News - 04.10.2023

Mongi Baouendi: Un Tunisien décroche le prix Nobel de chimie

Mongi Baouendi: Un tunisien décroche le prix Nobel de chimie

Par Mohamed Larbi Bouguerra - Il y a trois ans presque jour pour jour nous annoncions ici même que notre compatriote Mongi Baouendi était nominé pour le Nobel de chimie. Nominé à 59 ans était déjà un exploit, mais remporter le Prix scientifique le plus prestigieux au monde à 61 ans est un immense succès.

Toutes nos félicitations à Mongi!

Mercredi 4 octobre 2023, l’Académie Suédoise a révélé les noms des lauréats pour le Prix Nobel de chimie: il s’agit de Mongi Baouendi, Alexei Ekimov et Louis Brus, travaillant tous les trois aux Etats Unis, pour «la découverte et le développement des points quantiques, des nanoparticules si petites que leur taille détermine leurs propriétés» précise le communiqué de l’Académie Royale des Sciences.

Rappelons que le Pr Mongi Baouendi, formé en chimie organique à l’Université Harvard (Boston), est le fils de notre regretté collègue Mohamed Salah Baouendi (1937- 2011), professeur de mathématiques à la Faculté des Sciences de Tunis. Avec une poignée d’autres collègues tunisiens, nous avons essuyé les plâtres du Campus Universitaire au début des années 1960. Mathématicien, Mohamed Salah Baouendi a poursuivi une brillante carrière d’abord à Tunis, puis à Nice et à Pari, et enfin aux Etats Unis où il a enseigné à l’Université Purdue à W. Lafayette (Indiana) et à celle de Californie à San Diego. Comme son père, Mongi Baouendi est déjà membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences ainsi que de l’Académie Américaine des Sciences. Depuis 2000, Baouendi est devenu une référence mondiale en nanochimie. Aujourd’hui, il partage le Nobel avec Louis Brus, des Laboratoires Bell chez lequel il avait fait son postdoc.

Rappelons ici le souvenir de l’Egypto-américain Ahmed Zuwail (1945-2016) lauréat du Prix Nobel de chimie (non partagé) en 1999.

A travers les siècles, Zuwail et Baouendi sont les héritiers d’El Biruni, d’Avicenne, de Jaber Ibn Hayyén.

Pourquoi ce prix Nobel?

Les points quantiques (QDs), aussi appelés boîtes quantiques, sont des nanocristaux de semi-conducteurs, faisant généralement de 2 à 10 nanomètres de diamètre. Capables de convertir un spectre de lumière entrant en une fréquence d’énergie différente, ils sont utilisés dans les écrans de télévision LED modernes, dans les panneaux solaires et dans l’imagerie médicale, où ils peuvent notamment guider les chirurgiens dans l’ablation de tumeurs.

«Les points quantiques apportent donc le plus grand bénéfice à l’humanité», estime le comité du Prix Nobel dans son communiqué de presse. «Les chercheurs pensent qu’à l’avenir, ils pourraient contribuer à la mise au point d’une électronique flexible, de minuscules capteurs, de cellules solaires plus fines et d’une communication quantique cryptée»

Les boîtes quantiques ont, en outre, des applications dans l’informatique et pourraient permettre de se passer du système 0 et 1 actuellement en usage. Ainsi, on se passerait aussi des terres rares - ce qui ferait baisser quelques tensions internationales notamment en Afrique et en RDC - et on réduirait considérablement la pollution et les dépenses en énergie lors de la production des batteries et des divers écrans.

L’équipe du Pr Baouendi a exploité, dans une publication datant de 2017, les propriétés de fluorescence des QDs dans le domaine de l’infra-rouge (IR) à courtes longueurs d’onde (SWIR).  Dans l’imagerie en temps réel des tissus biologiques, si la radiation IR pénètre loin, elle diffracte et diffuse bien moins que la lumière visible et le proche IR.  Un manque d’agents de fluorescence dans le domaine de l’IR à courtes longueurs d’onde empêche le développement de ce type d’imagerie dans le corps. (Stu Borman, Chemical & Engineering News, 17 avril 2017)... Baouendi et son équipe ont pallié ce manque et inventé des boîtes quantiques qui permettent d’étendre le domaine de l’IR à courtes longueurs d’onde en recouvrant l’indium d’arsenic (InAs) avec une ou deux couches de composés à base de cadmium, de sélénium, de soufre, de zinc… Les boîtes quantiques sont alors en mesure d’avoir des temps de circulation plus longs dans le sang. Chez la souris vivante et en temps réel, l’équipe de Mongi Baouendi a utilisé les QDs pour mesurer les vitesses du métabolisme dans différents organes à la fois, pour quantifier les battements du cœur, la vitesse de la respiration et pour cartographier la vascularisation du cerveau. On vise maintenant à rendre applicables en clinique ces techniques.

La chimie, science incontournable

La chimie est une science primordiale qui soulève des questions capitales: l’astrophysicien américain Willy Fowler- Prix Noble de physique 1983 - n’a-t-il pas montré que presque tous les éléments de l’Univers se sont formés au cœur des étoiles comme le fer de l’hémoglobine qui nous permet de respirer? 

Les importants travaux de Mongi Baouendi et de son équipe vérifient le postulat que la physique pose les lois de l’Univers, que la biologie étudie le Vivant et que le pont entre ces deux disciplines est la chimie, «Cette science de la structure et de la transformation de la Matière» affirme le professeur Jean-Marie Lehn, Prix Nobel de chimie 1987, père de la chimie supramoléculaire. Celle-ci aide par exemple à comprendre comment les molécules se reconnaissent entre elles et a ouvert des voies exaltantes en cancérologie, immunologie, neurochirurgie, polymères autoréparables… Des implants dentaires aux prothèses de hanche en titane biocompatibles en passant par les lentilles intraoculaires en polyméthylméthacrylate (PMMA), la chimie pallie de plus en plus aux dégâts de l’âge par la grâce des biomatériaux. En attendant le jour où «on fera un cœur» assure Jean-Marie Lehn.
Mais on ne saurait limiter la science chimique à ces «réparations» - si utiles et si ingénieuses soient-elles.

Un autre géant de la chimie - américain celui-là, le professeur Linus Pauling (Prix Nobel de chimie 1954 et Prix Nobel de la Paix 1962) que le maccarthysme a failli mettre en prison - disait, dès 1984: «Aucun des aspects du monde contemporain, jusque et y compris la politique et les relations internationales, n'échappe à l’influence de la chimie.» Aujourd’hui, par exemple, les graves problèmes de pollution dans notre pays (Sfax, Gabès…) et les retombées du changement climatique,  le différend entre l’Iran et les Etats Unis sur la bombe A, l’exportation des pesticides toxiques vers les pays du Sud par certains pays industrialisés - comme le glyphosate probablement cancérigène - , l’emploi des gaz de combat contre les civils en Syrie ou l’usage massif des gaz lacrymogènes par Israël en Palestine occupée, le Traité Start (ou son petit frère New Start) de réduction des armes stratégiques Russie - Etats Unis, voire la guerre en Ukraine, illustrent parfaitement le mot de Pauling.

Un coup de projecteur sur une science majeure

Espérons que l’attribution de ce Nobel à un Tunisien éveille des vocations chez nos jeunes et encourage nos chercheurs à persévérer. Espérons que les Ministères de l’Enseignement Supérieur et de l’Education Nationale donnent à la chimie la place qui lui revient dans la formation de nos jeunes qui, si souvent maintenant vont aux études de marketing, de commerce…..

Notre discipline a beaucoup souffert à l’Indépendance : des inspecteurs généraux français - essentiellement des agrégés en physique n’ont pas donné à la chimie la place qui lui revient dans les programmes élaborés à cette période. Influencés par le philosophe Auguste Comte - que chérissait le Président Bourguiba -, ils considéraient la chimie comme une science « mineure » qui n’est entrée à l’Ecole Polytechnique en France et a eu une agrégation séparée de la chimie qu’après la Deuxième Guerre Mondiale. En Allemagne, par contre, la chimie a contribué à la puissance économique et militaire du pays avec Bayer, IG Farben, BASF….

La chimie est indispensable au développement de notre pays… à l’heure où les affairistes le contraignent à s’approvisionner à l’étranger… en engrais phosphatés et privent le pays de sucre ! Espérons que notre gouvernement, en dépit de ses difficultés, trouve le temps de réfléchir aux moyens de populariser cette discipline et d’en faire un outil du développement. Rappelons-lui ce simple fait : en 2020, l’industrie chimique et pharmaceutique suisse était le premier poste d’exportation de ce pays montagneux. Le développement de notre industrie pharmaceutique est une urgence à cet égard. Enfin, à l’heure où certains dans notre pays vilipendent les femmes, il faut célébrer et se réjouir de l’attribution du Nobel de chimie 2020 et de Médecine 2023 à deux éminentes chimistes et à une biologiste : Jennifer Doudna, Emmanuelle Charpentier et Katalin Kariko. Les chimistes ont été récompensées pour la mise au point de la technique révolutionnaire des « ciseaux moléculaires » (CRISPR-Cas 9) dont les applications sont d’une importance capitale pour l’agriculture, pour l’amélioration du cheptel et des récoltes, pour le développement de nouveaux médicaments, pour traiter potentiellement les maladies héréditaires telle l’anémie falciforme qui ravage l’Afrique et la Caraibe… et qui sont utilisées pour le diagnostic au cours de la pandémie de Covid-19.

Mohamed Larbi Bouguerra

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5 Commentaires
Les Commentaires
Fahem Abdelkader - 05-10-2023 06:15

Un succès mérité pour cette famille (père et fils) originaire de Tazarka, émigrés (TRE) en France puis aux Etats Unis mais qui ne reflète guère le niveau réel du système éducatif tunisien. En fait plutôt le reflet de la fuite de notre élite vers les pays développés, et dans ce cas le centre d'excellence du MIT. Une situation identique en Inde, Nigeria, Mexique...

Tahar BEKRI - 05-10-2023 13:36

MERCI Si Larbi pour votre article qui nous rapproche du Prix Nobel tunisien, M. Mongi Baoundi et rappelle que vous avez oeuvré comme ScientifIque il y a longtemps à la vulgarisation et la diffusion de la science en Tunisie. Ce Prix est une récompense à tous les Scientifiques tunisiens et ils sont nombreux qui brillent à travers le monde. Je vous salue tous.

Abdellaziz Ben-Jebria - 05-10-2023 21:04

Voilà un excellent article, bien écrit d’une belle plume, qui résume clairement et pédagogiquement le brillant parcours de mon collègue, comme moi, Tuniso-Franco-Américain, ainsi que l’apogée de ses résultats couronnés par la plus prestigieuse récompense scientifique mondiale. Toutes mes mes félicitations à mon cher collègue, Mongi Baouendi, et bravo pour ses immenses efforts intellectuels qui nécessitaient un travail de longues haleines pour accomplir l’énorme mission de ses découvertes originales, colossales et utiles pour l’humanité. Si Mohamed Larbi, je suis en outre tout à fait d’accord avec votre analyse concernant l’indispensable Chimie pour le développement de notre pays. J’ajoute que votre plume de la langue de Molière est tellement belle qu’elle est plus utile quand vous l’utilisez pour mettre en exergue ce genre de réussite ou pour critiquer nos problèmes liés à la mauvaise politique du pays, que la redondance habituelle et lassante de la situation israélo-palestinienne. Les palestiniens sont assez grands pour se défendre eux-mêmes.

Tarak Ben Salah - 06-10-2023 12:54

Bravo à Bawendi et un très grand merci à Mohamed Larbi Bouguerra l'auteur de cet article et de bien d'autres qui nous rappelle que " l'affaire Palestine" est existentielle pour nous tous autant que la chimie pour la biomimétique et les processus de production du futur.

BOUGUERRA MOHAMED LARBI - 08-10-2023 13:57

A Si Abdelaziz Ben Jebria. Merci pour votre commentaire. Concernant mes écrits pro-palestiniens: Auriez-vous oublié le bombardement de Hammam Chott? Auriez-vous oublier l'assassinat de l'ingénieur Mohamed Zouari à Sfax en décembre 2018? Permettez -moi d'appeler à la rescousse aussi Kant, Montesquieu et Martin Luther King de répondre à ma place concernant la Palestine: Emmanuel Kant : "L'inhumanité infligée à un autre détruit l'humanité en moi." Montesquieu: "Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous." Martin Luther King: "Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier." J'avais pas dix ans en 1948, j'ai vu de jeunes Bizertins partir combattre en Palestine à pied.

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