News - 20.04.2020

Hatem Kotrane - Covid-19 : Regards sur les mesures sociales d’accompagnement arrêtées par les décrets-lois du Chef du Gouvernement du 14 avril 2020

Covid-19 : Regards sur les mesures sociales d’accompagnement arrêtées par les décrets-lois du Chef du Gouvernement du 14 avril 2020 (Analyse de la situation et recommandations)

Introduction

1. Le Chef du Gouvernement a adopté, le 14 avril 2020, Conformément à la loi n° 2020-19 du 12 avril 2020 l’habilitant à prendre des décrets-lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus «Covid-19»(1) , cinq décrets-lois, aussitôt publiés au JORT n°32 du 14 avril 2020,dont notamment:

le décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020 portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail,

le décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-3 du 14 avril 2020, portant détermination de mesures sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement de certaines catégories de travailleurs indépendants lésés par les répercussions engendrées par la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus Covid-19,

et le décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-4 du 14 avril 2020, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus Covid-19.

2. L’examen approfondi de ces décrets-lois montre, à l’évidence, qu’ils ont eu pour objectif commun de remédier aux inconvénients nés de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total, décrétées préalablement pour la prévention de la propagation du Coronavirus «Covid-19»(2).

3. L’apport de ces décrets-lois est, sans doute, important tant ils permettent de répondre à certaines préoccupations, mises en avant dans de précédents articles publiés sur Leaders(3). Une analyse synthétique permettra de relever la portée exacte de ces décrets-lois, y compris leurs insuffisances, suivie de quelques recommandations, et ce en articulant l’analyse autour des trois questions suivantes:

Comment, avant toute chose, évaluer les mesures arrêtées en vue de prévenir les licenciements et la crise des salaires ? (I)

Quelles sont les possibilités réelles offertes aux entreprises pour adapter l’exécution du travail aux nouvelles données résultant des mesures sanitaires restrictives et quelle place est-elle notamment, réservée au télétravail? (II)

Comment expliquer, enfin qu’aucune mesure n’ait été prévue par les décrets-lois en vue d’assurer la prévention et la protection contre les infections au titre de la législation professionnelle et comment y pallier ? (III)

I- Portée réelle des mesures arrêtées en vue de prévenir les licenciements et la crise des salaires

(A) Analyse de la situation

4. C’est l’objet principal du décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020 portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail que de prévenir les licenciements nés de l’arrêt des activités de la plupart des entreprises n’ayant pas été autorisées à poursuivre leurs activités par des autorisations spéciales délivrées conformément au décret gouvernemental n° 2020-156 du 22 mars 2020(4). En effet, aux termes de son article premier : «Est suspendue l’application des dispositions du sous-paragraphe C du troisième paragraphe de l’article 14 du code du travail relatives à l’empêchement d’exécution résultant d’un cas fortuit ou de force majeure survenue avant ou pendant l’exécution du contrat ». L’article 2 du même décret-loi ajoute : «Est suspendue l’application des dispositions de l’article 21-12 du Code du travail en ce qui concerne le licenciement ou la mise en chômage intervenus sans l’avis préalable de la commission régionale ou la commission centrale de contrôle du licenciement, en cas de force majeure».

5. Ces dispositions sont à saluer tant elles contribuent à prévenir la cessation des contrats de travail de dizaines de milliers de travailleurs, et par suite, de leurs salaires qui constituent la source unique de leurs revenus et de ceux de leur famille. Convient-il de rappeler, ici, qu’aux termes du sous-paragraphe C du troisième paragraphe de l’article 14 du code du travail «…Le contrat de travail à durée déterminée ou à durée indéterminée prend fin:…c) en cas d'empêchement d'exécution résultant soit d'un cas fortuit ou de force majeure survenu avant ou pendant l'exécution du contrat… ».

6. Appliquées à la situation née du Coronavirus « Covid-19 » et surtout des effets qui en ont résulté en termes d’arrêt des activités des entreprises par suite du confinement sanitaire général décrété par les pouvoirs publics, les dispositions précitées auraient-elles conduit, sans difficulté, en raison du caractère imprévisible, parfois même insupportable et, en tout état de cause, extérieur à la volonté de l’employeur des faits ainsi survenus, à conclure à la réunion de tous les caractères d’un cas de force majeure, conformément aux dispositions expresses de l’article 283 du Code des obligations et des contrats.

7. C’est justement tout l’apport de l’article premier du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, que de suspendre l’application des dispositions légales précitées sur les effets de la force majeure sur les contrats de travail en cours, tant il aurait été regrettable de considérer ces contrats de travail comme étant rompus, étant rappelé que le souci d’assurer une certaine stabilité des relations de travail avait déjà conduit la jurisprudence à la construction d’une théorie originale concernant l’effet de la force majeure, celle de la suspension du contrat de travail dans les hypothèses où les contrats de travail, sans être rompus, se trouvent privés d’effet momentanément. La Cour de cassation a souvent rappelé cette théorie en confiant aux juges du fond le soin d’apprécier la force majeure et son effet sur les relations de travail, y compris de décider si le résultat en est la fin des relations de travail, par application stricte de l’article 14 du Code du travail, précité, ou une simple suspension du contrat de travail(5):

Si le cas de force majeure est avéré, le contrat de travail est rompu et le salarié est licencié, sans aucun droit à indemnisation(6);
Si, par contre, le cas de force majeure n’est pas avéré et qu’il n’y a pas impossibilité de surmonter les inconvénients nés des évènements en cours, les contrats de travail peuvent être suspendus, avec possibilité de reprise dès la fin des évènements à la base de ladite suspension.

8. Mais quelle que soit l’impact réel des mesures de confinement sanitaire général ainsi décrétées sur les activités des entreprises affectées, aucune indemnisation n’est par contre assurée aux salariés. Le salaire, en tout état de cause, « …est dû au travailleur en contrepartie du travail réalisé au profit de son employeur » (Article 134-2 du Code du travail). Pas de travail, pas de salaires dus aux travailleurs.

(B) Limites de la protection

9. En dépit de l’apport du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, ses dispositions se révèlent insuffisantes et pourraient même prêter à diverses préoccupations ;

la première est relative à l’objet même de la protection contre le licenciement qui se révèle toute relative et limitée, dans le temps, à la durée du confinement sanitaire général, exposant ainsi les contrats de travail à un risque réel de cessation dès la levée des mesures sanitaires restrictives (a) ;

la deuxième préoccupation résulte des restrictions injustifiées apportées aux entreprises en vue du bénéfice par ses salariés des mesures sociales exceptionnelles et provisoires telles que fixées par l’autre décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-4 du 14 avril 2020, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus Covid-19» (b) ;

la troisième préoccupation est relative aux insuffisances des mesures sociales d’accompagnement, y compris notamment les salaires de remplacement octroyés aux travailleurs ainsi contraints au confinement sanitaire général (c) ;

une quatrième préoccupation résulte de la lourdeur du dispositif administratif de contrôle mis en place en vue du bénéfice des mesures sociales d’accompagnement, y compris notamment le rôle attribué à l’inspection du travail (d).

(a) La suspension du licenciement limitée dans le temps à la durée du confinement sanitaire

10. Aux termes de l’article 5 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, «… les dispositions du présent décret-loi demeurent exécutoires, jusqu’à la date de levée du confinement total, par décret gouvernemental pris à cet effet».

Disposition tout à fait curieuse, qui limite la protection des salariés contre les licenciements pour fait lié au Coronavirus « Covid-19 » à la durée du confinement ! Cela revient à dire, en toute logique, que les dispositions du sous-paragraphe C du troisième paragraphe de l’article 14 du Code du travail, portant cessation de plein droit des contrats de travail pour «empêchement d'exécution résultant soit d'un cas fortuit ou de force majeure survenu avant ou pendant l'exécution du contrat» reprendront application dès la levée du confinement! Le décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020 se présentant lui-même comme «portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail», il sera fait application de l’une des règles générales de droit, définies par l’article 540 du Code des obligations et des contrats, à savoir : «Les lois restrictives et celles qui font exception aux lois générales ou à d’autres lois ne doivent pas être étendues au-delà du temps et des cas qu’elles expriment».

11. Cela veut dire, en termes plus concrets, que l’employeur pourra mettre fin, de plein droit, aux contrats de travail dès le lendemain de la date de levée du confinement sanitaire, position tout à fait contradictoire par rapport aux mesures et actions sociales d’accompagnement mises en œuvre par l’Etat pour atténuer les répercussions de la mise en œuvre du confinement total, lesquelles, en dépit de leurs insuffisances - on y reviendra ci-dessous-, auraient dû entrainer interdiction pure et simple des licenciements pour faits liés à la survenance du Coronavirus « Covid-19 », sauf les cas où l’entreprise aurait été, elle-même, contrainte à la cessation pure et simple de ses activités, auquel cas d’autres procédures seraient alors mises en route.

12. Une entreprise ne peut pas, en toute logique et équité, bénéficier et faire bénéficier ses salariés des indemnités et autres avantages exceptionnels octroyés par l’Etat pour prévenir les licenciements tout en gardant la possibilité de retrouver, quelques jours - et au mieux quelques semaines – après le droit de mettre fin de plein droit aux contrats de travail pour des raisons liées à la survenance du coronavirus « Covid-19 » !

13. Certes, des mesures préventives du licenciement ont-elles été aménagées par un l’autre décret-loi adopté le même jour par le Chef du Gouvernement, à savoir le décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus «Covid-19».

Parmi les mesures destinées à prévenir les licenciements, l’article 5, paragraphe 2, du décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, limite le bénéfice des mesures sociales d’accompagnement y définies «aux entreprises qui maintiennent la totalité de leurs salariés permanents ou titulaires de contrats de travail à durée déterminée en cours à la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi, et ce, dans la limite de la période restante du contrat à moins d’un renouvellement explicite ou tacite du contrat».

Les articles 12 et 13 du même décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, vont plus loin en portant restitution par voie d’états de liquidation établis par la Caisse nationale de sécurité sociale des indemnités exceptionnelles et provisoires attribuées au profit des salariés, «…et ce au cas où l’entreprise a failli à l’obligation de maintien, durant toute la durée de bénéfice de ces mesures, de la totalité de ses salariés permanents ou titulaires de contrats de travail à durée déterminée dans la limite de la période restante du contrat » (Article 12). Cette restitution est même portée au double des montants des indemnités perçues sans motif légal pour «…l’entreprise ayant présenté des données erronées pour faire bénéficier ses salariés des indemnités exceptionnelles et provisoires, et ce, conformément aux dispositions de l’article 12 du présent décret-loi» (Article 13).

14. Loin de prévenir efficacement les licenciements liés à la survenance du coronavirus « Covid-19 », les garanties ainsi aménagées par le décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020 restent, pour l’essentiel, limitées expressément à la durée de bénéfice des mesures sociales d’accompagnement y aménagées lesquelles se révèlent, au surplus, entourées de restrictions injustifiées.

(b) Des restrictions injustifiées apportées aux entreprises en vue du bénéfice par les salariés des mesures sociales exceptionnelles et provisoires

15. Aux termes de l’article 4 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, «Les entreprises lésées au sens du présent décret-loi sont tenues, avant de prétendre au bénéfice des mesures sociales exceptionnelles et provisoires prévues au présent décret-loi, de présenter à l’inspection du travail territorialement compétente ou la Direction générale de l’inspection du travail, selon le cas, ce qui justifie la prise de l’une des mesures suivantes :

Faire bénéficier l’ensemble des salariés ou une partie d’eux du solde de repos annuel payé.

Faire bénéficier l’ensemble des salariés ou une partie d’eux du repos annuel payé d’une manière anticipée.

La prise en charge par l’employeur de la totalité ou d’une partie du salaire durant la période d’arrêt provisoire total ou partiel de l’activité de l’entreprise.».

16. On comprend le souci qui a animé les rédacteurs de ces dispositions, à savoir inciter les entreprises à remédier par elles-mêmes aux inconvénients nés de suspension de leurs activités en recourant à une série de mesures indiquées par l’article 4 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, leur permettant d’adapter l’exécution du travail aux difficultés engendrées par les mesures de confinement sanitaire général  décrétées par les pouvoirs publics, d’autant plus que la plupart de ces mesures ont été elles-mêmes rendues – on y reviendra – plus faciles à exercer.

17. Notre opinion est, toutefois, que les restrictions ainsi posées pourraient s’avérer surabondantes et, en tout cas, difficiles à mettre en œuvre et à contrôler au point de constituer un obstacle inutile et contraire aux objectifs de célérité poursuivis par le dispositif mis en place par le Chef du Gouvernement en vue de prêter main-forte aux entreprises et d’y préserver les salaires et les emplois. 

(c) Insuffisances des mesures sociales d’accompagnement et du montant des salaires de remplacement

18. C’est l’objet principal du décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus «Covid-19». Aux termes des articles 5 et 9, combinés, dudit décret-loi, des indemnités exceptionnelles et provisoires au titre des périodes d’interruption provisoire de l’activité, postérieures au mois de mars 2020, sont attribuées aux salariés dont le montant mensuel est fixé à «…deux cent (200) dinars à condition que le montant de l’indemnité attribuée et celui de la partie du salaire versée par l’employeur pendant la période d’interruption de l’activité n’excède pas le montant du salaire déclaré auprès de la Caisse nationale de sécurité sociale au titre du quatrième trimestre 2019 ou du premier trimestre 2020».

Le même article 9 du décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, prévoit un champ de bénéfice large desdites indemnités exceptionnelles et provisoires s’appliquant tout à la fois aux salariés permanents et à ceux «…liés par des contrats de travail à durée déterminée en cours à la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi».

Le champ d’application des indemnités exceptionnelles et provisoires du même montant deux cent (200) dinars est, par ailleurs, étendu par l’article 7 du décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, «…aux salariés de l’entreprise qui n’est pas affiliée à la Caisse nationale de sécurité sociale à condition que cette dernière s’affilie à la Caisse susvisée dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi ». Le même texte ajoute que « L’affiliation et l’inscription des salariés prennent effet à partir de la date d’accomplissement de cette procédure vis-à-vis des régimes de sécurité sociale et de la législation fiscale».

Une autre disposition bénéfique est introduite par l’article 8 du même décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, maintenant au profit des salariés, bénéficiant des indemnités exceptionnelles et provisoires, permanents ou liés par des contrats de travail à durée déterminée en cours et dans la limite de la période restante du contrat «…le bénéfice des prestations de soins au sein des établissements publics de santé durant la période d’interruption de l’activité », ainsi que « le bénéfice des allocations familiales et de la majoration pour salaire unique durant toute la durée d’interruption provisoire de l’activité, et ce, conformément aux conditions et procédures fixées par la législation et la réglementation en vigueur».

Enfin, une ultime disposition bénéfique est introduite par l’article14 du même décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, en vertu de laquelle «Les entreprises directement ou indirectement lésées par la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total, peuvent bénéficier du report de paiement des cotisations à la charge des employeurs dans le régime légal de sécurité sociale au titre du deuxième trimestre de l’année 2020, et ce, pour trois mois sans appliquer de pénalités de retard au titre dudit report ». Le même article ajoute utilement que : «Au cas où l’entreprise bénéficiant du report des cotisations cesse définitivement son activité avant le règlement de la tranche de cotisations reportées visée au premier alinéa du présent article, ou lorsqu’elle ne maintient pas la totalité de ses salariés, ces cotisations deviennent immédiatement exigibles».

19. S’agissant des travailleurs indépendants, un autre décret-loi, adopté le même jour par le Chef du Gouvernement, à savoir le décret-loi n° 2020-3 du 14 avril 2020, portant détermination de mesures sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement de certaines catégories de travailleurs indépendants lésés par les répercussions engendrées par la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus « Covid-19 » est venu leur accorder des indemnités exceptionnelles et provisoires au titre des périodes d’interruption provisoire de leur activité en raison la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus «Covid-19», d’un montant mensuel fixé à deux cent (200) dinars (Articles 2 et 3 du décret-loi).

20. Ces mesures sociales d’accompagnement, malgré leur diversité et leur champ d’application assez large, pourraient toutefois s’avérer substantiellement insuffisantes, notamment quant au montant de l’indemnité exceptionnelle et provisoire fixée à seulement deux cent (200) dinars.

21. On sait la difficulté née de l’inexistence, en Tunisie, d’un système d’indemnisation du chômage technique qui reste, en grande partie, tributaire de l’établissement d'un système d'assurance qui, en droit comparé, permet de faire face à la survenance de faits plaçant les salariés dans un état de chômage partiel ou total. Ainsi, en France par exemple, la situation est rendue relativement possible par l’articulation de l’allocation chômage et de l’activité partielle. Ce sont là deux dispositifs autonomes mais qui peuvent pourtant se combiner, voire se cumuler, en permettant aux salariés, placés en chômage ou en activité partielle, de recevoir de la part de leur employeur une indemnité visant à compenser la perte de rémunération du fait des heures non travaillées. Cette indemnité horaire correspond à 70 % de la rémunération horaire brute (environ 84% du salaire net). L’employeur reçoit ensuite, pour chaque heure non travaillée et chaque salarié placé en activité partielle, une allocation d’activité partielle financée par l’Etat et l’Unedic.

22. Le concept de chômage technique est, par contre, resté inconnu en droit du travail tunisien jusqu’à ce que la loi n° 2008-79 du 30 décembre 2008, portant mesures conjoncturelles de soutien aux entreprises économiques pour poursuivre leurs activités, telle que modifiée par la loi n° 2009-35 du 30 juin 2009, est venue y suppléer, mais pour une période limitée jusqu'au 30 juin 2010 et ne bénéficiant qu’à une catégorie restreinte d’entreprises, définies à l’article 2 (nouveau) de ladite loi, à savoir les entreprises totalement exportatrices, les entreprises implantées dans les parcs d'activités économiques et les entreprises ayant réalisé une moyenne des 50 % au moins de leur chiffre d'affaires à l'export au titre des années 2007 et 2008.

23. C’est cette même option qui devrait inspirer les solutions à adopter en droit tunisien dans le cadre d’un nouveau droit du travail à définir(7). Elle reste, en grande partie, tributaire de l’établissement d'un système d'assurance contre le chômage, option qui a été, en tout cas, envisagée dans le nouveau contrat social, signé entre le Gouvernement, l’UTICA et l’UGTT le 14 janvier 2013 et qui devrait, donc, être activement relancée et intégrée dans le système tunisien de protection contre le licenciement.

(d) Lourdeur du dispositif administratif de contrôle mis en place en vue du bénéfice des mesures sociales d’accompagnement, y compris notamment le rôle attribué à l’inspection du travail

24. Aux restrictions injustifiées apportées aux entreprises en vue du bénéfice par ses salariés des mesures sociales d’accompagnement, par ailleurs insuffisantes, sont aggravées par le rôle injustifié attribué à l’inspection du travail dans la mise en œuvre du dispositif de protection et de soutien aux entreprises et aux salariés mis en place par le décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité.

25. Un tel rôle attribué à l’inspection du travail est de nature à ajouter aux confusions déjà souvent entretenues en Tunisie quant aux pouvoirs assez larges reconnus à l’inspection du travail et qui vont au-delà son rôle principal consistant à assurer, dans des conditions d’indépendance vis-à-vis de toute influence extérieure indue, le contrôle de l’application des normes légales et conventionnelles relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs.

26. De fait, des considérations liées au souci de l’emploi amènent l’inspection du travail à intervenir, de plus en plus, dans les conflits du travail. Le Code du travail, lui-même, lui confère un rôle important en matière de règlement des conflits collectifs du travail et les charge, également, de la mission de contrôle des licenciements pour motif économique ou technologique, dans des conditions qui prêtent de plus en plus à discussion tant il doit être rappelé que l’inspecteur du travail – et ceci est important –n’est pas « juge » du contrat de travail, de son interprétation et de son application entre les parties. Il est gardien du statut des travailleurs dans les domaines qui lui sont délimités par la législation répressive du travail(8).

27. Cette distinction, importante en droit mais encore mal perçue par la pratique, prend une ampleur particulière lorsqu’on sait les effectifs réduits de des agents de l’inspection du travail par rapport au nombre des entreprises. Si on leur ajoute de nouvelles tâches consistant à contrôler la mise en application du dispositif de soutien aux entreprises et à l’emploi mis en œuvre per le dernier décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, risque d’ajouter ainsi à la confusion et d’introduire une lourdeur administrative supplémentaire qui ne permet pas de parvenir à un traitement efficace des questions réellement posées et aboutit à dévier le dispositif de protection ainsi mis en place de ses objectifs et de ses finalités fonctionnelles.

(C) Recommandations

28. Le gouvernement serait inspiré d’adopter les mesures suivantes :

R 1- Modifier les dispositions de l’article 5 du décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020, portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail, en vue d’interdire purement et simplement tout recours aux dispositions du sous-paragraphe C du troisième paragraphe de l’article 14 du Code du travail sur la mise à fin du contrat de travail en cas d'empêchement d'exécution résultant d'un cas fortuit ou de force majeure, sauf les cas où l’entreprise aurait été, elle-même, contrainte à la cessation pure et simple de ses activités, ou si elle est a l'intention de licencier ou de mettre en chômage pour des raisons économiques ou technologiques tout ou partie de son personnel permanent, auquel cas elle devra satisfaire aux conditions et procédures définies par les articles 21 à 21-13 du Code du travail régissant le licenciement ou la mise en chômage pour des raisons économiques ou technologiques.

R 2- Reconsidérer, en vue de les supprimer, les restrictions résultant des dispositions de l’article 4 du décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020, limitant le bénéfice des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total à la production de justificatifs difficiles à mettre en œuvre et à contrôler au point de constituer un obstacle inutile et contraire aux objectifs de célérité poursuivis par le dispositif mis en place par le Chef du Gouvernement en vue de prêter main-forte aux entreprises et d’y préserver les salaires et les emplois. 

R 3- Modifier les dispositions de l’article 9 du décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus « Covid-19 », et ce en vue de valoriser le montant des indemnités exceptionnelles et provisoires au titre des périodes d’interruption provisoire de l’activité, postérieures au mois de mars 2020, qui sont attribuées aux salariés, et en la portant à un montant mensuel fixé à au moins 50% du montant de la rémunération brute.

R 4- Mettre en place, au titre de financement des indemnités exceptionnelles et provisoires, un « Fond spécial d’indemnisation du chômage technique » financé par une dotation spéciale de l’Etat et ouvert à des contributions exceptionnelles et obligatoires de toutes les entreprises, y compris à titre de solidarité les entreprises qui ont été autorisées à poursuivre leurs activités pendant la période du confinement sanitaire général.

R 5- Reconsidérer l'organe administratif compétent en matière de contrôle mise en œuvre du dispositif de protection mis en place par le décret-loi n° 2020-4 du 14 avril 2020, précité, en confiant cette mission à la Caisse nationale de sécurité sociale, en harmonie avec les dispositions de l’article 12 du même décret-loi ordonnant la restitution, par voie d’états de liquidation établis par la Caisse nationale de sécurité sociale elle-même, des indemnités exceptionnelles et provisoires attribuées au profit des salariés, et ce au cas où l’entreprise a failli à l’obligation de maintien, durant toute la durée de bénéfice de ces mesures, de la totalité de ses salariés permanents ou titulaires de contrats de travail à durée déterminée dans la limite de la période restante du contrat.

II- Mesures relatives à l’adaptation de l’exécution du travail aux nouvelles données résultant des mesures sanitaires restrictives

29. Un des apports du décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020 portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail a été de pallier aux insuffisances du Code du travail en prévoyant une série de mesures et techniques permettant aux entreprises d’adapter l’exécution du travail aux nouvelles données engendrées par les mesures de confinement sanitaire général  décrétées par les pouvoirs publics.

30. Certaines mesures et techniques ainsi prévues par le décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, permettent aux entreprises de récupérer plus aisément les heures de travail perdues (A) ;

D’autres mesures et techniques prévues par le même décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, permettent aux entreprises de solder les congés-payés (B).

Le décret-loi aurait-dû, toutefois, aller plus loin en vue de donner une base légale au télétravail, inconnu du Code du travail et qui s’est avéré, pour nombre d’entreprises et de travailleurs, le moyen le plus efficace pour lutter contre la diffusion du coronavirus « Covid-19 » (C).

(A) Mesures permettant la récupération des heures de travail perdues

31. Aux termes de l’article 3 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, «Est suspendue l’application des dispositions du premier alinéa de l’article 92 du Code du travail, lesquelles sont remplacées ainsi qu’il suit : "les heures perdues par suite d’interruption collective de travail dans un établissement ou dans une partie d’établissement, peuvent être récupérées dans les six mois suivant l’interruption du travail"».

32. L’apport de ces dispositions est à souligner dans la mesure où elles permettent de déroger aux limites fixées par l’article 92 du Code du travail, imposant actuellement la récupération des heures perdues «dans les deux mois suivant l'interruption du travail». Ainsi donc, les entreprises pourront, exceptionnellement, étaler la période de récupération des heures perdues sur une période nettement plus longue, à savoir « dans les six mois suivant l’interruption du travail», ce qui est à l’évidence plus adaptée à l’ampleur des difficultés engendrées par le confinement sanitaire général qui a entrainé, pour nombre d’entreprise, une perte d’heures de travail dans des proportions autrement plus importantes et dont il aurait été difficile d’imposer la récupération «dans les deux mois suivant l'interruption du travail».

33. Le travail étant interrompu par un évènement imprévu, il aurait été peut-être indiqué de suspendre, en même temps, l’application des dispositions du deuxième alinéa du même article 92 du Code du travail et de dispenser ainsi les entreprises, exceptionnellement, de respecter les formalités obligatoires y définies, à savoir l’information préalable de l'inspection du travail des interruptions collectives de travail et des modalités de la récupération et prévoir un simple avis devant lui être donné immédiatement. Toutefois, la difficulté ne parait pas réelle dans la mesure où le texte actuel dudit alinéa 2 de l’article 92 apporte un tempérament en prévoyant ce qui suit : «Toutefois, si le travail est interrompu par un événement imprévu, avis lui en est donné immédiatement».

(B) Mesures permettant de solder les congés payés

(a) Analyse de la situation

34. Aux termes de l’article 4 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, précité, « Est suspendue l’application des dispositions du premier alinéa de l’article 117 du Code du travail, lesquelles sont remplacées ainsi qu’il suit : " l’employeur peut accorder un congé annuel à tous les employés ou à certains d’entre eux au titre de l’année écoulée ou de l’année en cours "».

35. L’apport de ces dispositions est à souligner dans la mesure où elles permettent de déroger, exceptionnellement, aux limites fixées par l’article 117 du Code du travail, imposant actuellement d’octroyer le congé annuel «…au cours de la période du 1er Juin au 31 octobre de chaque année ». Le même article 117 ajoute : « Il peut être octroyé au cours d'une autre période de l'année en vertu d'accords collectifs ou individuels ou par l'employeur lorsque la nécessité du travail l'exige et après avis de la commission consultative d'entreprise ou des délégués du personnel.».

36. Notre avis est, cependant, que les possibilités ainsi offertes à l’employeur sont exagérées et vont au-delà de celles arrêtées en droit comparé.  Ainsi en France, par exemple, et suite à la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, une ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020(9)  est venue fixer les règles spécifiques en matière de congés payés,  en permettant à l’employeur d’imposer la prise de congés payés ou de modifier les dates de congés payés déjà validées sans avoir à respecter les dispositions prévues par le Code du travail ou les accords collectifs.
Mais, d’une part, cette possibilité est encadrée et est soumise à l’application d’un accord collectif (un accord d'entreprise, ou, à défaut, un accord de branche) et d’autre part et surtout, L’ordonnance limite cette possibilité à « 6 jours ouvrables, soit une semaine de congés payés ».

(b) Recommandations

37. Le gouvernement serait bien inspiré de prendre les mesures suivantes:

R 6- Modifier les dispositions de l’article 4 du décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020, portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail, en vue de limiter la possibilité conférée à l’employeur d’imposer la prise de congés payés à tous les employés ou à certains d’entre eux au titre de l’année écoulée ou de l’année en cours à une limite d'une durée raisonnable à convenir en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des salariés, étant rappelé, à titre comparatif, qu’une limite d’une semaine vient d’être adoptée en France.

(C) Absence de mesures permettant de donner une base légale au télétravail

(a) Analyse de la situation

38. Le Code du travail s’avère, une fois de plus, insuffisant quant aux mesures et techniques offertes aux entreprises en vue d’adapter l’exécution du travail aux nouvelles données nées des mesures de confinement sanitaire général  décrétées par les pouvoirs publics.

39. Le moyen le plus efficace pour lutter contre la diffusion de l’épidémie de Covid-19 est, à cet égard, de limiter les contacts physiques. Chacun, employeur comme salarié, peut contribuer à lutter contre cette diffusion, en ayant recours, chaque fois que possible, au télétravail. Pourtant, les décrets-lois adoptés par le Chef du gouvernement, le 14 avril 2020, dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus « Covid-19 », y compris notamment le décret-loi n° 2020-2 du 14 avril 2020 portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du travail, n’ont pas saisi cette opportunité de donner une base légale à cette forme de travail qu’est le télétravail.

40. Dans le contexte du confinement sanitaire général et de ralentissement général des activités économiques, commerciales et de services divers, le dispositif du télétravail est pourtant la solution phare pour assurer la continuité de l’activité d’une entreprise. Il permet de maintenir l’activité des salariés tout en assurant leur sécurité. Il est par ailleurs le moyen privilégié pour préserver et entretenir le contact entre les entreprises et leurs clients.
Télétravail : Cadre légal lacunaire avant et pendant le Covid-19

41. Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Est qualifié de télétravailleur, tout salarié de l'entreprise qui effectue, soit dès l'embauche, soit ultérieurement, du télétravail.

42. Cette forme de travail remet en cause le modèle du travail dépendant autour duquel gravitent la plupart des règles définies dans le Code du travail et dans les conventions collectives, en ce qu’elle met en lumière la réalité du monde travail contemporain largement affecté par la révolution informatique, «[...] qui fait passer le monde du travail de l’âge de la main-d’œuvre à celui du «cerveau d’œuvre»(10) , c’est-à-dire du travailleur «branché» : on n’attend plus qu’il obéisse mécaniquement à des ordres, mais on exige qu’il réalise les objectifs assignés en réagissant en temps réel aux signaux qui lui parviennent.»(11) .

43. Cette métamorphose technique de la prestation de travail, qui alimente les débats actuels sur la robotisation, la digitalisation et l’«uberisation», «…déplace le centre de gravité du pouvoir économique. Ce dernier se situe moins dans la propriété matérielle des moyens de production que dans la propriété intellectuelle de systèmes d’information. Et il s’exerce moins par des ordres à exécuter que par des objectifs à atteindre»(12) .

44. En droit du travail français, par exemple, depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le dispositif du télétravail peut être mis en place dès l’embauche du salarié. Les parties peuvent convenir d’une fréquence dans la mise en place du dispositif qui peut être périodique, occasionnelle ou bien régulière.

Certes, l’employeur ne peut pas imposer au salarié le télétravail, mais une exception au caractère volontaire a toutefois été prévue à l’article L. 1222-11 du Code du travail en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie ou en cas de force majeure.

45. La difficulté, en droit tunisien, est lié au fait que le Code du travail n’a pas prévu pareille possibilité, de sorte que  le salarié est en droit de refuser ou d’accepter la demande de télétravail qui lui est faite par l’employeur, sans risque de rupture de son contrat de travail, et ce même dans les circonstances inédites liées à la pandémie du coronavirus « Covid-19 » et aux mesures de confinement sanitaire général décrétées par les pouvoirs publics.

(b) Recommandation

46. Le gouvernement serait inspiré de combler les lacunes du Code du travail et de prendre les mesures suivantes:

R 7- Conférer la possibilité à l’employeur d’adapter les conditions d’exécution du travail aux difficultés engendrées par la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus «Covid-19» et d’organiser, avec l’accord du salarié, ou directement, le travail selon la formule du télétravail.

R 8- Aménager des garanties aux termes desquelles le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise.

R 9- Mettre à la charge de l’employeur les coûts liés au télétravail (matériels, logiciels, abonnements, communications et outils, ainsi que les coûts liés à la maintenance de ceux-ci)

R 10- Mettre à la charge de l’employeur l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des télétravailleurs et protéger leur santé physique et mentale, y compris les mesures de prévention concernant le travail sur écran des télétravailleurs et leur fournir du matériel informatique adapté (équipements bureautiques, logiciels appropriés…).

R 11- Prévoir que l’accident qui survient sur le lieu et au temps du télétravail est présumé être un accident de travail.

III- Les lacunes : les mesures assurant la prévention et la protection contre les infections au titre de la législation professionnelle

47. Les décrets-lois du Chef du Gouvernement du 14 avril 2020, adoptés dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus « Covid-19 », s’ils ont permis relativement de prévenir les licenciements et la crise des salaires et d’adapter l’exécution du travail aux nouvelles données résultant des mesures sanitaires restrictives,  ils ont par contre été totalement lacunaires quant aux moyens permettant aux entreprises obligées d’assurer une continuité de services de maintenir l’activité tout en évitant le risque d’infection des travailleurs par le fait du travail.

(A) L’atteinte par le Covidis-19 un accident de travail ? Une maladie professionnelle ?

(a) Analyse de la situation

48. Un salarié contaminé par le coronavirus pourrait-il obtenir une prise en charge de son infection au titre de la législation professionnelle ?
En application de l’article 3 de la loi n° 94-28 du 21 février 1994, portant régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles, « Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause ou le lieu de survenance, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, à tout travailleur quand il est au service d'un ou de plusieurs employeurs. Est également considéré comme accident du travail, l'accident survenu au travailleur alors qu'il se déplaçait entre le lieu de son travail et le lieu de sa résidence pourvu que le parcours n'ait pas été interrompu ou détourné par un motif dicté par son intérêt personnel ou sans rapport avec son activité professionnelle. Est considérée comme maladie professionnelle, toute manifestation morbide, infection microbienne ou affection dont l'origine est imputable par présomption à l'activité professionnelle de la victime. La liste des maladies présumées avoir une origine professionnelle ainsi que celle des principaux travaux susceptibles d'en être à l'origine, est fixée par arrêté conjoint des Ministres de la Santé Publique et des Affaires Sociales. Cette liste fixe également le délai de prise en charge pendant lequel le travailleur ou assimilé demeure en droit d'obtenir la réparation des maladies professionnelles dont il serait atteint quand il ne serait plus exposé aux causes de la maladie. Cette liste est révisée périodiquement et au moins une fois tous les trois ans.».

49. Concrètement, les risques de contamination au coronavirus peuvent s’inscrire dans le cadre de la législation professionnelle. En effet, un salarié infecté peut contaminer un ou plusieurs collègues. Le coronavirus se transmet entre les humains par la salive, les gouttelettes (toux, éternuements), par contacts rapprochés avec des malades (poignées de main) et par contact avec des surfaces contaminées. Ainsi, les trois conditions sont remplies à savoir une lésion corporelle, un fait lié au travail et un événement soudain.

50. La qualification du coronavirus en maladie professionnelle est plus difficile à garantir. Le salarié devra rapporter la preuve que l’infection est survenue par le fait ou à l’occasion du travail. En outre, à supposer que le salarié souhaite déclarer une maladie professionnelle, étant donné que l’affection n’est pas dans un tableau, elle doit être inscrite expressément sur la liste des maladies présumées avoir une origine professionnelle ainsi que celle des principaux travaux susceptibles d'en être à l'origine, telle que fixée par arrêté conjoint des Ministres de la Santé Publique et des Affaires Sociales.

(b) Recommandations

51. Le gouvernement serait inspiré d’adopter les mesures suivantes :

R 12- Inscrire l’atteinte d’un salarié par le coronavirus, à titre exceptionnel, sur la liste des maladies présumées avoir une origine professionnelle.

(B) Le droit de retrait, à titre préventif, est-il admis ?

(a) Analyse de la situation

52. Le droit de retrait n’est pas prévu par le Code du travail tunisien qui n’a pas l’équivalent, par exemple, de l’article L.4131-1 du code du travail français, tel que introduit par la loi du 23 décembre 1982, selon lequel tout travailleur est en droit d’alerter son employeur «…d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

53. La seule possibilité ouverte au travailleur est celle prévue par l’article 152-3 du Code du travail, précité « …- informer immédiatement son chef direct de toute défaillance constatée susceptible d'engendrer un danger à la santé et à la sécurité au travail… ». Mais, le travailleur ne peut pas de lui-même exercer aucun droit de retrait. Il doit attendre les instructions de son employeur.

54. Cela étant, si la menace est imminente et en cas d’échec de consensus entre les parties, l’issue finale ne peut reposer que sur la décision souveraine du juge, qui appréciera, sur la forme, si l’employeur a été préalablement avisé pour qu’il ait la possibilité de remédier à la situation décrite et, sur le fond, si les travailleurs ont un « motif raisonnable de penser » au danger imminent menaçant leur santé et sécurité. Cette formule souple est à l’avantage du travailleur, elle signifie que le danger n’a pas besoin d’être caractérisé ou de s’être révélé, mais seulement d’être ressenti comme tel par celui qui l’invoque.

(b) Recommandations

55. Le gouvernement serait inspiré d’adopter les mesures suivantes:

R 13- Reconnaître un droit spécial et exceptionnel au travailleur, après avoir alerté l’employeur et les services de l’inspection de la médecine du travail, au retrait du travail s’il y a des motifs raisonnables et un risque grave et imminent pour sa vie ou sa santé, nés d’une défaillance grave dans les systèmes de protection professionnelle.

Conclusion

56. L’heure est, une fois de plus, à faire montre de solidarité, de patriotisme et à faire bloc derrière le gouvernement pour faire barrage à l’épidémie de Covid-19, assurer la sauvegarde de l’économie, des entreprises et de l’emploi. Mais cela requiert, en même temps, de pallier aux insuffisances des mesures définies dans les décrets-loi du Chef du Gouvernement du 14 avril 2020 et de rassurer les tunisiens quant à la capacité de leurs gouvernants à assumer pleinement le leadership, comme levier de bonne gouvernance ! Car, au-delà de la lutte en vue d’endiguer la crise de l’épidémie de Covid-19, l’occasion reste offerte de relever ce nouveau défi, celui de l’expression citoyenne qui n’a plus d’autres possibilités que de se manifester de façon solidaire face à la crise.

57. Il faut, en même temps, compter sur la conscience et le dévouement des citoyens pour soutenir les efforts de l’État. Le secteur privé a également des devoirs de base, à travers lesquels il est temps qu’il incarne son rôle social et citoyen ! Après, ce sera trop tard !
 

Hatem Kotrane
Professeur en droit

(1) Loi n° 2020-19 du 12 avril 2020, portant délégation au chef du gouvernement le pouvoir de prendre des décrets lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation de la pandémie du Covid-19, JORT n° 031 du 12/04/2020.

(2) Décret présidentiel n° 2020-28 du 22 mars 2020, limitant la circulation des personnes et les rassemblements hors horaires du couvre-feu, JORT n° 24 du 22 mars 2020.

(3) Cf. nos précédents articles parus sur Leaders :
« Ce que Elyes Fakhfakh a omis de dire ! », Leaders 14 mars 2020.
« Covid-19, couvre-feu et contrats de travail », Leaders 18 mars 2020.
« Faire bloc derrière le gouvernement pour la sauvegarde de l’économie, des entreprises et l’emploi », Leaders 23 mars 2020.
دليل معاضدة جهود الدولة في مجابهة وباء الكورونا "كوفيد 19" وانعكاساته على عقود الشغل والعلاقات المهنية: تدابير الحماية والتوصيات ليدرز العربية، 25 مارس 2020.

(4) Décret gouvernemental n° 2020-156 du 22 mars 2020, portant fixation des besoins essentiels et des exigences nécessaires en vue d’assurer la continuité du fonctionnement des services vitaux, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total, JORT n° 24 du 22 mars 2020.

(5) Voir, par exemple, Cour de cassation, arrêt civil n° 10138 du 13 octobre 1984, Bulletin de la Cour de cassation 1984, Civil, II, page 39).

(6) Voir, par exemple, Cour de cassation, arrêt civil n° 1990 du 17 octobre 2005, Bulletin de la Cour de cassation 2005, Civil, page 389.

(7) Cf. Hatem Kotrane, Nouveau Droit du travail, édition SIMPACT, Tunis, 2018, paras. 329 et s.).

(8) Cf. sur ces points, Hatem Kotrane, Nouveau Droit du travail, édition SIMPACT, Tunis, 2018, paras. 154-155, et 334-337).

(9) Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, JORF n°0074 du 26 mars 2020.

(10) Michel Volle, « Anatomie de l’entreprise. Pathologies et diagnostic », dans Pierre Musso (sous la dir. de), L’Entreprise contre l’État, Manucius, Paris, 2017 ; Cité par Alain Supiot, article précité.
- Cité par Hatem Kotrane, Nouveau Droit du travail, édition SIMPACT, Tunis, 2018, paras. 32-33, p. 23).

(11) Alain Supiot, « Pour une réforme digne de ce nom- Et si l’on refondait le droit du travail … », Le Monde diplomatique, Octobre 2017, Pages 1, 22 et 23.

(12) Ibid.


 

 

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