Face à la multicrise et la pénurie alimentaire: Adoptons l’économie des ressources et la sensibilisation
Par Ridha Bergaoui - Depuis quelques années, le monde vit une série de catastrophes destructrices. Le changement climatique, avec ses calamités climatiques dévastatrices, la pandémie mortelle Covid-19 et enfin la guerre en Ukraine, qui risque de dégénérer en une guerre mondiale nucléaire, marquent le départ d’un nouvel épisode désastreux de l’histoire de l’humanité.
Partout une multicrise s’installe (environnementale, économique et financière, sociale…). Pénuries, famines, soif, pauvreté et conflits pointent du nez. Paix, prospérité, abondance, solidarité internationale risquent de faire désormais partie du passé.
A côté des énormes dégâts directs humains et matériels, la multicrise a aggravé, surtout dans les pays pauvres, malnutrition, famine et mortalité par sous-alimentation. La «Journée mondiale de l’alimentation», sera célébrée cette année le 16 octobre, alors que la situation mondiale de l’alimentation s’est gravement détériorée et les inégalités amplifiées.
Une situation intérieure complexe
La Tunisie n’est pas à l’écart de cette ambiance malsaine. Depuis 2011, les difficultés économiques intérieures, la crise politique et les erreurs du passé amplifient encore les effets de la multicrise mondiale.
Par ailleurs, la Tunisie est exposée de plein fouet au changement climatique et à la sécheresse. Depuis quelques années, les précipitations se font rares et nos réserves au niveau des barrages deviennent alarmantes. L’agriculture est fortement impactée et les périmètres irrigués sont à l’arrêt. En été, des difficultés d’approvisionnement en eau potable et la détérioration de la qualité sont manifestes dans de nombreuses régions et de nombreux citoyens sont privés d’eau.
Toutes ces difficultés viennent compliquer les conditions de vie du citoyen. Les produits alimentaires stratégiques connaissent une pénurie et/ou une hausse importante des prix. Le taux d’inflation vient d’atteindre un record de 9.1% durant le mois de septembre et le pouvoir d’achat du consommateur est complètement ébranlé.
La pénurie de certains produits alimentaires stratégiques (lait, sucre, riz, farine) est fréquente et a donné lieu à des scènes apocalyptiques de citoyens qui font la queue ou se bagarrent pour un sachet de 1kg de sucre. Tout récemment, un retard dans la livraison de l’essence a entrainé l’assaut aux aux stations-services par les conducteurs, la formation de nombreuses files d’attente et la perturbation de la circulation.
Malgré les nombreux messages des officiels pour rassurer les citoyens sur la disponibilité des produits alimentaires, un climat d’affolement s’est emparé du consommateur. Ce dernier procède désormais à des achats de panique et cherche à constituer des stocks à domicile, ce qui aggrave le manque et les pénuries de ces produits stratégiques.
De nouvelles habitudes alimentaires
Depuis l’indépendance, l’urbanisation, la sédentarité et les difficultés de transport ont poussé le Tunisien à mener un mode de vie à l’occidentale et abandonner nos coutumes traditionnelles. Il s’est habitué à l’abondance et à faire ses courses dans les grandes surfaces qui lui proposent une gamme très large de multitudes de produits aussi bien locaux qu’importés. Les industries agroalimentaires se sont par ailleurs développées et à l’aide d’un matraquage publicitaire et des techniques de marketing féroces ont poussé à la surconsommation. Le consommateur est devenu un gros fervent des produits laitiers, conserves, pâtes, biscuits…
D’un régime traditionnel basé sur les céréales et les légumineuses, le régime du Tunisien a évolué vers un régime occidental. Il a abandonné de nombreux de nos plats traditionnels, économiques et nutritifs. De nos jours, rares sont ceux qui consomment la khobbiza (à base de mauve sauvage), le couscous aux fanes de carottes ou de besbes (fenouil). La cuisine tunisienne dispose de nombreux plats et des versions sans viande (couscous et pâtes, chekchouka, ojja, soupes, chorba, tchicha, tbikha, tajines…). Lentilles, pois chiche et fèves sont des composantes importantes de nombreuses recettes (chakchouka, leblabi…). Les différents types de bsissa, de assida, droo, beignets et gâteaux traditionnels faits maison représentaient de petits déjeuners appétissants et nutritifs. L’huile d’olive était omniprésente dans tous les foyers et consommée seule ou en compagnie d’autres ingrédients salés ou sucrés selon les circonstances.
Le régime actuel du Tunisien est hypercalorique, avec des niveaux élevés de sucre, sel et graisses, et une consommation importante de viandes (surtout viandes blanches), produits laitiers et boissons gazeuses. Pizza, crêpes et hamburgers, accompagnés de frites grasses et toujours de boissons gazeuses, sont devenus le menu typiquede nos jeunes. La prise de repas hors foyer s’est développée et les fast-foods se sont répandus partout.
En matière de consommation, le Tunisien a battu de nombreux records. Il est le plus grand consommateur de pain, le second grand consommateur de pâtes (après les Italiens), le premier consommateur de concentré de tomate. Il est également un gros consommateur de sucre et parmi les plus gros buveurs d’eau minérale en bouteille plastique.
Se remettre en question et agir
Face à la multicrise et ses graves conséquences (l’inflation, la dépendance, difficultés d’importation des produits alimentaires, pénuries et destruction du pouvoir d’achat) il est nécessaire de remettre en question nos modèles de consommation et de production et surtout de faire des propositions pour y remédier.
1/ Une agriculture plus résiliente
Le problème du dérèglement climatique, de la sécheresse et du manque d’eau représentent la principale entrave à la production agricole. Améliorer nos disponibilités et bien les gérer est vital. Lutter contre les pertes au niveau des infrastructures est primordial. Sensibiliser les divers utilisateurs de l’importance et de la rareté de cette ressource essentielle est indispensable.
Le choix des cultures doit tenir compte de la consommation en eau des plantes. Il faut désormais revoir nos stratégies et éviter ou limiter les cultures grosses consommatrices d’eau comme la tomate, pastèque, agrumes et même les cultures intensives des dattes et des olives en irrigué.
Un gros travail de sélection variétale et d’amélioration génétique reste à mener pour ne retenir que les variétés et races adaptées à la sécheresse et peu exigeantes en eau.
Il est nécessaire de limiter les importations et de recourir à nos ressources locales pour développer une production agricole durable surtout pour les produits stratégiques (blé, fourrages, légumineuses…). Enfin, beaucoup plus d’attention doit être porté à l’environnement et sa préservation du gaspillage, pillage, surexploitation et pollution.
2/ Education nutritionnelle et santé du citoyen
Associé à la sédentarité et le tabagisme, les excès et les déséquilibres alimentaires ont entrainé l’apparition de nombreuses maladies graves associés surtout au surpoids et à l’obésité. De nombreuse personnes souffrent de diabète du type 2, d’hypertension, maladies cardiovasculaires, cancers divers…
La santé du citoyen étant une question cruciale, il est nécessaire l’informer, le sensibiliser et le conseiller pour acquérir les bonnes habitudes pour se maintenir en bonne santé et d’œuvrer à lui assurer tous les éléments d’un régime équilibré.
Consommer moins de sucre et produits industriels sucrés et de boissons gazeuses, opter pour un usage modéré du sel de cuisine, réduire la consommation de pain et de pâtes sont des éléments d’un régime sain et qui limite la surconsommation et le gaspillage alimentaires.
3/ Lutte contre le gaspillage
La lutte contre le gaspillage doit être une ligne conductrice générale tant au niveau des services de l’Etat que les entreprises et le citoyen. Une politique de sensibilisation et d’éducation à grande échelle doit être menée pour informer la population et la mobiliser pour lutter contre le gâchis.
Une éducation et une économie du recyclage, de la reconversion, du réemploi et de la mutualisation est devenue nécessaire. Les NTIC et les réseaux sociaux sont d’une efficacité redoutable pour transmettre rapidement l’information et s’organiser. La collecte et l’enfouissement des ordures représentent un réel gaspillage sachant que le traitement des déchets permet de récupérer, recycler et valoriser de nombreux produits (papier, plastique, métaux, matière organique…) et de préserver l’environnement. Le recyclage est générateur d’emplois, d’économie des ressources et de croissance. C’est également important pour combattre et limiter la pollution et la dégradation des paysages et de l’environnement.
La corruption, les abus de pouvoir, le détournement et détérioration des biens publics sont des formes de gaspillage qui privent les collectivités de moyens aux profits des individus. Ils doivent être sévèrement combattus et réprimandés. Les biens publics (moyens de transport, mobilier des lieux publics, diverses infrastructures des sociétés nationales…) sont des biens communs indispensables et utiles pour la collectivité qu’il faut protéger et défendre du vol et du vandalisme.
Condamner la dégradation des biens publics est essentielle toutefois l’éducation, l’information et la sensibilisation sont primordiales. Toutes les composantes de la population doivent s’y mettre : famille, éducateurs, société civile et gouvernement. L’éducation au respect de l’environnement, au savoir vivre ensemble, à la tolérance et au respect de la règlementation sont des piliers du civisme et du développement des sociétés.
4/ Mutualisation, bricolage
Dans de nombreux pays, la mutualisation est devenue une pratique courante. Le covoiturage et la colocation sont entrés dans les mœurs. La seconde main et le marché de l’occasion (fripe, matériel usagé et reconditionné…) sont de nos jours tendance. Même les compétences sont mutualisées et il n’est plus rare de trouver une compétence travaillant à temps partiel dans de nombreuses entreprises à la fois.
Ecologie et préservation de l’environnement obligent, la tendance est de passer d’une société de surconsommation et de l’usage unique à la société de réutilisation et de partage des biens. Louer, emprunter, réparer ou donner remplacent acheter et jeter. La culture du bricolage, du « do it your self » et du jardinage permet de faire de grosses économies, de se dépanner et de ne pas être à la merci de professionnels de plus en plus rares et dont les services sont onéreux. Et surtout de passer un bon moment et de renforcer sa confiance en soi.
5/ Retour si possible aux techniques et plats traditionnels
Le patrimoine culinaire national est riche en techniques traditionnelles qu’on a abandonné jugées arriérées, archaïques et anachroniques. La « oula » est une tradition culinaire fort utile. Couscous et autres pâtes (mhamsa, hlelem…), piment, tomate, figues étaient conservés par séchage au soleil en été. L’huile d’olive st gardée dans des jarres toute l’année. Olives, citrons, carottes et autres légumes sont conservés dans des solutions salées et la viande du mouton de l’Aïd est salée et conservée au soleil, ainsi que du merguez, pour la fête du nouvel an Hejir, durant au moins trois semaines.
Nos mères distillaient fleurs et plantes aromatiques (géranium, fleurs d’oranger, fleurs de roses…). Ces extraits servaient aussi bien à donner du gout à la cuisine et aux pâtisseries qu’à se soigner et remédier aux petits bobos courants.
Pour ceux qui le peuvent, le retour à ces habitudes, la préparation et la consommation de plats traditionnels, dans la limite du possible, permettrait de disposer d’aliments appétissants, nutritifs et de qualité.
Ridha Bergaoui
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