News - 09.06.2014

Visite de Théodore II: Redonner la parole à la pluralité identitaire usurpée

Près d’un mois après le pèlerinage annuel de la «Ghriba», la synagogue située à Djerba et témoignage du patrimoine judéo-tunisien, le Pape et patriarche des chrétiens orthodoxes du continent africain, Théodore II, est venu raffermir les liens entre les composantes de la communauté grecque et redonner la parole à la pluralité identitaire que des islamo-conservateurs cherchent à réduire à sa seule dimension arabo-musulmane.

http://www.leaders.com.tn/article/amel-karboul-prone-la-convivencia-du-21e-siecle-contre-vents-et-marees?id=14134

On ne pas effacer l’Histoire d’un revers de la main

Hasard du calendrier, la visite de sa béatitude le Pape Théodore II d’Alexandrie a coïncidé avec la célébration du parti islamiste Ennahdha de son 33ème anniversaire, au cours de laquelle son président Rached Ghanouchi a salué l’œuvre moderniste du fondateur de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba, qu’il a qualifié toutefois de «dictateur anti-démocratique», lui reprochant d’avoir «marginalisé l’identité arabo-musulmane» qu’Ennahdha «a eu l’honneur de restituer» aux Tunisiens.

http://www.youtube.com/watch?v=nc0eZRgRHGw#t=373

M. Ghanouchi faisait sans doute référence à l’article 38 de la nouvelle Constitution stipulant, entre autres, «l'enracinement de l'identité arabo- musulmane et l'ancrage de la langue arabe dans l'enseignement», ce que des composantes laïques du pays considèrent comme une usurpation de l’identité plurielle de la Tunisie et une tentative d'effacer sa mémoire collective qui a été façonnée depuis des millénaires par les présences phénicienne, romaine, vandale, byzantine et le brassage de plusieurs autres communautés du bassin méditerranéen.

M. Ghanouchi ne doit sans doute pas ignorer que le Palais du Bardo, où se sont déroulés pendant plusieurs mois les débats passionnées de l’Assemblée constituante qui a élaboré la Constitution est une bâtisse occupée jadis par des générations successives de la dynastie turque des Husseinites, que le Palais de la Kasbah était jadis le fief de la dynastie des Hafsides, une branche des Almohades, et que le Palais présidentiel de Carthage avait été édifié sur les ruines puniques et romaines, des civilisations qui ont laissé des traces indélébiles dans l'histoire de la Tunisie qu’on ne pas effacer d’un revers de la main.

C’est ce qu’a tenu à rappeler le président  provisoire  de la République, Moncef Marzouki, par sa présence dimanche à l'Eglise orthodoxe grecque Saint-Georges à Tunis, au terme de la célébration de «la divine liturgie patriarcale» pour la Sainte fête de la Pentecôte.

«Vous êtes chez vous en Tunisie, terre de la tolérance, de la liberté d’expression et de culte», a-t-il dit aux membres de la communauté, après avoir souhaité «la bienvenue à sa Béatitude» qui l’avait décoré du plus haut insigne du patriarche, le lion d’or d’Alexandrie, vendredi au Palais de Carthage, affirmant que «la Tunisie, ce pays punique à travers sa civilisation et son métissage interculturel, représente un pays tolérant depuis trois mille ans d’histoire».

L’Eglise Saint-Georges (située au 5 rue de Rome), édifiée sous le règne de Mohamed Sadok Bey vers 1862, sur l'initiative de son Premier ministre Mustapha Khaznadar, lui-même originaire de l’île de Chio en Grèce, servait de lieu de culte à la communauté grecque orthodoxe de Tunisie, qui ne représente aujourd’hui que quelques dizaines de membres, mais qui rappelle néanmoins un pan de l’Histoire du pays où différentes communautés cohabitaient.

Une visite riche en symboles

Le Pape Théodore II a réservé le même honneur au doyen et professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba, Habib Kazdaghli, en reconnaissance à sa contribution savante pour la sauvegarde de la mémoire des grecs de Tunisie, qu’il ne cesse de rappeler à travers ses écrits et les recherches menées avec ses étudiants.

«Nous devons mettre en pratique les idées annoncées dans la nouvelle Constitution relatives à la liberté de conscience. Les beaux principes annoncés dans le texte de constitutionnel n'ont de sens que s'ils sont mis en pratiques», a déclaré M. Kazdaghli à «Leaders», avant de présenter un bref historique sur la présence des grecs orthodoxes en Tunisie.

«Comme pour le cas du pèlerinage juif de la Ghriba, il faudrait rappeler aux Tunisiens la richesse des strates et apports ethniques pluriels qui ont façonné l'identité tunisienne actuelle et l'importance des liens et des filiations entre la Tunisie et  le monde orthodoxe.  La visite du Pape Theodore II est une occasion pour montrer le respect de la diversité religieuse des différentes petites composantes qui peuvent coexister en toute quiétude avec la majorité de la population qui est musulmane», a-t-il commencé par dire.

M. Kazdaghli a rappelé que cette présence remonte au XVII siècle et s'est faite dans le sillage de l'établissement en Tunisie de l'influence ottomane.

« Le culte grecque orthodoxe a été pratiqué librement en Tunisie depuis le XVII siècle par les membres de la communauté grecque orthodoxe qui faisaient partie du système des Millets qui régentait les nombreuses communautés non-musulmanes qui vivaient dans le vaste Empire ottoman. L’influence des chrétiens d'Orient s'est faite en Tunisie  à travers des Grecs convertis à l'Islam et ont fait partie de la caste des Mamelouks. Une autre partie est restée sur sa foi chrétienne et s’est organisée en communauté religieuse autonome présidée par un pope envoyée par le Patriarche d'Alexandrie », a-t-il dit.

«A la communauté ‘historique’ des Grecs installée à Tunis depuis le XVII siècle, d'autres communautés grecques vont venir s'installer à partir du dernier quart du XIX siècle à Djerba et surtout à Sfax. Le noyau principal des nouveaux arrivants sera formé par les pêcheurs et les commerçants d'éponges auxquels se sont ajoutés quelques médecins, des épiciers, des tailleurs, des transitaires etc..», a ajouté M. Kazdaghli.

Selon lui, c’est de là qu’est née l’importance des visites de hauts dignitaires religieux depuis l’établissement en Tunisie de Grecs orthodoxes, des visites immortalisées par la mise de plaques commémoratives sur les murs intérieurs de l'Eglise Saint-Georges, notamment la visite historique du Patriarche Melitios II, en juillet 1931.

Un circuit touristique orthodoxe

M. Kazdaghli a par ailleurs plaidé pour la mise en place d'un circuit touristique et culturel pour le monde orthodoxe qui comprend la Russie, l'Ukraine, la Serbie, la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie.

«Nous avons vécu ensemble pendant des siècles dans la diversité  des apports, il y a des traces du passé qui constituent des ressources patrimoniales à explorer, à conserver et à exploiter comme une base pour le développement économique», a-t-il dit.

Selon lui, il y a des milliers de touristes russes, grecs, serbes, bulgares qui visitent la Tunisie pour les plages et pour le désert. Cependant, la mise en place d'un circuit suivant les lieux de résidence à Tunis, Sfax et Djerba, avec la visite des trois églises grecques de ces villes, de même que la visite des églises russes orthodoxes, situées à Tunis (l'Eglise de la Résurrection, dans l’avenue Mohamed V) et à Bizerte, pourraient devenir des ressources patrimoniales à développer pour structurer un tourisme culturel susceptible de «meubler une basse saison touristique qui pourrait durer durant dix longs mois».

La Tunisie ne serait d’ailleurs pas le premier pays arabo-musulman à développer un tourisme religieux et culturel pour le monde orthodoxe. Des pays comme Bahreïn et les Emirats Arabes Unis abritent plusieurs églises orthodoxes, catholiques et protestantes, souvent saturées en raison de la forte présence de communautés chrétiennes et de l’afflux de visiteurs, notamment de pays  du sous-continent indien.
Les deux pays viennent d’ailleurs d’accueillir le patriarche Jean X, patriarche grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, qui a effectué à partir du 1er mai dernier, sa première visite pastorale au royaume de Bahreïn et aux Emirats Arabes Unis.

Le patriarche Jean X -qui était accompagné de Mgr Isaac, métropolite d’Allemagne, Mgr Ephrem, vicaire patriarcal, de prêtres et de diacres- a rencontré les membres des communautés orthodoxes dans les deux pays mais aussi des responsables religieux et politiques au plus haut niveau.
 

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