News - 17.10.2015

L’olivier en Tunisie, mythes et légendes

L’olivier en Tunisie, mythes et légendes

L’olivier tire ses origines de l’Asie il y a 6000 ans. L’olivier cultivé, olea europaea L…, provient de la variété sylvestre olea chysophylla laen, par le biais de l’olivier sauvage ou oléastre. Les phéniciens diffusent l’olivier dans les îles grecques à partir du 16ème siècle av. JC, puis au 14ème siècle av. JC dans la péninsule grecque*.

Si le bassin méditerranéen est considéré comme le berceau de notre civilisation, l’olivier fait également partie de notre culture. Il existe également au Portugal, en Espagne, au Sud de la France, en Italie, en Grèce, en Turquie, en Afrique du Nord, en Palestine, en Jordanie, en Syrie et dans d’autres pays comme le Mexique, le Pérou, l’Argentine, les USA (La Californie) et le Pakistan.

Les habitants des pays des deux rives de la Méditerranée ont profité de cette culture et de ses bienfaits au cours de leur histoire. Outre l’olive et l’huile, ils ont utilisé également les branches (baguettes) comme bois, la valeur calorique des grignons pour le bétail et parfois certaines margines comme engrais biologique sur sols sableux (expériences déjà entamées en Tunisie)…

D’après les nombreux historiens, en Afrique du Nord, essentiellement les quatre pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye), la culture de l’olivier est passée par plusieurs périodes. Nous relevons :

  1. La période romaine où les plantations sont un facteur de fixation. Exploitations, pressoirs observés sur tout le territoire tunisien.
  2. Le moyen âge et les périodes modernes et contemporaines (20 et 21ème siècle).

L’Homme a donné, dès le début, beaucoup de soin pour protéger et pour améliorer la culture de l’olivier en tant qu’arbre mais également pour extraire une huile de qualité toujours meilleure. Nous l’observons dans le patrimoine historique des pays méditerranéens : peintures murales, fresques, mosaïques. La Crête était riche de cette civilisation de l’olivier: l’huile était une denrée très exportée durant les périodes anciennes et l’économie oléicole existait déjà dans l’Antiquité.

L’historien El Yaquoubi décrivait que dans la région sfaxienne régnait l’olivier (9ème siècle) et puis au 11ème siècle il a été constaté une dégradation des superficies plantées. A la période coloniale, certaines régions comme le Sahel tunisien, les Hautes plaines du Nord, Béja, Siliana, le Kairouannais, Sidi Bouzid et la presqu’île de Zarzis ont été replantées. Mais en Tunisie, le maximum de l’extension de la culture de l’olivier reste la période romaine et les vieux oliviers noueux sont constatés du Nord (cap Bon) au Sud (particulièrement à Djerba).

A l’exclusion des pays de l’Union européenne, la Tunisie est le plus grand producteur dans le secteur de l’huile d’olive avec 70 millions d’arbres qui s’étendent du 1.7 millions d’ha, une densité de 100 pieds à l’ha au Nord (domaine du subhumide et du semi-aride, plus pluvieux), de 50 à 60 pieds à l’ha dans le Centre-Est et Ouest, de 20 pieds à l’ha dans le Sud (utilisant le système d’arido-culture et des ouvrages de collecte d’eau).

Ils se développent sur plus de 80 % des terres réservées à l’arboriculture fruitière (Ministère de l’agriculture, 2010). Ces arbres se répartissent de la façon suivante : 31 % divers jeunes, 54 % en production et 15 % de vieux oliviers (Institut de l’Olivier, 2011).  Le Nord 24 millions d’arbres, occupant 238 000 ha, le Centre 29 millions, occupant 780 000 ha, le Sud 17 millions, occupant 708 000 ha.

Exigences de l’olivier

Comme pour les autres cultures, des facteurs favorables sont à signaler pour son développement:

  • Un climat subtropical (méditerranéen contrasté), un système radiculaire qui s’adapte aux sols méditerranéens (isohumiques, calcimagnisiques, bruns calcaires…);
  • Inversement, l’olivier résiste à des conditions environnementales parfois extrêmes (sécheresse, salinité, températures élevées…).

Il est à observer que la distribution du système radiculaire est en relation avec la texture et l’aération du sol. En système irrigué les racines se retrouvent concentrées à une profondeur de 70 à 80 cm. En système pluvial et en zones arides, elles peuvent explorer plusieurs m³ de sols (exemple région de Sfax et Zarzis).

Oléiculture dans les zones marginales

En zones considérées marginales, les hautes terres des anciennes steppes des gouvernorats de Sidi Bouzid, Kasserine et les terres des Ségui Gafsa, Kébili, pour aboutir plus au Sud, Tataouine (conditions extrêmes du climat et du sol), la production est faible et l’intervention de l’Homme est indispensable : aridité, couverture pédologique de faible fertilité, sols caillouteux, gypseux, salés, pentes fortes > 20 %, faible recouvrement de l’horizon de surface et roche parfois superficielle, à une topographie accidentée. L’olivier peut présenter une certaine plasticité en s’adaptant à quelques types de sols difficiles de plaine (besoin d’assainissement). Aux terrains du Nord et à 45 % d’argile, le système radiculaire est sensible à une forte humidité et leur aptitude agronomique devient défavorable.
Ainsi, les meilleures terres sont celles de texture moyenne (argile, limons, et sables en proportion équilibrée), à pH neutre ou sub-alcaline, riches en matière organique avec disponibilité en eau (associées à des ouvrages de collecte d’eau dans les cas de Tunisie Centrale et du Sud).

Comment préserver les pratiques traditionnelles et utiliser les nouvelles technologies?

La technique de gestion du sol considérée en premier lieu ne répond pas pleinement aux critères intensifs de culture : les facteurs environnementaux limitatifs peuvent freiner aussi le développement de l’arbre.

Il faut considérer la résistance aux stress climatiques et édaphiques (froid, sécheresse, vent, texture, salinité) et l’adaptation aux terrains irréguliers, très argileux ou très peu épais. La sécheresse des dernières décennies (parfois 4 années successives) conjuguée à des sols non aptes à l’oléiculture (comme les anciens sols gypseux de parcours des basses steppes de l’arrière pays de Sfax, et de la plaine de la Djeffara et El Ouara par une extension abusive depuis les années 80 par de nouvelles plantations,) ont eu pour conséquence le dépérissement de quelques milliers d’arbres, exemple des dépressions intérieures mais surtout dans les territoires des gouvernorats de Gabes, Médenine et Tataouine.

La bonification et la correction s’appuient sur une application de pratiques culturales agronomiques visant à maintenir la plante en bonne santé : intervention sur la taille (hauteur et volume de l’olivier) pour favoriser les travaux de culture et améliorer l’efficacité de la production (ensoleillement) et la conservation de l’environnement paysagiste, complémentation par le fumier et la matière organique en système d’agriculture biologique ou en système conventionnel (traitement par les pesticides contre les épidémies…). Labours saisonniers adéquats permettent de lutter contre les mauvaises herbes et l’amélioration des réserves hydriques du sol. Enfin, l’utilisation de machines de manière rationnelle « système intensif mécanisé avec peu de main d’ouvre » est de plus en plus constaté dans les pays producteurs comme l’Espagne, la Grèce et l’Italie et qui peut atteindre la Tunisie dans un proche avenir. La question des ressources génétiques est aussi primordiale dans la préservation du stock génétique local. En effet la variété espagnole Arbequina cultivée en système intensif prend de plus en plus d’ampleur ces dernières années et cherchant la productivité et la rentabilité de l’oliveraie en temps court. La production  atteint  en moyenne les 13 000kg d’olive/ha, 2600 kg d’huile/ha et consommant 1800 m3/ha en irrigation goutte à goutte, après 2 ans d’âge.

Quant au système de l’oléiculture traditionnelle, qui réduit les coûts de main d’œuvre et de production, elle est caractérisée par une densité de plantation limitée à des petites exploitations de quelques dizaines de pieds d’oliviers souffrant parfois de problèmes fonciers. Ils sont ingénieusement soutenus par le système de Meskats au Sahel et une préparation du terrain par des outils limités mais efficaces. Les techniques de traitement du terrain et de fertilisation manquent mais compensées par l’apport d’eau comme le système des Jessours de Matmata, Beni Kheddache et Tataouine (régions où l’olivier se développe en touffes et prenant des envergures de plusieurs mètres en hauteur et en largeur).

En Tunisie, la majorité de nos plantations sont exploitées en pluvial, utilisant en grande partie les aménagements de la petite hydraulique.

Production et bienfaits de l’huile d’olive

Se référant aux riches données des chercheurs et ingénieurs du Ministère de l’agriculture (Institut de l’olivier, DGPA, DGAB, CRDAs et en particulier les études de S.Elfékih , M. Msallem, A.Trigui, 2002, 2005, 2012), il est constaté que la production lors des dernières décennies enregistrait des fluctuations (285 000 t en 1991/92 et 60 000 t en 1995/96 avec globalement une moyenne annuelle de 180 000 t). C’est le même cas  pour les exportations qui restent avec des valeurs supérieures aux 70 % de la production nationale. Il est également observé que la qualité s’améliore en fonction des années (utilisation de guide technique sur les bonnes pratiques accompagné d’un encadrement constant aux agriculteurs). Pour la Tunisie, l’huile d’olive est le 1èr produit à l’exportation. Entre 2006-2010, une valeur moyenne de 653,56 millions de dinars (4ème place mondiale après l’Espagne, Italie, Grèce) a été enregistrée (INS, 2011). La consommation totale nationale varie de 25 % à 30 % de la production totale. En effet le tunisien consomme en moyenne 22,7 kg d’huile végétale dont 7,2 kg d’huile d’olive par an. La quantité d’huile biologique atteignait 25 000 tonnes en 2009 pour une surface cultivée en oliviers de 120 000 ha, elle est en augmentation constante.

La classification tunisienne des olives, enracinée dans les traditions régionales, offre les variétés suivantes (Trigui et Msallem 2002):

  • Variété à huile : Chemlali, Chetoui, Gerboui, Zalmati
  • Variété de table : Gerboui, Meski, Saiali, Zarazi
  • Variété à double aptitude : Barouni du Sahel, Besbessi, Leimi, Ouslati, Zarazi du Sud, Yacouti, Jebali

Les huiles sont définies par leur degré d’acidité : L’huile extra vierge (jusqu’à 1% d’acidité) et l’huile d’olive vierge (jusqu’à 2 %), l’huile raffinée est obtenue par raffinage des autres huiles (acidité supérieure à 3 %).
Sur un autre plan, la plupart des spécialistes en nutrition et santé s’accordent à penser que pour le contrôle alimentaire de l’hypercholestérolémie, il faut:

  • Une réduction des calories
  • Une réduction du cholestérol dans les acides gras saturés et une augmentation de la consommation d’acides gras mono insaturés et polyinsaturés.

C’est le régime méditerranéen par excellence conseillé pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Il en découle que l’adjonction d’huile d’olive à un type de régime alimentaire peut entraîner une diminution de tension artérielle.

Problématique environnementale et développement durable

Un article paru dans Newsweek en 2001, « Beautiful but deadly » (L. Moseley and A. Piore) soulignait le phénomène d’extension de la culture de l’olivier et l’importance de la production  intensive de l’huile d’olive ces dernières années par des encouragements financiers (principalement l’Union Européenne) comme un facteur mortel au paysage et à l’environnement. Il apparaît que cette culture, de plus en plus intensive (grande utilisation en fertilisants, en pesticides et en eau) engendre une pollution galopante constatée en Espagne et en Grèce (environnement, nappes phréatiques).
Les oliviers sont également utilisés pour lutter contre l’érosion hydrique des hautes terres du  Kef, de Béja, de Kasserine, et de Kairouan pour consolider les ouvrages de banquettes et autres aménagements hydrauliques et fixer en même temps le sol fertile. De même les cultures biologiques, comme l’olivier, deviennent une spéculation très recherchée par certains investisseurs et encouragées par l’Etat.
Il reste que le rejet de la margine constitue une pollution environnementale à remédier. A ceci, il faut une prévention et une gestion rationnelle auprès des huileries par l’encouragement à la construction de bassins de stockage temporaire en attendant les techniques de traitement et d’élimination dans les régions productrices. D’où la nécessité d’améliorer encore la stratégie nationale oléicole avec ses différentes composantes, techniques, économiques  mais aussi environnementales.

Conclusion

Contrairement à ce qui a été présenté dans l’article du Newsweek International 2001, l’olivier reste pour les pays méditerranéens et particulièrement pour la Tunisie, un symbole qui s’identifie à son patrimoine culturel, une spéculation agricole civilisationnelle et économique (par les apports en revenus aux paysans et le soutien à l’exportation). Les recherches dans le domaine oléicole vont bon train avec les problématiques relatives aux moyens techniques de gestion des plantations, surtout pendant les périodes de sécheresse, l’amélioration des rendements à l’hectare, la qualité des olives et l’extraction de l’huile. Depuis des décennies des programmes d’action se réalisent dans les nombreux centres et instituts de recherche comme le CIHEAM (Centre des Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes), l’Institut de l’Olivier de Tunisie. La contribution récente des Centres de l’Agriculture Biologique de Chott Meriem (Sousse), et de l’agro-alimentaire se manifeste sur des divers plans (suivi et évaluation de la qualité) sans pour autant oublier les efforts croissants des groupements d’associations de développement agricole et de l’environnement,  l’ANPE (Agence Nationale de Protection de l’Environnement) et du CITET (Centre International des Technologies de l’Environnement de Tunisie) pour lutter contre les aspects dégradants des rejets de la margine dans la nature.
Parallèlement l’appui à la collecte et la commercialisation par l’office nationale de l’huile (ONH), l’OTD, et le secteur privé pourrait stimuler dans une large mesure cette filière à la production et à l’exportation tout en tablant sur les paramètres de valorisation de la qualité du produit et les appellations d’origine contrôlées afférentes.

 

Amor Mtimet
Ingénieur expert

Références* : Conseil oléicole international, Encyclopédie mondiale de l’olivier 1997, Institut national des statistiques 2011


 

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3 Commentaires
Les Commentaires
el khlifi mokhtar - 18-10-2015 13:26

Oui, mais protégez cette richesse nationale contre la bactérie destructrice xylella fastidiosa (cf lettre ouverte du 30 juillet 2015 parue dans Leaders adressée à monsieur le Ministre de l'agriculture et restée sans réponse)

Yessine B. A - 19-10-2015 11:43

Comme d’habitude, Dr. Mtimet A. nous as habitué par ces articles synthétiques et claires. Je confirme que les recherches dans le domaine oléicole vont bon train avec les problématiques relatives aux moyens techniques de gestion des plantations, surtout pendant les périodes de sécheresse, l’amélioration des rendements à l’hectare, la qualité des olives et l’extraction de l’huile. De même, je rejoins le commentaire de monsieur EL KHLIFI M. à propos la bactérie destructrice xylella fastidiosa. Cette bactérie a contaminé les oliveraies de la région méridionale des pouilles. A la lumière des expertises, l’union européenne, préconise une mesure de stricte éradication dans les zones touchées et infectées. En termes plus claires, cela signifie l’arrachage pur et simple des oliviers…etc. (A suivre)

Kaouche Tarek - 24-02-2019 20:09

"D’où la nécessité d’améliorer encore la stratégie nationale oléicole avec ses différentes composantes, techniques, économiques mais aussi environnementales." et sociales

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