News - 11.05.2022

Comment contrecarrer le retour en force de l'islam politique

Comment contrecarrer le retour en force de l'islam politique

Par Monji Ben Raies - Le Maghreb est entré dans une période d’incertitude sur le plan sociopolitique qui a touché l’ensemble de ses composantes étatiques. Pour l’État tunisien, le premier obstacle est d’ordre psychologique, un conflit ancien mais récurrent avec les gestionnaires du sacré sur lesquels se projettent les images de la décadence historique de la civilisation arabo-musulmane et notamment celle de la Tunisie post-insurrectionnelle. Dans cet état d’esprit, depuis 2011, le pays tunisien s’est polarisé autour de sa fracture sociale; l’envahissement de l’islamisme radical intégriste menace chaque jour davantage les espaces de liberté individuelle acquis et trouve dans leur limitation un terrain favorable pour la mobilisation des jeunes avec comme mot d’ordre la restauration de l’’’Age d’or’’ d’un Islam idéal et du Khalifat. C’est dire que l’Islamisme ne nous prédispose pas à aborder sereinement la question religieuse dans la réformation de l’État tunisien. Depuis l’émergence sur la scène politique de la dimension religieuse de notre questionnement de la réalité sociopolitique islamique tunisienne, notre imaginaire est envahi par d’étranges figures menaçantes, incarnations des mots obscurantisme, rétrogradation et régression, animées par cette angoisse sourde de l’inévitable affrontement entre l’obscurantisme et les lumières, la Religiosité fanatique (l’Islamisme intégriste) et la Raison (le Progrès). L’heure est à des réponses adéquates nécessaires et urgentes à un ensemble d’interrogations disparates ; réponse sociale à la marginalisation des jeunes, qui trouvent dans l’islamisme radical et la violence des exutoires faciles à la frustration ; réponse à la dissidence d’Annahdha et à ses bailleurs de fonds étrangers, au siège de la confrérie dont il est l’exécuteur des basses œuvres en Tunisie, à l’identité religieuse du pays ; et réponse sécuritaire aux menaces djihadistes réelles.

Le grignotage de la société par le religieux

L’Islamisme une notion qui décrit la dérive de l’Islam, initialement religion et culture, vers une construction idéologique et une revendication fondée sur une politisation exacerbée des normes réelles ou supposées de la religion musulmane, en vue de les consacrer au plan juridique et politique et de les imposer à la collectivité de façon contraignante comme projet de société irrévocable. Il s'agit d'un plan stratégique, fomenté depuis l’étranger, détaillé et adapté au pays tunisien, un projet religieux qui se repais des libertés qu'il exècre et maudit. Il vise à atteindre et s’y maintenir, à terme, le sommet du pouvoir politique, pour que l'Islam, tel qu'il est compris, promu et pratiqué par les Frères musulmans, s'infiltre dans toutes les sphères de la société et lui impose la loi islamiste, la Sharia totalitaire, rétrograde, obscurantiste et liberticide. La récupération de la rébellion du 14 janvier 2011 par les islamistes intégristes n’est pas fortuite, mais l’aboutissement d’une situation faite d’impasses, de mauvais choix, de complaisances et de cécités, sur la nature véritable des réseaux de l'islamisme dans le pays tunisien. Profitant du désordre et des zones de non-droit qui tendent à se développer dans le pays, l'islamisme s'est simplement immiscé dans la vie des Tunisiens à la faveur d'un discours victimaire, et d’une pratique religieuse cristallisée en identité offensée, lesquels, habilement menés, peuvent constituer un outil puissant de contrôle social. Depuis, l’on assiste à une entreprise de grignotage larvée des acquis sociaux par le religieux, qui s’appuie sur une visibilité croissante de l’islamisme ostentatoire dans un pays constitutionnellement et traditionnellement laïc. Un islamisme frontal dans son opposition à la République autant qu’insidieux et souterrain dans ses moyens de lutte, négateur de la civilité de l’Etat et de la liberté de la femme et des femmes, autant que défenseur de leur sombre choix, quand celui-ci est conforme à l’orthodoxie radicale musulmane. Les individus, hommes et femmes, s’affirmant croyants, adoptent des modes vestimentaires, des habitudes, qui n’existaient même pas dans l’islam des origines, tel qu’historiquement avéré. Il n’est plus rare de voir des hommes habillés selon la mode afghane ou des femmes portant le niqab à l’iranienne. L’intégrisme islamiste renvoie systématiquement à l’intolérance par rapport aux autres et à la volonté de réduire l’Autre, au nom d’une conception religieuse particulièrement vaniteuse, égocentrique, véhémente et hégémonique et en tenant un discours sectaire et stigmatisant. La laïcité comme forme de liberté, est d’abord respect du principe de neutralité religieuse dans les espaces publics ; faire le contraire, c'est chercher la provocation et tester les limites de la société. C'est la République laïque qui est visée à travers l'irrespect de la liberté de conscience des autres, celle-ci étant perçue comme obstacle à la libre affirmation de la norme religieuse islamique et à la tentative politique de soumettre la société à sa lecture radicale des textes dogmatiques, jusqu'à l'affrontement, y compris armé, le djihad.

La nécessité d’un ‘’aggiornamento’’ de l’Islam

On pourrait sans doute ajouter que le problème provient de la religion elle-même. En effet, toutes les religions sont issues historiquement de sociétés violentes et patriarcales, l'islam ne faisant pas exception à ce principe. S’il n’y a pas de volonté d’évoluer, le conflit est inévitable qui consiste précisément à vouloir imposer de vivre comme à l’époque d’un âge d’or illusoire, en l’occurrence à l’époque du prophète ‘’Mahomet’’.Les religions, pour vivre en bonne intelligence avec le droit séculier, les droits et libertés propres au modèle de société dit démocratique, doivent s'adapter, opérer un examen de conscience et abandonner certains de leurs aspects contraires à la modernité. Le catholicisme, si l’on se permet ce parallèle, a dû faire son ‘’aggiornamento’’, sous la pression de l'histoire, et par des événements s'étalant sur plusieurs siècles jusqu'à la création de l'école laïque et l’imposition du principe de la séparation des Eglises et de l'Etat, par la loi du 9 décembre 1905 ; comme l'aboutissement d'un long processus de laïcisation et de sécularisation engagé depuis la Révolution française. L’« Aggiornamento », signifiant littéralement « mise à jour », fut un terme italien utilisé à la fois par les évêques de l'Église catholique et les médias lors du concile ‘’Vatican II’’ (1962-1965), pour désigner une volonté de changement dans la religion, de modification et d’adaptation à la modernité. L'islam n'a pas connu cette situation dans les pays d'où il est issu. En Turquie, en Egypte aussi, comme en Tunisie, la laïcité a été imposée de manière unilatérale, d'en haut, avec un contrôle par l'Etat des mosquées, lequel est aujourd’hui remis en cause. En contexte majoritairement musulman, là où l’islam est religion d’Etat comme en Tunisie, même si la charia n’est pas source des normes de droit, l’islamisme se développe plus facilement et a beaucoup moins de difficultés à réclamer une plus grande prise en compte de la dimension religieuse dans la législation.

L’islamisation des quartiers ruraux et urbains

Dans de multiples régions, les islamistes de tous acabits prennent peu à peu possession des rues, des quartiers, des commerces, des écoles, de la société civile, etc., sous l’œil indolent des citoyens et des responsables politiques. Ce n’est alors plus la barbe ni les vêtements qui inquiètent le plus, mais leur nombre toujours croissant et leur insolence. C’est cette islamisation des quartiers ruraux et urbains, cette conquête de l’Islam du peuple par l’islamisme. Dans certains fiefs islamistes, les femmes ne discutent plus entre elles dans la rue ; elles se tiennent trois pas derrière l’homme. On n’entend plus de musique, ni de rires. Les habitants se retrouvent quasi-prisonniers de la communauté. Au marché, il n’est plus rare de rencontrer des fantômes bleu sombre, noirs ou violets dont rien ne transparait pour dire qu’il s’agit d’un être humain qui plus est, une femme voilée des pieds à la tête. Elles disparaissent dans un anonymat sordide, sous le niqab ou le djilbab, qui ne montre parfois que leur visage et d’autres fois non. Dans les étals des marchés hebdomadaires, des stands de vêtements amples, de voiles islamiques et de livres religieux sont achalandés. Des hommes fument dans et devant des cafés bondés et à l’intérieur, pas de femme. « L’accès ne leur est pourtant pas interdit, dira une citoyenne, mais ici les femmes n’ont rien à faire dans un café ! ».  Dans les années 1980 - 1990, le monde musulman a connu une révolution silencieuse avec le triomphe d’une version extrémiste intégriste, fanatique de l’Islam qui s’est exporté dans le Monde arabe et africain et le Monde occidental d’Arabie Saoudite ou des Emirats Arabes du Golfe persique. Aujourd’hui, cette mouvance souhaiterait développer un modèle de société fondé sur une approche excessivement littéraliste du Coran et de la sharia. Parmi eux, des intégristes virulents commencent à s’insinuer dans les interstices des institutions sociétales, y compris tunisiennes. Discrètement, l’intégrisme extrême s’enracine, dicte ses règles, avec les notions de pur et d’impur, de légal (halal) et d’illégal (haram), de fidèle et d’infidèle (alkufaar). Des quartiers populaires, déjà fragiles, desquels la tutelle de l’Etat a déserté, sont transformés en enclaves militantes ; les solidarités anciennes se volatilisent. Les milieux islamistes ou apparentés ont pris en charge les mécanismes de sociabilité longtemps structurés par les associations. Des religieux jouent le rôle de « grands frères », conseillers, banquiers, référents, et renvoient manu militari les réfractaires, souvent âgés. Leurs proies de prédilection sont des jeunes oisifs, sans emploi, en rupture scolaire et sociale, parfois délinquants, souvent drogués et en perte de repères. L’islamisme intégriste exècre toute collaboration avec une autorité autre que théologique. Ses adeptes excluent la moindre forme d’expression républicaine, du vote lors des élections à la scolarisation des enfants dans le système éducatif public, en passant par la laïcité et la mixité. Même la hiérarchie des forces sécuritaires n’a pas été épargnée par la montée spectaculaire et progressive de l’intégrisme.

Des prêches caustiques, enregistrés par des cheikhs illuminés alimentent les prières et les réseaux sociaux. Certains imams encouragent des actes insensés et révoltants comme l’excision ou le viol conjugal, déclarant que la femme ne doit pas avoir de plaisir charnel, ou encore que le devoir de la femme est de se soumettre au désir de son mari ; et expliquant que les violences conjugales chez les « mécréants » étaient dues aux femmes qui se refusent à leurs maris, ce qui n’arrive pas avec les bonnes musulmanes, sans qu’ils soient inquiétés, outre mesures. Les thèmes de l’islamophobie, des discriminations sont abordés dans les prêches du Vendredi avec agressivité. Ils appellent à ne pas voter, ni se soumettre aux lois, à ne pas se mêler aux juifs, aux chrétiens, aux mécréants (les kuffaars). Plus inquiétant, le phénomène des leçons religieuses, inculquées en petit comité. Ni publicité préalable ni affichage, on connaît leur existence grâce au bouche-à-oreille. Des cheikhs itinérants abordent les sujets tabous. On conseille de ne pas se raser la barbe, de ne pas se laisser pousser la moustache, de ne pas s’habiller ’’comme eux’’ ni de célébrer les fêtes civiles ou les anniversaires.

Modifier la culture politique démocratique naissante de l’Etat

Depuis 2011, Les islamistes de Tunisie ne font aucun effort pour rassurer la société, faisant usage de pressions, d’intimidation et même de violence physique et morale. Les groupes d’obédience des “frères musulmans” ont d’abord tenté de changer leurs méthodes d’infiltration sociétale ; ils se sont mêlés à la compétition politique et ont constitué des listes aux élections, des groupes de pression aussi, pour noyauter et instrumentaliser le droit, la justice, des associations, les institutions de l’Etat,… Les recrutements dans les mosquées sont devenus rares. C’est alors ailleurs qu’il faut les chercher, dans les maisons et les appartements, les halls d’immeubles, les caves, les garages, les écoles coraniques agréées et celles clandestines, les salles de sport, les cafés… par l’entremise de leurs multiples associations, les islamistes distribuent vêtements, nourriture et argent. Sur les terrains de football, ils offrent des sodas énergétiques, étendent leur toile d’araignée dans les lycées, les collèges, et les universités. Dans une stratégie d’invasion gangréneuse et rampante, les Frères musulmans ont investi les municipalités, les mairies, intéressés par la conquête de l’espace sociopolitique et institutionnel local. La “fraternité” jouent la séduction et imposent des listes aux municipales, constituent des groupes d’influence pour détourner à leur profit et miner les institutions de la République. Leur objectif déclaré est la défense d’intérêts communautaires partisans. Ils se réclament de la doctrine du “juste milieu”, qui se trouve entre une abomination et un idéal non- équivalents à leurs yeux, la laïcité d’un côté et le djihadisme de l’autre. Ils veulent ainsi, par une participation prétendument citoyenne, modifier la culture politique démocratique naissante de l’Etat. Le mouvement ne lésine sur aucun moyen et enrôle même des enfants. Très vite, est exigé d’eux qu’ils prêtent allégeance à l’idéologie et une entière dévotion. Leur patrie n’est alors plus la Tunisie, mais l’Ummah, entité spirituelle, régie par un guide suprême à qui l’on doit obéissance et soumission car il détiendrait les clés du Walhalla des musulmans. Des missions leurs sont confiées, qui sont menées au nom de Dieu qui les regarde et leur garde une place à ses côtés. Imaginez cette pression psychologique écrasante d’une telle représentation, pour un enfant ou un adolescent, qui va jusqu’à les empêcher de penser.

Une stratégie d’islamisation globale

Les islamistes ne pouvant réaliser leur projet hégémonique dans le contexte de polarisation actuelle, ils vont stratégiquement et islamisent la vie politique tunisienne par étape…Les Islamistes intégristes constituent des forces politiques dotées de moyens pour percer la société, s’imposer et diffuser leurs discours, dans le contexte économique fort difficile d’aujourd’hui. Le parti a créé toute une constellation d’organisations caritatives, de soupes populaires et autres organismes de charité qui ont littéralement instauré une situation de dépendance, sous couvert de fonction sociale, dans les quartiers et régions pauvres du pays. Cette fonction sociale affichée par Ennahda et ses satellites est appelée à s’accroître étant donné que la crise tunisienne favorise davantage un recul de l’État et de ses politiques publiques. Beaucoup de subventions sont distribuées à des associations cultuelles organisant en réalité des activités subversives souterraines servant une stratégie d’islamisation globale des Frères en Afrique ; ils s’infiltrent dans des postes stratégiques, dans les entreprises ou les Conseils municipaux et régionaux, jusqu’aux législatives. Aux présidentielles de 2024, ils espèrent faire mieux et convoitent la tête de l’Etat, funeste crédulité ou cynisme électoraliste. Leurs candidats ciblent des postes précis, comme les affaires sociales pour le domaine des associations, les finances, l’urbanisme ou le secteur éducatif et culturel pour disposer de la petite enfance, terreau de l’expansion future, essentiels pour conquérir des villes puis tout le pays. Les édiles cèdent aux exigences électorales. On prête des salles qui sont transformées en lieux d’entrainement et d’endoctrinement ; on cède des terrains avec des baux emphytéotiques pour y construire des mosquées de façade. L’accent est mis aussi sur la parole. En février 2012, un prédicateur fondamentaliste, pro-djihadiste, égyptien, Wajdi Ghonim a été invité par Ennahdha à prêcher à la coupole d'El Menzah, où il a été ovationné par des milliers de personnes, et à diffuser un discours de haine et de dissension, portant atteinte à la souveraineté de la Tunisie. Il incitait à la haine raciale et à la violence, y compris à l'encontre des autres religions, il appelait à la polygamie, bien qu’il ait su son interdiction par le code du statut personnel, il appelait aussi à porter atteinte à l'intégrité physique des femmes, par la pratique de l'excision. Le prédicateur égyptien Wajdi Ghonim, réputé pour son radicalisme, était invité par trois associations islamistes nées après l’insurrection du 14 janvier 2011. Il a aussi effectué une série de prêches dans des mosquées notamment à Sousse, à Mehdia. Il déclarait, lors d'une interview sur la radio islamiste ‘’Zitouna’’, entre-autre, "La Tunisie est le premier pays qui a fait la révolution et il sera inch' allah le premier pays qui appliquera la charia islamique" ; "Les gens en Egypte et en Tunisie ont voté pour la religion, ils veulent l'islam, ils veulent la religion", a-t-il martelé du poing. Dans un de ses prêches, il avait fustigé en ces termes "les libéraux, les laïcs et ceux qui détestent la religion" et dénoncé "les apostats". La société politique tunisienne n’avait quasiment pas réagi à ces faits et seul le ministre de l'Intérieur s’était élevé contre cette visite et appelé le gouvernement à prendre position quand il y a des appels qui touchent aux libertés. Mais on entend toujours des discours inquiétants pour les femmes. Tel un député d'Ennahdha qui a défendu l'excision, en affirmant qu'elle rendait le sexe des femmes «plus joli.».Dans l’ensemble, l'État est absent et ne fait pas vraiment son travail pour arrêter les groupes extrémistes violents.

Dans le contexte où le pays cherche sa propre voie, distincte des modèles étrangers, les islamistes fondamentalistes réussissent souvent à imposer leur vision de l’authenticité tunisienne. Cela se vérifie dans leur volonté de valoriser l’arabe au détriment du français dans l’expression, l’éducation et la culture, et la religiosité au détriment de la laïcité, puisque le français et la laïcité seraient, à leurs yeux, des importations de l’occident mécréant et ex-colonisateur. Bien sûr, ce portrait est distordu, compte tenu du fait que la Tunisie a une longue histoire, plurimillénaire, d’autocratie laïque, et que son rapport à l’Islam a toujours été plus distendu qu’ailleurs dans le Monde arabe. Mais le discours de l’authenticité des islamistes porte malgré tout et leurs adversaires ne réussissent pas pour le moment à le contrecarrer de façon aussi efficace. C’est ainsi qu’en Tunisie, les tenants de la laïcité et les intégristes religieux s'affrontent. Au premier plan de cette guerre d'influence, les islamistes radicaux qui voudraient imposer un retour aux pratiques de l'aube de l’avènement de l’Islam. Soutenus par les islamistes ayant eu accès à la scène politique, ils sont engagés dans une bataille occulte qui se déroule, entre autres, dans les écoles publiques et les universités. Un psychodrame révélateur du fossé surréaliste qui divise la Tunisie, avec d'un côté, les tenants de la laïcité, de l'autre, les islamistes intégristes qui cherchent à pousser le pays vers une conflagration en vue d’imposer un islam radical. Au milieu, les islamistes hypocrites du parti Ennahdha, relevant de la confrérie de Frères musulmans et qui jouent les entremetteurs. L’Etat est dans la confusion la plus totale. Il faut dire que les convictions du Chef de l’Etat ne sont pas très éloignées de la doctrine islamique fondamentale, en tant que musulman ultraconservateur. Certes l'islam est une religion, c'est aussi une culture, en n’étant que cela pour notre Etat ; mais certains œuvrent dans l’ombre des alcôves pour qu’il soit aussi un système politique concurrent de la République Tunisienne.

Ennahdha frustrée par son désaveu s’est débarrassée en partie de son déguisement et révèle chaque jour un peu plus sa vraie nature et le projet de société qu’ils souhaitent instaurer, un Khalifat islamique. Ils souhaitent y parvenir par un islamisme rampant que nous connaissons actuellement dans les quartiers de presque toutes les villes de Tunisie et même dans les villages les plus inaccessibles tunisiens, à flanc de montagne et dans les vallées les plus encaissées. Il y a, à ce propos, des mots que l'on utilise et qui n'apaisent pas le débat, mais au contraire, ils l'aggravent. Ceux qui utilisent ces mots, s'en servent toujours pour empêcher de critiquer l'islamisme et le communautarisme et pour imposer une omerta sur le phénomène. La régulation du système politique, supposerait, pour devenir efficace et non pas inopérante et nuisible, un changement tant sociétal que politique et culturel. Il est vrai que la conscience citoyenne requiert encore un long apprentissage pour l’acquisition d’une culture civique suffisante pour prendre conscience de ses actes. Il faut reconnaître que la déception et la défiance à l’égard de toute la classe politique et un niveau très bas d’espoir de changement de politique, ont conduit à la situation actuelle de l’Etat. Surtout que ceux qui prétendent nous gouverner ne maîtrisent pas les domaines dont ils ont la charge et sont ankylosés par le poison de l’indécision systématique et permanente qu’ils ont eux-mêmes sécrété. Une situation qui tue lentement les espérances en même temps qu’elle dissipe l’Etat. La démocratie de la Tunisie ne peut passer que par une véritable sociogenèse, une transformation des structures conçue comme un réajustement à notre personnalité nationale dans son originalité laïque particulière. La dimension toxique du temps en corrélation avec l’islamisme extrême a créé une accoutumance dans le corps social, un état d’abandon, une intériorisation progressive confortée par la posture d’évitement stérile prônée par le locataire du palais de Carthage qui provoque des préjudices disproportionnés.

Un prélude à l’islamisation de la société

L’arbitraire et le discrétionnaire deviennent monnaie courante et les institutions de l’Etat comme les forces de sécurité, infiltrées par l’islamisme, abusent sans scrupule de leur pouvoir. Des personnes ne jeûnant pas durant la période du ramadhan sont interpelées et sont arrêtées. Des procès sont intentés contre elles devant les tribunaux, comme celui devant le Tribunal de première instance de la Manouba, faisant comparaitre des personnes pour « outrage public à la pudeur », sur la base des dispositions de l’article 226 du Code pénal, et d'infractions aux règlements municipaux. C’est là une conception bien insolite de la pudeur. L’article 226 du Code pénal prévoit qu’ : « Est puni de six mois d’emprisonnement et de quarante-huit dinars d’amende quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d’outrage public à la pudeur ». Cet article est couramment invoqué pour punir l’exhibitionnisme et le racolage sur la voie publique. L’utiliser pour le fait de manger et boire pendant le Ramadan relève de l’arbitraire et de l’abus de pouvoir en violation flagrante de la Constitution. Il faut dire que la notion de bonnes mœurs ou celle de pudeur sont des notions juridiques légales floues soumises à interprétation. La pudeur est généralement déterminée à l'appréciation des juges ; de là à ce qu’ils soient sympathisants islamistes ou corrompus il n’y a qu’un pas pour l’injustice. C'est un pouvoir discrétionnaire qui leur est donné. Selon le ministre des affaires religieuses, fondamentaliste islamiste, la traduction des non-jeuneurs devant la justice ne ferait que générer plus ‘’d’hypocrites’’, jugement de valeur prononcé à l’encontre des victimes d’abus et de maltraitance de la part des forces de l’ordre et du juge d’instruction de La Manouba. En effet, la Constitution du 27 janvier 2014, en son article 6 dispose que « L’État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes ; il est le garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane.
L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger le sacré et à interdire d’y porter atteinte, comme il s’engage à interdire les campagnes d’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence. Il s’engage également à s’y opposer. ».

Ces arrestations constituent une atteinte à la liberté individuelle de conscience. En effet, la liberté de conscience permet à toute personne d’adopter ses propres croyances et convictions ; elle permet aussi de choisir librement sa religion, son culte et même le fait de ne pas croire et de ne pas avoir de religion. En d’autres termes, l’Athéisme et l’agnosticisme sont des libertés individuelles garanties par la Constitution de 2014. (Précisons que l'athée ne croit pas à l'existence de Dieu; l'agnostique croit que nous sommes incapables de savoir s'il existe ou non). Le constituant tunisien de 2014 a opté pour une pensée morale et sociale séculière, opposable même aux gens qui se considèrent religieux. La chasse aux sorcières contre ceux qui ne pratiquent pas le jeûne du ramadhan est illégale et anticonstitutionnelle, surtout qu’aucune loi n’existe qui interdise de boire et manger pendant le Ramadhan. Certes l’on évoque à chaque période de Ramadhan une circulaire fantôme qui aurait été adoptée en 1981 par Mohamed Mzali pour obliger les cafés et restaurants à fermer leurs portes et sanctionner, celles et ceux qui ne respecteraient pas le jeûne. Cette circulaire est anticonstitutionnelle, si elle existe. Faire usage de cette hypothétique circulaire dans le contexte actuel contreviendrait à l’article 2de la Constitution, qui dispose que « La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».Par de telles pratiques, l’Etat piétine gravement les fondements sociétaux, la laïcité de la République et fait le lit aux projets obscurantistes des islamistes et fondamentalistes de tous poils. Sans compter que boire et/ou manger pendant le ramadhan est devenu progressivement, en Tunisie, une prise de risque cautionnée par l’indifférence et le laxisme des pouvoirs publics.

L’immixtion de l’islamisme intégriste dans les institutions scolaires et universitaires

Autres faits plus graves à dénoncer, est l’immixtion de l’islamisme intégriste dans les institutions scolaires et universitaires. Le niqab dans les salles de classe, est l'une des principales batailles des intégristes tunisiens, qui se battent aussi pour criminaliser le blasphème, ou encore pour modifier le code du statut personnel, de sorte que la femme y devienne le «complément» de l'homme. Ont été aussi rapportés des actes de violences à l’encontre de professeurs sous prétexte que ce qu’ils enseignaient ne correspondait pas à la doctrine et au dogme de l’Islam vrai, ses membres s’étant arrogé "le devoir de réformer même par la force" ce qui n’est pas conforme. Il peut prendre la forme d’un directeur d’établissement qui impose sa vision de ce qui est ou n’est pas correct. C’est ainsi qu’une collégienne inscrite en neuvième année a été renvoyée par l’institution pour maquillage et port de boucles d’oreilles, le directeur de l’école ayant inscrit ce motif sur l’avis de renvoi adressé aux parents. Une autre élève, dans un autre établissement scolaire de la République a été renvoyée pour cause d'habits jugés indécents et provoquant par le surveillant général et le reste des surveillants du collège. A préciser que l’élève en question portait des vêtements tout à fait corrects et normaux. De tels faits de la part du corps éducatif portent atteinte à la loi sur la laïcité de l’éducation et de l’école publique et à l’intégrité physique et morale de la jeunesse, en particulier des filles et adolescentes, qui souffrent des sténotypes masculines et de l’extrémisme religieux croissant. Il s’agit d’abus immoraux contre mineures et de discrimination à l'égard des femmes. Enfin c’est une contravention au caractère civil des écoles de la République dans ses différences éducatives. Ailleurs, une professeure d’art, a été violemment agressée par des étudiants salafistes, lui ordonnant d’arrêter d’enseigner les arts représentatifs et lui ordonnant de porter le voile ; face à son refus d’obtempérer ces agressions se sont répétées, et compte tenu du silence de sa direction et du ministère de l’Éducation nationale, à ses plaintes, l’enseignante s’est vue contrainte d’abandonner l’enseignement, sa vie ayant été menacée.

Ces cas représentent de graves dépassements opérés par un extrémisme religieux ayant investi impunément les écoles tunisiennes de tous niveaux, dans le but de mettre fin à une éducation civique laïque, éclairée et égalitaire. Les islamistes ciblent les lieux d’éducation et les centres d'arts du fait qu’y sont abordées des matières, selon eux, contraires "aux principes de l’Islam" comme la photographie, la peinture, ou la sculpture, matières basées sur la représentation "interdite et qui pousse à la discorde" selon les islamistes tunisiens ; même l’enseignement des langues étrangères est pour eux blasphématoire. Il est devenu clair que cette catégorie de groupes, extrémistes dans leurs pratiques de l’Islam, a établi que le système d’éducation laïc et l’art étaient contraires à leur vision obscurantiste de la religion. Ces savoirs qui sont enseignés depuis toujours en Tunisie sans qu’aucun religieux n’ait eu à y redire précédemment, font maintenant partie des 'interdits' du mouvement islamiste tunisien. Le radicalisme des extrémistes religieux les a poussés à interdire à un universitaire spécialiste du patrimoine et de l’architecture, islamiques, de faire une leçon. A l’occasion d’une parodie de jugement, le professeur a été insulté, violenté physiquement, harcelé moralement, humilié en présence de ses étudiants et chassé de l’établissement pour mécréance ; puisqu’il s’occupe d’architecture, il ne peut qu’idolâtrer les représentations dans la pierre. Ces inquisiteurs ont ainsi donné une idée de ce que sera le retour de l’islamisme au grand jour. Or, ce qui semble le plus inquiétant, est le fait que les forces de l’ordre demeurent passives face à ces actes de violence et d’intimidation. Ce climat de violence accompagné d’une impression d’impunité se transpose aussi dans les mœurs.

Des formes d’enseignement, qui n’ont pas de statut scolaire, ouvrent la porte à l’endoctrinement des plus jeunes. Pour les islamistes les plus radicaux, islam fondamental radical et école républicaine ne peuvent être compatibles. Ils rejettent le melting-pot culturel et s’oppose à la laïcité et à la mixité. L’école doit d’abord inculquer les valeurs de la République et non celles des religions, former des citoyens non des fidèles. L’éducation nationale ne devrait pas laisser de place à ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, entendent imposer la loi d’un groupe extrémiste. La République, est indivisible. Or les tenants de l’Islam radical considèrent comme une mission‘’ d'aider les Tunisiens à comprendre d'une manière exacte la religion, de corriger leur vision de l'islam, car beaucoup d'idéologie étrangère est entrée dans ce pays. La seule gouvernance, c'est Dieu" selon les déclarations de Hassan Al-Saouabi salafiste convaincu, rentré d’Afghanistan après vingt et un ans d'exil, l’une des têtes de l’Islam salafiste tunisien. Au-delà de la pratique de la démocratie, c’est son inspiration, fondée sur la séparation des pouvoirs, issue de la Révolution française qu’ils rejettent.

L’islamisme radical et l’idéologie intégriste et salafiste constituent des dangers mortels pour la société tunisienne, des dangers exacerbés et incontrôlés. L’Etat a tout faux sur l’approche uniquement répressive, laquelle peut juguler temporairement le phénomène, mais sans jamais parvenir à l’anéantir complètement. Sa grande erreur aura été de rechercher, au début de l’insurrection de 2011, l’accommodement en s’imaginant que l’islamisme radical pouvait se résorber dans le raidissement identitaire. En réalité, ce faisant, il a contribué à brouiller les repères hérités de la période bourguibienne en permettant et en encourageant le retour en force de l’esprit théologien rétrograde et obscurantiste. L’État continue de naviguer à vue, sans savoir à quelle distance de la religion il doit se placer. Il doit répondre à bien des interrogations et aller vers la rue, apprendre à connaître le citoyen tunisien et affronter le réel. En effet, la politique, consiste à négocier sans ruptures violentes. Certains nous diront que la vérité a besoin de radicalité, ce qui est peut-être juste mais jusqu'à un certain point et pas de cette sorte ; au-delà, ce sont des postures, qui n’imposent pas d’aller jusqu’à vendre son âme. La révolution n'est pas une parade numérique. Le plus important n'est pas de convaincre les médias étrangers mais le père ou la mère du fond du pays. Il faut garder l'usage, la propriété et la définition des mots. Les dérives commencent par l'appropriation des mots. Dans la dérive de l’Islam, ce sont les islamistes radicaux qui veulent imposer à la société leur définition des concepts comme la "laïcité" ou le "féminisme". Or, si nous perdons l'usage, le sens, la valeur des mots, nous perdons notre liberté. La diffusion à grande échelle de l’islamisme radical dans toutes les strates de l’Etat risque de porter préjudice à l’identité tunisienne en l’amputant de ses dimensions méditerranéenne et africaine et l’unité des Tunisiens risque d’en pâtir. L’allusion aux risques de conflits religieux et à la politisation exacerbée du système éducatif et son asservissement aux croyances religieuses sectaires est claire et pourrait faire le lit de l’Islam radical extrémiste et contribuer à la talibanisation de la société tunisienne. Le portrait est pour le moins inquiétant face à cette montée d’un conservatisme religieux rigide et hostile aux droits et libertés. Par cercles concentriques, des régions de la campagne vers les quartiers pauvres des villes, la mouvance des intégristes place ses pions. Par étape, la Tunisie libre se fait enserrer par le projet ultra conservateur de l’Islam politique commandité depuis l’Orient.

Monji Ben Raies
Enseignant Universitaire
Juriste Publiciste Internationaliste et Politiste
Chercheur en Droit public et Sciences Politiques
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
Université de Tunis El Manar

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Bechir - 12-05-2022 22:34

J'estime que l'article témoigne d'une certaine confusion entre d'une part l'Islam comme religion et d'autre part les courants politiques intégristes et extrémistes qui se proclament de l'Islam. D'ailleurs à cet égard, l'expression de "Islam politique" exprime la même confusion et nuit à l'image de l'Islam que ce soit chez le West ou chez les pays musulmans. En effet, les courants politiques se référençant à l'Islam ne représentent en rien cette religion qui est pratiqué par des milliards à aujourd'hui. Aussi, l'Islam est différent de la représentation que s'en fait l'auteur que je respecte et que je suivais sur Leaders. Toute comme la réalité est différente de ce que nous en pensons. L'immixtion de l'islamisme intégriste dans la société n'implique pas de renoncer à l'éducation islamique. Ce serait comme jeter le bébé avec l'eau du bain si l'on puisse emprunter l'expression en anglais. Selon cette dernière logique, on abandonnerait, les sciences et technologies qui permettent de produire des armes destructives, De même, on abandonnerait tout métier ou quelques mauvaises graines nuisent à l'image de la profession. En opposition, je pense qu'il convient d'apprendre aux jeunes de mieux comprendre la religion et de savoir discerner entre le bien et le mal. Pour terminer, j'ose dire que la modernité à outrance, la mondialisation et les effets des présumées libertés et démocratie des dix dernières années ont fortement nui aux valeurs morales et à la cohésion familiale et sociétale qui avec la religion forment un dernier rempart contre la l'insécurité sociale et la dépendance totale du West et de sa modernité.

MZ - 14-05-2022 10:34

Un petit espace de commentaires est nécessairement insuffisant pour débattre d’un sujet aussi grave, au sens d’important, que celui de l’islamisme. De manière très compacte , je voudrais simplement insister sur trois préalables à une éventuelle discussion dépassionnée sur ce sujet. 1. Faire la différence entre Foi et Islam et de manière générale entre foi et religion. 2.Que la Foi se construit nécessairement sur la Raison. 2. Que la religion est nécessairement politique , au sens où elle est l’organisation politique et sociale du sacré. La question devient alors qu’est-ce que le sacré ?

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