Opinions - 16.03.2011

Le tremblement de terre à Fukushima et l'art de tourner l'infortune en une bénédiction

Le Japon, le pays des cerisiers en fleurs,  des gestes et des mots mesurés de la cérémonie de thé, de l’ikebana,  de la beauté fragile et éphémère, de l’évanescence, du sabi-wabi et du zen qui met au calme absolu l’agitation brownienne et les inquiétudes claires-obscures de l’âme.

C’est aussi le pays des  tremblements de terre, des grandes éruptions volcaniques spectaculaires, des typhons (tai-fun, grand vent) d’une violence inouïe, des tsunamis, et des catastrophes naturelles apocalyptiques.

Le dernier tremblement de terre de Fukushima, l’île heureuse, est le plus puissant des 140 dernières années, certains disent de l’histoire écrite du Japon. Le nombre de personnes portées disparues est estimé à 10000. Deux mille corps ont été découverts sur la cote de l’Est de Tohoku au nord du Japon, dans la préfecture de Miyagi, où une petite ville, Mono-Cho, aujourd’hui Ishimaki, a nommé une rue ‘Tunisia Dori’,  une autre ‘Carthago Dori’ et une troisième ‘Jasmine Dori’. Le nombre des victimes pourrait s’élever à plus de 60000, beaucoup moins que ce qu’il aurait pu être sans l’expérience accumulée du Japon dans la gestion des crises et le savoir-faire technologique antisismique. Comparez avec les derniers tremblements de terre d’égale ampleur au Chili et à Haïti.

Répondant à mon message de sympathie et de sollicitude, le professeur Toshio Koike, de l’Université de Tokyo, spécialiste du GEOSS, Global Earth Observation System of Systems et membre de l’IPCC, International Panel on Climate Change, panel qui a obtenu le prix Nobel en 2007, et qui a donné une conférence sur le sujet à la Cité des Sciences en Janvier 2010, m’a répondu pour me remercier et me rassurer sur sa situation. Il m’a aussi informé qu’il assure actuellement le chairmanship du Comité de Sauvegarde de l’Université, biens et personnes. Il a décrit le comportement des gens à l’Université et au Japon comme très discipliné.

D’autres amis me confirment cette discipline, dont j’étais moi-même témoin durant mon séjour de dix ans au Japon. Devant le spectacle du désastre et de leurs pertes immenses matérielles ou humaines, point de japonais hystériques qui crient, pleurent, s’arrachent les cheveux ou se frappent le visage, donnant leurs émotions et leurs tragédies personnelles en pâture aux paparazzis ou aux caméras et aux spectateurs de la télévision. Ils restent calmes. Même les enfants montrent une maîtrise de soi et une discipline de comportement étonnantes.

Cependant malgré ce flegme apparent, les japonais sont au fonds d’eux-mêmes très choqués et très inquiets. Leurs inquiétudes sont composées par les analyses et les avis contradictoires des savants en chimie du monde entier  sur la situation très grave de la centrale nucléaire, surtout du réacteur numéro 4, et des dangers de meltdown et d’exposition aux radiations. Ils s’inquiètent aussi de l’ampleur, de l’impact et des menaces du  tremblement-contrecoup attendu pour aujourd’hui, mercredi, 16 mars, 2011.

Cependant ces inquiétudes n’entament pas la discipline, la focalisation sur l’accomplissement de la tâche de chacun dans la gestion de la crise. Elles n’entament pas non plus leur détermination et leur confiance profonde dans leur capacité de sortir de l’épreuve plus forts  et plus unis.

Le caractère du peuple  japonais est  ainsi fait, forgé dans les catastrophes, comme l’acier dans le feu. Il est profondément imprégné d’une fatalité agissante, de l’expérience et de l’impératif vital de solidarité, de l’action collective de groupe et du partenariat autorités-société civile.

Les japonais ont un proverbe, plutôt une devise « Tourner l’infortune en une bénédiction ».

Ainsi la catastrophe, naturelle ou humaine, est toujours tournée en une bénédiction. Elle n’est jamais classée et mise de côté aussitôt qu’elle est résolue ou dépassée. Au contraire  elle est l’occasion de renforcer les liens de solidarité sociale et le sens de l’identité nationale. C’est aussi une occasion scientifique, comme l’occurrence d’un phénomène rare, le passage d’un astre lointain, la manifestation d’une nouvelle maladie, pour entreprendre  une analyse méticuleuse  et réaliser une meilleure compréhension du phénomène, de ses causes et des comportements psychologiques, sociaux, économiques, etc., qui l’accompagnent.
 

La catastrophe devient ainsi une occasion de production et d’accumulation  de connaissances, de savoir et de savoir faire et de technologie, dans la construction de bâtiments, de  ponts et chaussées, de tunnels, de réacteurs nucléaires, etc.

Elle devient aussi une occasion de sagesse, de spiritualité, d’amour de la nature et des saisons, d’amour de la vie et de leur pays,  de solidarité, d’apprentissage et de savoir faire social, humain et scientifique,  dans la gestion des crises, l’apprentissage de l’action collective, de civisme, et de patriotisme.

Ce sont là d’ailleurs  des facteurs, souvent invisibles ou non-dits, de la compétitivité   générale et sectorielle de l’économie japonaise. Il est difficile aux concurrents étrangers de battre dans les appels d’offre internationaux du Japon les barrières technologiques non-tarifaires que constituent les normes antisismiques au Japon.

Ce sont là aussi les fondements naturels  de l’unicité « Galápagos » de la société au Pays du Soleil Levant, des tsunamis, du sourire et des cerisiers en fleurs.
 

Salah Hannachi, ancien Ambassadeur de Tunisie à Tokyo

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
S. HAMZA - 18-03-2011 12:57

Il est certain que la doctrine d’un Dieu personnel intervenant dans les événements naturels ne pourrait jamais être réellement réfutée par la science.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.