Opinions - 22.06.2016

L’élite militaire tunisienne existe-t-elle?

L’élite militaire tunisienne existe-t-elle?

Dans quelques jours, l’armée nationale fêtera ses soixante années d’existence. Six décennies de souveraineté et de décisions autonomes. C’est sans doute une occasion propice pour dresser un bilan et il y a tout lieu de croire qu’on aura droit à un ordre du jour, à des discours et à des recommandations préparés pour la circonstance. On nous rappellera les moments marquants de l’histoire de cette honorable institution et on nous débitera des chiffres se rapportant aux efforts consentis par la communauté nationale pour dire où sont parties nos dépenses. Les mêmes mots, les mêmes arguments reviendront, secteur par secteur, branche par branche, événement par événement, jusqu’à ce que nul n’écoute plus. Alors, on plie les papiers, on fait descendre les couleurs et on annonce la clôture de la cérémonie en attendant de nous retrouver l’an prochain pour présenter un autre bilan.

Cette manière de faire nous caractérise bien. Certes, on n’est pas les seuls au monde à nous comporter de la sorte mais est-ce une raison pour agir ainsi ?

«Il n’est de bon vent pour qui ne sait où aller»

Le présent article s’inscrit, bien entendu, dans la commémoration de cet événement historique mais également dans une interrogation sur les orientations données à cette armée à court et à long terme et la manière de sortir des sentiers battus suivis jusqu’ici.

Pourquoi sommes-nous donc condamnés à ne regarder que pire que nous ? Quelle est donc cette maladie qui nous empêche de lever la tête pour regarder haut ; regarder ceux qui ont pris leur envol dans le ciel de l’humanité ? Quelle est donc cette chose qui nous maintient collés à la mouise (misère) depuis soixante ans ?

Si nous posons ces quelques questions, ce n’est pas pour cracher dans la soupe, comme on dit, car il faudrait rester positif et ne pas être aveugle doublé d’ingrat pour oser nier que des efforts aient été faits...et de très grands efforts. Mais on  pose ces questions pour dire que l’efficacité a manqué. Elle a toujours manqué. Tout ce que nous avons entrepris n’a pas fini en queue de poisson ! Est-ce parce que nous ne faisons pas bien les choses ?

Comment pourrions-nous le faire alors que les responsabilités ne sont pas attribuées en fonction des compétences ou du mérite ? ... Et je m’arrête là pour éviter toute polémique. Un soixantième anniversaire est loin d’être indiqué pour une telle chose. Je dirais seulement que nos problèmes sont plus durs que nos aspirations. Ils reviennent à chaque saison, un peu plus difficiles à supporter et un peu plus compliqués à résoudre. Normal, lorsqu’on ne sait ni où aller ni comment.

L’armée vaut ce que vaut en général son élite

L’armée ne se définit plus seulement à travers ses officiers de carrière. C’est plutôt grâce à son élite, de tout grade et de tout statut, qu’elle est désormais réputée mériter une attention particulière de la part de l’État.

Quelle que soit la perfection des armes, le rôle de l’homme reste déterminant. Or, de nos jours, il n’y a plus place pour les médiocres ou les moyens. Seuls les brillants auront droit à toute notre considération.

Qu’est-ce que l’élitisme dans l’armée?

Le terme élite désigne quelque chose d’exclusif. Une élite est formée de personnes ou de groupes qui se trouvent aux échelons supérieurs d’une hiérarchie et qui ont normalement plus de pouvoir, d’influence, de mobilité, de statut et surtout de prestige que le reste. Le concept d’une élite militaire est traditionnellement axé sur la relation d’un groupe donné à l’intérieur de sa propre institution, l’armée.

Quoi qu’il en soit, toute la question de ce qu’il convient d’appeler une élite militaire n’est pas aussi évidente qu’on le croit. Le terme est souvent utilisé à mauvais escient par le personnel militaire. En effet, divers groupes, tels que les parachutistes, les pilotes de chasse, certaines unités des armes, pour ne nommer que ceux-là, ont été toujours qualifiés d’élites.

L’élite militaire existe-t-elle en Tunisie?

Poser cette question pourrait paraître aujourd’hui une préoccupation décalée, au moment où l’armée, sollicitée sur de nombreux fronts, vit des mutations opérationnelle, stratégique et structurelle profondes.

Certains pourraient même penser que parallèlement à la libéralisation de la société en général, la «société militaire» devrait faire preuve d’ouverture d’esprit et se «banaliser» au maximum, renonçant à son particularisme et ses spécificités. Car parler de l’élite militaire, c’est nécessairement la mettre en relation et en comparaison avec les normes de l’élite civile.

Depuis quelques années, un effort dans ce sens a été fait mais il est loin d’avoir atteint les résultats souhaités. En règle générale, les personnels militaires ont toujours l’impression de vivre en marge de la nation, de ne pas être compris par elle et par les décideurs politiques. Il suffit de faire une comparaison rapide des modes de rémunération des militaires et de ceux des fonctionnaires civils de l’État.

Cela étant dit, l’élite militaire tunisienne existe-t-elle ? La réponse est affirmative. Sans contester la spécificité que chaque profession peut revendiquer, je considère encore que tout officier de l’armée est par définition une élite. Il a été trié sur le volet avant de rejoindre l’armée. Il a reçu une formation solide. Etre officier n’est pas un simple métier, ce n’est pas une passion mais une vocation, un engagement à servir, au besoin, par les armes. Être officier ne se résume pas à détenir des savoirs et maîtriser des savoir-faire. C’est aussi un état d’esprit et un savoir-être.
Le savoir-être de l’officier, un penseur militaire l’a parfaitement décrit, lorsqu’il rappelle à ses obligations celui qui prétend un jour devenir un chef :

«Si tu ralentis,ils s’arrêtent;
Si tu t’assieds, ils se couchent;
Si tu doutes, ils désespèrent;
Si tu critiques, ils démolissent;
Mais...si tu marches devant, ils te dépasseront;

Si tu donnes la main, ils donneront leur peau»

Au service de son pays, l’officier est un soldat qui lui est entièrement dévoué, en tout temps et en tous lieux. Il accomplit sa mission avec la volonté de gagner et de vaincre, et si nécessaire au péril de sa vie.

Aussi au milieu d’une société de plus en plus individualiste et hédoniste, l’officier, en tant qu’élite, est-il toujours tenu de mettre en avant les intérêts du groupe, de la collectivité et, in fine, de la Tunisie.

Par ailleurs, l’état militaire de l’élite exige, en toute circonstance, esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité.
Qui peut en dire autant ?
 Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation.

L’officier n’est donc pas un citoyen comme les autres. De fait, la spécificité militaire existe, renforcée par des restrictions ou des interdictions cumulées en termes de droits individuels par rapport aux autres spécificités professionnelles.

Oui, l’élite militaire existe bel et bien. Par leur hiérarchie, leurs structures, leurs effectifs (en activité et à la retraite), leurs moyens, leur diversité, les armées, en dehors de leurs missions opérationnelles, sont à même de remplir un grand nombre de tâches subsidiaires ou essentielles que, souvent, elles seules peuvent assumer dans la limite certes des moyens disponibles.

Pour conclure, je dirai que nous, militaires, avons un seul parti : la Tunisie, et une seule vocation : la servir en tout temps, en toutes circonstances, en tous lieux. Puisse cette flamme continuer à éclairer notre marche sur une route où il ne nous sera pas souvent offert de repos. Qu’elle symbolise aussi dans nos cœurs l’honneur de notre métier d’officier et la fidélité à notre Nation. C’est un gros défi mais à cœur vaillant rien d’impossible.

Colonel (R) Mohamed Kasdallah

 

 

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