News - 07.10.2018

Dr Gerry Clare : «La vision» de Trump et d’Israël cherche à aveugler les palestiniens. Littéralement

Dr Gerry Clare : «La vision» de Trump et d’Israël  cherche à aveugler  les palestiniens. Littéralement

Le Dr Gerry Clare est un chirurgien ophtalmologiste basé au Royaume-Uni. Il est  titulaire d’un doctorat en atteintes et blessures oculaires. Il a servi comme consultant en ophtalmologie  dans l’Armée britannique. Il a exercé dans les zones de conflit et dans des milieux défavorisés à travers le monde - y compris avec Médecins sans Frontières.

Exerçant comme ophtalmologiste à Jérusalem-Est, j’étais bien placé pour voir que la mutilation infligée aux Palestiniens par Israël est une forme de contrôle des foules et de maintien de l’ordre.

L’an dernier, j’ai passé neuf mois à Jérusalem en qualité de directeur médical d’un hôpital ophtalmologique qui sert essentiellement les Palestiniens de Gaza et des territoires occupés. Ce que j’y ai vu révèle une forme insidieuse d’abus de pouvoir de la part d’Israël.

Le vendredi 21 juillet 2017, alors que je travaillais dans mon bureau à Jérusalem-Est, je fus appelé pour examiner un jeune homme sérieusement blessé lors d’un clash avec les forces de sécurité israéliennes alors qu’il protestait  contre le plan visant à installer des détecteurs de métaux aux entrées de la mosquée Al Aqsa.
Le temps que j’arrive, le jeune était déjà dans la salle d’opération sous anesthésie générale. Un de ses yeux était complètement détruit. Les os et les tissus mous autour des débris de l’œil étaient abîmés et méconnaissables.

Je me souvins alors de ma première visite à Jérusalem, en 2003,  quand j’eus à examiner un jeune de 14 ans qui avait subi une blessure directe  à l’œil au moyen d’une balle en acier recouverte de caoutchouc. Appelée « balle en plastique », on avait là un exemple de projectile « non-létal » employé pour contrôler les foules.

Un CT scan (tomodensitométrie) a révélé que la trajectoire  de la balle  à travers les tissus mous de l’orbite de l’enfant a laissé  des débris dans son sillage. La balle en acier était logée dans un sinus en dessous de la base du crâne. Les os entourant l’orbite étaient cependant intacts.

Examinant mon patient en juillet 2017, je ne découvris aucun débris de caoutchouc ou d’acier dans cet épouvantable gâchis. Soudain cela a fait tilt : il ne s’agit pas d’une balle en plastique mais plutôt d’un projectile de plus grand diamètre comme une grenade lacrymogène, tirée à bout portant.

Comme pour confirmer mes suspicions, une heure plus tard environ était admis un jeune adolescent avec des blessures identiques : le globe oculaire détruit, des fractures multiples de l’orbite et des tissus mous abîmés sans la moindre possibilité de réparation. Ces blessures ne pouvaient être causées que par des tirs visant directement les yeux  et  deux cas successifs de traumatisme oculaire aussi graves  ne sauraient  être dus à une coïncidence.

Me remémorant mon service militaire de médecin dans l’armée britannique en Irlande du Nord, je sais que les soldats ont la consigne de tirer les grenades lacrymogènes en direction du sol pour disperser les foules et non directement vers les manifestants. En général, les militaires sont entraînés pour viser les membres inférieurs quand ils utilisent les balles en plastique conscients qu’ils sont des terribles dégâts qu’elles pourraient produire. A Jérusalem au contraire, ces cas suggèrent un usage abusif et délibéré de la force par le personnel de sécurité.

Mes collègues de l’hôpital Hadassah à Jérusalem sont rompus à ce type  de blessures ayant eu à en traiter un certain nombre tel le cas de ce garçon de 11 ans blessé à l’œil par un tir alors qu’il achetait des bonbons. Quand son père désemparé a essayé d’avoir des dommages et intérêts, il a été débouté avec cette affirmation invraisemblable que les forces de sécurité israéliennes  n’avaient rien à faire avec ce problème. Le coût d’une prothèse oculaire étant au-delà des possibilités financières de cette famille, on peut présager que cet innocent enfant sera défiguré à vie et souffrira continuellement.

Cette sorte de blessures,  généralement considérées comme rarissimes, semblent augmenter à une fréquence alarmante parmi les Palestiniens- passants, journalistes et enfants compris.

A cet égard, il y a de nombreux rapports solidement documentés à propos de ces blessures tant dans les médias israéliens qu’internationaux ainsi qu’un certain nombre de témoignages rassemblés par B’Tselem*. En outre, Breaking the Silence** a publié la déposition d’un sergent d’artillerie israélien auquel on a donné l’ordre de trafiquer les balles de plastique pour qu’elles aient un effet maximum et de viser directement les yeux. En 2010, une manifestante américaine du nom d’Emily Henochowicz a perdu un œil du fait d’une grenade lacrymogène tirée par les forces de sécurité israéliennes. Contrairement aux graves atteintes subies par les Palestiniens, le cas de cette Américaine a bénéficié d’une  large couverture médiatique aux Etats Unis.

L’ONG américaine « Médecins pour les Droits de l’Homme » (Physicians for Human Rights) …qualifie de « crimes » cet emploi abusif des armes dans le contrôle des foules et des manifestations.
Ce faisceau de preuves confirme  une utilisation insidieuse,  sur une période de plusieurs années, par certains membres des forces de sécurité israéliennes. Il se pourrait que des centaines de blessés aux yeux à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem ne se soient pas fait connaître. J’ai formulé le projet d’en discuter avec les autorités israéliennes mais j’ai  finalement conclu qu’un compte-rendu de mes observations ne mettra pas un terme à ces horribles violations.

Quelques aventures à Jérusalem m’ont donné la possibilité de comprendre la mentalité qui préside à l’acte de tirer avec l’intention d’infliger une infirmité permanente à un être humain vulnérable.
J’ai rencontré à la Foire du Livre de Jérusalem une Kahaniste*** déclarée, une femme originaire de Dallas (Etats Unis) qui déclarait sans ironie que, si l’Iran entourait ses installations nucléaires d’un million d’enfants, « nous devrions malgré tout les bombarder parce que notre existence serait en jeu ».

J’ai vu un enfant Haredi cracher avec désinvolture sur une nonne chrétienne et un policier déchirer un drapeau palestinien arraché des mains d’une femme d’âge moyen. Au cœur de ces mots et de ces gestes préside  une culture de la violence.

Rien de mieux que Gaza pour apprécier le grand  fossé qui sépare les Israéliens des Palestiniens. Le blocus a des conséquences graves sur la santé des Gazaouis. On refuse à beaucoup d’entre eux des autorisations de voyage pour traitement médical. A Gaza, l’expertise médicale n’est pas au rendez-vous car on interdit à de nombreux praticiens de ce territoire   de se rendre à l’étranger pour suivre des cours de spécialisation.

Ces limitations touchant le domaine de la santé ont des conséquences excessives sur les Gazaouis souffrant de maladies chroniques comme le diabète. Ce qui entraîne  une perte de vision permanente. Les milliers de Gazaouis qui ont besoin de chirurgie reconstructive et de rééducation suite aux blessures en relation avec le conflit exacerbent et compliquent la situation en surchargeant un système de santé déjà bien fragile.

Ceci joint à une myriade d’autres anecdotes reflètent une déshumanisation des Palestiniens.
Dans cette narration, des crimes tel que le tir délibéré dans les yeux n’ont pas à être justifiés ou expiés ; les besoins médicaux des Palestiniens ne peuvent être négligés impunément.

J’affirme que personne- même un manifestant qui jette des pierres- ne mérite de se faire détruire sommairement un œil.

J’en appelle aux autorités israéliennes pour qu’elles mettent fin à ces odieuses pratiques et pour qu’elles  donnent  aux besoins médicaux des Palestiniens la priorité qu’ils méritent. A l’heure où les services de santé palestiniens sont gravement menacés par le Président américain Donald Trump qui veut mettre fin à l’aide- y compris pour les hôpitaux de Jérusalem-Est traitant les Palestiniens- la responsabilité des autorités israéliennes n’a jamais été plus urgente.

Dr Gerry Clare
Haaretz, 16 septembre 2018
Traduit de l’anglais par Mohamed Larbi Bouguerra

*ONG israélienne des droits de l’homme travaillant dans les territoires occupés.
** « Breaking The Silence » (Briser le silence) est une organisation non-gouvernementale israélienne établie en 2004 à Jérusalem Ouest par des soldats et vétérans de l’armée israélienne. Elle collecte confidentiellement les expériences des soldats lors de leur service. Le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou veut à tout prix la réduire au silence et lui interdire de se rendre dans les écoles. Lire notre article : http://www.leaders.com.tn/article/17265-exposition-a-zurich-l-armee-israelienne-mise-a-nu.
*** Meir David Kahane était un rabbin et homme politique israélo-américain, prônant une ligne nationaliste favorable au Grand Israël et au transfert de tous les Palestiniens des territoires occupés, et incluant les Arabes vivant en Israël, hors de ce pays. Elu député à la Knesset (Parlement israélien), il a préféré démissionner par peur de perdre la nationalité américaine ! Son parti a été interdit en Israël même. Il a été assassiné à New York fin novembre 1990.

 

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