News - 28.05.2019

Selma Elloumi Rekik: Pourquoi a-t-elle quitté Carthage? Quel est son projet? (Album photos)

Selma Elloumi Rekik: Pourquoi a-t-elle quitté Carthage ? Quel est son projet ?

Radieuse. Elle a retrouvé ses belles couleurs comme libérée d’un fardeau qui lui pesait sur les épaules. Et comme exaltée par la nouvelle mission qu’elle s’assigne. Selma Elloumi Rekik, qui vient d'être désignée présidente de Nidaa( Hammamet) par le bureau exécutif du parti conformément aux résolutions du Congrès de Nidaa après avoir renoncé à ses fonctions de ministre directeur du cabinet présidentiel à Carthage, est sereine. La décision n’a pas été facile à prendre : quitter son mentor en politique, et qui plus est de la trempe du président Béji Caïd Essebsi. Mais, en fait, point de séparation. « Juste un retrait pour respecter le contrat de neutralité politique» que le chef de l’Etat a imposé à tous ses collaborateurs, son directeur de cabinet, le premier, confie-t-elle à Leaders. Les liens avec le Président restent forts. Indéfectibles, ajoute Mme Elloumi Rekik. «Mais, pouvais-je rester insensible à tant de fractures dans la famille nidaiste et plus largement le camp démocrate et moderniste ? Aucune chance de sauver la situation si on ne se remet pas ensemble».

Comment Selma Elloumi Rekik a connu Béji Caïd Essebsi ? Pourquoi a-t-elle accepté de diriger son cabinet ? Et qu’est-ce qui l’a poussée à reprendre sa liberté d’action pour replonger en politique? Interview.

La première fois que j’avais rencontré le président Caïd Essebsi, c’était en 2005. C’était rapide, mais il m’avait déjà laissé une grande impression. Je suis allée le voir, avec des amis, début 2012, lorsqu’il avait lancé son appel (Nidaa) de sursaut national, pour lui témoigner de notre soutien et lui exprimer notre disponibilité à nous réunir autour de lui pour mener ce combat. C’est ainsi que je me suis retrouvée parmi les membres fondateurs, sous sa présidence, du mouvement Nidaa Tounès.

C’était une période fort exaltante. Le Président faisait montre de tout son grand talent politique, se déployant à tous les niveaux. Et c’était spectaculaire: tous venaient vers lui, le considérant capable de renverser la situation, d’empêcher un bain de sang, de préserver les acquis, notamment ceux de la femme, et d’éviter que la Tunisie bascule dans l’aventure et le chaos.
Je faisais à ses côtés mon apprentissage en politique. Admise dans son cercle rapproché, j’avais eu le privilège d’assister à nombre d’audiences qu’il accordait à ses nombreux visiteurs, tunisiens et étrangers. Il les épatait par sa grande connaissance du pays et des hommes, mais aussi de l’histoire de la plupart des pays et de la géopolitique dans le monde, avec des détails précis, signe d’une excellente mémoire. A tous, il tenait le même langage, sans jamais s’attaquer aux personnes : il ne faut penser qu’au pays et à ses intérêts. Il ne manque aucune occasion pour valoriser la Tunisie et les Tunisiens.

Cette proximité s’est poursuivie après l’accession de Caïd Essebsi à Carthage et votre nomination au gouvernement en tant que ministre du Tourisme et de l’Artisanat?

C’est différent ! Elue députée Nidaa dans la circonscription de Nabeul à l’Assemblée des représentants du peuple, j’ai rejoint le gouvernement de Si Habib Essid. Je continuais à aller voir le Président, pour le saluer et le tenir informé de mes activités. Soucieux du respect des prérogatives respectives, il n’intervenait jamais dans l’action du gouvernement. Mais, il me faisait bénéficier de ses éclairages, m’invitant toujours à faire moi-même les bons choix qui s’imposent.

Comment vous a-t-il proposé de prendre la direction du cabinet présidentiel?

C’était au détour d’une conversation, mi-octobre, comme j’avais souvent l’occasion d’en avoir avec lui. « Pourquoi ne pas venir ici à Carthage ?  Réfléchissez à la question !» m’a-t-il lancé sans chercher à m’imposer la moindre réponse positive. J’ai immédiatement répondu: Oui ! Je n’ai pas à réfléchir face à pareille opportunité. «Mais, comme vous faites partie du gouvernement, je dois en parler avec le chef du gouvernement», me dira-t-il. Et c’est ce qui fut fait. Il a été convenu que je continue à exercer mes fonctions à la tête du ministère du Tourisme et de l’Artisanat jusqu’à la fin du mois et préparer la passation avec mon successeur. Dès le premier novembre, j’ai pris mes nouvelles fonctions à Carthage.

Comment avez-vous trouvé le cabinet présidentiel?

C’est très différent du gouvernement. Une équipe réduite mais de très grande valeur, guère visible, fait fonctionner une institution aux solides traditions et rouages bien huilés. Elle épouse la vision du président de la République, répond à ses demandes de traitement en profondeur, documenté et dans le détail de chaque dossier qui lui est soumis et met en musique ses décisions. Un travail énorme qui se poursuit sans relâche à tout appel, afin d’informer le Président de toute urgence et exécuter ses instructions.

La Présidence, contrairement à ce qu’on pense, a un rôle très important à jouer. Même dans les domaines qui ne relèvent pas de ses attributions constitutionnelles, comme l’économie ou le social, le président de la République peut demander des précisions, attirer l’attention sur des situations et autres.

Ma fonction de directeur de cabinet est d’assurer la coordination et de gérer l’ensemble des services, comme si c’était un ministère, mais une institution de premier ordre.

Est-il facile de travailler avec le président Caïd Essebsi?

Un apprentissage quotidien au sommet de l’Etat, auprès d’un président exceptionnel!

Connaissant parfaitement le fonctionnement de l’Administration et les rouages de l’Etat, le Président Caïd Essebsi est d’une très grande rigueur. Tout doit être bien documenté, argumenté, discuté au préalable au sein des équipes et traité en profondeur, et toutes les options doivent être prévues avant qu’on ne les lui soumette. Le cabinet prépare et propose, le Président décide. C’est une véritable école et j’ai beaucoup appris tout au long de cette période passée à ses côtés. Beaucoup plus qu’auparavant. C’est d’un niveau complètement différent. Le Président a un sens de l’Etat aussi rarement développé.

Quand avez-vous commencé à envisager votre retrait du cabinet présidentiel?

Le Président Caïd Essebsi a une conception très claire en la matière : il exige de tous ses collaborateurs à la Présidence une neutralité totale par rapport aux partis politiques. Ils doivent rester au service de l’Etat et ne sauraient exprimer la moindre préférence aux uns ou aux autres. Je le comprends parfaitement, connaissant son sens de l’Etat. Mais, j’étais bouleversée par ce qui se passe sur la scène politique, la multiplication des fractures, l’enlisement des débats dans des querelles personnelles, loin des préoccupations quotidiennes et des urgences du pays. Pouvais-je y rester insensible, et me contenter d’observer à mon corps défendant la descente vers les abîmes, noyée dans ma bulle sans réagir?

Je bouillonnais d’envie d’intervenir, mais je ne pouvais le faire, bridée que j’étais par mes fonctions officielles. Venant du monde de l’entreprise, en adhérant à Nidaa, puis en acceptant un poste de ministre, puis celui de ministre directeur du cabinet présidentiel, je m’assignais un combat, une mission, plus qu’une fonction. Et je me suis pleinement investie dans l’accomplissement de cette mission, me fixant des objectifs précis.  Connaissant l’intransigeance du Président quant à l’engagement politique de ses collaborateurs, je n’avais d’autre solution que de lui soumettre mon départ.

Comment ça s’est passé?

Dix jours durant, avant ce mercredi 15 mai, j’avais tourné et retourné ma décision dans la tête. Pas facile à prendre. Mais, j’étais résolue à y aller. Si je reprends ma liberté, c’est pour œuvrer en faveur du renflouement du mouvement démocratique et moderniste que le Président Caïd Essebsi a initié en constituant Nidaa. La démarche, nécessaire à entreprendre, n’est pas encore totalement tracée : repêcher Nidaa ou établir une large et solide plateforme à laquelle s’arrimera le plus grand nombre possible d’anciens nidaïstes, mais aussi toutes les bonnes volontés qui le souhaitent. Un regroupement salutaire pour les valeurs républicaines de liberté, de démocratie et de progrès et dans l’intérêt de la Tunisie et des Tunisiens.
Je ne sais pas si j’y arriverai, mais sans doute je suis capable d’y contribuer utilement et de toute façon convaincue de l’urgence de la démarche et de son opportunité. J’étais décidée à y aller. Mais, avant de m’y engager, je voulais avoir l’accord du Président.

C’était nécessaire?

Oui, et important. Je lui ai toujours tout dit, comme je l’avais toujours fait avec mon père. Je voulais l’apprendre moi-même au Président avant qu’il ne le sache par ailleurs. En politique, j’ai tout appris de lui. Je lui dois fidélité.

Cet entretien avec le président Caïd Essebsi devait être chargé d’émotion...

Sans doute ! Enormément pour moi. Surtout quand l’homme d’Etat a réagi avec tout ce que le sens de la République lui commande, mais aussi avec une réelle affection. Evidemment, il a voulu s’assurer du degré de ma résolution, me demandant de revenir sur ma démission. Mais, finalement convaincu de ma détermination, il m’a dit que ses vœux de succès m’accompagneront dans ce que je compte entreprendre.

Et maintenant?

Aucune chance de sauver la situation si on ne se remet pas ensemble. Pour le moment, je me contente d’observer, d’écouter et de prêcher le rassemblement. Beaucoup viennent me voir. De divers bords et générations. A les écouter, je perçois dans leurs propos une sincère volonté de transcender les clivages et de converger vers l’essentiel.

L’œuvre exige sans doute plus de débats et de concertation.

Mais, l’urgence de la situation nous y presse.

Lire aussi

Pourquoi Selma Elloumi Rekik quitte la direction du Cabinet présidentiel

Comment Caïd Essebsi a réagi à la démission de Selma Elloumi Rekik


 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.