Opinions - 18.03.2013

La Transition Administrative

Dans leur quête de légitimité, les régimes démocratiques se voient obligés de concilier deux valeurs qui peuvent engendrer une certaine tension: des services publics équitables et non partisans politiquement avec une flexibilité des fonctionnaires face aux politiques de l'exécutif en cours, dans les limites permises par la loi bien entendu.

La neutralité, dans le sens de l’impartialité politique de l'administration publique, est bien sûr une condition préalable pour garantir que, quelle que soit leur orientation politique, les citoyens sont traités équitablement. Sur le plan opérationnel, il s’agit de mettre en avant le professionnalisme, le mérite et la compétence des fonctionnaires. Ces valeurs sont primordiales pour assurer l’intégrité et la continuité de l'administration publique qui sont déterminantes de la confiance que placent les citoyens  dans leur système de gouvernance. Dans la même lancée, il est clair que la mise en œuvre efficace des politiques gouvernementales passe essentiellement par la responsabilisation des fonctionnaires par rapport à l’application  du  programme du gouvernement, et par la réceptivité de l'administration au gouvernement, toujours dans le respect de la loi et de la Constitution.
Avec le dernier remaniement ministériel, il faut s'attendre à une nouvelle vague de changements et de nominations de hauts cadres dans la plupart des ministères. Chacun de ses ministres chercheront à établir leur crédibilité et leur autorité dans l’exercice de leurs nouvelles responsabilités en  s'appuyant sur des «armées privées» recrutées parmi les loyalistes au sein de leurs propres partis.

En effet, la politique de l’ancien gouvernement  concernant la nomination des hauts cadres administratifs a fait couler beaucoup d’encre et a suscité une multitude de questions pour ne pas parler de doutes. Car selon les anciens cadres de l’administration tunisienne, ces nouvelles recrues, dans leur majorité, avaient une seule référence de taille : leur loyauté partisane.

Ceci, en soi, n'a rien de surprenant dans les pays démocratiques, si ce n’est que, dans ces démocraties, les ministres ainsi que les représentants du peuples sont réellement préoccupés par les résultats qui constituent  l'indicateur de performance clé garantissant la longévité et la durabilité de l’état et du gouvernement en question d’ailleurs. Par conséquent, les recrues ne sont pas seulement des fidèles du parti, mais aussi les meilleurs dans leurs domaines.

Le problème actuel en Tunisie est l'excès de méfiance de la part des responsables du parti majoritaire élu à l'égard de l'administration tunisienne, ce qui a incité la plupart des ministres à ramener avec eux leurs propres "conseillers". Naturellement, l'expertise et la connaissance de la matière n’étaient pas les critères de sélection, il s’agissait plutôt, de la loyauté envers le ministre ou le parti qu'il représente.

 En l'absence de procédures administratives et de systèmes légaux en place permettant de codifier le recrutement des nominations politiques, les ministres sont laissés à leurs propres caprices pour décider de ceux qui conviennent le mieux à leurs partis. En outre, la plupart ; si ce n'est tous les ministres ; n'ont jamais occupé des postes élus par le passé, ils se sentent plus redevables à leur parti qu’à la population qu'ils sont censés servir.

Cette ingénuité, jumelée avec l’amateurisme qui marque la prestation de la plupart des ministres, explique parfaitement la tragédie nationale politique et socio-économique dans laquelle se trouve le pays depuis des mois. De nombreuses recrues ont été affectées à des projets qu'elles ne maîtrisent pas, ce qui a conduit à des résultats décevants, et dans certains cas, à une perte de projets en préparation depuis plusieurs années.

Dix-huit mois après les premières élections démocratiques, nous assistons à une frustration exacerbée des professionnels de l’administration et des troubles citoyens à leur apogée.

Les professionnels de l’administration ressentent une peur, une incertitude et un manque de vision globale. En dépit des 25 ans du régime Ben Ali, l'administration tunisienne a été capable de maintenir cette progression stable de la nation. Le mérite en revient aux cadres patriotes qui ont travaillé sans relâche pour servir leurs concitoyens. Voir certains d'entre eux abandonner après des années de performance, acceptable pour le moins, est triste, surtout pour ceux qui font partie des 10% qui ont réussi à gérer 90% de l'administration gouvernementale.

Le citoyen, qui depuis des années se plaignait d'une bureaucratie lente pleine de népotisme et de corruption, a maintenant d'autres soucis qui s’ajoutent à la liste. Lors d’une visite récente à Sidi Bouzid, Kasserine et Kairouan, j’ai eu l’occasion de parler à plusieurs personnes qui ont rapporté un nouveau type de plaintes. En effet, selon eux, certains employés de l'administration, dans la crainte de perdre leur postes, se préoccupent plus de défendre les intérêts du "Parti" au détriment de ceux de la "Patrie". Je trouve cette allégation très grave, si toutefois elle est avérée.

On est dans l’obligation de dire que parmi les problèmes majeurs que nous rencontrons, il y en a  ceux qui s’avèrent plus critiques quant au fonctionnement de l’administration pendant la période transitoire :
1. Est-ce que les personnes nommées au sein du ministère peuvent se livrer à des activités politiques partisanes tout en servant le public et ont-elles le droit de réorienter les objectifs à court terme afin de servir la vision du parti au pouvoir?
2. Que faire avec les « interférences » indésirables des ministres dans la gestion de projets nationaux?
3. Devrait-il y avoir un contrôle, formel ou informel, approprié pour une période transitoire, quant au degré d'implication politique dans la dotation d'un cabinet ministériel?

En effectuant mes recherches sur ce sujet, j'avais pris connaissance de plusieurs cas, dans le monde, impliquant une ingérence ministérielle et une corruption pure et simple. En comparaison avec les cas qui m'ont été présentés en Tunisie, ils n'étaient pas aussi graves, mais les enquêtes menées ont conduit à la démission et même à l'emprisonnement.

Peut-être devrions-nous, nous inspirer de l’expérience de l’Italie et du Danemark au début des années 1990, lorsque des enquêtes ont abouti à l'établissement de la commission de surveillance qui a émis des recommandations d'une délimitation claire entre les nominations politiques et la fonction publique ainsi que le Code de bonne gouvernance publique, en précisant, entre autres, que chaque haut fonctionnaire doit définir clairement son espace spécifique de gestion par rapport au ministre.

En conclusion, la réussite de cette période transitoire que traverse la Tunisie reste tributaire en grande partie de l’efficacité de l’administration. Dès lors, le professionnalisme, l’expérience et la neutralité doivent être les critères déterminant le travail de l’administration et à plus juste titre les nouvelles nominations qui s’y inscrivent. Espérons que ce nouveau gouvernement aura la sagesse nécessaire pour apprécier ces principes de fonctionnement de l’Etat et saura mettre en place une stratégie de réforme administrative qui impliquera toutes les parties prenantes.

Lotfi Saibi
 

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