Opinions - 09.06.2014

L'Egypte vs la Tunisie

L’investiture du nouveau président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al Sissi, ne manquera pas de marquer l’Histoire de la région. C’est une investiture qui nous interpelle particulièrement nous Tunisiens car elle représente la pierre angulaire qui marque le point de départ des divergences entre nos deux parcours tant sur le plan régional que sur les plans nationaux respectifs.

Sur le plan régional

Au lendemain des indépendances arabes, l’Egypte avait réussi à s’imposer comme leader du nationalisme arabe. Une idéologie qui n’a conduit nulle part mais qui durant des décennies a donné à l’Egypte un aura de leader régional. L’Egypte avait en effet beaucoup d’impact sur la région parce qu’elle avait su, au moins jusqu’à la guerre des six jours, canaliser les délires des foules arabes concernant la cause palestinienne. Ce n’est, d’ailleurs, qu’après avoir perdu la guerre que la signature des accords de Camp David a été possible. L’Egypte avait alors compris qu’elle avait fait un choix irréaliste dont elle n’avait ni les moyens financiers, ni les moyens intellectuels et humains.

Néanmoins le pouvoir qui a toujours survécu grâce aux dons internationaux destinés au développement de la région, a su maintenir une  image  de leadership régional pour couvrir ses besoins financiers grandissants et maintenir en laisse un peuple livré à l’ignorance et à la misère.

Bourguiba, qui était un visionnaire de son époque, avait très bien compris combien les choix de Nasser étaient en dessus de ses moyens. Mais à quoi bon comprendre un état de fait lorsque la majorité est incapable de vous entendre. Il se contenta de s’investir à l’intérieur de ses frontières en laissant les ambitions démesurées de Nasser se frotter aux périls des réalités régionales et internationales.

Alors que l’Egypte, avec un militaire ambitieux à sa tête, fit le choix d’investir dans son armée ; la Tunisie, ayant un homme de droit visionnaire à sa tête, fit le choix d’investir dans ses ressources humaines. Alors que l’Egypte s’est voulue le leader d’un monde arabe émotionnel, la Tunisie s’est contentée d’entamer la construction des fondements d’un Etat moderne basé sur le droit et dont la société civile serait un partenaire.

Pas étonnant donc que le nationalisme arabe ait échoué et ne soit jamais parvenu à unir ne serait-ce que deux pays arabes. Pas étonnant non plus  que le printemps arabe soit né en Tunisie.

Bourguiba n’a malheureusement pas vu le produit de son œuvre qui a fait du peuple tunisien dans lequel il a investi, le peuple qui a surpris la planète toute entière en montrant la voie à suivre. La voie de la dignité qui passe obligatoirement par la tolérance, le dialogue et la démocratie.

Le plus important à retenir, c’est qu’il ne s’agit plus du rêve qu’un homme à cherché à réaliser pour  son peuple mais que c’est bel et bien devenu le rêve et la volonté de ce même peuple que d’aspirer à sa dignité citoyenne. Le vrai leadership étant justement de montrer la voie à suivre et de faire en sorte que tout un chacun s’approprie cette voie et y rajoute sa propre pierre pour la consolider.

Par conséquent, c’est bien la Tunisie qui au fil du temps a prouvé qu’elle avait fait les bons choix puisque la révolution tunisienne a été spontanément reprise par les peuples du  Yemen,  d’Egypte, de Libye, du Bahrein et de Syrie. Toutes ces révolutions n’ont pas évolué de la même manière certes, mais toutes se sont déclenchées suite à la révolution tunisienne qui en a été le chef d’orchestre. Par la suite, chaque pays évoluera selon son propre contexte et selon ses propres données.

Sur les plans nationaux respectifs

Lorsque nous comparons les évolutions postrévolutionnaires de la Tunisie et de l’Egypte, nous pouvons être fiers de nos choix car non seulement nous montrons la voie mais nous créons un modèle à suivre.

Les Egyptiens, eux, mettront un certain temps à comprendre puisqu’ils sont 90 millions qui sont à 90% analphabètes et totalement démunis. Chez eux cela n’aurait pu fonctionner autrement. L’intelligence intuitive qui a été nécessaire et présente pour leur révolte n’est point suffisante pour leur permettre de s’organiser et de s’imposer face à un pouvoir militaire depuis trop longtemps politisé et corrompu.

L’investiture du maréchal Al Sissi marque sans aucun doute un retour à la dictature militaire.  En se présentant lui-même aux élections présidentielles en l’absence d’une opposition notable, Al Sissi a fait rater à l’Egypte le parcours démocratique. Il a en effet eu un soutien populaire très important pour déchoir les frères musulman du pouvoir, mais cela n’était pas suffisant pour justifier sa propre candidature aux élections. D’ailleurs plus de 50% des  électeurs se sont abstenus de voter. Ce fut une grande erreur que de mépriser la voie démocratique et de la remplacer par la voie populiste. Et à moins qu’Al Sissi ne se rattrape en posant de meilleurs fondements pour entamer un nouveau parcours démocratique, le prochain affrontement sera autrement plus sanglant que les précédents.

Dans son allocution d’investiture, il ne pouvait faire autrement d’ailleurs que de faire l’éloge de l’Arabie Saoudite qui sera désormais son unique pourvoyeur de fonds avec tout ce que cela entrainera comme nouvelles formes de corruption et de soumission sans aucune valeur ajoutée ni aucun apport en savoir faire. L’argent coulera à flot, la corruption battra son plein mais la liberté et la dignité du peuple égyptien devront encore attendre.

Dans une allusion à la dimension euro-méditerranéenne de l’Egypte, Al Sissi a tenté de repositionner l’Egypte comme leader régional en essayant de récupérer pour son compte l’aura des printemps arabes d’autant que le roi du Maroc Mohamed VI, a appelé à renforcer la construction maghrébine à partir de la tribune de l’Assemblée Nationale Constituante Tunisienne. Et comme pour confirmer son choix et son leadership maghrébin, le roi  n’a même pas pris la peine d’assister à l’investiture d’Al Sissi.

Le roi n’est pas dupe. En effet, il sait bien que la Tunisie n’a pas choisi le chemin de la facilité.  Il sait bien que nous avons entamé notre parcours démocratique par l’élection d’une assemblée constituante chargée de rédiger une toute nouvelle constitution dont le contenu représente le choix de tous les courants politiques. Une assemblée qui a su imposer le dialogue parmi ses élus et donner voix aux plus minoritaires d’entre eux.

Bien plus, une assemblée qui a su imposer le dialogue national lorsque le pays est arrivé à une situation de blocage suite  à une succession de dérapages sécuritaires. Et si le dialogue national a été possible c’est bien parce que nous avons une société civile en pleine expansion dont l’UGTT et l’UTICA ont su ensemble en prendre le leadership en exploitant à fond les erreurs du pouvoir égyptien au profit des progressistes tunisiens.

Aujourd’hui nous nous préparons à de nouvelles élections qui mettront fin à cette période transitoire. Contrairement aux Egyptiens qui n’avaient que le choix entre Al Sissi et un candidat du même bord sans aucune assise, la Tunisie propose aujourd’hui plus d’un choix à ses électeurs.

Nous avons des destouriens, des théocrates, des socialistes, des libéraux et des centristes qui tentent de ratisser large. Cela c’est sans compter la société civile qui sera désormais la garante de l’irréversibilité du parcours démocratique et le ciment qui relie les courants politiques afin d’en neutraliser les divisions et d’en renforcer la cohésion dans le respect des différences.

Que dire de plus pour convaincre de la fiabilité de notre parcours?! Laissons notre réussite communiquer pour nous …

Neila Charchour Hachicha
 

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7 Commentaires
Les Commentaires
Ilhem - 09-06-2014 16:30

La couverture que nous donne Sissi ne peut qu'aider les tunisiens dans notre choix réel de la démocratie mais surtout d'une avancée économique. Sissi saura calmer l'appétit des islamistes égyptiens et aussi tunisiens nous donnant ainsi la chance de lutter contre un parti moins arrogant .

Nino G. Mucci - 10-06-2014 04:32

Cet article, si licite est-il d'en faire une franche critique, n'est ni réellement patriotique envers les Tunisiens, ni réaliste. Je ne suis pas du nombre, Mme Charchour Hachicha, de ces nationalistes aigris ou de certains franges rétrogrades du RCD dissout, qui vous en veulent pour être partie aux USA et avoir visité avec une groupe de jeunes Tunisiennes le Bush Center au Texas, bien au contraire, car depuis 2003 j'ai sollicité l'administration Bush (le Président en particulier) par un mail personnel -qui par son contenu ne pouvait pas être ignoré - à s’intéresser à un "axe de la réforme" ("axis of reform"), à partir de la Tunisie, en opposition à "l'axe du mal" ("axis of evil"). J'ai déjà eu occasion, pour Vous défendre, d'en publier des extraits dans le journal en ligne Business News suite à la polémique suivant Votre voyage. Je regrette de ne pouvoir pas vous en donner ici une certification à valeur juridico-légale, ce qui pourrait être fait par d'autres chemins, mais je vous prie d'accepter ma parole d'honneur. Depuis 15 années de séjour j'étudie la situation sociale tunisienne, point de vue l'évolution de droits des femmes en particulier. C'est bien moi qui a signé récemment une Lettre Ouverte à l'ATFD, publié par le site Nawaat. [http://nawaat.org/portail/2014/04/30/lettre-ouverte-a-lassociation-tunisienne-des-femmes-democrates/] Or, concernant cette évolution politique après la fameuse et déjà honnie "Révolution du jasmin", aucun est en mesure de formuler un pronostic de réussite, malgré la publicité faite à la Constitution et le regard optimiste des ambassades et chancelleries occidentales. Une Constitution n'est pas en soi un garant de stabilité et de viabilité politique, surtout dans une situation de chaos administratif, économique et sécuritaire et les risques des conflits à caractère militaire, qui guettent la Tunisie juste aux niveaux de ses frontières libyennes, ainsi que dans son territoire, du Châambi à la région d'Aïn Draham -Jendouba, comme au Sud du coté de Tataouine. Ce qui nous oblige à un regard critique pour votre article, qui dénigre essentiellement le nationalisme égyptien (et de reflet syrien) et le choix courageux et nécessaire de l'Armée égyptienne par la personne du Général Sissi dans une situation politiquement insalubre et civilement insoutenable, après les attaques à la Magistrature portées par l'ex-raïs Md Morsi et les menaces sérieuses contre les chances de survie d'une communauté millénaire, minoritaire mais glorieuse pour sa participation à l'édifice national: les Coptes. Une communauté que l'ancien Président Bill Clinton avait immédiatement soutenue et protégée dans les années '90, après le massacre d'Al-Koshe, mais dont l'actuel Barack Obama et l'ex-secrétaire Hillary Clinton semblaient avoir même oubliée après les attaques et les continuelles violations de leurs droits sous la pression chariaïque de Morsi! Tant pour vous souligner les différences épatantes entre la ligne de l'ancien Président Bush et celle de l'actuel Obama, qui se déclare faussement un chrétien (cfr. SVP avec Évangile, Mathieu 7:17-21) [http://www.biblegateway.com/passage/?search=Matthew+7%3A17-21&version=ERV-AR], qui continue à envoyer des armes en Syrie, évidemment pas content du massacre inutile et de la destruction qu'il a participé activement à déterminer, avec le Qatar! Ce bien lui qui a lancé le projet du "mariage pour tous" aux USA et l'a aimé exporter en France, celui qui veut déraciner les fondements même de la famille et déstructurer à jamais les sociétés dans le monde. Permettez de plaidoyer, à défaut d'espace, pour ce seul point : la tragédie politique que la Tunisie connait n'était jamais l'agenda de G. W. Bush. Ce n'est pas l'homme qui aurait trahi le Président Ben Ali ou fait assassiner le Guide Kadhafi. C'est bien le grand quotidien Le Monde (13.01.2014) qui a écrit: "Dans les sables de Cyrénaïque, le style Al-Jazira, spectaculaire mélange d'info et d'agit-prop, est porté à la perfection. « Chaque révolutionnaire, je lui baise le front, je me prosterne devant lui », déclame, lyrique, un cheikh libyen depuis les plateaux de Doha. Symbole de son désir de puissance, le Qatar a envoyé une demi-dizaine de Mirage 2000 – la moitié de son aviation de chasse – aux côtés des Rafale français"! Rien de tellement "démocratique" ni "héroïque" dans tout cela! Héroïque est par contre la résistance kadhafiste à l'islamisme djihadiste, les fidèles de la Jamahiriya qui se sont alliés au Général Haftar dans son juste combat, par l'Opération "Dignité"! C'est pour ces évidences indéniables, que votre article pouvait bien passer en juin 2011, mais devient surréaliste et sonne tel de la propagande en 2014, quand la grande majorité des Tunisiens est bel et bien désenchantée. Pour résumer avec une phrase tiré de ma prochaine publication: "En quelques mois seulement, dans une continuité du fléau des suicides en Tunisie, en passant de l'assassinat politique à la tuerie de soldats dans le Djebel, pour arriver au scandale du jihad-niqah, une couverture à un réseau de prostitution sous le manteau de l’islam, c’est l’idée même d’une « révolution » qui est mise définitivement en crise." Je ne peut pas vous reprendre ici les arguments exprimés dans mon ouvrage, qui a été consigné à un éditeur, mais j’oserais au moins vous reporter à l'expression justement sceptique de l'ancien diplomate et philosophe tunisien Mezri Haddad : la révolution tunisienne est devenue vraiment "un conte pour adolescents".

Basly Mohamed sahbi - 10-06-2014 15:07

Merci ,Mme Neila , pour cette retrospective digne d'une vraie patriote que vous êtes et diplomate jusqu'au choix des mots et du style . Oui la Tunisie était à même de réussir cette transition démocratique ,grâce à l'héritage bourguibien. Oui la Tunisie a choisi le chemin le plus difficile en payant le prix pour atteindre les objectifs de la Révolution . Oui la société civile ,avec la femme Tunsienne composante essentielle de cet espace de liberté ,restera le seul rempart contre toutes formes d'extrémisme de droite comme de gauche . Oui Mme Charchour que Dieu vous entendent pour nos prochaines élections Tunisiennes puissent consacrer l'idée du consensus général et large qui défendra l'intérêt de notre pays et consacrera sa souveraineté et sa sécurité .

pseudo - 11-06-2014 06:11

amour gloire et botox;cette dame ressemble aux heroines de ce feuilleton américain Amour Gloire et Beauté;l 'Egypte est une grande nation ;Nasser dont on peut ne pas partager l 'idéologie a natinalisé le Canal de Suez;et affronté en 1956 ;l 'agression de La France ;l'Angleterre et Israel; on peut etre les alliés des américains et avoir des divergences;la Tunisie est une petite nation qui aspire à la paix civile ;une économie prospere qui profite équitablement à tous loin des idéologies qui divisent

AIDA BOUCHADAKH - 11-06-2014 11:46

Il est clair qu'en voyant la dégradation de la situation egyptienne, tant d'un point de vu politique qu'économique et social, les tunisiens qui doutaient du choix de la Tunisie se sont rendu compte qu'il n 'y a point de salut pour la Tunisie que dans le strict respect des règles démocratiques et le respect de l'électeur

habib - 11-06-2014 11:53

Cet article tombe dans un exces d'autosatisfaction et contient des affirmations un peu trop exagerees telle que "les Egyptiens ...sont 90 millions dont 90% analphabetes et totalement demunis"!! Il passe sous silence la mauvaise gestion des affaires de l'Etat par le gouvernement des Freres Musulmans en Egypte qui a pousse l'armee a apporter son appui au soulevement populaire dans ce pays. Tout en etant d'accord sur le role determinant de la societe civile tunisienne dans la phase transitoire que traverse notre pays,nous avons encore un long chemin a parcourir pour instaurer une societe democratique,tolerante et solidaire.

Habib OFAKHRI - 11-06-2014 12:22

C‘est dérisoire que les mots sont susceptibles de transposition pour finir par dire la chose et son contraire. Si l’on n’était pas informé de « l’action numérique « de l’auteure en faveur des libertés assumées et de relations solidaires entre les deux rives de la méditerranée ; on serait tenté de déduire de l’opinion que la Tunisie était en train de concrétiser le projet virtuel de zaba : « la république de demain « Quelle ironie. ! Au lendemain du changement « diabolique « du 7 -11-87 l’ex président retourne casaque après avoir tiré la natte sous les pieds des « démocrates » de l’époque amadoués et domestiqués et des islamistes en rusant par la force et le subterfuge du « pacte national ».Dans son for-intérieur aride et dans l’esprit étriqué de son entourage formé à l’école bourguibienne certes libérale mais anti- démocratique ; le peuple tunisien – contrairement à l’explicité de la déclaration bidon du 7 -11 – n’était pas mur pour la démocratie- Il fallait continuer finissament à faire « comme si « et à renvoyer -sine die- le rendez vous .Une façon de ne pas froisser l’ego du tunisien moyen et d’entretenir l’image de l’arlésienne « démocratique »…et celle carte postale du pays - Lorsqu'à partir de 1990 la dimension mafieuse et répressive du système a pris forme ;le peuple a du réalisé que l’enjeu était crucialement plus économique et social (dignité) que politique. Le processus a mûri jusqu’au 13-1 -2011 et une fuite « épique » de l’ex locataire du palais de Carthage .On se rappelle sa dernière adresse teintée de l’hypocrisie de l’impuissant. Il reste que la société civile croise les doigts et pas les bras pour que des prochaines échéances ne sortent des urnes des élus téléguidés par une station audio-visuelle d’outre mer ou de pseudo–démocrates dont l’objectif final serait d’asservir les esprits plutôt que de libérer les énergies ou de vulgaires traders bradant l’économie nationale. l’Egypte a choisi sa voie .On lui souhaite bonne route…A la Tunisie de se concentrer sur la sienne.

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