News - 03.05.2018

Hédi Baccouche/‘’En toute franchise": Quatre jours à la Kasbah

Hédi Baccouche: ‘’En toute franchise

Après un long silence, Hédi Baccouche, ancien Premier ministre au lendemain du 7 Novembre (auquel il avait directement contribué) se met à table en publiant ses mémoires chez Sud Editions, sous le titre, «promesse de sincérité: En toute franchise».

Son long parcours de jeune destourien et de gouverneur (à Bizerte et Sfax), son engagement socialiste avec Ahmed Ben Salah qui lui a valu la prison et une longue traversée du désert avant qu’il ne soit repêché en juin 1978 par Hédi Nouira, pas pour longtemps. Il partira comme consul général à Lyon (1981), puis ambassadeur à Berne (1982) et auprès du Saint-Siège et Alger. Il reviendra à Tunis en tant que directeur du Parti socialiste destourien (1984), avant d’être nommé en avril 1987, juste pour quelques mois, ministre des Affaires sociales.

Hédi Baccouche est un ‘’politique par excellence’’, qui navigue par monts et vallées, enchaînant les charges au pouvoir et les disgrâces. Eloigné de la Kasbah par Ben Ali, en 1988, il gardera toujours un pied dans le paysage politique. Il ressurgira le 14 janvier 2014, à la Kasbah, aux côtés de Mohamed Ghannouchi et Foued Mebazaa. 

Bonnes feuilles

Un appel téléphonique de Mohamed Ghannouchi

J’ai suivi ces informations à la télévision comme tout le monde. J’étais déjà couché quand, vers une heure du matin, Mohamed Ghannouchi, Premier ministre devenu Président par intérim, en conclave au ministère de l’Intérieur, me réveille au téléphone. Je commence par le féliciter pour la haute charge qu’il venait d’assumer. Il me raconte alors les conditions dans lesquelles il était devenu Président, comment un membre de la garde présidentielle l’a appelé et lui a dit que le Président était parti, que le pays était en danger et qu’il a dû se rendre à Carthage pour prendre la succession.

De l’article 56 à l’article 57: Fouad Mebazaa, Président

Influencé par les commentaires développés à la chaîne Al Jazeera par le Professeur Sadok Belaid, je lui avais dit que, compte tenu de la situation dans le pays, il fallait appliquer l’article 57 de la Constitution et désigner un nouveau Président, en l’occurrence Fouad Mebazaa. Il y avait pensé, m’a-t-il dit, mais ce dernier n’en voulait pas, prétendant qu’il était malade. Et il ajoute: «J’ai téléphoné à Hamed Karoui, un ami à lui, pour le convaincre. Il est toujours réticent. Il n’est convaincu qu’à 80 %». Je lui réponds: Si tu veux, je peux lui en parler. «Pourquoi pas, tu peux essayer», me dit-il. Je lui avais également dit: «Maintenant qu’on est dans un nouveau régime, il faudrait consulter des spécialistes de droit pour lui donner des fondations solides.» Il acquiesce et, sans attendre, que je lui donne des noms, il me dit «Appelle qui tu veux, je les recevrai demain à treize heures.» En fin d’entretien, il me fixe rendez-vous pour le lundi à dix heures.

Quelques heures plus tard, je prends contact avec Hamed Karoui et lui parle de mon entretien avec Ghannouchi. Il confirme qu’il a effectivement parlé avec Mebazaa, que ce dernier n’était convaincu qu’à 80 % et m’encourage à lui en parler encore. Je téléphone à Mebazaa et insiste auprès de lui pour accepter la succession. Le moment est difficile et, par devoir, il faut qu’il accepte. Il évoque son état de santé, son entretien avec Karoui et finit par donner son accord.

J’informe Mohamed Ghannouchi qui, sans tarder, saisit le Conseil constitutionnel qui, par la décision suivante, charge Fouad Mebazaa de la responsabilité de Président de la République par intérim (...)

Ainsi finit le règne de Zine El Abdine Ben Ali. Dans la confusion. Pourtant, il avait bien commencé, mais il n’a pas tenu ses engagements. Une nouvelle ère s’ouvre pour notre pays.

Consultation de juristes

Quant à la consultation des juristes que j’avais proposée à Ghannouchi, j’avais commencé par en parler à Sadok Belaid. J’avais également sollicité Yadh Ben Achour qui m’a demandé d’inviter, avec lui, Ghazi Gheraïri.

Ce que j’ai accepté. J’ai téléphoné à Abdelfattah Amor. Il était à Genève.

Sans hésiter, il me dit : «Je viens, je vais directement à l’aéroport». Entretemps, Mohamed Ghannouchi m’appelle pour me dire qu’il est occupé à former le gouvernement et me prie de retarder d’une heure la réunion avec les juristes. J’en informe Zouheir Mdhaffer, un ministre dont le bureau était proche de celui de Ghannouchi et insiste auprès de lui pour s’occuper des invités en attendant que le Premier ministre les reçoive. J’ai appris qu’à trois heures, il les a reçus mais au lieu de discuter avec eux des prochaines élections qui devaient se dérouler dans quarante-cinq jours, selon la Constitution, il a surtout parlé avec eux des commissions annoncées quelques jours auparavant par Ben Ali et les a chargés de les présider, Abdelfattah Amor la Commission d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption et Yadh Ben Achour la Commission supérieure de la réforme politique. Il fait appel à Taoufik Bouderbala, une personnalité importante dans le domaine des droits de l’homme, pour présider la Commission pour l’établissement des faits sur les dépassements commis durant la dernière période.

Rendez-vous avec Mohamed Ghannouchi

Au cours de l’entretien téléphonique avec Mohamed Ghannouchi, le samedi 15 janvier, vers une heure du matin, ce dernier me fixe un rendez-vous à la Kasbah pour le lundi 17 janvier à 10 heures. A la même heure, Hammadi Jebali, le secrétaire général du Mouvement islamiste, devait venir chez moi. Nous nous connaissions. C’est Néjib Karoui qui me l’avait présenté. J’ai eu l’occasion en 1984, quand j’étais directeur du Parti, de le rencontrer. Il m’avait entretenu de ses dispositions à mener une action religieuse et morale pacifique dans la société. 

Il ne mettait pas en avant à cette période ses ambitions politiques. Il cherchait seulement la reconnaissance de son mouvement par le régime. De bon matin, il m’a téléphoné pour me dire qu’il avait rendez-vous avec le Premier ministre à 11 heures à la Kasbah et qu’il ne pouvait se rendre chez moi comme prévu à dix heures. Je lui dis : «ça tombe bien, moi aussi, j’ai rendez-vous avec le Premier ministre à 10 heures. On se voit à la Kasbah».

Ainsi, je me suis trouvé les premiers jours du changement à la Kasbah.

Au cours de ma discussion avec Mohamed Ghannouchi, ce dernier m’informe que Rached Ghannouchi annonçait son retour au pays dans les jours qui viennent et il se demandait s’il ne fallait pas l’en empêcher.

Je lui ai dit: « Ce n’est pas facile, tu ne peux pas, après une révolution, empêcher un citoyen de rentrer chez lui. Ses supporters ne te laisseront pas faire. D’ailleurs, je dois voir Hammadi Jebali, le secrétaire général du mouvement, je tâcherai de le modérer avant que tu ne le reçoives».

Rencontre avec Hammadi Jebali

Ainsi, dans le bureau du directeur de cabinet du Premier ministre, dans son salon, je me suis entretenu avec Jebali. D’emblée, je lui dis: «Avant de rencontrer Ghannouchi, j’aimerais te dire quelques vérités.

Autant le nouveau pouvoir est conciliant avec toutes les oppositions, autant il va être strict avec les islamistes». Etonné, il me demande les raisons. Je lui explique : «Nous nous sommes connus, vous affirmiez que vous étiez modérés. Puis, on vous a vus changer de ton et user de la violence. Vos changements ne sont pas rassurants. Il ne faut pas en vouloir au Premier ministre s’il refuse de faire les concessions que vous exigez.» Calmement, il me dit : «Nous ne sommes pas très exigeants. Nous avons trois demandes:

1-Reconnaître notre mouvement;

2-Déclarer une amnistie générale;

3- Ne pas gêner le retour de cheikh Ghannouchi, le chef de notre mouvement.

Nous l’accueillerons dans la discrétion». Je lui réponds: «Ce sont des demandes compréhensibles. Je ne pense pas qu’elles rebutent le Premier ministre. Et je lui dis que je vais lui en parler». Ce qui fut fait et accepté.

J’ai revu Jebali une deuxième fois, par hasard, à la Kasbah, venu pour rencontrer de nouveau le Premier ministre Ghannouchi. Il était accompagné d’Ali Larayadh. Alors qu’ils l’attendaient, nous avons parlé d’histoire, de révolution et d’avenir. On était loin de penser que la Nahdha allait bientôt devenir une force politique importante et déterminante dans le régime issu de la révolution.

Avec le Président Fouad Mebazaa

Alors que j’étais à la Kasbah, je suis allé saluer Fouad Mebazaa, le nouveau Président, installé dans le bureau du Président Bourguiba. Il me reçoit chaleureusement et insiste pour que je lui tienne compagnie.

Il n’était pas très occupé. Il choisit, dans son nouveau rôle, de ne pas s’impliquer dans la gestion gouvernementale. Abdesselam Jerad, secrétaire général de l’Ugtt, me demande de lui arranger un rendez-vous avec lui. Il refuse. Les relations avec les syndicats, c’est une prérogative du Premier ministre.

Je retourne à la Kasbah trois jours de suite (mardi, mercredi et jeudi) à la demande du Président. Le vendredi, je ne suis pas allé. Mebazaa m’appelle et insiste pour que je le rejoigne. Je m’y rends. En chemin, apprenant que des attroupements à la place du Gouvernement commençaient à se former, je renonce à aller jusqu’à la Kasbah et j’en informe le Président. Je n’avais pas l’intention de m’impliquer personnellement et directement dans le jeu politique post-révolution.

Sauver le Parti

Quand j’étais chez Fouad Mebazaa, le Premier ministre venait souvent le consulter. Il m’arrivait d’intervenir dans leurs discussions.

Nous avons débattu à trois du devenir du RCD. Mon opinion était de revenir à la dénomination «Néo-Destour», de former un Comité central provisoire et de désigner un nouveau Bureau politique d’où seraient exclues les personnalités qui s’étaient illustrées avec Ben Ali.

Mebazaa et Ghannouchi étaient d’accord. Avec Mebazaa, dans cette optique, nous avons commencé à établir une liste de cadres pouvant constituer un nouveau Comité central. Nous avons pensé à Mustapha Filali pour faire le coordinateur du Parti. Je demande son accord et je lui arrange un rendez-vous, le mardi à 15 heures, à la Kasbah avec Mebazaa, Ghannouchi et moi-même. Il ne vient pas. Je lui demande des explications. Il me dit qu’il a rallié une initiative entreprise par Ahmed Ben Salah, en association avec Ahmed Mestiri. Les trois demandent audience au Président pour le lendemain pour lui soumettre le projet de se constituer en Comité des sages qui se chargerait d’orienter et de superviser la Présidence et le Gouvernement. Je n’étais pas présent. Le Président les a écoutés poliment mais ne les a pas suivis. Evitant des confusions et répondant à des commentaires dénués de fondements exacts, il a publié la mise au point suivante:

«Le Président de la République par intérim regrette ce qui a été imputé à M. Ahmed Mestiri au sujet d’une approbation par le Président de la République par intérim de la formation d’un Conseil national d’encadrement de la révolution. Le Président de la République par intérim nie catégoriquement ces allégations et réaffirme son engagement au respect des dispositions de la Constitution et son attachement à la légalité.»

Filali s’étant désisté, nous avons pensé à Mohamed Jegham. Ghannouchi était réservé. Il préférait le garder comme ministre avec lui. Je l’ai invité à la Kasbah. Il s’est excusé et m’a dit «J’étais chez Ahmed Fria, le ministre de l’Intérieur, et nous nous sommes entendus pour lancer un autre parti». Ne me rendant plus à la Kasbah, ayant rompu mon contact avec mes interlocuteurs, je n’ai plus suivi le projet.

Quelques jours plus tard, Mhamed Chaker vient me dire que Fouad Mebazaa l’a appelé et l’a chargé de sauver le Parti et de prendre en charge sa reconstitution. Il a voulu que je l’aide dans son entreprise.

Il est revenu chez moi deux fois encore. Mais la difficulté de la tâche et les réserves du secrétaire général du parti ne l’ont pas encouragé à continuer cette mission. Il s’est retiré.

Présidence de la Chambre des conseillers

Faiçal Triki et Jameleddine Khemakhem, membres de la Chambre des conseillers, ont écrit à Fouad Mebazaa, le nouveau Président de la République, pour lui suggérer de procéder au changement de la présidence de la Chambre des conseillers. Le président en exercice, Abdallah Kallel, empêché de quitter le pays par les agents de l’aéroport de Carthage, ne peut plus continuer. Je pourrais le remplacer. En accord avec le Président, Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre, lui a fait la proposition mais il l’a refusée. Il pensait qu’il n’y avait pas de raison.

Après cette incursion de quelques jours dans les méandres du pouvoir, je prends définitivement ma retraite de l’action politique. Lors d’une réception à l’ambassade d’Algérie, Béji Caïd Essebsi m’a demandé pourquoi je n’apparaissais plus sur la scène politique. Je lui réponds:

«J’ai fait mon temps». Ainsi ai-je évité le plus possible de donner des déclarations politiques à la presse et je me suis refusé à créer un parti ou à m’associer à des camarades qui ont pris l’initiative d’en créer, ou à rejoindre un parti existant. Je suis membre du Néo-Destour, le Parti de la libération, le parti de la construction nationale, le parti du développement, le parti de Bourguiba, depuis les années quarante, je le reste, pour la vie, même s’il change de nom et même si, juridiquement, il est dissous.

Réponse à...

Hédi Baccouche "En toute franchise"

Fayçal Triki et Jameleddine Khemakhem répondent à l’ancien Premier ministre Hédi Baccouche

En parcourant comme d’habitude le magazine Leaders, plus précisément le n°83 du mois d’avril 2018 (page 93) présentant des extraits des mémoires de M. Hédi Baccouche, une révélation nous a surpris.

Dans cet article, ce dernier prétend que Messieurs «Fayçal Triki et Jameleddine Khemakhem, membres de la Chambre des conseillers, ont écrit à Foued Mebazaa, le nouveau président de la République, pour lui suggérer de procéder au changement de la présidence de la Chambre des conseillers. Le président en exercice, Abdallah Kallel, empêché de quitter le pays par les agents de l’aéroport de Carthage, ne peut plus continuer. Je pourrais le remplacer.» Nous réfutons ces propos mensongers de M. Hédi Baccouche qui ne reflètent point la réalité des faits. M. Hédi Baccouche, encore une fois, procède à une falsification honteuse de l’histoire. Nous n’avons jamais envoyé une lettre à M Foued Mebazaa, président de la République lors de cette période, comme il l’a prétendu et nous n’avons jamais proposé Monsieur Hédi Baccouche à la présidence de la Chambre des conseillers. En effet, lors de la démission du président de la Chambre des conseillers, nous avions pour seul objectif le bon fonctionnement de cette institution. Chose à laquelle nous nous sommes pleinement consacrés. D’ailleurs, MM. Foued Mebazaa et Abdallah Kallel peuvent témoigner de la véracité de ce qui précède.

A cet effet, nous demandons à M. Hédi Baccouche de faire preuve d’intégrité et d’honnêteté, de reconsidérer ses allégations infondées et dénuées de toute réalité et de relater les faits historiques tels qu’ils étaient sans modification ni déformation. S’il tient encore à ses propos, nous le défions de publier la lettre que nous avons adressée au président de la République et nous sommes convaincus qu’il ne sera pas en mesure de le faire.

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