News - 24.12.2014

Marzouki face à son « peuple citoyen », discours de la négation, naissance d'un populisme

Le discours de Marzouki devant des milliers de jeunes « électrisés » hier soir n’est pas une banalité ou un fait divers de la fin d’une campagne soldée par son échec électoral. Non, c’était bien l’annonce d’une rupture et d’un projet politique nouveau » au nom de la Révolution.

Dans un discours au ton violent et passionnel, Marzouki invente un autre peuple, celui du « peuple citoyen », notion puisée dans l’imaginaire révolutionnaire jacobin de la Révolution française  et qui va prospérer à la faveur de l’éclosion des mouvements révolutionnaires en Europe aux XIX et XX siècles, jusqu’à la montée des fascismes et populismes de gauche comme de droite et d’extrême droite.

Marzouki se rebelle contre Ennahdha

Le ton de la rupture avec Ennahdha était clair, il cherchait par là à se débarrasser de sa tutelle. Jusque là vu par une large partie de l’opinion comme une « marionnette » du parti islamiste qui l’a fait président, Marzouki voulait hier rompre définitivement avec cette image aliénante. Sa revanche sur ses parrains d’hier, il veut l’imposer au « peuple » même d’Ennahdha , public qu’il a tant courtisé des mois durant, cherchant ses voix. En l’appelant hier à s’affranchir avec lui pour devenir  « le peuple citoyen » il cherchait ouvertement à le dévoyer, à le réincarner par un discours de la « régénération ».

Le citoyen contre l’individu

Sur le même ton, Marzouki, sorti des élections gonflé par 1,3 million de voix, se présente en conquérant et promoteur du « citoyen vertueux », un citoyen qui n’existe pas pour lui, comme simple individu en société, mais qui ne peut exister que dans la posture de l’éternel insurgé contre tous les « vices », contre l’injustice, contre la corruption, contre le mal. Le citoyen prôné hier par Marzouki ne peut être que l’incarnation d’une utopie qui a surgi dans la tête de Marzouki même, celle d’inventer un peuple « aguerri », révolutionnaire et de le dresser contre la société « siège de tous les vices » et indignement représentée par les élites décriées hier par le « président du peuple » qui s’oppose ainsi « dignement » au « président des élites » celui élu par un autre peuple, celui tunisien.

La promotion du citoyen « vertueux », conduit à la négation simple du citoyen tel qu’il existe dans le réel. Il est de ce fait une illusion puisque renvoyé à un principe abstrait, celui de la révolution qui n’est pour le citoyen ordinaire qu’un événement contingent aussi exceptionnel soit-il mais qui, dans la tête de Marzouki, est un idéal en incessante réalisation, toujours à parfaire parce que imparfait.

Un peuple qui n’existe pas, contre un peuple qui existe

Images et mots se bousculaient hier dans sa tête en laissant jaillir toutes les contradictions et ambigüités : crier au complot « des urnes » pour préparer une conspiration « insurrectionnelle » et faire le procès de la démocratie naissante au nom d’une utopie démocratique ; opposer l’archaïsme du peuple à la société civile moderne et organisée. A aucun moment il n’a fait usage des notions structurantes comme celle de société ou de société civile. A aucun moment il n’a évoqué la femme tunisienne qui a voté massivement pour son concurrent. Son adversaire, pourtant victorieux des suffrages n’avait pas de place dans son discours ; il fallait justement l’ignorer parce que représentant des « vieilles élites décadentes » face « au nouveau « guide du peuple citoyen ».
Par son jeu de mots et d’images, il a simplement opposé un peuple qui n’existe pas à un peuple existant ; par son « citoyen » nouveau, il a nié l’individu pragmatique et modéré construisant sa citoyenneté à partir de ses références habituelles.

Il ne manquait à son discours qu’un élément pour compléter la« cohérence révolutionnaire » : l’appel à la démocratie directe ou au pouvoir direct du « peuple souverain » qui a marqué dans les annales les pires moments de la terreur robespierriste d’après la révolution de 1789 jusqu’aux abîmes deGueddafi dans la Libye voisine. Ce pas a failli être franchi puisque le mot « le pouvoir au peuple souverain » revenait tel un refrain tout le long du discours.

En opposant hier peuple à élites, il a versé dans le populisme le plus cru, populisme qui a servi de réserve idéologique aux pires violences contre l’UGTT, contre les militants politiques et contre toutes les manifestations publiques qui ne plaisaient pas à ces missionnaires de la « violence purificatrice ».

En bref, le discours de Marzouki rappelleaussi les discours fondateurs du fascisme du temps de Mussolini: on fait appel à une entité sacralisée, le peuple"déifié" qu'on dresse contre un ennemi intérieur qu'il faut extirper au nom de la vertu révolutionnaire, ensuite on maquille ce populisme haineux et hargneux par un vernis de citoyenneté trompeuse, le tout donne une justification à toutes les dérives violentes et autoritaires.

Une droite populiste organisée et totalitaire en projet

Hier Marzouki a tout simplement annoncé la naissance d’une droite populiste organisée et totalitaire. Quelles sont les chances de succès d’un tel projet ? Historiquement les projets populistes se sont nourris des frustrations et des crises profondes des sociétés qui les ont vus naître,  ainsi que de la capacité de personnes démagogues et ambitieuses à pouvoir s’en servir pour canaliser et orienter les colères et en faire des forces de frappe insurrectionnelles.

Ce ne sont ni les frustrations ni les crises qui manquent à la notre. Les violences protestataires dans les fiefs électoraux de Marzouki au sud du pays et dans certains foyers de l’exclusion pourraient constituer les premiers terreaux de cette « genèse rêvée » du populisme. Reste que beaucoup de choses dépendront de la manière dont la société sera gouvernée par les nouvelles élites portées au pouvoir, de la manière aussi dont les réponses seront données aux problèmes, sociaux, culturels  et idéologiques d’une jeunesse aux abois.

Sinon, le net recul de l’islam politique et les désillusions qu’il provoquera, les limites et ambigüités du discours politique du réformisme tunisien réactivé à la faveur de la montée de NidaaTounes, la crise durable des idéologies de gauche ; tout cela risque de perpétuer un vide propice à l’éclosion de tous les populismes et notamment de ceux qui trouveront un chef, incarnant l’enfant du peuple et l’image du guide d’une révolution toujours rêvée, mais jamais accomplie.Marzouki l’a bien dit hier « je suis cet homme providentiel » pour un peuple « idéal ».  Pourtant, il le sait, ce peuple « réservoir » qu’ il rêve de guider est aussi fait des membres des LPR interdits pour violences, auxquels il voudrait additionner d’éventuels désenchantés d’Ennahdha, des anciens activistes des petits partis  de l’extrêmes, le tout servirait de carburant à une lame de fond dont il détiendrait seul les secrets.

L’histoire n’est jamais un progrès linéaire de la raison, elle peut enfanter les pires folies..

Tags : Ennahdha   moncef marzouki  
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7 Commentaires
Les Commentaires
bouzaiane Mohamed - 24-12-2014 12:13

Ce qui peut manquer à notre avancée vers la démocratie libératrice, est l’instance d'intellectuels qui œuvre pour la sécurité matérielle et immatérielle du pays dans des visions à court, moyen et long terme. En effet, une partie du potentiel intellectuel Tunisien disponible peut être orientée vers la sécurité polyvalente et plurisectorielle. Un état responsable ne doit pas perdre de vue les dangers même non prémédités émanant des citoyens non avertis qui peuvent servir sans le savoir les intérêts des prédateurs locaux et étrangers. Toute déchirure sociale a une répercussion économique et financière sur le citoyens où qu’il soit en Tunisie. Les corrompus, ceux qui veulent rassasier leurs égo et s’accapare d’un pouvoir politique ou financier aux dépend des simples citoyens doivent être suivis, poursuivis et étudiés par des spécialistes en vue de protéger le commun des mortels des Tunisiens. Des commissions d’écoute psychosociales peuvent être envisagées en vue d’orienter les puissances intellectuelles de ces personnes vers les programmes de développement durable de la Tunisie et des tunisiens sans aucune distinction. Le geste de MMM, émane d’un vouloir de se sécuriser en se créant de nouveaux appuis qui lui permettent de rester encore plus sur la scène politique et médiatique du pays. Il est très courageux et très optimiste avec un grand public qui le soutient par méfiance ou par crainte de BCE (une très grande partie lui vient d’Ennahdha). Il est temps de converger toutes les puissances intellectuelles et manuelles de la population et de bien utiliser son temps au travail productif pour faire de la Tunisie un pays développé et durable, malgré sa pauvreté en ressources énergétiques souterraines. Notre vraie énergie est la somme des produits de nos puissances individuelles par le temps que nous consacrons au travail productif (non destructif). E=? p x t. Pour gagner MMM, doit savoir canaliser les énergies constructives et ne pas saboter la décision prise par la majorité qui comporte d’autres potentialités intellectuelles et manuelles. Pour gagner les futures équipes de MBCE sont appelées à travailler sur l’efficacité énergétique des ressources humaines en augmentant les puissances individuelles par les multiplications des meilleures formations ciblées, le suivi de la santé des citoyens et le bon usage de leurs temps au travail et aux loisirs. Le temps qui nous est offert par notre créateur est très bref et il est judicieux de l’investir pour une bonne existence ici et à l’au-delà. Vive Notre petite, paisible et joyeuse Tunisie.

Mansour Lahyani - 24-12-2014 12:29

Ce discours au ton violent et passionnel donne la chair de poule : ainsi donc, de dépit MMM appelle à la perpétuation de la colère des populations frustrées par les résultats de la présidentielle ! Il adopte une attitude populiste qui finira par favoriser les groupuscules fascistes, dont ses LPR et ses Dghij et Recoba n'étaient que les prémisses ! Et ce monsieur se targue d'être responsable et démocrate ??

T.B. - 24-12-2014 14:52

Il faudrait quand mêm se rejouir du resultat des elections en Tunisie qui a élu un president á une majorité (democratique) 55% c´est trés démocratique quant á l´atre volet des elections c´est la designation d´une opposition non moins forte et démocratique 45% c´est démocartique, c´est á peu-prés comme la France, c´est que le people Tunisien est mature, on peut dire comme les autres qui l´ont devancés de 2 siècles en démocratie; c´est un avertissement á ceux qui compte faire marche arrière. En fin ce qui distingue la démocratie de la dictature c´est la non-violence politique, les elections ne suffisent pas, il faut le pluralisme et l´action pacifique. Le people citoyen, c´est une phrase qu´on emploie souvent meme dans les democraties traditionnelles,mais parce que on veut souligner ici que c´est le people souverain qui decide. Citoyen=démocrate. En tout cas l´opposition est necessaire mais l´homme n´est pas toujours, si non ca devient un pouvoir personnel. L´opposition c´est clair, on designe par là une opposition de (gauche ou de droite).

Candide - 24-12-2014 21:26

Il ne faut pas se leurrer, 1,3 millions de voix, pour faire quoi ? Elles n’appartiennent pas à Marzouki ces voix. Qui en doute ? - Ce sont en majorité des voix nahdhaouies qui reviendront à un moment ou à un autre, dans la poche du leader de ce parti, ou du moins ce qu'il en reste ; - Ce sont également les voix de tous ceux qui n'ont pas encore compris que l'ancien régime n'existe plus et que la nouvelle constitution à mis des pare feu afin de limiter les pouvoirs sans limite d’un éventuel dictateur ; - Ce sont aussi les voix de tous ces tunisiens, qui vivent dans les régions les plus reculées du pays, oubliés du pouvoir, du travail et du minimum vital ; - Enfin, ce sont les voix de ces débrouillards qui ont su profiter des faiblesses du système, en me mettant hors la loi en commerçant illégalement avec les pays limitrophes. La contrebande leur a assuré des revenus que leur pays ne pourra jamais leur offrir. Trop facile d’accuser les autres de sa propre déchéance, surtout après s'être allié avec le diable et que l’on ne s’est pas donné les moyens de lui résister. Même dans la défaite il est ridicule.

che - 25-12-2014 04:48

bech i khamejha et puis il tombera dans les fameuses poubelles de l'histoire

Miled Hassini - 25-12-2014 13:54

Un agitateur bruyant, confus , brouillon mais dangereux. A mon sens cette initiative ne fera pas long feu, c'est une maneuvre improvisee et peu reflechie, juste une reaction passionnelle a la faveur d'une defaite electorale. Mais au contraire elle risque de lui causer des ennuis et de le discrediter encore plus comme acteur politique. Marzouki a donne la preuve qu'il n'est pas un rassembleur pour mener une equipe de conseillers. On n'a qu'a regarder ce qui est advenu de son CPR. Marzouki est un homme orgueilleux et arrogant qui aime faire cavalier seul. Il se retrouvera seul apres cet ecran de fumee avant son depart qu'il vit comme grande amertume.

Hab'Houbh - 25-12-2014 23:18

Marzouki aurait vu le film "avatar" et il me laisse perplexe, fais-je partie du peuple ou celui des citoyens ? et cela me fait de l'angoisse dans le sens psychanalytique du terme. Ah ! c'est bon j'ai compris il a déjà dit : Nous allons être victorieux ou être victorieux ! Va comprendre Abdelhamid !

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