News - 27.04.2015

Rached Ghannouchi et Charlie Hebdo (bonnes feuilles du livre Entretiens d'OlivierRavanello avec Rached Gahannouchi)

Rached Ghannouchi et Charlie Hebdo

avec Olivier Ravanello : Comprenez-vous les musulmans qui s’énervent en voyant Charlie Hebdo?

Rached Ghannouchi.: Oui il y a des motifs à leur colère. C’est pareil pour toutes les religions, quand elles sont l’objet de moqueries, leurs adeptes le vivent comme une agression.

Le papa a dit : «Si tu agresses je donnerai un coup de poing.»Vous donneriez un coup de poing ?

Non.

Pas de coup de poing?

Non ! Je ne ferais pas cela, mais je comprends celui qui le ferait. Il aura perdu son sang-froid. Cela dit, cet homme en colère doit admettre que dans une société, il faut nous respecter les uns les autres et qu’il ne peut pas se laisser aller à la violence.

Abordons la question du blasphème et de la liberté d’expression différemment. Est-ce que je peux rire du Prophète devant vous, sans que vous vous sentiez insulté?

Le Prophète (PSL) aimait la plaisanterie, il aimait le rire et n’aimait pas les gens austères. Mais il excluait le dénigrement.

Peut-on alors se moquer des personnes, de certains musulmans pour la manière dont ils appliquent la religion?  La parodie est aussi une manière d’interroger les choses, de pousser à la réflexion.

L’Islam nous pousse à remplir le cœur des autres d’un sentiment de joie, pas d’un sentiment d’amertume, d’angoisse ou de deuil. Comme je vous l’ai dit, l’islam aime la plaisanterie, si elle ne blesse pas les autres. Il ne faut pas prendre les croyances des autres comme sujet de moquerie.

Il y a un humour juif qui se  moque de sa propre religion, peut-il y avoir un humour musulman?

Le juif peut se moquer de sa propre religion, mais il ne peut pas le faire de celles des autres. Le musulman, lui, n’a le droit de se moquer ni de sa propre religion ni de celle des autres.

Est-ce qu’il peut se moquer de l’imam de sa mosquée qui est complètement idiot?

Nous pouvons nous moquer de nous-mêmes, mais il n’est pas permis de se moquer des autres. Il y a une différence entre la critique et l’agression. Je le répète, nous avons le droit de critiquer les autres ou de nous critiquer nous-mêmes, mais nous n’avons pas le droit de blesser les autres. Il y a toujours des lignes précises entre la critique et l’humour, et ce qui blesse.

Et cette frontière, je peux y aller?

C’est possible, mais ne vous éloignez pas de l’autre côté. (Rires)

Est-ce que je peux faire une caricature du Cheikh Ghannouchi?

Ça arrive déjà tous les jours! En Tunisie, les leaders politiques sont le sujet de critiques, de caricatures. Et jusqu’à présent aucun homme politique n’a poursuivi de caricaturiste en justice, bien qu’ils en soient souvent blessés, mais ils supportent cela, car celui qui s’expose à la vie publique doit accepter la critique.

Donc un homme politique qui défend les valeurs de l’islam doit accepter cela aussi.

Définitivement, il doit le supporter, mais il y a des limites.

Qui les fixe: la morale ou la loi?

Les deux, l’opinion publique et la culture du pays.

Quand on met une limite, on enlève toujours un peu de liberté.

Il n’y a pas de liberté absolue. Dans la société, la liberté est régie par la loi, sinon un être humain pourrait agresser les autres, leur enlever leurs biens, leur dignité. C’est la loi qui limite la liberté et la loi exprime le sentiment général. Si la société est empreinte de valeurs religieuses, si les gens se tournent vers ces valeurs religieuses, la loi finira par traduire cela naturellement.

Et si je ne suis pas religieux?

Ce n’est pas un problème. Vous devez respecter les croyances des autres comme ils doivent eux-mêmes vous respecter.

Il y a eu beaucoup de réactions à ces caricatures de Charlie Hebdo dans le monde musulman. Quelquefois par des personnes qui ne les avaient même pas vues. Mais tout de même, vous ne croyez pas qu’il y a des choses beaucoup plus choquantes pour un musulman que ces caricatures ? Un musulman ne doit-il pas être plus choqué par le meurtre d’écoliers au Pakistan par des talibans ou par les massacres de villages entiers par Boko Haram? Est-ce que ce ne sont pas des motifs de colère plus légitimes que des dessins?

Un musulman doit évidemment considérer cela comme étant des crimes impardonnables. Dans ces sociétés musulmanes, au Pakistan et ailleurs, la religion est prédominante. C’est la principale chose qu’ils ont dans leur vie. La place de la religion dans cette société n’est pas comparable à celle de la société occidentale. La religion, c’est tout pour eux. Mais tuer des enfants parce que leurs pères font la guerre à d’autres. Tuer des enfants est considéré dans toutes les religions et toutes les sociétés comme un crime injustifiable. Les enfants représentent l’innocence et l’avenir.

On a vu un dessin  qui représente un terroriste pointant son arme sur un dessinateur à genoux en lui intimant l’ordre de se convertir à l’islam. Le dessinateur lui répond: «Toi d’abord.» Pensez-vous que ce dessin est à montrer aux musulmans?

J’ai entendu parler de ce dessin, c’est une bonne réplique, car celui qui parle de religion avec une arme à la main n’a pas compris l’islam.

Presque. Pensez-vous qu’il faille une loi qui interdise le blasphème?

Le blasphème est interdit en Tunisie, de même que la liberté de conscience et la liberté d’opinion sont protégées par la Constitution. Tu as donc le choix d’être musulman ou pas, mais tu n’as pas le droit de te moquer des croyances des autres.

Pourriez-vous imaginer que Charlie Hebdo existe en Tunisie?

Je n’aimerais pas ça, les Tunisiens n’aimeraient pas ça, même les laïcs, je pense, n’en voudraient pas.

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Tags : rached--ghannouchi  
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