Success Story - 15.12.2012

Mohamed Goumani : L'inlassable militant

Très jeune, il intègre le Mouvement de la tendance islamique (MTI) bien avant sa transformation en Ennahdha, mais finira par le quitter. Il rejoindra plus tard l’équipe d’Al Mawkef et participera à la création du PDP, puis se résoudra à reprendre sa liberté, poursuivant son action au sein de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et Mountada Al Jahedh. Après la révolution, il fera partie de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, créera un parti, Al Islah Wa Tanmia, sans pouvoir décrocher, à travers 22 listes présentées, un seul siège à l’Assemblée nationale constituante. Et le voilà engagé dans une nouvelle aventure avec Mohamed Hamedi, d’autres réfractaires du PDP et des figures politiques connues, l’Alliance pour la démocratie. Sans jamais désarmer, ni renoncer à ses convictions d’islamiste démocrate, Mohamed Goumani poursuit inlassablement son combat. Portrait d’un militant islamiste atypique.

Il avait la bosse des maths et se destinait à une carrière de chercheur scientifique ou d’ingénieur. Le destin le conduira vers les sciences humaines. Il étudiera l’histoire-géo, puis la théologie. Aujourd’hui encore, ses élèves au lycée de Fouchana (banlieue sud de la capitale) sont surpris d’avoir comme professeur d’éducation civique et religieuse, assidu et attentionné, un militant politique de premier plan, moderniste et démocrate qu’ils voient de plus en plus dans les médias. A 52 ans, Mohamed Goumani est resté fidèle à ses principes.

Troisième d’une fratrie de 5 enfants, Goumani est né à Toukaber (près de Medjez El Bab), dans une famille très pauvre. Son père, maçon, décèdera rapidement et le laissera orphelin à l’âge de 8 ans. Ce fut pour lui un véritable déclic : réussir ses études, unique moyen pour s’en sortir. Il sera alors tout le temps parmi les trois premiers de la classe. Pour lui permettre d’aller au lycée, sa famille s’établira à Medjez El Bab. Ce sera désormais son fief. Orienté vers la section maths & technique, il est dirigé à la rentrée scolaire 1977-1978 vers le lycée de Béja et inscrit en tant qu’interne. «Cela coïncidait, confie-t-il, avec ma volonté de quitter le cocon familial et d’aller vers un espace plus large. Ce fut aussi pour moi l’occasion de découvrir, en cette année, le militantisme religieux. J’étais élevé dans un milieu pieux, mais sans engagement particulier. L’année sera faste en activités, surtout avec les évènements du 26 janvier 1978. Beaucoup plus scientifique que littéraire, je me suis rapidement découvert une grande envie de lire des livres, d’approfondir ma culture, de comprendre davantage la religion, l’histoire, les divers courants de pensée. Ces lectures ont enrichi mes connaissances et m’ont donné un statut particulier auprès de mes camarades au lycée, et mes amis d’enfance que je retrouvais pendant les vacances à Medjez El Bab».

Il sera alors l’un des principaux animateurs du Cercle (Al Halqa), structure de base du MTI, dans sa ville et en deviendra l’émir. Petit à petit, il prend pied dans le MTI, croyant même faire partie de ses structures officielles. L’attaque contre Gafsa, en janvier 1980, lui fera redoubler d’activisme et le voilà multiplier la diffusion des tracts au lycée. Repéré, il sera exclu de tous les établissements de l’Education nationale, alors qu’il s’apprêtait à passer son bac. La seule possibilité qui lui restait était s’inscrire dans une école libre et il devait pour cela «monter» à Tunis.

L’immersion totale dans la lutte estudiantine

«Encore une nouvelle bonne opportunité pour moi, dit-il. Je me suis arrangé pour resquiller auprès d’amis étudiants hébergés au foyer universitaire de Ras Tabia et me fondre parmi eux. Pour les études, je me suis inscrit en section Lettres, ce qui était devenu pour moi plus simple et ne m’obligeait pas à une grande assiduité en classe. Il me suffisait juste d’apprendre les cours par cœur et je pouvais alors m’adonner à ma grande passion : aller au Campus avec les étudiants et m’investir dans l’action militante».

Bac en poche, Mohamed Goumani commencera alors officiellement son parcours universitaire en s’inscrivant en histoire-géo  à la faculté des Lettres de la Manouba, en septembre 1981. «J’y ai découvert un terrain vide, tant les jeunes dirigeants estudiantins islamistes étaient en prison ou partis en exil. Grâce à mon apprentissage au Campus, je me suis trouvé bien préparé pour m’engager immédiatement dans l’action, participant dès la première semaine aux débats, d’abord en cercles restreints, puis en assemblées générales. Mais, ce n’est qu’en suivant dans la presse le compte rendu du procès des islamistes que j’ai découvert la véritable structuration du MTI en groupes épars, avec des structures de base quasi-indépendantes. Durant cette période, je commençais à rédiger des articles de fond sur divers thèmes, tels que l’économie islamique, l’analyse critique sur la gauche et la droite, montrant un penchant clair pour la gauche, du fait de mon imprégnation des écrits de Mohamed Amara , Ali Chariaati  et autres penseurs».

Un Islam de gauche

Goumani découvre la pensée avant-gardiste et entreprend une série de révisions doctrinales. Borhane Ghoulioun, Mohamed Abed Jaberi et d’autres nourrissent sa réflexion et lui ouvrent d’autres perspectives. Il démissionne alors du MTI, préférant poursuivre ses activités au sein de la gauche islamiste et rejoindre notamment l’équipe rédactionnelle de la revue 15X21, fondée par Hmida Ennaifar. Les débats au sein de l’équipe finissent par le convaincre de se convertir d’un groupe en compétition avec Ennahdha à un courant ouvert à la pensée critique arabe. Résolution a été prise en 1989 également de se constituer en association culturelle. Le nom choisi est: Ibn Rochd, mais l’autorisation a été refusée. Une deuxième tentative, en 1990, sous le nom de Mountada Al Jahedh a été la bonne, «probablement grâce au fait que Hmida Ennaifar faisait alors partie du cabinet du ministre de l’Enseignement, Mohamed Charfi», souligne-t-il.

Goumani avait réussi son duel et obtenu un poste d’enseignant à Kasserine, mais montait en fin de semaine à Tunis poursuivre son deuxième cycle jusqu’à obtenir sa maîtrise et s’investir dans l’action militante. Il adhèrera à la LTDH en 1985 et sera élu au comité directeur en 1994. Voulant prendre du recul et changer d’air, il parviendra à décrocher un poste d’enseignant au Sultanat d’Oman, dans le cadre de la coopération technique. De retour en Tunisie en 1998, il replonge dans les débats et rejoint le forum d’Al Mawkef, avant de participer en 2001 à la fondation du PDP dont il sera le secrétaire général adjoint, concomitamment avec ses fonctions de secrétaire de rédaction du journal. Huit ans après, il se décidera avec une trentaine de cadres membres du bureau politique et du comité central à quitter le parti pour former un courant informel pour «la Réforme et le Développement» qui se présentera aux législatives de 2009 dans 3 circonscriptions, en vain. Mais, toujours sans lâcher prise. Goumani et ses coéquipiers seront toujours au cœur du combat jusqu’au déclenchement de la révolution.  Et le voilà siéger à la Haute Instance, créer le parti de la Réforme et du Développement, participer aux élections du 23 octobre et prendre part activement à la création de l’Alliance démocratique. Avec toujours la même conviction, la même intensité et … la même abnégation. Deux ans après, il rejoindra l’Aliance démocratique dont il deviendra l’un des piliers.

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