News - 04.03.2020

Maledh Marrakchi: Plaidoyer pour une Stratégie Nationale en Intelligence Artificielle (IA)

Maledh Marrakchi: Plaidoyer pour une Stratégie Nationale en Intelligence Artificielle (IA)

Depuis un peu plus d’une décennie, l’Intelligence Artificielle s’est imposée comme le moteur « soft » de la quatrième révolution industrielle désormais appelée « Industrie 4.0 ». Cette technologie se consolide de jour en jour comme une technologie disruptive qui impacte toutes les disciplines, les économies et les industries. Dans un article publié par Leaders dans la rubrique opinion en date du 25 octobre 2017, j’avais parlé de « l’intelligence artificielle entre promesses et craintes, en Tunisie aussi » où il a été question des évolutions de l’IA, de ses promesses et des craintes qui accompagnent son développement un peu partout. Il a été aussi question de la nécessité de la mise en place en Tunisie d’une stratégie accompagnant ces développements. Cet appel, adressé aussi au Conseil d’Analyse Economique auprès du Chef du Gouvernement, a eu échos, en avril 2018, auprès du Secrétariat d’Etat à la Recherche Scientifique qui a décidé la mise en place d’une Task Force sur le sujet, et en a chargé la Chaire Unesco à l’ENIT.

Malheureusement cette initiative n’a pas permis, à ce jour, d’aboutir à la mise en place d’une stratégie nationale en la matière, pour des raisons diverses sur lesquelles je ne m’attarderai pas ici.

Entre temps, le nombre de pays s’étant doté d’une stratégie nationale en IA ou ayant lancé des initiatives dans ce sens a considérablement évolué pour atteindre près de 50 pays (ci-après la carte mondiale des stratégies en IA telle que maintenue et mise à jour par l’OCDE). Parmi ceux-ci 37 pays ont adopté ou prévoient d’adopter des approches spécifiques pour le secteur public. On y voit très clairement, la différence dans la prise de conscience entre le nord et le sud. Au niveau de l’Afrique seule la Tunisie et le Kenya sont cités. Les Emirats Arabes Unis, sont le seul pays arabe ayant une stratégie IA adoptée et en cours de mise en œuvre. Le premier pays s’étant engagé sur cette voie est le Canada en 2017.

La course effrénée entre certains pays pour se positionner en tant que Leader mondial (USA, Chine) ou régional (UK, France, Allemagne, Russie), montre que l’enjeu est énorme dans la mesure ou l’IA aura un impact considérable sur comment les entreprises produisent, les consommateurs consomment et les gouvernements délivrent leurs services aux citoyens. L’IA soulève aussi des problématiques sans précédents pour les gouvernements comme la protection des données personnelles, la responsabilité des algorithmes qui apprennent par eux-mêmes, l’explication (ou l’intelligibilité) des décisions prises par les modèles d’apprentissage automatique et l’impact potentiel sur la cartographie de l’emploi et par voie de conséquence sur le système éducatif initial et professionnel. Les gouvernements se doivent de réfléchir sur comment développer une économie de l’IA et comment ils peuvent utiliser l’IA pour résoudre de façon durable différents problèmes posés dans leurs sociétés.

Pour ce faire, seule une stratégie nationale avec une vision globale et une planification à long terme peut conduire un pays dans le bon sens et lui permettre de tirer profit au maximum du potentiel de l’IA. C’est dans ce contexte que le WEF a publié en août 2019, un cadre pour le développement viable d’une stratégie nationale en Intelligence Artificielle, sous forme d’un « White Paper ». Ce cadre peut se résumer en ce qui suit :

La Tunisie présente un ensemble d’éléments favorables au développement d’une économie IA et de façon moindre son adoption locale dans différents secteurs d’activités, compte tenu de leur niveau de digitalisation. Le nombre d’entreprises et de startups qui se lancent dans le développement de produits IA est en accélération. Depuis quelques mois, on enregistre la multiplication d’initiatives et de manifestations autour de l’IA impliquant notamment les jeunes et les chercheurs ce qui permet de contribuer au renforcement des capacités mais aussi à la diffusion d’une culture pour l’adoption de ces technologies. Ces initiatives gagnent à être complétées (voir canalisées) par un plan national en faveur du développement des ressources humaines spécialisées en IA, couvrant non seulement l’enseignement supérieur et la recherche scientifique mais aussi la formation professionnelle et le secteur de l’éducation. Ce plan est d’autant plus urgent que la demande grandissante des marchés étrangers accentue de jour en jour le déficit local en compétences maitrisant ces technologies.

L’émergence d’un écosystème national en IA et sa durabilité, exige la définition de secteurs stratégiques sur lesquels la Tunisie souhaite miser et l’allocation de budgets associés et des incitations fiscales appropriées pour le secteur privé. N’ayant pas beaucoup de ressources financières, la Tunisie se doit d’éviter la politique de sous-poudrage et de mettre l’essentiel des ressources qu’elle est en mesure d’affecter sur quelques domaines stratégiques comme la santé, l’agriculture ou le transport.

Le graphique ci-dessous, tiré du AI Index report 2019, montre les secteurs à l’échelle mondiale, qui enregistrent la croissance la plus importante en termes d’investissements privés en IA entre 2015 et 2019:

Le choix des secteurs stratégiques pour la Tunisie ne doit pas occulter certaines difficultés en disponibilité (ou accessibilité) des infrastructures nécessaires associées sans lesquelles rien ne peut se faire avec particulièrement les infrastructures d’accès, de collecte et de traitement des données, notamment les Data Center, et les réseaux de transmission des données.

A cet effet, un plan national en faveur du développement et de l’accès aux données dans différents domaines, s’impose et notamment pour le secteur public. Les aspects règlementaires sont aussi très importants pour accompagner ce plan notamment sur des aspects d’éthique relatifs à la production, la collecte, le traitement des données en faveur du développement de l’IA. La Tunisie dispose déjà d’un certain nombre d’initiatives louables notamment en matière d’open data et de protections des données personnelles. Ces initiatives sont à inscrire dans un plan global à court et moyen terme en matière de mise à niveau et d’adaptation de la réglementation en relation avec ces technologies et le développement de leurs usages.

La Tunisie se doit aussi de capitaliser sur son ancrage géographique pour actionner des mécanismes de coopération régionale et internationale lui permettant d’accéder à des mécanismes de financement et à des réseaux de compétences et de partage de bonnes pratiques.

Une stratégie nationale en IA est un travail qui doit être mené selon un modèle transversal et inclusif de toutes les parties prenantes (pouvoirs publics, secteur privé, milieu académique et société civile). Sa structuration administrative dépend de la réalité de chaque pays. Différentes approches ont été retenues par différents pays. Le choix de la structure administrative doit surtout être effectué en faveur des meilleures garanties pour une bonne mise en application de la stratégie qui aura été formulée. Le caractère transversal du travail plaide pour une structure qui aura la capacité de mobiliser de façon horizontale toutes les parties prenantes.

Le moment est pour l’action, pour prendre part à ces transformations majeures qui nous attendent et en faire une opportunité pour notre pays, pour l’avenir de nos concitoyens et les générations futures.

Maledh Marrakchi
Docteur Ingénieur spécialisé en IA, ancien universitaire
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Amira maazouz - 04-03-2020 17:52

une analyse très pertinente.

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