News - 28.07.2025

Ridha Bergaoui: Pour un renouveau et une relance du bio en Tunisie

Ridha Bergaoui: Pour un renouveau et une relance du bio en Tunisie

La Tunisie dispose de nombreux atouts pour le développement du bio avec essentiellement un système de production agricole à faible recours en intrants chimiques et une proximité des marchés dont la demande en bio est en croissance. Elle a été pionnière en Afrique et dans le monde arabe. Elle a mis en place, dès 1999, une législation relative à l’agriculture biologique ainsi que les structures administratives et réglementaires nécessaires pour promouvoir et encadrer ce secteur.

Malheureusement, après une croissance notable jusqu’en 2017, les surfaces certifiées en bio ne cessent de régresser.

Importance de l’agriculture biologique dans le monde

L’agriculture biologique (AB) est un système de production fondé sur le respect des équilibres naturels. C’est une agriculture qui rejette l’utilisation des pesticides de synthèse, des engrais chimiques et des OGM. Elle privilégie des pratiques agroécologiques telles que la rotation des cultures, le compost, la lutte biologique, le respect du bien-être animal et la préservation de la biodiversité. En protégeant les sols, l’eau et les écosystèmes, elle offre des avantages environnementaux significatifs, tout en proposant des produits de meilleure qualité nutritionnelle et gustative.

Historiquement, le bio apparaît au début du XXe siècle en réaction à l’agriculture industrielle. Ce mouvement a gagné en visibilité à la suite de diverses crises environnementales et sanitaires. La structuration institutionnelle de la filière bio a commencé réellement dans les années 1970 avec la création de l’IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements) ou fédération mondiale du bio, suivie du premier règlement bio européen en 1991. Depuis, le secteur connaît un essor considérable. La grande distribution y consacre des rayons spécifiques et la gamme de produits bio s’élargit à presque tous les secteurs agricoles et agroalimentaires. Les États soutiennent ce développement à travers des aides à la production et à la consommation (cantines, achats publics, etc.).Aujourd’hui, l’agriculture biologique couvre environ 96 millions d’hectares dans le monde (soit 2 % de la SAU mondiale), mobilise 3,7 millions de producteurs dans 190 pays, et génère un marché évalué à 135 milliards d’euros (2022). Les principaux pays producteurs sont l’Australie, l’Inde, l’Argentine, l’Espagne, la France, l’Italie et la Chine. La demande reste concentrée dans les pays riches comme les États-Unis (47 % du marché mondial) et l’Europe (37 %), avec des pays comme la Suisse, le Danemark et la France qui enregistrent les dépenses par habitant les plus élevées. Le bio y est perçu comme un produit haut de gamme. Du point de vue des agriculteurs, l’AB permet une plus grande autonomie vis-à-vis des intrants chimiques, un retour à la nature et un lien renforcé avec les consommateurs.

Situation de l’agriculture biologique en Tunisie

Dans un document intitulé «Secteur agriculture biologique en Tunisie», l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri) donne un aperçu sur le secteur de l’agriculture biologique (AB) pour l’année 2023. Selon ce document, la superficie certifiée serait de 227 milles ha, essentiellement des oliviers (67,5%) et des forêts-parcours (27,8%). Le reste représente des superficies cultivées en palmiers-dattiers, arbres fruitiers, cactus et autres. La région de Kairouan constitue 52,8% des superficies en AB, suivie par Zaghouan (17,4%), puis Mahdia, un peu Jendouba et Siliana. Du coté des productions animales, on compte 400 ruches conduites en bio, des caprins (360 têtes), quelques têtes ovines et un peu d’aquaculture (12,9 ha).  

Les exportations constituent 66,315 milles tonnes dont 85 % d’huile d’olive et 13% de dattes. Elles représentent une valeur de 1 144 millions de dinars (dont 1044 provenant de l’huile d’olive et 82 millions des dattes), ce qui constitue 15,6% de nos exportations agricoles et agroalimentaires totales nationales. Par ailleurs, quoique les exportations en quantité et valeur semblent progresser au fil des dernières années d’une façon régulière, les superficies certifiées en bio semblent au contraire régresser surtout depuis 2017 où les superficies avaient atteint 378 000 ha.

Le document de l’Onagri, laisse ainsi montrer que:

 Notre AB est constitué essentiellement d’huile d’olive et un peu de dattes. Il faut rappeler que la plus grande partie des oliveraies et des palmeraies en Tunisie a été toujours conduite d’une façon traditionnelle avec l’utilisation de très peu d’intrants chimiques. La reconversion en AB demande essentiellement une certification par un organisme certificateur. 
 Les superficies en bio sont en régression après avoir atteint 378 000 ha en 2017, elles ne sont plus que seulement 227 000 ha en2023. 
 Presque aucun progrès en matière des productions animales bio, à part un peu de miel. 
 Enfin, le bio est essentiellement destiné à l’exportation, le marché national est pratiquement absent et intéresse très peu les consommateurs Tunisiens. Environ seulement 2% de la production bio est consommée localement.

Ainsi, plus de 25 ans après le lancement de l’AB en Tunisie, celle-ci semble au point mort, si non reculer. A part une poignée d’exportateurs d’huile d’olive, elle semble n’intéresser personne, ni les agriculteurs ni les consommateurs.

Difficultés du secteur de l’AB en Tunisie

Le secteur de l’AB rencontre de nombreuses difficultés qui peuvent expliquer en partie son recul ces dernières années. On peut citer :

 Les frais élevés de la certification bio représentent un frein pour de nombreux petits agriculteurs et ne les encouragent pas à se reconvertir au bio.
 Le délai de conversion de 2 à 3 ans, où l’agriculteur est contraint de produire selon le cahier des charges du bio alors que les produits sont vendus en tant que produits conventionnels.
 Le manque de semences biologiques ou le très faible rendement des semences locales et des difficultés techniques pour la maitrise des intrants bio (fertilisation bio, lutte contre les ennemies des cultures…) 
 Un manque de vulgarisation et d’encadrement des agriculteurs
 Pour les productions animales, le manque de fourrages et de concentrés bio est un sérieux handicap
 Manque de structures logistiques en bio (tri, emballage, traçabilité) et d’unités de transformation
 Le réchauffement climatique et la sécheresse ont plombé ces dernières années l’agriculture tunisienne en général et l’AB également.

Les produits bio sont destinés essentiellement à l’exportation. Malgré la présence de quelques magasins spécialisés en bio, la tenue de quelques foires et manifestations destinées à faire connaitre les produits bio et sensibiliser les consommateurs, ces derniers semblent peu convaincus de l’intérêt du bio. Toutefois, cette attitude peut s’expliquer en partie par les prix relativement élevés des produits bio (par rapport aux produits conventionnels) face à une détérioration continue du pouvoir d’achat des consommateurs.

Ailleurs, le bio se réinvente

Dans le monde, le bio rencontre également des difficultés et traverse une période difficile. Depuis le Covid-19, la vente des produits bio, surtout dans les grandes surfaces, a diminué dans plusieurs pays. Avec la montée des difficultés économiques et de l’inflation, la tendance s’est accélérée.

Le succès commercial des produits bio l’a rendu plus industriel et parfois déconnecté de ses valeurs initiales. Par ailleurs, de nouveaux labels concurrents (produits sans pesticides, AOP, produits de terroir...) brouillent le message et saturent le marché. De nouvelles formes d’agriculture comme l’agriculture de conservation, la permaculture, l’agroforesterie, l’agriculture raisonnée… ont également fait leur apparition et se présentent comme des agriculture écologiques et durables au même titre que l’AB.

L’AB conserve de nombreux atouts, surtout dans un contexte de crise climatique et de transition écologique mondiale. Moins dépendante des intrants chimiques (émetteurs de gaz à effet de serre), plus résiliente face aux aléas climatiques, plus favorable au stockage de carbone et à la biodiversité, l’AB est bien positionné en tant qu’agriculture durable. Malgré les progrès réalisés, plusieurs défis persistent encore dont des rendements plus faibles qu’en conventionnel, le coût élevé de la main-d’œuvre, la complexité de respecter les cahiers des charges et la difficulté d’accès à certains intrants.

Face à ces défis et au ralentissement de la consommation, dans de nombreux pays, le secteur bio est en train de se réinventer. L’objectif d’un bio de «deuxième génération» demeure de restaurer les cycles naturels et relancer la fertilité des sols. Il doit surtout renforcer le lien entre les producteurs et les consommateurs dans une logique territoriale, traçable, équitable et durable. 
Pour y parvenir, plusieurs actions ont été préconisées:

 Renforcer la formation des agriculteurs et les professionnels de l’alimentation
 Encourager les techniques écologiques (compostage, agroforesterie, rotations, auxiliaires biologiques...) 
 Intégrer les nouvelles technologies (robots, capteurs, IA...) pour améliorer les performances des fermes bio
 Mieux encadrer la certification et intégrer une dimension sociale aux labels
 Sensibiliser davantage les consommateurs, favoriser et faciliter l’accès aux produits bio, soutenir les circuits courts et la vente locale.

Perspectives du bio en Tunisie

La Tunisie doit œuvrer à encourager et promouvoir le bio. Dans un contexte de réchauffement climatique, de crise énergétique et de pression sur les ressources en eau, le bio s’inscrit dans une logique de résilience et de souveraineté alimentaire.

Le bio présente un potentiel immense et représente un levier important pour:

 Préserver la fertilité des sols, souvent surexploités et en très mauvais état.
 Limiter la dépendance aux intrants chimiques importés (engrais, pesticides).
 Valoriser les produits du terroir à haute valeur ajoutée;
 Créer de l’emploi rural qualifié, notamment pour les jeunes et les femmes.
 Mettre à la disposition du consommateur tunisien des produits sains et de qualité.
 Equilibrer notre balance économique alimentaire.

Afin de relancer le bio, il est nécessaire de mettre au point une stratégie nationale ambitieuse mais réaliste. Cette stratégie doit s’inspirer et tenir compte des orientations générales du bio dans le monde, présentées plus haut, et en plus soutenir les producteurs, les consommateurs et apporter des réformes au niveau de l’écosystème bio en général.

On peut proposer 2 axes essentiels: 

1/encourager la conversion en bio et renforcer l’ensemble de la chaîne de valeur avec :

 Le soutien et le financement de la recherche appliquée, formation, vulgarisation, et encadrement des agriculteurs sans oublier la formation de techniciens et de vulgarisateurs.
 Soutien aux agriculteurs et éleveurs (alléger la certification, faciliter l’accès aux intrants, Incitations financières et fiscales).
 Encourager la création d’unités de transformation en mode bio.
 Sensibiliser et aider les agriculteurs à s’organiser en coopératives, groupements bio…
 Stimuler et encourager l’élevage bio en encourageant la production de fourrages et de concentrés bio.
 Développer un label bio Tunisien pour le marché local plus souple, moins couteux et moins exigeant que les normes pour l’export.

2/ stimuler la demande locale et garantir la confiance des consommateurs. Le bio tunisien a acquis une reconnaissance internationale surtout pour l’huile d’olive. Il reste très fragile par son faible ancrage local et son orientation essentiellement vers l’export. Stimuler la consommation locale, informer et sensibiliser les consommateurs, rendre les produits bio plus visibles et accessibles, créer des circuits de commercialisation bio courts et intégrer le bio dans la commande publique peuvent aider à promouvoir les produits bio auprès du consommateur local et aider au développement de l’AB.Par ailleurs, l’artisanat en mode bio ou écologique se développe bien qu’il reste encore marginal par rapport à l’agriculture biologique. Il concerne principalement des produits issus de matières naturelles, locales, renouvelables, souvent en lien direct avec l’agriculture biologique ou la cueillette sauvage durable. On peut trouver des cosmétiques, des accessoires en alfa ou en feuilles de palmier, bougies en cire végétales ou d’abeille, encens, produits apicoles bio, confitures, plantes aromatiques, produits transformés de l’olive ou de figue de barbarie, poteries en argile naturelle, ustensiles en bois d’olivier… Ces activités créent de l’emploi rural surtout féminin, représentent une source importante de revenu pour de nombreuse familles et un moyen de combattre la pauvreté dans des régions agricoles souvent défavorisées. L’AB représente également une opportunité pour les jeunes diplômés et les start-ups pour innover et proposer de nouvelles méthodes de production, de vente et de consommation des produits de l’AB et rapprocher encore plus les producteurs des consommateurs.

Conclusion

La Tunisie dispose de nombreux atouts pour faire de l’agriculture biologique un secteur stratégique. Les enjeux environnementaux, économiques et sociaux plaident en faveur du développement du secteur. Développer le bio, c’est investir dans une agriculture plus durable, plus résiliente et plus juste.

Le bio connait malheureusement un déficit de visibilité et une perception erronée. Peu diversifié, il souffre de l’absence d’un ancrage populaire et se trouve marginalisé et ignoré. Des incitations ciblées, un encadrement technique renforcé et une sensibilisation des consommateurs sont nécessaires pour que le bio puisse devenir un modèle durable et compétitif, dans le cadre d’une stratégie nationale cohérente et ambitieuse.

Ridha Bergaoui

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- L’agriculture de conservation, une stratégie pour des sols fertiles et une agriculture durable

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