News - 13.05.2021

Le général Youssef Baraket: Un symbole de l’armée républicaine (Album photos)

Le général Youssef Baraket: Un symbole de l’armée républicaine

Par le Colonel Major (r) Mohamed Ahmed - Un illustre soldat nous quitte. Le général de corps d’armée Youssef Baraket, ancien chef d’état-major des armées et ancien ambassadeur, a tiré sa révérence le 4 avril dernier, à l’âge de 86 ans. Il est parti dans une indifférence quasi-totale de la République, après l’avoir loyalement servie durant près de 45 ans, comme soldat puis comme diplomate.

Le général Nafti et le colonel Kasdallah lui ont rendu, à chaud, un hommage appuyé dans les colonnes de Leaders. Ceux qui ont servi sous ses ordres ou l’ont côtoyé, parmi les militaires retraités, n’ont pas manqué de louer ses qualités de chef, de bâtisseur et d’homme proche de ses subordonnés, dans leurs commentaires sur Facebook.

Ayant moi-même servi sous son commandement au milieu des années soixante-dix, je voudrais évoquer ici ses qualités de chef aimé et respecté, son style de commandement novateur et ses œuvres multiples. A cette époque, il était colonel commandant de l’Académie militaire. Il avait réuni autour de lui une pléiade d’officiers de grande qualité dont je cite de mémoire:

Le commandant  Azmi Mahjoub, directeur de l’Instruction, auquel a succédé

le commandant  Mohamed Habib Ayachi,

le commandant RomdhaneTurki, directeur des affaires administratives et financières,

les commandants de promotions, les capitaines : Abdelaziz Skik, Mohamed Mallek, Abdessattar Ben Ayed, Abdelfattah Kallel, Taoufik Lakhoua, Mustapha Moncer …

les chefs de section et instructeurs, les lieutenants : Ahmed Ghiloufi, Rafik Chebbi, Badreddine Mastouri Ouni, Slaheddine Bezrati, Mokhtar Hchaichi, Abdelaziz Selmi, Abderazzak Nabli, Abderrahmene Dakhili, Badreddine Mechri, Ben Fatma…

Quant à l’auteur de ces lignes, il était lieutenant, chargé du cours Pionniers*, chef de section élèves-officiers d’active et officier des traditions.

Un chef aimé et respecté

Une vie dédiée à la patrie

Né le 3 février 1935 à Béja. Marié et père de 3 enfants. Incorporé le 25 septembre 1956 comme élève-officier. Formé à Saint-Cyr, en France, il fera partie de la première promotion des officiers de la Tunisie indépendante, la promotion Bourguiba.

Brillant officier d’infanterie et grand sportif, il a commandé les prestigieuses institutions de l’armée, l’Académie militaire de Fondouk Djedid, la 2e Brigade. A été désigné aux plus hautes fonctions militaires : chef d’état-major de l’Armée de terre et chef d’état-major général des armées. Nommé ambassadeur de Tunisie en Grèce. Parti à la retraite le 1er mars 1997.

Le général Baraket a reçu une formation militaire solide, de grande qualité. Il a fréquenté des écoles prestigieuses telles que  Saint-Cyr, le Command and General Staff College de Fort Leavenworth aux Etats-Unis, l’Ecole supérieure de guerre à Paris et l’Institut de défense Nationale à Tunis.

Sportif, cultivé, courtois et distingué, il met à l’aise ses subordonnés, montre de l’intérêt pour ce qu’ils font et leur prodigue ses conseils et ses encouragements. Il a été, pour cela, un chef aimé et bien respecté. J’ai personnellement pu mesurer cela quand j’étais stagiaire à l’École supérieure de guerre(ESG) à Paris en 1987.

Le général Gabriel, qui commandait l’ESG et qui était de sa promotion à Saint-Cyr, ne tarissait pas d’éloges à son égard. Le général Bichon, qui était adjoint à l’ESG, connaissait également le général Baraket quand ils étaient tous les deux stagiaires à l’Ecole militaire (ESG) et lui vouait un profond respect.

Outre-Atlantique, selon la tradition, l’Ecole de commandement et d’état-major américaine honore ses anciens élèves parvenus au sommet de la hiérarchie militaire de leurs pays. Le général Baraket, à l’instar des chefs illustres passés par cette école, fut honoré en 1986 pour son parcours exceptionnel. Son portrait figure depuis cette année au « Hall of Fame » du Command and General Staff College, à Fort Leavenworth, Kansas.

Un style de commandement novateur

En adoptant un style de commandement résolument novateur, favorisant la participation et encourageant l’initiative, le général Baraket obtenait le meilleur de ses subordonnés sans avoir besoin d’exercer une autorité rigide ou montrer une rigueur excessive. Il était adepte de la hiérarchie éclairée et croyait en la force de l’exemple.

Chez lui, la combinaison des ‘soft skills’ innés et l’exercice quotidien du commandement lui conféraient une autorité naturelle. Ses subordonnés montraient une obéissance active où l’adhésion l’emportait sur la contrainte. Ce style a permis à ses collaborateurs de libérer les énergies et de déployer les initiatives. En plaçant la confiance en eux, les résultats des actions entreprises sont souvent d’excellentes qualités. Il a utilisé également le sport, en particulier le football, comme moyen de rapprochement avec les subordonnés durant toute sa carrière.

Une qualité cardinale du général, c’est la défense de ses subordonnés et son acceptation du fait qu’ils puissent se tromper.

Au moment du déclenchement de l’affaire de « Barraket Essahel » en mai 1991 et l’arrestation d’officiers supérieurs de l’État-major de l’armée, le général Baraket était ambassadeur à Athènes. Le général (R) Ben Slimane, son ancien camarade de promotion, lui rendait visite à Athènes et l’informait sur la campagne d’arrestation qui a frappé des officiers de l’Armée. Selon le général Ben Slimane qui me rapportait cela, le général Baraket en avait été très affecté, car nombre d’officiers parmi eux ont servi sous ses ordres comme cadres ou élèves à l’Académie militaire.

Une question me taraudait depuis mon arrestation dans l’affaire de « Baraket Essahel » : qu’aurait fait le général Baraket s’il avait été chef d’état-major au moment de la campagne d’arrestation de mai 1991?

La réponse m’a été fournie, lors d’une rencontre avec lui, longtemps après ces évènements. Il m’a assuré qu’il aurait défendu ses officiers jusqu’au bout, et à défaut d’obtenir leur libération et leur retour à leurs postes, il aurait certainement démissionné. Il n’a jamais digéré le fait que le commandement de l’Armée procède aux arrestations de ses hauts cadres et les remette entre les mains du ministère de l’Intérieur pour être humiliés et torturés, pour un complot fabriqué de toutes pièces.

A propos de son style de commandement, je voudrais rapporter ici le témoignage du colonel Habib Houas, qui fut l’un de ses collaborateurs au commandement des Écoles qu’il dirigeait en 1983 : «D’un style nouveau, feu le général Baraket aimait travailler dans la joie. Il ne commande pas, il dirige, oriente et réfléchit... En résumé, le général Baraket était un grand chef militaire, très respecté de ses supérieurs, ami de ses subordonnés. Il était un meneur d’hommes et un éducateur hors pair»

Des œuvres multiples

L'Académie militaire : cette grande institution académique a connu sous sa direction éclairée des transformations modernes tant au niveau de l’enseignement que des infrastructures.

Au niveau de l’enseignement :

Introduction d’un nouveau curriculum avec quatre années d'études universitaires et militaires au lieu de deux,

Inclusion dans le nouveau curriculum d’un stage de formation au Centre national d’entraînement commandos de Mont-Louis (France) et d’un stage de parachutisme militaire en Tunisie…

Accueil des promotions d'élèves officiers de réserve parmi les diplômés de l'École nationale d’ingénieurs de Tunis et les diplômés des instituts et des facultés, 

Organisation de cours de qualification pour le grade de sous-lieutenant au profit des sous-officiers supérieurs des diverses armées et du corps de la Garde nationale,

Elaboration des documents de référence pour l’enseignement militaire (topographie, pionniers, armement, transmissions, etc.),

Développement des traditions: choix par les EOA du nom de promotion, conception et réalisation d’un insigne de promotion, préparation du ‘triomphe’ de fin d’année par la promotion sortante sous la supervision de l’Officier des traditions…

Autre tradition établie par le colonel Youssef Baraket : la tenue d'une cérémonie en l'honneur des officiers qui ont terminé leur mission à l'Académie. Au cours de cette cérémonie, le commandant de l’Académie salue les services rendus par les intéressés et offre à chacun d’eux un cadeau souvenir.

Au niveau des infrastructures, les anciennes infrastructures du Camps Servière, constituées essentiellement de baraquements et de quelques bâtiments datant de la colonisation, sont devenues exiguës, inadaptées et inconfortables. Un nouveau siège a été conçu et réalisé. Il est composé de nouveaux bâtiments modernes et pratiques avec des chambres pour quatre étudiants, des amphis, des salles de cours et divers laboratoires…

Mise sur pied de la 2e Brigade: nommé commandant de la 2e Brigade de l’Armée de terre, à créer, et dont le quartier général devait être installé à Béja.

Le colonel Baraket s’est totalement investi dans cette mission et a dirigé la création de cette grande unité à partir de rien, en réalisant les effectifs, les équipements et les infrastructures nécessaires.

Adepte de l’introduction des nouvelles technologies: à la tête de la Direction de la planification, de la programmation et de l’informatique, le colonel Baraket a œuvré pour que cette direction introduise et développe les techniques d’une gestion moderne basée sur l’outil informatique. Selon le témoignage du colonel-major (R) Béchir Chok, qui fut son proche collaborateur : « Il a beaucoup fait pour la réalisation des applications informatiques concernant la gestion des ressources de l’Armée avec quatre applications principales : gestion automatisée du personnel, du matériel, du budget et du patrimoine militaire »

Deux idées lui étaient chères, selon le CM Chok : la mise sur pied d’un centre opérationnel des armées et la numérisation des tableaux des effectifs et des dotations. Il a travaillé également sur l’évolution de la pyramide des grades et sa correction par des outils automatisés.

L’héritage du général Baraket

L’Histoire retiendra du général de corps d’Armée Youssef Baraket qu’il fut le plus prestigieux des généraux de la 1ère République. Militaire puis diplomate, il a servi la République et la nation avec grande compétence et un infini dévouement. Son empreinte restera indélébile comme réformateur de l’enseignement militaire supérieur, comme bâtisseur et initiateur d’un style de commandement moderne alliant professionnalisme et humanité.

Notre souhait, nous les anciens militaires, c’est de voir notre Armée perpétuer la mémoire des chefs militaires qui ont servi la nation avec honneur, compétence et dévouement par des actions symboliques telles que:

Attribution du nom du général Baraket à l’une des promotions sortantes de l’Académie militaire,

Baptême des amphis des grandes écoles militaires (Académie militaire, Ecole supérieure de guerre, Ecole de commandement et d’état-major...) du nom du général Baraket,

Attribution du nom du général Baraket à l’une des bases militaires (Béja par exemple)

Le Général nous a quittés, mais il restera à jamais dans nos mémoires.
Great soldiers never die, they simply fade away

* Pionniers : cours de Génie militaire comportant plusieurs matières : explosifs et destructions, mines, organisation du terrain, franchissement…

Le Colonel Major (r) Mohamed Ahmed
Ancien assistant du chef d'état-major de l'Armée de terre,
ancien coordinateur général de l'association INSAF-Justice pour les anciens militaires


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Mohamed Ali El Bekri - 13-05-2021 18:49

J'ai ressenti beaucoup de tristesse suite à son décés , c'était un grand chef militaire , d'une grande compétence et rempli d'humilité . "Allah Yarhmou we naamou , inna lellahi wa iliahi raji3oun" .

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