux, d’une manière institutionnelle, mais nécessitera un renforcement de capacité au niveau local et des mécanismes de participation citoyenne afin de bâtir une synergie utile entre l’état central et les régions.

L’approche participative au niveau de la planification stratégique est par ailleurs déjà prévue dans le code des collectivités locales, les conseils municipaux seront appelés à fournir leur plan quinquennal, afin d’élaborer au niveau central le plan quinquennal 2021-2025. Mais ce travail reste aujourd’hui difficileà concrétiser pour des municipalités qui manquent de moyens et de formation, ainsi que d’outils pour un tel exercice.

Lobna Jeribi

i) Etude exploratoire sur les valeurs et attentes de la société tunisienne. Etude effectuée par le Forum des études sociologique pour le collectif d’associations Solidar Tunisie, AFTURD et Nomad08 Redeyed, Septembre 2019
ii) Quelle Vision commune pour la Tunisie – étude réalisé par Solidar Tunisie, présentée le 10 septembre 2019
iii) Evaluation du Plan de développement 2016-2020, effectué en collaboration avec le MIDCI, présenté le 10 septembre
iv) Le projet de déconcentration -mise en œuvre de l’administration locale et régionale au vu de la nouvelle gouvernance politique post constitution- n’est toujours pas proposé



 

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