L’ancien ambassadeur Mouldi Sakri est décédé
La diplomatie vient d’être endeuillée par le décès de l’une de ses illustres figures, l’ambassadeur Mouldi Sakri. Succombant à la maladie, il a été inhumé le 7 décembre dernier auprès de ses aïeuls à Meknassy. Au gré de 33 ans d’une intense carrière, il avait été en poste successivement à Niamey, Addis Abeba, et Abidjan, avant d’être nommé consul général à Naples, puis ambassadeur à Téhéran et finalement, ambassadeur à Ottawa. Un parcours si riche et si éprouvant dont il a restitué des moments forts dans ses mémoires publiées il y a trois ans en 2019, sous le titre de « Adraj Arriah, Parcours de vie d’un diplomate tunisien » (Editions Arabesques). Parfaitement trilingue, il s’était consacré jusqu’à tout récemment à la rédaction d’un nouvel ouvrage en langue anglaise, qui devait être publié au Canada. Allah Yerhamou. Retour sur un parcours d’excellence.
Le destin ne semble pas l’avoir comblé de tout ce qu’il a légitimement mérité sur le plan professionnel. Mais, l’ambassadeur Mouldi Sakri, n’en tient rigueur à personne. Dans ses mémoires qu’il vient de publier en langue arabe sous le titre «Adraj Arriah» (pouvant être traduit comme «Autant en importe le vent» ou «En vain» au gré des lectures), il revient sur un parcours très riche qui l’avait tout long de plus de 33 ans de carrière, sur quatre continents. Deux autres versions sont fin prêtes et iront bientôt à l’imprimerie. La première, en langue française, sera titrée « Les sillons de ma vie», alors que la seconde, en langue anglaise porte le titre de «Desillusion».
Jeune secrétaire des Affaires étrangères, cet enfant de Meknassy (Sidi Bouzid), fils d’un résistant pour l’indépendance, sans appui népotique ni soutien partisan, gravira par sa compétence et son dévouement, une à une les marches des grades diplomatiques, jusqu’à celui de ministre plénipotentiaire, et les fonctions jusqu’à celle d’ambassadeur. Non sans endurer tant d’épreuves, de frustrations et de souffrances dont, heureusement, il n’en a eu jamais cure.
Depuis son premier poste à Niamey, où il a assuré l'ouverture de notre première ambassade au Niger, en passant par Addis Abeba, la réouverture de notre ambassade à Abidjan, son passage au consulaire à la faveur de son affectation à la tête du consulat de Tunisie à Naples, avant d’être nommé ambassadeur à Téhéran, puis à Ottawa, et à Cuba avec résidence à dans la capitale canadienne, en plus de ses fonctions au siège du Département, Mouldi Sakri aura été un diplomate accompli. Accompli veut dire confronté au bilatéral, au multilatéral, au consulaire, mais aussi à l’ire de certains supérieurs, au hasard de certaines nominations et à l’ingratitude de certains confrères et autres bénéficiaires de ses services personnels et officieux assurés généreusement, sans la moindre attente de contrepartie.
Un mix attractif
Les mémoires des ambassadeurs ont, de tout temps, constitué un genre littéraire et politique intéressant. Habitués à rédiger des rapports à leur capitale, ils ont l'habitude de tout noter, de tout consigner, le moindre détail pouvant s’avérer utile, un jour ou l’autre. Un art où beaucoup nous gratifient de véritables chefs d’œuvre comme Claude Martin, sinologue de renom et longtemps ambassadeur de France à Pékin, mais aussi à Berlin, qui avait intitulé sous le titre de « La diplomatie n’est pas un dîner de gala », avait forgé un canevas intéressant. Choses vues et entendues, documents obtenus, personnalités rencontrées et épreuves subies : le mix fait recette. L’ambassadeur Mouldi Sakri, probablement sans avoir lu Martin, n’a pas dérogé à cette bonne règle. Ses mémoires regorgent de témoignages, de portraits, d’anecdotes. La galerie de portraits des acteurs significatifs en Iran, dans les années 2010, offre une cartographie encore d’actualité. Son récit de la prise de pouvoir par des rebelles à Addis Abeba en 1991, et comment il a échappé par miracle avec des collègues, à des attentats perpétrés contre nombre d’édifices dont la résidence de Tunisie, est époustouflant.
Mais c’est surtout le revers de la médaille de la vie de diplomate que nous montre l’ambassadeur Sakri, avec beaucoup de dignité et tout en se parant de sa pudeur. Loin des apparats, la triste réalité est celle de la tyrannie de certains chefs de poste, des maigres salaires perçus, ne couvrant même pas des logements décents, des petits budgets ou effectifs réduits alloués aux postes, de transhumance de poste en poste, trimballant souvent avec soi épouse et enfants, ou les laissant le plus souvent seuls à Tunis, l’absence d’instructions claires et l’incohérence de certaines décisions reçues du ministère... L’image finale, lors du départ à la retraite est la plus attristante. Le couperet tombe sans appel, sans la moindre reconnaissance, comme si toute une carrière, toute une vie, auront été vaines. L’ambassadeur Mouldi Sakri en fera lui-même les frais. Notifié de sa mise à la retraite, en mars 2012, alors qu’il était chef de poste à Ottawa, il avait sollicité non-pas son maintien en activité pour un mois, mais juste la possibilité de continuer à habiter dans la résidence de Tunisie pendant un mois, le temps de trouver un logement pour sa famille, ses deux enfants poursuivant encore leurs études... En vain. Dans la froideur d’une administration automate, la réponse fut négative. On est loin du parachute doré qu’offrent les entreprises à leurs fidèles serviteurs en fin de carrière...
Tout un système à faire évoluer
Les mémoires se terminent par une réflexion pertinente sur le rôle essentiel dont est investie la diplomatie, encore plus dans un contexte de transition. Abordant les réformes essentielles qu’exige aujourd’hui la Tunisie, l’ambassadeur Sakri ne manque pas de souligner toute la mission qu’incombe à la diplomatie tunisienne, rendant un vibrant hommage à ses vaillants hommes et femmes qui portent partout haut et fort les couleurs nationales.
Au fil de la lecture de cet ouvrage, les interrogations sur le devenir de cet appareil dispositif précieux qui a fait le rayonnement international de la Tunisie, se bousculent. Dans ce nouveau mode de gouvernance de la diplomatie tunisienne, instauré par la constitution, où certains croient comprendre qu'il s'agit d'un domaine réservé au chef de l’Etat alors qu’il s’agit en fait d’un domaine partagé avec le chef du gouvernement, la confusion est redoutable. Comment préserver l’appareil diplomatique et les choix stratégiques fondamentaux d’une mise sous cape personnelle, de décisions intempestives, de nominations et de limogeages au gré des humeurs, des copinages ou des conflits personnels? Et surtout, comment capitaliser sur un outil des plus précieux, une expertise avérée, et des relations de longue durée, en offrant au ministère des Affaires étrangères les moyens financiers et les ressources humaines nécessaires? L’ambassadeur nous livre à travers son récit des leçons de gloire, mais aussi des comportements inacceptables, il démonte subtilement un système qui doit évoluer et nous fait hautement apprécier le dévouement et la compétence de nos diplomates. Un livre à lire.
T.H.
Adraj Arriah
Parcours de vie d’un diplomate tunisien
de Mouldi Sakri
Editions Arabesques, 2019, 356 pages, 25 DT.
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Paix à son âme. C'était un grand ami ,un diplomate compétent et patriote, un homme généreux au comportement exemplaire