Success Story - 08.06.2013

Imen Bejaoui: Une future bâtonnière?

Sera-t-elle un jour la première femme bâtonnière des avocats de Tunisie? Pour le moment, Imen Bejaoui, 35 ans, ploie sous le poids de la présidence de l’Association tunisienne des jeunes avocats (ATJA) qu’elle vient de remporter de haute lutte et n’aspire qu’à y réussir. Fondée en 1970 par Me Abderrahmane El Hila avec d’autres confrères dont Mes Lazhar Karoui Chebbi, Abdallah Boubaker et Abdelwahab Daoudi, l’ATJA est depuis plus de 42 ans la pépinière des grands ténors du barreau et des illustres figures du Conseil de l’ordre des avocats, mais aussi du militantisme politique. La plupart des grands noms y avaient en effet fait leurs premières armes: l’actuel bâtonnier  Chawki Tebib en a été longtemps président. Ouvertes aux jeunes avocats âgés de moins de 45 ans, elle devrait accueillir dans ses rangs pas moins de 5 000 adhérents parmi les 9 000 avocats inscrits au barreau. Le poids est de taille.De simple adhérente, sans jamais avoir été auparavant  membre du comité directeur, la voilà portée directement à la présidence. Surprise pour certains, sauf pour ceux qui la connaissent de près et suivent son parcours. Une vraie battante.

Dans l’action associative, on trouve souvent trois profils types de militants et dirigeants : ceux qui sont toujours dans les avions, de congrès en séminaires à l’étranger, ceux qui sont sur les plateaux de télé et les studios de radio en vrais médiavores, et ceux qui préfèrent rester sur le terrain pour agir et toujours agir. Imen appartient à cette catégorie, affirment ses proches. Ce n’est qu’en 2004 qu’elle a découvert, à 26 ans, au campus universitaire d’El Manar, le sens de l’engagement politique militant. Depuis lors, elle n’a plus eu de répit. Jusqu’à cette date, étudiante à la faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de Tunis (FSJEST), elle avait suivi un cursus d’étudiante studieuse, arrivant tôt chaque matin de Mégrine pour suivre attentivement cours et travaux dirigés et rentrer le soir directement à la maison. Cela ne l’empêchait pas de soutenir les revendications et les mouvements de l’UGET, ce qui lui avait d’ailleurs permis de nouer amitié avec Mes Charfeddine Kellil, Mourad Elourimi et d’autres. Il faut dire qu’au sein de cette faculté, l’ambiance est plutôt beaucoup plus académique que tumultueuse. La tendance est démocrate et moderniste, mais c’est l’analyse qui l’emporte le plus.

Depuis sa prime enfance, Imen, fille de fonctionnaires, était nourrie de contes à thèmes, comme ceux de Kalila Wa Demna, qui ont développé en elle le sens de la réflexion. Du coup, arrivée en terminale,  elle a pris goût à la philo et décidé de s’y spécialiser. Sur l’insistance de son père, elle finira par opter pour le droit et choisir la FSJEST, dotée d’un système d’école, d’autant plus que sa bonne moyenne au bac l’y autorisait. Maîtrise réussie, elle devait préparer un mastère de droit  communautaire, Maghreb – Europe (en recherche toujours de la philo, avec pour sujet : «La légitimité de l’Union européenne». Pour les besoins de ses recherches, elle devait aller au campus bénéficier de la richesse de la bibliothèque de la faculté de Droit. Elle ne savait pas alors que, ce faisant, elle allait amorcer une nouvelle vie.

Le rocher de Socrate produisit  son effet

Campus universitaire en 2004 : l’effervescence est à son comble. Sur le rocher de Socrate, Abdennaceur Aouini, Mohamed Mzam, Essya Haj Selem, Farid Allagui et autres futurs ténors du barreau et du militantisme enchaînent les discours enflammés. Ebahie, Imen découvrait avec émerveillement,  de ses yeux de jeune étudiante studieuse, jusque-là à l’écart de la politique, en dehors de ses propres convictions progressistes, tout cet univers qui lui semble tout à fait le sien et dont elle a été jusque-là privée. Les valeurs prônées, les causes défendues, l’indignation exprimée face à l’oppression et la lutte engagée contre la dictature ne pouvaient que l’emporter dans ce grand élan mobilisateur, d’autant que l’ambiance était conviviale.

Imen Bejaoui trouvera ainsi sa nouvelle famille, celle des juristes d’abord, puis élargie aux militants des droits de l’homme  et de toutes les justes causes. Basma et Chokri Belaïd seront parmi ses proches. Tout s’enchaînera alors rapidement. Jeune avocate stagiaire, elle est admise en 2006 au cabinet de Me Anouar Bassi, une double école du barreau et du militantisme. Le port de la robe et la fréquentation du Palais de Justice et de la Maison de l’Avocat ne font que l’ancrer davantage dans sa nouvelle tribu, au milieu de tous ses camarades de fac qu’elle retrouve en confrères et consœurs. L’immersion se fait le plus naturellement du monde, comme si elle avait toujours appartenu au barreau. «C’est merveilleux, confie-t-elle à Leaders, lorsque les relations personnelles du temps des études précèdent la confrérie professionnelle. Cela devient très fluide».

La frontière, pour un avocat engagé, entre la défense de ses clients et des causes nationales nobles, s’estompe rapidement. Imen sera alors sur tous les fronts : travailler ses propres dossiers, participer aux luttes et s’engager pleinement dans l’action corporatiste. Dès qu’on la sollicite, elle se porte immédiatement au secours des plaignants spoliés de leurs droits et des mis en cause injustement incriminés. Un syndicaliste, un cyberdissident, un militant politique, un journaliste et autres personnes traduites en justice, la solidarité s’organise. Avec ses confrères, Imen est en première ligne. Des assemblées générales, des discussions houleuses, elle est au cœur des débats. Des élections, elle fait partie du bureau de vote, quitte à ne pas dormir pendant 48 heures. «Je n’ai pas gagné beaucoup d’argent, avoue-t-elle, mais je suis récompensée par ce qu’il y a de mieux : le respect, la confiance et l’amitié, un vrai trésor».

A quel parti appartient-elle au fait ? «Je suis certes cataloguée dans le camp de la gauche progressiste, répond Imen Bejaoui, mais en fait je ne suis encartée dans aucun parti politique. Ma pensée s’élargit à la démocratie dans son sens le plus large et je ne saurai alors m’enfermer dans une étroite idéologie. Cela dit, j’entretiens de bonnes relations avec nombre de dirigeants dans différents partis politiques, y compris ceux qui sont actuellement au pouvoir et je m’enrichis de leur respect et de leur confraternité».

Le Groupe des 25, pour commencer

La révolution viendra doper son engagement militant. «Dès le début, j’ai compris avec d’autres confrères la nécessité d’engager immédiatement la recherche de la vérité sur les pratiques de l’ancien régime, dit-elle. Pourrions-nous compter uniquement sur le parquet pour lancer l’ouverture d’actions en justice? En nous départissant de notre statut d’avocats et en agissant en simples citoyens, nous pouvons déposer plainte et nous constituer partie civile. Réunis au cabinet de Me Bassi, nous avons abouti à cette conclusion et formé le Groupe des 25 avocats qui déclenchera l’action juridique contre les caciques du régime déchu. Il se peut que parmi eux, certains ne soient pas personnellement impliqués dans la malversation et les abus, même si leur implication dans l’ancien système les expose à la présomption qui reste à vérifier, mais c’est à la justice d’agir».

La spirale est déclenchée, commencent en effet à s’ouvrir les dossiers douloureux des blessés et martyrs de la révolution, de la torture, notamment contre les militaires faussement impliqués dans le complot de Barraket Essahel, des disparus en mer, des victimes dans les évènements du bassin minier. Plus une minute pour elle, Imen Bejaoui est, avec de nombreux confrères, à l’écoute de victimes et de leurs familles en préparation de ses rapports de cabinet d’instruction en salle d’audience et plaidoiries. «Ce fut très poignant, rapporte-t-elle. Ecouter stoïquement  les récits des scènes de torture, lisant sur les visages le bris des âmes, puis revoir en audience les bourreaux, aller passer des jours et des jours parmi les familles à Redeyf, Métlaoui et Oum Larayes, pour  les assister, et passer de longues journées avec les parents des harraga partis des côtes de Sfax et perdus de vue, vous fend le cœur, mais vous donne des ressorts. A bras-le-corps, la cause est prise. Toute ma vie y est déjà investie !»

La justice transitionnelle et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux

Mais, ce n’est pas tout, comme si Imen a encore du temps à consacrer, mais en tout cas beaucoup d’énergie à déployer. La voilà donc se joindre à Me Amor Safraoui et toute l’équipe qui vont constituer le réseau national indépendant de justice transitionnelle. Avec l’UGTT et d’autres composantes de la société civile, l’action du réseau s’intensifie et elle s’y implique s’extrayant parfois de ses occupations si nombreuses et si prenantes pour participer à des formations intensives. «Particulièrement sous l’égide du PNUD, indique-t-elle, je me suis initiée à l’approche basée sur les droits humains et la gestion axée sur les résultats, tout un concept fondé sur l’efficience et la bonne organisation, qui me sera fort utile».

Imen se retrouvera aussi aspirée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), présidé par Abderrahman Hedhili, et propulsée directrice exécutive. Cette nouvelle charge indique toute son ampleur lorsqu’on sait que c’est cette association qui est en fait la cheville ouvrière du Forum social mondial organisé au Campus, fin mars dernier, avec près de 30 000 participants, venus d’une centaine de pays. La longue et exténuante préparation au siège établi au 47, avenue Farhat-Hached s’est poursuivie avec toute l’intendance sur le terrain. Prise dans ce tourbillon, Imen se promettait de lâcher prise dès la fin du Forum, pour se reposer et  se ressourcer. Peine perdue.

Point de répit en effet. Les lampions de la fête au Campus à peine éteints et voilà ses amis accourir la solliciter pour un nouveau challenge : se porter candidate à l’ATJA. «Cette fois-ci, lui a-t-on répété avec insistance, c’est des jeunes avocats qu’il s’agit, de votre propre corporation, de vos causes si pressantes et si importantes. Vos confrères ont besoin de vous, de votre expérience, de vos bonnes relations avec tous, du capital de confiance dont vous jouissez auprès de toutes les parties, alors vous ne pouvez pas vous dérober à votre devoir, à moins que vous ne préfériez, avec  désormais la notoriété que vous avez acquise,  chercher à gagner de l’agent et vous détourner de nous!». Il n’en fallait pas plus pour la ramener au champ de bataille.

Portée par les roses

La grande salle de réunion du FTDES s’improvisera en quartier général de son comité électoral. Des confrères affluent de partout, s’organisent, définissent stratégies et tactiques, se répartissent les tâches. Pas moins de 40 volontaires s’y consacrent à plein temps, deux semaines durant. «Je connaissais les élections du côté des bureaux de vote, avoue Imen, mais je n’étais guère initiée aux secrets des campagnes et toutes leurs ficelles. Je voyais donc tout cela s’enchaîner en musique. L’ambiance est fascinante  et j’attendais le jour J, ce fameux samedi 20 avril. Lorsque je suis arrivée tôt le matin au Palais des congrès, une agréable surprise m’attendait. A l’entrée, je voyais postées plusieurs de mes amies et consœurs, qui se sont mis  sur leur trente et un, le look soigné, offrant d’une main une rose à chaque participant, et lui glissant de l’autre notre liste, un vrai coup de charme et un grand message de fraîcheur et d’espoir en ce printemps».

En fait, Imen et ses confrères avaient concocté, au prix de longues tractations, une liste de neuf candidats pour former le comité directeur de l’association, tous choisis parmi les démocrates progressistes, face à d’autres tendances, essentiellement islamiste. La bataille s’annonçait et guère gagnée d’avance. Le verdict des urnes tranchera en sa faveur : la liste passera haut la main avec 8 candidats élus. Imen sera naturellement portée à la présidence. Maintenant, un nouveau combat commence pour elle.

«Les jeunes avocats, affirme-t-elle, manquent de tout, ont besoin de tout. La plupart d’entre eux n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Ils travaillent dans des conditions précaires, ne trouvent pas de quoi s’installer dans des cabinets décents, s’équiper en mobilier et bureautique, recruter des clercs qualifiés et surtout se voir confier des dossiers à défendre. Avec l’arrivée massive de nouveaux confrères, d’un côté, la cherté du coût de la vie, la crise économique et le contexte général, leur situation devient de plus en plus difficile. Nous devons nous atteler à trouver les solutions appropriées». Tout un programme si chargé pour un mandat de deux ans qu’elle ne souhaite pas renouveler. Imen Bejoui repart au combat.

Taïeb Amar

Tags : Imen Bejaoui   Tunisie  
Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
2 Commentaires
Les Commentaires
tounesnalbaya - 10-06-2013 09:27

Je serais heureux que tous les postes clés en Tunisie seront pris par des femmes, au moins elles sont justes et équitables envers tout le monde...

jojojo - 02-07-2013 07:25

Décidément les femmes en tunisie ne réalisent pas qu'elles sont émancipées et ce depuis longtemps et qu'elles sont capables de voler de leurs propres ailes, pour moi il suffit de voir le pourcentage des femmes dans les lycées et collèges et écoles Donc quel est le vrai problème de la femme? c'est viser encore plus haut, eh oui! pourquoi ne pas gouverner ce pays ? c'est une obsession chez ces FEMMES émancipées à leur insu comme meme. Je m'adresse à eux et je leur dis haut et fort soyez d'abord compétentes et sur cette base que vous aurez votre place et ne comptez pas sur votre sexe Il va sans dire que le parcours politique use les nerfs et necessite des contacts permanents avec les gens ce qui durcit le caractère féminin qu’on le veuille ou non. D’ailleur une question qui s’impose, remarquez-vous les problèmes et difficultés qui ne cessent de s’accroitre et ceci en proportion avec le degrès de l’émancipation de la femme ? Est-ce que notre société est capable d’affronter ces problèmes ? Je dirais non car notre pays est pauvre en ressources déjà et que ces femmes sont incapables de nous donner un nouveau modèle de société basé sur la bipolarisation.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.