News - 20.12.2015

Quand l’armée israélienne s’en prend aux agneaux, aux brebis et aux vaches des palestiniens

Quand l’armée israélienne s’en prend aux agneaux, aux brebis et aux vaches des palestiniens.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. » (Henri Bergson)
Ce 17 décembre, Sidi Bouzid commémore les évènements de 2010 avec tout le pays. Le responsable de la commémoration détaille à la télévision nationale le programme et déclare que Sidi Bouzid réserve une grande place au soutien de  la cause palestinienne. Le gouvernorat de Sidi Bouzid est un gros producteur de lait avec ses 29200 bovins, 315 000 brebis et 45600 caprins  (Lire « Dégage. La Révolution tunisienne 17 décembre 2010-14 janvier 2011 », Editions Alif et Editions du Layeur, p. 9). Nul doute qu’on y comprend mieux que quiconque le calvaire  et les peines imposés par l’occupant sioniste aux éleveurs palestiniens.

Priver les agneaux de leur mère pour ruiner les Palestiniens

Jamal Hanina, 50 ans, est un éleveur de Kalkylia, cette ville agricole de Cisjordanie. Il vit une situation kafkaïenne depuis qu’Israël a érigé le Mur de la Honte. Sa bergerie se trouve en effet parmi les serres et les pépinières palestiniennes du côté nord du Mur de séparation - à l’intérieur de la Cisjordanie occupée mais dans une bande de terre qui a été annexée de facto à la colonie Alfei Menashe. Mais ses pâturages et ses terres de parcours se trouvent au sud du Mur, du côté palestinien. Depuis que le Mur a été érigé, il y a 13 ans de cela, l’armée israélienne a toujours laissé passer le troupeau de Hanina par « la porte agricole Habla » du Mur, porte qui n’est ouverte que trois fois par jour et pour une heure seulement. Mais, écrit Amira Hass (Haaretz, 30novembre 2015) « il y a trois mois, l’armée a interdit le passage des ovins,  c’était avant que les brebis ne mettent bas. Peu après, l’interdiction a été levée et le troupeau s’est remis à passer la nuit dans la bergerie ». Jamal Hanina raconte : « Lundi 23 novembre au matin, 120 ovins traversèrent la porte Habla en direction des pâturages, laissant derrière eux une bonne vingtaine d’agneaux, de l’autre côté du Mur. Au retour, on  trouva  porte close : les ordres avaient changé ». Les soldats de la quatrième armée la plus puissante au monde s’opposèrent au passage du troupeau. Des militants de l’ONG israélienne Mashsom  - qui photographient depuis des années ce qui se passe aux portes du Mur - et Jamal Hanina ont essayé de joindre les autorités palestiniennes et militaires ainsi que le commandant de la brigade Ephraïm,  Ro’i Sheetrit. La réponse a toujours été : « les ordres venant d’en haut ont fait fermer la porte agricole ».
Jamal Hanina affirme que ses agneaux - encore faibles et séparés des mères - vont mourir de faim et de froid et que celles-ci vont bêler dix jours d’affilée avant de les oublier. A Kalkylia, ajoute-t-il, on vend du lait en poudre pour les veaux des kibboutz mais les agneaux ont aussi besoin de la chaleur de leur mère. De plus, devant la porte agricole fermée, trois brebis mirent bas.  Pour Jalal, c’est la catastrophe car il gagne aussi sa vie comme gardien d’une pépinière proche de sa bergerie, de l’autre côté du Mur de l’Apartheid. Jalal appartient à une famille qui fait de l’levage  depuis la période ottomane. Les terres revenaient aux siens bien avant que le Mur ne les charcute. Amer et révolté, il dit : « Il y a toujours une nouvelle interdiction, un nouvel oukase. Aujourd’hui, le passage est interdit aux ovins mais les chevaux et les ânes peuvent passer… Mes frères avaient aussi des  troupeaux mais petit à petit, ils les leur ont réduits. Ils n’ont pu supporter les interdictions et les checkpoints. Des fois, les portes sont fermées, parfois elles sont ouvertes. Ce n’est pas une vie. »

S’ingénier à rendre la vie impossible aux Palestiniens

Amira Hass rappelle : "65 portes existent dans le Mur de Séparation. Elles donnent accès aux terres en Cisjordanie, de l’autre côté. D’après l’ONG israélienne B’Tselem, 38 de ces portes servent à la population palestinienne mais 27 de ces issues appartiennent à deux catégories différentes. Il y en a qui sont ouvertes tous les jours mais certaines sont ouvertes 12 heures par jour alors que d’autres ne sont autorisées que deux fois par jour. Un petit nombre est ouvert 24 heures par jour. L’autre catégorie est celle des portes agricoles comme celle de Habla qui servent aux agriculteurs palestiniens qui doivent aller quotidiennement travailler leurs champs (légumes et serres). Les permis ne sont valables que pour une seule porte spécifique. Onze de ces issues sont saisonnières - ouvertes seulement par exemple pour la récolte des olives. Ici aussi, le permis n’est valide que pour une seule et unique porte. Pour la seule  zone de Kalkylia, il y a 24 portes : neuf sont fermées, trois sont saisonnières et 12 sont ouvertes ».

On mesure le calvaire subi par les Palestiniens et la criminelle ingéniosité des esprits malades qui visent à se débarrasser ainsi des propriétaires légitimes de ces terres, pour les offrir à ceux qui ont fait leur aliya à partir des Etats Unis, de la France, de Moldavie  ou de Russie ! Car le Mur est là pour les colons : il sépare les villages palestiniens de leurs terres. Il coupe les villages des villes. A présent, le voilà  qui sépare les brebis de leurs agneaux !

Quand 18 vaches  menacent la sécurité de l’Etat israélien

Le ministère israélien de la Culture est sur les dents. A cause de 18 vaches. Oui, vous avez bien lu : 18 vaches !
Son Excellence Miri Regev en personne, la ministre de la Culture du Likoud (droite sioniste), est sur les dents. Elle scrute les films du  «Festival International de la Nakba et du Retour du 48 mm» qui se tient à la Cinémathèque de Tel Aviv sous le patronage de l’ONG israélienne Zochrot. Celle-ci  œuvre pour faire prendre conscience de la Nakba et pour promouvoir le droit au retour. La Cinémathèque va en effet présenter  un documentaire d’animation désopilant tiré d’un  fait réel qui a eu lieu lors de Première Intifada: «Les 18 recherchés » des réalisateurs Amer Chomali le Palestinien et du Canadien Paul Cowan. Ces cinéastes  ont fait parler les protagonistes de cette affaire.  Cette œuvre est candidate pour un Oscar dans la catégorie du meilleur film étranger. Or, la récente Loi sur le Budget des Fondations autorise le ministre des Finances à infliger des amendes à toute institution  bénéficiant de subventions du gouvernement  si elle encourage le racisme  ou y incite ou si elle soutient la lutte armée contre l’Etat d’Israël voire si elle considère la Fête Nationale israélienne comme un jour de deuil.

Le film combine les animations image par image, du matériel des archives, des illustrations, des interviews filmées… Il raconte une histoire intéressante et peu connue dont le théâtre a été, en 1987, la ville de Beit Sahour, près de Bethléem.  Un groupe d’intellectuels et d’artisans palestiniens - des professeurs, un universitaire, un pharmacien, un boucher… - ont décidé de conduire une révolte non violente en boycottant les produits israéliens comme les produits laitiers de la grande firme Tnuva. Mais, pour ce faire, il fallait pouvoir produire soi-même les marchandises boycottées. Dans l’enthousiasme, un professeur fut chargé d’acheter des vaches dans un kibboutz. Les 18 bêtes furent logées dans une écurie improvisée à Beit Sahour. Le groupe dépêcha même un de ses membres aux Etats Unis afin qu’il se familiarise avec l’élevage des vaches laitières et les autres se plongèrent dans les traités d’agronomie.
Seul hic : le commandant militaire israélien décida que cette initiative était « dangereuse ». En conséquence, il résolut de saisir les 18 vaches mais dut se rendre à l’évidence : les mammifères avaient disparu. La puissante armée israélienne - une escouade de soldats, le commandant en tête - se mit à la recherche des bovidés et on mobilisa même deux hélicoptères. (Lire Nirit Anderman, Haaretz, 2 décembre 2015).

Jalal Oumsieh, le professeur de lycée qui avait acheté les vaches, confie aux deux  réalisateurs que cet achat sonna  pour lui comme un signal  de liberté et d’indépendance mais, bien vite, le commandant israélien arriva pour photographier chaque bête et son numéro et intimer ensuite l’ordre de s’en  débarrasser. Jalal exigea une explication du militaire qui répondit textuellement: « Ces vaches constituent un danger pour l’Etat d’Israël ». Devant mon incrédulité, poursuit Jalal, il éructa : « Vous n’avez pas le droit de parler ou de mettre en doute mes paroles. C‘est un ordre militaire et vous êtes obligé d’obéir ». Interrogée  par les réalisateurs, la partie israélienne confirme cette version des faits. Shaltiel Lavi, ancien commandant du district de Bethléem, affirme : « Nous avions reçu des ordres clairs pour nous occuper des comités populaires palestiniens [appelant au boycott des produits israéliens et de produire indépendamment] avec toutes nos forces et tous les moyens légaux en vue de prévenir un mécanisme qui pourrait remplacer l’Administration Civile** »

De son côté, Ehoud Zrahiya - présenté dans le film comme le conseiller pour les affaires arabes du gouverneur militaire- déclare : « Il était évident qu’avec 17 vaches nul n’est capable de construire une économie laitière en mesure de répondre aux besoins de toute une population » mais une rébellion non-violente s’est développée : « les gens arrêtèrent de payer à Israël taxes et impôts, ce qui mit  l’armée devant de grosses difficultés ».

Pour Mme Oumsieh, professeur de géologie - qui en rit encore - « la recherche des vaches de l’Intifada par l’armée israélienne devint une plaisanterie car on voyait des soldats demandant aux gens s’ils avaient vu les vaches dont ils montraient les photos ».

Chomali - qui habite à Ramallah - a refusé de projeter à Jérusalem et à Tel Aviv son film pour ne pas se sentir coupable de normalisation mais il a permis sa projection dans le cadre du Festival du 48mm mais à Jaffa. Le film a  été projeté au Festival des droits de l’homme à New York en juin dernier. Chomali devait prendre la parole à cette occasion mais n’a pu obtenir un visa car Israël l’empêcha - pour des raisons de sécurité, bien évidemment - d’aller de Ramallah à Jérusalem déposer sa demande de visa au Consulat US.

Amer Chomali tire de cette situation la leçon suivante : « Mon coréalisateur  Paul Cowan et moi voulions que notre film « Les 18 recherchées » soit un festival de liberté et de créativité. Nous voulions illustrer le pouvoir de la désobéissance civile - à l’époque et aujourd’hui même - face à l’occupation militaire et à l’oppression. Je crois que nous avons réussi. Aujourd’hui, Israël veut montrer que tout est sous contrôle. Mais ce n’est pas le cas. Nous, les Palestiniens, nous trouvons toujours le moyen de contourner et de nous extirper des barrières mises en place par Israël pour nous dénier l’égalité des droits et la liberté ».

En cet anniversaire du 17 décembre, quel Tunisien - de Sidi Bouzid à Tataouine et de Bizerte à Médenine - n’adhère pas aux propos d’Amer Chomali ?

Mohamed Larbi Bouguerra

** C’est ainsi qu’on nomme en Israël le commandement militaire imposé aux Palestiniens.


 

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