News - 11.05.2013

Latifa Lakhdhar : Le monde arabo-musulman fait sa révolution

Historienne, professeur à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, et militante, Latifa Lakhdhar  s’intéresse à l’Islam, porté par les urnes au pouvoir, et qui se trouve interpellé sur ses intentions et ses dispositions. Saura-t-il se fondre dans le projet démocratique en Tunisie, comme en Egypte et ailleurs ?  Vice-présidente de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, présidée par Yadh Ben Achour, l’auteur a vécu, aux premières loges, les premiers pas vers la transition démocratique, observant de près la montée en puissance des islamistes et leur raz-de-marée électoral.  Si elle ne revient pas (ou pas encore) dans ce livre en détail sur cette expérience exceptionnelle, elle nous livre, par une réflexion approfondie, les clés pour mieux comprendre ce phénomène et ses projets.  En bonnes feuilles, la conclusion.

«Pas plus qu’elle n’a cherché à matérialiser la prépondérance de la religion grâce à des institutions semblables à celles instaurées par le christianisme, la théologie musulmane médiévale a laissé le libre choix au croyant d’adhérer à la religion, suivant « les méthodes communes», expression formulée par Ibn Rochd en vue de signifier cette démarche qui laisse l’homme suivre sa propre voie religieuse, sans hétéronomie théologique. Cette théologie relativement peu élaborée, mais trop efficacement ficelée, a fait de la religion islamique une force qui s’exerce d’une manière à la fois totalitaire et totalisante, sur tous les aspects de la vie. Ce schéma fermé hermétiquement, cuirassé, explique tout l’échec relatif des approches fragmentées du réformisme du XIXe et du XXe siècle, que celles qui s’obstinent à acculer l’Islam à se résigner aux normes de la modernité, par le biais des mesures politiques extérieures à la logique de sa construction générale, sans s’attarder sur ce qui, intrinsèquement, reste tributaire d’une logique appartenant à un autre temps.

Il est impérieux  de nos jours de séparer l’Islam, en tant que dogme, des institutions qui gère notre vie moderne, ou du moins de confier la charge de la chose religieuse à l’Etat suivant le schéma historique césaro-byzantin déjà, en même temps que de démêler les données d’une théologie totalisante qui risque fort de se retourner contre ce même schéma. Il faudrait, en outre, débloquer la situation au préalable ou en parallèle théologiquement, pour ne pas retomber dans ce qui était pour ces sociétés, durant ces cinquante dernières années en partie, une pseudo-métamorphose. Car même s’il est dit que le rapport du croyant musulman à Dieu est absolument sans intermédiaire, il demeure toujours vrai que cet ascendant théologique forme un puissant écran devant l’individualisation et la subjectivisation du système de la foi. Cette individualisation devrait former l’une des conditions sine qua non de la modernité.

Aujourd’hui et plus qu’à aucun autre moment de notre histoire passée, l’éthique de responsabilité  appelle la religion musulmane à entreprendre une révolution et opérer sa mue sur la base d’une théologie de modernité.

Cette voie est absolument de l’ordre du possible, mais faut-il encore lui trouver des croyants-acteurs courageux.

Repenser notre héritage pour l’ouvrir aux exigences nouvelles de notre histoire et se préoccuper à intégrer l’universel en mettant—au moyen de la critique — de l’ordre et de la rationalité dans l’espace du particulier, dans le but d’accroître nos moyens de libération. C’est là l’aspiration d’une conscience musulmane accumulée depuis au moins deux siècles. Une conscience prospective, attachée à construire un avenir et à y intégrer la tradition en tant que source à réinterpréter, à comprendre et non pas en tant que schéma à reproduire. Autant le croyant a-t-il réellement besoin de solliciter le texte et la tradition, autant il doit savoir que ce même texte et cette même tradition le sollicitent pour qu’à leur tour, ils soient mis en accord et en paix avec l’être historique et social changeant du musulman en devenir, en demandant que soit entretenues au sein du texte une énergie de signifiance et une ouverture au sens de l’universel.

Car enfin, et pour le dire sans a priori théologique, croire c’est aspirer à plus grand que soi-même et se mettre dans l’horizon vaste de l’espérance et de l’accomplissement. En ce sens, pourrait-on se permettre de  le répéter avec  P. Ricoeur : «Les utopie les plus fortes ne pouvant venir que de ce qui a été, dans nos traditions, inaccompli et demeure une ressource de signification. »

Notre utopie ,  celle à laquelle s’attache aujourd’hui notre dignité et qui traduit l’âme de nos révolutions, proviendra de la voie de tout ce qui a été, lors de nos expériences passées, inachevé, imparfait et contrarié, à savoir l’humanisme de notre philosophie et notre adab et poésie qui, pendant pas moins de quatre siècles de ce qui fut l’époque classique de l’islam, n’ont cessé de retenir comme un chant joyeux vantant la raison, la sentimentalité et l’amour. A savoir aussi la renaissance si espérée par notre réformisme du XIX e siècle, les Lumières de nos différents nationalismes du milieu du siècle dernier ainsi que tous les projets de synthèse entre libération sociale et libération politique qui demeurent portés hautement et avec persévérance par nos élites

Un temps de crise se présente souvent en un temps de germination et c’est de cela qu’il nous est permis de tirer l’espoir  pour qu’il puisse nous rester un avenir. »

De quoi demain sera-t-il fait ?
Le monde arabo-musulman fait sa révolution
De Latifa Lakhdhar
Nirvana, 176 pages, mars 2013, 14 DT


 

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