News - 01.02.2017

Moez Sinaoui (ambassadeur de Tunisie à Rome): Rétablir la confiance, renforcer la coopération entre les 2 pays

Moez Sinaoui: Rétablir la confiance, renforcer la coopération

A quelques jours de la visite du président de la République, l’ambassadeur de Tunisie à Rome, Moez Sinaoui fait pour Leaders un état des lieux des relations tuniso-italiennes et explore le voies et moyens de leur renforcement.

Dans quel contexte italien, politique et économique, intervient la visite d’Etat du Président Caïd Essebsi à Rome?

L’Italie connaît depuis l’avènement du gouvernement Gentiloni un contexte politique quelque peu apaisé après les tiraillements de la campagne référendaire qui a abouti au départ de Matteo Renzi. Ce gouvernement s’inscrit dans la continuité de celui qui le précède et ses priorités se résument à la recherche de la reprise économique et d’une sortie de la crise et de la récession dont souffre l’Italie comme la plupart des pays européens.

Mais au-delà des vicissitudes de la vie politique interne italienne, l’Italie est, ces jours-ci, au diapason de la vie internationale. En effet, depuis le mois de janvier dernier, elle siège au Conseil de sécurité.  Elle prendra la présidence tournante du G7 lors du Sommet de Taormina au mois de mai prochain et s’apprête à accueillir et à organiser le 25 mars 2017 les festivités marquant le 60e anniversaire du Traité de Rome, fondateur de l’Union européenne.

Dans ce contexte, la Tunisie ne cesse de s’affirmer comme un partenaire privilégié de l’Italie. Les relations bilatérales se sont consolidées depuis la révolution du 14 janvier 2011 par un soutien engagé de l’Italie en faveur de la transition démocratique dans notre pays. Les visites des hauts responsables des deux pays se poursuivent à un rythme soutenu, comme en témoignent celles, tout récemment, des nouveaux ministres de l’Intérieur, Marco Minnitti, et celui des Affaires étrangères, Angelino Alfano, qui ont effectué à Tunis, en janvier dernier, leur premier déplacement à l’étranger. La visite d’Etat du président de la République à Rome après celle, à Tunis, du président Sergio Mattarella, le 18 mai 2015, sera un moment fort qui posera de nouveaux jalons dans la voie de l’approfondissement et de la redynamisation des relations bilatérales.

Quels sont les problèmes en suspens entre la Tunisie et l’Italie: disparus, immigrés clandestins, détenus en prison, pêche côtière, sécurité, investissement…?

Sans occulter les problèmes, je parlerai tout d’abord des opportunités et je mettrai en avant l’énorme potentiel de renforcement des relations bilatérales et ce, notamment dans les domaines de l’investissement, du commerce et de la coopération scientifique et technique.

La coopération culturelle devra reprendre de plus belle car elle est le ciment de tout rapprochement entre les peuples. En effet, on ne saurait trouver mieux que l’Italie pour nous aider à mettre en valeur nos sites archéologiques exceptionnels et notre immense héritage romain qui constituent un patrimoine commun.  Toutefois, si le flux des touristes italiens accuse une baisse substantielle ces dernières années, il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit d’une régression conjoncturelle due aux attentats terroristes et surtout celui perpétré au Bardo qui a marqué les esprits ici car onze Italiens innocents y ont perdu la vie. Nous nous activons pour dépasser ce moment dramatique et redonner confiance aux Italiens dans la destination Tunisie. Certes, c’est une tâche ardue mais on s’y attelle sérieusement en collaboration avec toutes les institutions tunisiennes présentes en Italie, qu’il s’agisse de nos cinq consulats ou des représentants de l’Ontt, de la Fipa, du Cepex, de Tunisair, de la CTN, etc. Les Italiens vivant en Tunisie et qui savent que la réalité de notre pays est différente de ce que véhiculent hâtivement les médias pourraient, à mon avis, également contribuer à cet effort pour promouvoir cette Tunisie qui les a toujours très bien accueillis.

S’agissant de la migration et plus précisément de la lutte contre l’immigration clandestine, on se félicite de la coopération exemplaire entre les deux pays.  En effet, on est passé de 22 000 clandestins en 2011 à 1 204 en 2016, tous rapatriés dans la dignité et le respect de la personne humaine. Cependant, la coopération en matière de migration ne doit pas se limiter à la lutte contre l’immigration clandestine, il faut aussi ouvrir une fenêtre d’espoir aux jeunes tunisiens pour qu’ils puissent travailler en Italie à travers un accord sur la migration régulière et concertée. Les négociations des termes de ce nouvel accord sur «la migration concertée et le développement solidaire» débuteront vraisemblablement dans la foulée de la visite d’Etat du président Caïd Essebsi. Le drame humanitaire qu’est la question des disparus demeure une préoccupation constante de l’ambassade que l’on traite d’une manière concertée avec la partie italienne et à travers une commission où les familles des disparus sont représentées. Les détenus tunisiens dans les prisons italiennes constituent aussi un souci constant pour la mission et pour nos consulats qui n’épargnent aucun effort pour leur rendre visite, examiner les conditions de leur détention, et faciliter le retour au pays de ceux qui ont purgé leur peine.

Que demande la Tunisie à l’Italie?

La Tunisie cherche à avoir les meilleurs rapports avec un pays voisin et avec lequel elle entretient des relations fructueuses depuis la nuit des temps. Personnellement, j’appelle les Italiens à faire confiance à la Tunisie et aux Tunisiens et à ne pas se focaliser sur des actes terroristes qui peuvent toucher n’importe quelle ville et n’importe quel peuple. Le chemin parcouru par notre pays depuis 2011 nous attire certes le respect mais ne nous empêche pas d’accuser un déficit d’image auprès d’une opinion italienne touchée dans sa chair depuis l’attentat criminel du Bardo.

J’invite également les médias italiens à visiter la Tunisie et à traiter la réalité tunisienne avec plus d’objectivité, de manière à ne pas alimenter la crainte et la méfiance. Car les Italiens, qui sont le peuple européen le plus proche des Tunisiens et ceux qui les connaissent le mieux, doivent être notre principal défenseur dans une Europe touchée par l’autarcie et par les sornettes de la xénophobie et du rejet de l’autre.

L’immigration doit être vue comme une opportunité et non comme une menace. Je ne cesse de rappeler à mes amis italiens qu’il y a seulement quelques décennies, on avait 100 000 Italiens «immigrés » en Tunisie,  que, dans l’antiquité, la Tunisie était au cœur de la romanité, et que la Carthage reconstruite était la deuxième cité de l’Empire romain. Sans oublier que la dynastie des Sévère, d’origine numide, a donné plusieurs empereurs à Rome.

Que faut-il attendre de cette visite?

Au-delà des résultats concrets que cette visite d’Etat engendrera, puisque plusieurs accords touchant une multitude de domaines seront signés, elle est un signe de reconnaissance de l’excellence des relations bilatérales et de la volonté partagée d’aller de l’avant. Personnellement, je mesure bien ma chance d’entamer ma mission par une visite d’Etat qui m’a déjà ouvert toutes les portes de Rome et posera les jalons d’une coopération renouvelée. Pour parler vrai, cette visite permettra de sortir la Tunisie de la rubrique des faits divers et d’atténuer les craintes des Italiens en leur faisant redécouvrir une Tunisie amie, une Tunisie moderne, une Tunisie pleine d’opportunités et de promesses.

Et en matière d’échange de jeunes et de coopération décentralisée?

Les jeunes, justement, sont une des constantes dans l’agenda du chef de l’Etat durant ses visites à l’étranger. II est clair que cette tranche de la population devrait bénéficier d’une attention plus soutenue. Les programmes d’échanges universitaires avec l’Italie sont appelés à se développer, notamment dans les filières scientifiques tels que la médecine ainsi que l’architecture et les beaux-arts et ce, grâce à des projets de convention bilatérale entre les universités tunisiennes et italiennes. L’ouverture récente de l’Italie aux formations bilingues dispensées aussi bien en italien qu’en anglais ne peut qu’encourager ce type d’échanges.

Par ailleurs, un projet de partenariat universitaire pour les programmes de formation Erasmus pouvant favoriser la mobilité des jeunes tunisiens et l’ouverture des échanges scientifiques Méditerranée/Europe devrait voir au cours de l’année académique 2018/2019, notamment à travers un projet en partenariat avec l’université de Rome La sapienza. La coopération décentralisée représente une piste essentielle en vue de relancer la coopération tuniso-italienne. Fonctionnant sur la base du management par projet, elle présente de nombreux avantages et semble conduire à des actions mieux ciblées et plus efficaces à long terme. Les quelques initiatives de coopération décentralisée recensées jusqu’ici entre des régions tunisiennes et italiennes (Kasserine-Toscane et Jendouba-Latium) semblent conforter cette affirmation.

Où en est la coopération avec la FAO, le PAM et le Fida? Et comment placer plus de hauts fonctionnaires au siège et dans les bureaux à l’étranger et d’experts et consultants sur le terrain?

Le développement agricole est au centre des objectifs stratégiques du développement économique de la Tunisie. La FAO, le PAM et le Fida étaient des partenaires privilégiés de la Tunisie après l’indépendance et notamment pendant les années 70-80. Cette coopération était axée sur le renforcement des mécanismes politiques et institutionnels d’appui au secteur agricole et aux populations vulnérables. Aujourd’hui, il conviendrait d’insuffler un nouvel élan à cette coopération de manière à atteindre les perspectives de développement national après la révolution et tenir compte de la pauvreté qui sévit notamment dans les régions défavorisées, essentiellement rurales, de l’intérieur du pays.  Cette coopération devrait être orientée vers l’amélioration de la performance du secteur agricole, avec un focus sur les filières agricoles, intégrant les petits producteurs et valorisant les potentialités régionales pour une meilleure sécurité alimentaire et vers la gestion durable des ressources naturelles à travers l’introduction de bonnes pratiques agricoles.

Notre rôle en tant que représentant permanent de la Tunisie auprès de ces institutions est d’accompagner les ministères concernés, et notamment celui de l’Agriculture, dans leurs démarches auprès de la FAO pour lancer de grands projets avec la Tunisie, en plus d’un suivi, d’une mise en œuvre de programmes et d’une assistance au financement et pas seulement des petits projets d’étude, comme c’est le cas actuellement. Pour ce qui est du placement de hauts fonctionnaires et experts tunisiens au sein des organisations internationales et en l’occurrence la FAO, le PAM et le Fida, il est à noter que la Tunisie est bien représentée au sein de la FAO. En revanche, cette présence mérite d’être davantage renforcée dans les deux autres institutions. Il est à rappeler, à cet égard, qu’une commission nationale permanente a été créée au sein du ministère des Affaires étrangères ayant pour mission d’élaborer les stratégies et de définir les principales orientations afin de garantir les meilleures conditions d’aboutissement des dossiers de candidature. Elle a vocation à conforter la présence des compétences et cadres tunisiens dans les instances et organisations régionales et internationales.

Quel est votre propre contrat à la tête de l’ambassade de Tunisie à Rome?

Ma mission à la tête de l’ambassade, je la puise dans les recommandations du chef de l’Etat lors de la remise de mes lettres de créance. Il m’a chargé d’œuvrer pour que les relations bilatérales reflètent la proximité existant entre les deux peuples et les deux pays. En effet, bien que nous fêtions cette année les 60 ans de relations diplomatiques entre l’Italie et la République tunisienne, un constat s’impose: la coopération est bien en deçà de ce que nous serions en droit d’attendre de deux pays aussi proches.

Concrètement, et au-delà des missions classiques d’un ambassadeur, mon objectif est de rétablir la confiance non seulement chez les Italiens mais aussi auprès de la communauté tunisienne en Italie. Notre ambassade et nos consulats doivent leur montrer que notre pays a changé en mieux, en leur accordant les meilleures prestations et la plus grande attention. La priorité dans l’accomplissement de ma mission consiste à renforcer des relations économiques et à surtout attirer davantage d’investissements vers la Tunisie. Aujourd’hui nous avons 860 entreprises italiennes installées en Tunisie. L’objectif est de drainer davantage de ces PME qui ont fait le succès et l’excellence de l’économie italienne.  Ma deuxième priorité est le renforcement de la coopération culturelle et la multiplication des échanges et initiatives qui permettent aux Italiens de redécouvrir la Tunisie et d’apprécier la nature de notre pays. Support indirect des transferts technologiques et vecteur de transformations sociales, l’échange culturel doit nécessairement prendre une place de choix dans la coopération tuniso-italienne.

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