News - 30.06.2025

Elyes Ghariani: L'OTAN à La Haye face aux nouveaux défis de la sécurité collective

Elyes Ghariani: L'OTAN à La Haye face aux nouveaux défis de la sécurité collective

Contexte géopolitique

La Haye, capitale mondiale du droit et de la paix, s’est transformée, le temps d’un sommet, en épicentre des tensions stratégiques mondiales. Les 24 et 25 juin 2025, l’OTAN s’y est réunie dans une atmosphère lourde d’incertitude, aux accents de Guerre froide, marquée par le retour de Donald Trump à la présidence américaine.

Dès son investiture, Trump a ébranlé la confiance des alliés en semant le doute sur la solidité de l’article 5, ce principe fondateur de la défense collective. Il a publiquement affirmé qu’il existait « de nombreuses définitions » de cet engagement, et qu’il devait être subordonné aux contributions financières de chaque partenaire, ravivant à travers l’Europe la crainte d’un désengagement américain perçu comme une menace majeure.

Dans ce climat électrique, ce premier sommet de l’ère Trump II prenait une dimension singulière. Il se tenait alors que la guerre en Ukraine s’enlisait et que les frappes américaines contre des sites nucléaires iraniens venaient bouleverser les équilibres régionaux. Plus qu’une simple réunion diplomatique, cet événement s’annonçait comme un test décisif pour la cohésion transatlantique et la capacité de l’Alliance à se réinventer face aux défis d’un ordre international en mutation.

Les enjeux de sécurité européenne

L’Europe se trouve aujourd’hui confrontée à un environnement sécuritaire d’une intensité inédite. La guerre en Ukraine, entrée dans sa quatrième année, s’enlise et s’intensifie, au point que le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, la qualifie de menace existentielle pour l’Alliance. Selon lui, Moscou multiplie les démonstrations de force aux portes de l’OTAN et se prépare à un affrontement prolongé.

À ces défis s’ajoute la montée en puissance de la Chine, perçue comme un enjeu majeur. Pékin, qui apporte un soutien technique et logistique à la Russie, resserre sa coopération militaire avec Moscou et s’oppose frontalement à l’expansion de l’OTAN en Asie-Pacifique, donnant à cette crise une portée mondiale inédite.

Dans cet enchevêtrement de tensions avec la Russie, de crises au Moyen-Orient et de rivalités sino-américaines, le sommet de La Haye s’impose comme un moment décisif. Plus qu’un simple rendez-vous diplomatique, il devait démontrer la capacité de l’Alliance à se réinventer et à préserver sa cohésion face aux défis du XXIème siècle.

Les préparatifs et la stratégie de Mark Rutte

Le profil du nouveau secrétaire général

Pour son premier sommet à la tête de l’OTAN, Mark Rutte a pu s’appuyer sur sa longue expérience politique et sa réputation de bâtisseur de consensus. Ancien Premier ministre des Pays-Bas (2010–2024), il s’est illustré par un pragmatisme constant et une capacité rare à fédérer, des qualités précieuses dans un contexte atlantique marqué par l’incertitude. Le choix de La Haye, sa ville natale, n’était pas anodin : il conférait à cette rencontre une dimension symbolique forte, renforçant l’image d’un leader enraciné, capable d’insuffler un nouveau souffle à l’Alliance sur ses propres terres.

La stratégie de la flatterie

Confronté à l’imprévisibilité de Donald Trump, Rutte a opté pour une diplomatie de proximité et de séduction. À la veille du sommet, il a multiplié les gestes d’attention, jusqu’à adopter le ton et le langage du président américain dans des messages privés rendus publics. Cette approche, dont l’utilisation surprenante de l’expression « Daddy » reste l’exemple le plus commenté, visait à désamorcer les tensions, préserver le dialogue et éviter une rupture ouverte avec Washington. Grâce à cette stratégie, Rutte s’est imposé en médiateur agile, soucieux de maintenir la cohésion transatlantique au cœur d’une période de profonde incertitude.

Déroulement du sommet de La Haye, tensions et décisions clés

Dès l’ouverture du sommet, l’atmosphère s’est chargée d’incertitude, attisée par les déclarations ambiguës de Donald Trump sur l’Article 5, qu’il conditionnait désormais aux efforts financiers des membres. Pour tenter de dissiper les tensions, les Pays-Bas ont déployé une hospitalité exceptionnelle, conviant le président américain au palais royal dans un geste de conciliation symbolique. La première journée s’est poursuivie par un forum des industries de défense, centré sur l’accélération de la production d’armements et la coordination industrielle européenne, tandis que Washington insistait sur la nécessité d’un réarmement massif.

Le lendemain fut consacré à des négociations cruciales au sein du Conseil de l’Atlantique Nord, qui débouchèrent sur une déclaration finale ambitieuse : elle réaffirmait l’engagement collectif et consacrait une hausse historique des budgets de défense à hauteur de 5 % du PIB.

Malgré l’enthousiasme affiché par Trump lors de la conférence de presse, où il salua un « succès monumental », la plupart des participants demeuraient conscients des concessions arrachées et des défis immenses qui pèseraient sur la cohésion future de l’Alliance.

Les résultats concrets: un tournant financier et une déclaration unifiée

Le sommet a scellé un engagement financier inédit : sous la pression de Washington, les membres de l’OTAN porteront leurs dépenses de défense à 5 % du PIB d’ici 2035. Ce seuil, qui bouleverse les équilibres budgétaires, marque un tournant stratégique majeur. L’accord prévoit 3,5 % consacrés à la défense stricte (modernisation, effectifs, armements) et 1,5 % à la sécurité élargie, avec une certaine souplesse pour les dépenses civilo-militaires.

Cet engagement a suscité des réactions contrastées : la Pologne et l’Allemagne l’ont soutenu, tandis que l’Espagne a exprimé ses réserves.

La « Déclaration de La Haye » a solennellement réaffirmé l’attachement à l’Article 5, pour rassurer les opinions publiques européennes. La Russie y est désignée comme une « menace à long terme », signe d’une unité affichée face à Moscou malgré des divisions persistantes. Le soutien à l’Ukraine a été confirmé, sans perspective immédiate d’adhésion.

En somme, le sommet a cristallisé un sursaut transatlantique autour d’un effort budgétaire historique, tout en révélant les compromis et les incertitudes qui fragilisent encore la cohésion de l’Alliance.

Les réactions des pays alliés: entre adhésion et réserves

L’objectif d’allouer 5 % du PIB à la défense a suscité des réactions contrastées au sein de l’OTAN. Les pays baltes – Lituanie, Lettonie et Estonie – ainsi que la Pologne ont exprimé un soutien sans réserve, voyant dans cette augmentation une nécessité stratégique et une question de survie nationale. Ces États avaient d’ailleurs amorcé dès 2024 une hausse significative de leurs budgets militaires. Le Royaume-Uni, de son côté, a salué l’initiative, qu’il considère comme un acte de solidarité et un levier pour maintenir son rang de puissance militaire majeure.

Les Pays-Bas, hôtes du sommet, se sont également félicités de cet accord, Mark Rutte évoquant un « tournant historique » et soulignant le rôle moteur joué par son pays.

Derrière cette unité de façade, des divergences profondes demeurent. L’Allemagne, dirigée par Friedrich Merz, a refusé de s’engager sur un seuil chiffré, redoutant un impact durable sur les finances publiques et un affaiblissement des investissements dans la transition énergétique et l’innovation. La France, par la voix d’Emmanuel Macron, a conditionné toute augmentation substantielle au règlement des différends commerciaux transatlantiques et à des garanties d’indépendance industrielle, plaidant pour un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne.

L’Espagne, sous Pedro Sánchez, a obtenu une exemption partielle, refusant d’atteindre le seuil de 5 % au nom des contraintes budgétaires et de la priorité donnée à la cohésion sociale, tout en réaffirmant son attachement à l’Alliance. Enfin, l’Italie, représentée par Guido Crosetto, a jugé cet objectif « impossible » à réaliser dans le contexte économique actuel et a appelé à une révision des critères, plus adaptée aux réalités nationales.

Défis économiques européens et réactions internationales

Au-delà des débats politiques, le financement de cette montée en puissance militaire suscite de profondes inquiétudes économiques à travers l’Europe. En Allemagne, atteindre le seuil de 5 % du PIB représenterait un effort budgétaire colossal, jugé insoutenable par de nombreux économistes. Plusieurs gouvernements envisagent déjà de recourir massivement à l’emprunt, au risque d’alourdir encore davantage la dette publique.

La fragmentation industrielle constitue un autre défi majeur. De nombreux responsables européens plaident pour instaurer une préférence européenne dans les marchés d’armement, afin de soutenir l’innovation, préserver les emplois stratégiques et renforcer l’autonomie du continent.

Ainsi, malgré une façade d’unité affichée à La Haye, le sommet a mis en lumière les tensions et les défis considérables auxquels l’Europe doit faire face pour construire une défense crédible et souveraine.

Les réactions en Russie et en Chine

Les conclusions du sommet ont suscité de vives réactions de la Russie et de la Chine. Le Kremlin, par la voix de Vladimir Poutine, a dénoncé les engagements européens de réarmement comme une « escalade irresponsable » et un « gaspillage colossal de ressources », accusant l’OTAN d’instrumentaliser la Russie pour justifier sa militarisation et renforcer l’influence américaine. La communication russe s’est attachée à critiquer le sacrifice du bien-être social européen au profit du complexe militaro-industriel occidental, cherchant à alimenter le scepticisme et la division en Europe, tout en brandissant la menace de « réponses asymétriques » et de nouvelles manœuvres militaires.

De son côté, la Chine a exhorté l’OTAN à « renoncer à la mentalité de guerre froide » et à cesser d’alimenter la confrontation. Pékin accuse l’Alliance d’exploiter la menace russe pour justifier son expansion militaire, non seulement en Europe, mais aussi dans l’Indo-Pacifique, avertissant du risque d’une nouvelle course mondiale aux armements. Pour la Chine, le sommet de La Haye marque une étape supplémentaire dans la confrontation systémique avec l’Occident, légitimant le renforcement de ses propres capacités de défense et la consolidation de ses alliances régionales.

Les coulisses  et jeux d’influence: diplomatie, Ukraine et foyens de tension

Au-delà des discussions officielles, la diplomatie de l’hospitalité a occupé une place centrale, illustrant parfaitement la stratégie néerlandaise. L’accueil exceptionnel offert à Donald Trump au palais royal n’avait rien d’anodin : il s’agissait de flatter le président américain pour infléchir la dynamique des négociations et instaurer un climat favorable au dialogue, malgré des tensions palpables. Cette mise en scène, soigneusement orchestrée pour afficher une entente personnelle entre Mark Rutte et Trump, a momentanément voilé les divergences de fond, même si plusieurs dirigeants d’Europe du Sud y ont vu une démarche risquée, voire contre-productive.En coulisses, le dossier ukrainien s’est imposé comme le sujet le plus sensible. La rencontre entre Trump et Volodymyr Zelensky s’est concentrée sur la quête d’un cessez-le-feu et sur les conditions d’un soutien militaire occidental à long terme. Pourtant, la déclaration finale a pris soin d’éviter toute condamnation directe de l’offensive russe, signe d’une prudence calculée pour ne pas franchir les lignes rouges fixées par le Kremlin.

Si l’appui financier et militaire à Kiev a été réaffirmé, l’absence de perspective concrète d’adhésion à l’OTAN a confirmé la retenue des alliés, maintenant l’Ukraine dans une zone d’incertitude.

En toile de fond, le bras de fer entre l’Iran et Israël ajoutait encore à la tension ambiante. Un cessez-le-feu fragile, négocié par Trump, a momentanément renforcé le prestige diplomatique des États-Unis en évitant une escalade régionale. Mais certaines déclarations provocantes du président américain, évoquant Hiroshima et Nagasaki, ont semé le malaise chez plusieurs partenaires, révélant combien il est difficile de préserver une position commune face à des crises multiples.

Ces manœuvres en coulisses illustrent la complexité des équilibres diplomatiques et la fragilité de l’unité occidentale, dans un contexte où chaque mot et chaque geste peuvent peser lourd sur la sécurité internationale.

Analyse géopolitique et perspectives

La Victoire tactique de Trump

Le sommet de La Haye a marqué une victoire nette pour Donald Trump. En deux jours, il a réussi à imposer aux Européens une hausse inédite de leurs budgets de défense, scellant un basculement historique des priorités et consolidant la suprématie stratégique des États-Unis au sein de l’Alliance.

Au-delà des chiffres, Trump a rappelé que la sécurité européenne reste largement sous le contrôle américain. Malgré leurs ambitions d’autonomie, les Européens demeurent dépendants du parapluie militaire et des technologies venues d’outre-Atlantique. Cette dépendance s’enracine encore, la plupart des nouveaux financements bénéficiant directement à l’industrie américaine, renforçant l’asymétrie qui structure l’OTAN.

Le sommet a également élargi la doctrine du « partage du fardeau » aux alliés asiatiques, comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, ouvrant la voie à une militarisation croissante d’autres zones stratégiques, avec le risque d’une instabilité accrue.

Les défis européens

Pour l’Europe, cette séquence a mis en lumière des fragilités profondes. L’autonomie stratégique reste, pour l’heure, un objectif plus qu’une réalité, entravée par l’incapacité à fédérer une vision commune et à unir les moyens.

Les divisions sur le financement, la fragmentation industrielle et l’absence de leadership partagé exposent le projet européen à la pression constante de Washington.

Sur le plan industriel, malgré les appels à favoriser les équipements européens, la désunion entrave la création d’une base technologique crédible. L’Europe se trouve aujourd’hui à un tournant : soit elle surmonte ses blocages internes pour construire une défense réellement autonome, soit elle accepte une dépendance durable, avec le risque d’un effacement progressif sur la scène mondiale.

L’avenir de l’OTAN

À court terme, le sommet accélère la militarisation du continent et intensifie la course aux armements... Sans réflexion collective sur le sens de cette dynamique, elle pourrait aggraver les tensions, tant au sein de l’Alliance qu’avec ses rivaux.

Le transfert progressif du fardeau sécuritaire vers l’Europe, vieux projet américain, menace de fragiliser la solidarité transatlantique. Les écarts de capacités, les divergences d’intérêts et les frustrations nationales risquent de se creuser, mettant à l’épreuve la cohésion de l’OTAN.

Enfin, le spectre d’une fragmentation n’a jamais été aussi proche : l’équilibre délicat entre solidarité collective et souveraineté nationale, soumis à la pression budgétaire et aux rivalités stratégiques, pourrait ébranler l’unité de l’Alliance.

Conclusion: un moment charnière pour la cohésion euro-atlantique

Le sommet de l’OTAN à La Haye s’impose comme un jalon stratégique majeur dans l’évolution des relations euro-atlantiques. En actant des engagements financiers sans précédent et en réaffirmant la solidarité, l’Alliance a démontré sa capacité d’adaptation face à un paysage sécuritaire en pleine mutation.

Mais ces avancées se sont payées au prix de compromis délicats, révélant des fractures latentes et des divergences d’intérêts persistantes. Cette dynamique transatlantique reflète une redistribution des responsabilités : l’Europe revendique un rôle plus affirmé dans sa propre défense, tout en demeurant profondément dépendante du leadership américain.

Ce nouvel équilibre met en lumière toute la difficulté de concilier l’aspiration à l’autonomie stratégique avec les contraintes d’une solidarité collective encore indispensable.

Les décisions adoptées ouvrent une phase inédite pour l’OTAN, marquée par un renforcement militaire accéléré et une attention accrue à la résilience face aux menaces hybrides, économiques et informationnelles.

Dans un contexte international plus instable que jamais, l’Alliance tente de se réinventer, consciente que la portée réelle de ces choix ne se mesurera qu’au fil du temps.

La Haye restera comme un moment d’ajustement stratégique, symbole des équilibres précaires d’une sécurité collective sans cesse redéfinie par les rivalités géopolitiques et la pression des crises à venir.

Elyes Ghariani
Ancien ambassadeur

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