Opinions - 28.08.2018

Sabeur Abbes: Pourquoi les politiciens tunisiens n’arrivent pas à mobiliser ?

Pourquoi les politiciens tunisiens n’arrivent pas à mobiliser ?

Rien ne change, ça ne fait qu'empirer. Cette phrase est entendue partout, souvent, dans la bouche d'une bonne majorité de nos concitoyens. Pourtant, le champ des possibles s'est exceptionnellement élargi depuis la révolution. Tout était devenu à notre portée, mais, malheureusement une erreur originelle a été commise.

D'une part, les acteurs politiques pré-janvier 2011 étaient sidérés. Forcés à être coupés du peuple, ils ont été presque autant surpris par la révolution que le régime lui même. Pire encore, certaines demandes populaires n'étaient que des reprises simplifiées de certains slogans politiques de l'opposition dite historique dans notre pays. D'autre part, la nouvelle génération politique était comme subjuguée par le peuple. Le "grand people tunisien" pour paraphraser la constituante Ben Toumia était certes digne de respect, mais il ne fallait pas s'arrêter là.

La plus grossière erreur post révolution était donc basée sur une erreur d'appréciation et sur une mauvaise compréhension du rôle de la classe politique, surtout en période de doute et de changement.

D'abord, il est de notoriété publique que si la révolution tunisienne fut populaire, les 12 millions de nos concitoyens n'y ont pas participé, et ont encore moins porté des valeurs "universelles" qui permettent aux peuples de faire un bond à tous les niveaux : économique, social et sociétal. Et même si l'en venait à considérer que le "service minimum" est assuré, et que les Tunisiens sont tous des citoyens modèles, ceci ne dédouane pas la classe politique de jouer son rôle pleinement, ce qui nous mène au deuxième point.

La classe politique a trop souvent été attentiste et très souvent dans l'observation. Convaincu que les Tunisiens sont un peuple "extraterrestre", la majorité des partis s'est contentée d'identifier les points qui pourraient être importants pour les Tunisiens et de les mettre en avant dans leur présentation au public. Ainsi, on s'est retrouvé en 2011 avec Ennahdha qui a identifié l'axe religieux pour se prétendre garante du respect du sacré dans son ensemble, le CPR a surfé sur la vague révolutionnaire qu'il n'a pas créé et enfin des partis avec une idéologie forte ont fini par ne toucher que leurs "militants", c'est le cas par exemple de la gauche marxiste tunisienne et du parti Ettajdid. Cette même vague s'est répétée en 2014, avec, en plus de la déception CPR, Nidaa s'est opposé à Ennahdha et Slim Riahi a joué la carte du... football. Les résultats de ce derniers montrent à quel point les partis politiques sont disfonctionnants en Tunisie, car il est possible d'être la 3ème force politique en contournant carrément l'offre politique et en la remplaçant par une autre forme de mobilisation.

Si l'on prenait une métaphore maritime, on pourrait dire que la totalité des hommes politiques ne font que tirer des voiles pour naviguer. S'ils ont de temps en temps le vent en poupe, c'est uniquement parce qu'ils ont été assez habiles pour comprendre certains aspirations du peuple. Mais une chose est sûre, personne n'a réussi à inventer le moteur à vapeur (de la classe politique), personne ne force les vents et très peu de personnes connaissent leur port d'arrivée.

La Politique, la vraie, celle qui change les choses, qui mobilise, est très différente de l'attentisme et l'opportunisme trop répandus en Tunisie. Si des parents disaient qu'ils veulent laisser à leur fils toutes les décisions qui concernent son avenir dès ses 4 ans, est-ce que cela paraîtrait raisonnable ? De même, demande-t-on au chef d'entreprise de n'avoir aucune stratégie et de tout laisser au bon vouloir des salariés ? Certes la politique n'est ni une paternité et le pays encore moins une entreprise, mais les bonnes pratiques doivent être puisées là où c'est possible.

Le progressisme, le vrai, c'est quand les hommes politiques deviennent une locomotive de transformation positive pour leurs peuples. Mes citoyens pensent que les impôts sont élevés ? Mon devoir est d'expliquer que la participation est vitale pour tout le monde. Il y a une peur de l'égalité pour des raisons religieuses ? Je dois prendre la parole et trouver les arguments pour convaincre du bien fondé de l'égalité. Je dois aussi combattre les peurs collectives, irrationnelles, comme le racisme ou le régionalisme. Faire de la politique sans vouloir mobiliser et mener les citoyens vers un monde meilleur, c'est la fin même de la démocratie dans notre pays.

Au lieu de dire au peuple : « Je viens vous rejoindre sur les points mobilisateurs », le vrai homme politique progressiste dira: « Voilà ma vision, voilà comment je veux y arriver, et je vous demande de me rejoindre parce que c’est ce que je pense être le meilleur pour mon peuple ». Autrement, vous ne serez que des répliques de Kaddafi.

Sabeur Abbes
Diplômé de Sciences Po Paris et de l’université Paris Diderot

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1 Commentaire
Les Commentaires
Faten - 31-08-2018 16:17

analyse intéressante merci

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